Chapitre 86
PDV Jade
J'essuie mes joues, inspire et expire profondément plusieurs fois, et resors des toilettes pour reprendre l'ascenseur. Si Sam pense que je vais partir à un moment comme celui-ci, il se trompe.
Quoiqu'il dise, je sais qu'il a besoin de soutiens maintenant, et je ne peux pas lui refuser cela, surtout après voir vu sa vulnérabilité. Parfois il a l'air d'être un enfant - un petit enfant qui a grandit sans pouvoir s'épanouir, un petit enfant qui n'a pas pu vivre son enfance.
Et je ne lui en veux pas d'agir comme un enfant. Comme la fois où on était tombé malade et qu'il faisait tout pour avoir l'attention de sa mère. Ou la fois où il s'amusait avec la chantilly et ses gaufres. Ou toutes les fois où il en faisait qu'à sa tête, comme un enfant têtu.
Je souris aux souvenirs. Puis la réalité me frappe quand les portes de l'ascenseur s'ouvrent et j'aboutis une nouvelle fois sur ce sombre couloir où pourtant tout est blanc.
Est-ce pour cela que tout dans les hôpitaux sont blanc ? Pour cacher, ou du moins atténuer, les malheurs et la tristesse qui traînent dans les couloirs ?
Samuel n'est plus assis au sol comme je l'avais laissé il y a quelques minutes. Ma veste et mon sac ne sont plus là aussi d'ailleurs. Je fais demi-tour, m'apprêtant à aller voir s'il est dans la salle d'attente, mais je reconnaît la voix de Jeanne m'appellant derrière moi, me faisant retourner.
Elle s'avance vers moi, mon sac et ma veste dans ses bras. Ses joues sont roses et ses yeux rougies, ses pas lents et presque las, comme si elle ne tenait plus en place. Je la rejoins à mi-chemin et enroule mes bras autour d'elle. Elle pleure en silence sur mon épaule alors que je fais de petits cercles sur son dos, tentant de la calmer ne serait-ce qu'un petit peu.
" Merci d'être venus " elle renifle en se reculant, effaçant ses joues du revers de ses mains, " Samuel ne réagissait et ne parlait plus, je ne savais pas quoi faire. "
" Ce n'est rien... Où est-il maintenant ? "
" Avec son père " elle m'offre un minuscule sourire.
" Il s'est réveillé ? "
" Non... Du moins, pas encore. Mais il va se réveiller, je le sais. "
Je lui rend son sourire, minuscule et forcé également, puis elle me demande de la suivre. Nous longeant le couloir et tournons quelques fois à gauche et à droite avant d'arriver dans un autre bloc de l'hôpital.
Nous nous installons sur les sièges à quelques mètres des portes coulissantes qui nous séparents du service de réanimation. J'entend quelques voix par-ci par-là, sûrement des infirmier(e)s et des médecins, s'ajoutant à cela des bruits que je connais que très bien, comprenant du matériel médical.
Je me demande dans quel état est Samuel à cet instant. Que fait-il devant le corps immobile de son père ? Des frissons me parcourent en y pensant, et je glisse ma main de haut en bas sur mon bras.
" Je ne comprend pas pourquoi tout cela nous arrive... " Jeanne soupire.
" C'est la loi de la vie, je suppose " je réplique en haussant légèrement les épaules.
" Peut-être. Mais qu'avons nous fait pour subir cela ? Si je savais ce qui allait suivre, je n'aurai jamais fait ce pas pour changer le cours de ma vie. J'ai vécus toute ma vie avec cet homme, j'aurai pu vivre encore un peu, n'est-ce pas ? "
" Samuel aussi culpabilise mais il faut que vous arrêtiez cela. Jeanne, ne prend pas la faute sur toi, tout le monde a souffert dans cette histoire, vous n'avez seulement pas réagis de la même façon. Edouart n'a pas pu résister à la douleur, mais ce n'est pas de ta faute, ni celle de Samuel. J'ai presque envie de dire que ce n'était même pas de sa faute, c'est seulement l'accumulation de toutes ces choses que vous avez tous endurés, et parfois la douleur devient insupportable et... "
Elle tourne la tête vers moi, et les mots se mélangent dans ma tête face à son regard. Elle sourit, puis pose sa main sur la mienne. Ais-je dis quelque chose en trop ?
" Tu es un ange " elle murmure en serrant légèrement ma main. " Tu es un ange qui a malheureusement rencontré notre chemin. Si je suis égoïste, je dirais heureusement que ton chemin passait par le notre. "
" Je ne suis pas ange. Seulement... Compréhensive ? "
" Si tu veux " elle me sourit une dernière fois avant de redonner son attention au mur devant nous.
Devrais-je penser que rencontrer le chemin de Samuel et de cette famille est une bonne ou mauvaise chose ?
Si je retournais à quelques mois auparavant, est-ce que j'aurais changé quelque chose et empêcher tout cela d'arriver ?
" Je peux te demander quelque chose ? " je reprend après un instant de silence.
" Si c'est à propos de ce que je vais faire maintenant, je n'en ai aucune idée ma belle "
" Non... Ce n'est pas par rapport à cela... Je sais que ce n'est pas forcément le meilleur moment de parler de cela, mais j'ai besoin de connaître la vérité "
" Sur quoi ? "
" Samy. La vérité sur le décés de Samy "
" Samuel t'as parlé de lui ? " elle demande, réellement surprise.
" Briévement, on peut dire. Mais je ne connais pas la fin de l'histoire, " j'avale ma salive et ajoute, " Sa fin ".
" Eh bien... " elle inspire profondément en se redressant sur son siège et reposant son regard sur le mur blanc, comme si elle l'utilisait en tant qu'écran pour repartir dans son passé. " Samy était un enfant très agité, un peu comme Samuel d'ailleurs, et il adorait aussi la musique. Il en demandait toujours plus, il voulait apprendre toujours plus, en savoir toujours plus ; et cette qualité s'est retourné contre lui pour apporter sa fin... Samuel était fou de la musique, tu as sûrement dû voir tous les instruments qu'il possède. Je ne sais même pas s'il les a tous essayé, il me les demandait et je ne pouvais pas dire non. Alors quand il a commencé à donner des cours de piano à Samy, le petit en voulait plus... "
" Il voulait essayer les autres instruments, Samuel m'en avait parlé... "
" Exactement. Mais Samuel voulait qu'il se concentre sur le piano, il lui répétait que les autres instruments viendront plus tard... Comment peux-tu retenir un garçon aussi agité que lui ? Il s'est faufilé dans la salle de musique alors qu'il devait attendre Samuel dans le salon. Personne ne l'a vu, personne ne l'a entendu. Jusqu'à qu'un énorme bruit retentisse dans toute la maison ".
Elle s'arrête et porte son regard sur ses mains avant de reprendre.
" On a couru à l'étage, dans la salle de musique, et il était là, allongé au sol à côté d'un instrument dont je n'arrive jamais à me rappeler du nom. Mais il était grand, énorme même pour un petit enfant comme lui. En voulant l'essayer, Samy l'avait fait tombé de son emplacement. Le cuivre est tombé sur sa tête, et il s'est retrouvé au sol, s'ouvrant le crâne... Ils n'ont pas pu le sauver... "
" Donc... Ce n'était pas de la faute à Samuel ? "
" Non, mais il s'est toujours senti coupable. Et Edouart en a ajouté dessus, lui disant que c'était bien de sa faute si ce petit être innocent était mort... "
* * *
Cela fait plus d'une heure que Samuel est avec son père et nous n'avons eu aucune nouvelle. Après avoir fait deux fois le tour de l'hôpital, je ne peux plus résister et décide qu'il est temps d'aller le voir.
Jeanne me montre la chambre après avoir passés les portes coulissantes et retourne à l'extérieur. Je m'avance lentement, je peux voir un peu près l'intérieur de la chambre par la fenêtre qui donne sur le couloir.
Je me poste d'abord devant celle-ci, voyant le corps allongé d'Edouart, puis mon regard cherche Samuel, mais je ne le vois pas.
Sans plus attendre, je rentre à l'intérieur, accueillis par le bruit constant des machines et d'un Samuel que je retrouve finalement dans le coin de la pièce, assis sur une chaise, son regard absent sur son père.
Est-il resté comme cela pendant tout ce temps ? A le regarder en silence ?
Ca ne m'étonnerai pas.
Je m'adosse contre le mur près de la fenêtre et n'ose pas briser le silence. Mon regard passe de Samuel à Edouart, et un sourire triste se dessine sur mon visage ; était-il si aveugle qu'il n'a pas vu sa ressemblance avec son fils ? Ils ont les mêmes traits faciaux, les mêmes yeux - même si le regard de Samuel a toujours été différent de celui de son père -, tout le monde pouvait deviner qu'ils sont père et fils. Mais lui n'a pas voulu le voir, et ça c'est triste, parce qu'il aurait pu éviter tellement de choses, tellement de souffrance...
Après un moment, je m'avance doucement vers Samuel, et attend une réaction de sa part. Il ne fait que relever la tête et me regarder longuement avant de prendre la parole, sa voix étrange, comme s'il n'avait pas parlé pendant des jours ou des mois.
" Pourquoi tu n'es pas partit ? " il demande.
" Je ne vais nulle part, Samuel. Tu sais très bien que je ne te laisserai pas à un moment pareil. De plus, j'ai quelques mots à dire à ton père. "
" Ah oui ? C'est étrange... Je n'ai rien trouvé à lui dire. "
Et voilà que j'ai encore cette image de lui, ce petit enfant vulnérable. Il me fait de la peine, et je souffre en silence avec lui.
Je fais le dernier pas qui me sépare de lui et l'apporte vers moi, sa tête se posant au niveau de mon ventre et ses bras s'enroulant autour de mes hanches alors que je caresse ses cheveux.
" Tout ira bien. Tout ira mieux " je murmure, priant que cela soit vraie.
Nous restons dans cette position une bonne dizaine de minutes, puis il se lève et quitte la chambre. Je m'apprête à le suivre, mais je m'arrête et me retourne vers le corps endormi d'Edouart.
Je m'approche de son lit et pose mes mains sur les barres au pied de celui-ci.
" Tu vas te réveiller Edouart Huguet. Tu vas te réveiller, tu m'entend ? Tu n'as pas le droit de partir comme ça, en laissant derrière toi toutes ces souffrances et ces erreurs que tu n'as pas corrigé, tu n'as pas essayé de corriger. Tu vas te réveiller et tu vas dire à Samuel qu'il n'y ai pour rien, que la mort de Samy n'était pas de sa faute, qu'il n'est pas le monstre que tu lui a fait croire qu'il est. Tu vas te réveiller Edouart Huguet, parce que tu es la seule personne qui pourrait convaincre Samuel qu'il n'est pas la personne qu'il croit être. Tu es la seule personne qui pourra le convaincre qu'il mérite le bonheur, et qu'un jour, il sera heureux. "
Je quitte cette pièce en ressentant un énorme poids sur mes épaules. Je n'aime pas cela.
Les heures suivantes, rien de spécial n'arrive. Jeanne reste devant la chambre de son mari ou bien dans la salle d'attente, faisant des allers-retours. S'en ai de même pour Samuel qui lui fait des allers-retours entre la salle d'attente et l'extérieur de l'hôpital, allant prendre l'air toutes les demie-heures.
De mon côté, soit je suis près de Jeanne, soit près de Samuel. Je le suis quelques fois dehors, il accepte parfois ma présence, mais demande à rester seul la plupart du temps.
La nuit tombe, la salle d'attente se vide, et nous sommes plus que trois assis à l'intérieur. Jeanne s'endort, la tête penchée sur le côté, Samuel la regarde dormir après avoir posé sa veste sur elle, et moi je le regarde la regarder.
* * *
A mon réveil, même si je ne me rapelle pas m'être endormie, mes yeux se posent immédiatement sur la personne assise à côté de Jeanne.
" Léna ? " je murmure, encore légèrement endormie.
Elle se tourne vers moi à l'entente de ma voix, son visage me rapellant celui de Jeanne avec ses joues mouillés et ses yeux rouges. Je me redresse et m'étire en regardant aux alentours à la recherche de Samuel, avant de m'avancer vers Léna pour lui faire un câlin, autant parce qu'elle m'a manquée que pour la soutenir.
" C'est un cauchemar " elle renifle.
" Shh. Tout va bien, reste positive "
" Ce n'est pas facile... C'est mon père, Jade, mon papa... "
" Je sais " je me recule et prend son visage dans mes mains pour essuyer ses joues, " mais fais moi confiance. Tout va rentrer dans l'ordre. "
Elle hoche la tête en reniflant et m'enlace une dernière fois avant de retourner près de sa mère qui commence à se réveiller.
' Fais moi confiance '. Je lui ai dit cela seulement parce qu'elle avait besoin de l'entendre, d'être rassurée, mais d'une manière étrange, je vois de l'espoir. Je sens, au fond de moi je sais que tout cela va rentrer en ordre, tout cela va s'arranger, et cette famille verra enfin les beaux jours.
Ils le doivent, c'est obligé.
Je laisse mère et fille seules et quitte la salle d'attente en m'étirant encore un peu, ayant des courbatures après cette nuit passée sur une chaise. Je prend l'ascenseur et descend au rez-de-chaussée, pensant trouver Samuel ici, et me prend un café au passage pour me réveiller.
Je fais un petit tour à l'extérieur, l'air frais m'aidant à me réveiller davantage, puis, ne voyant toujours pas Sam, je reprend l'ascenseur et décide d'aller voir le service de réanimation où est Edouart et probablement Samuel aussi.
Je le retrouve comme hier, mais cette fois-ci il est assis à côté du lit de son père en silence. Je décide de le laisser seul et reste devant la fenêtre à le regarder. Peut-être qu'il trouvera quelque chose à lui dire finalement. Peut-être qu'il pourra se vider à son père, même s'il y a de fortes probabilités qu'il n'entende rien.
Je quitte ma place devant la fenêtre pour quelques minutes quand je reçois un appel de mon père, celui-ci me demandant des nouvelles et me proposant de rentrer à la maison. Je détourne l'offre encore une fois et l'assure que je vais bien, l'informant de l'état de son patron avant de raccrocher.
Quand je reviens devant la chambre d'Edouart, je sens déjà qu'il se passe quelque chose. Je me poste immédiatement devant la fenêtre et aperçoit un médecin et deux infirmières à l'intérieur, l'une essayant de faire sortir Samuel.
Je prend sur moi et entre à l'intérieur, m'occupant de faire sortir Samuel de cette pièce. C'est seulement quand je lui assure que tout va bien qu'il se tourne vers moi et finit par se calmer pour me suivre à l'extérieur de la chambre.
" C'est bon signe, ne t'inquiètes pas " j'essaye de lui sourire en prenant sa main dans la mienne, la serrant fermement.
" Bon signe ? "
" Oui, fais moi confiance "
Il me regarde dans les yeux puis hoche la tête en inspirant et expirant profondément. C'est la deuxième fois que je répète cette phrase aujourd'hui, je ne sais pas ce qui me prend.
Samuel n'arrive pas à détacher ses yeux de la fenêtre, sûrement en essayant de comprendre ce qu'ils font à son père. Mais je sais que c'est bon signe qu'il réagit, et le docteur me le prouve quand il affiche un sourire en sortant de la chambre.
" Il n'est plus en danger " il nous informe et disparaît après un hochement de tête de ma part.
" Qu'est-ce que ça veut dire ? " Samuel demande en se tournant vers moi.
" Qu'il n'est plus dans le coma ! " je souris vraiment cette fois.
" Donc... "
" Donc tout va bien, et ça ira encore mieux "
Il mord sa lèvre inférieure, puis un petit sourire se dessine sur ses lèvres alors qu'il hoche la tête. Quand il se retourne vers la fenêtre, je l'entend lâcher un soupir de soulagement et je ne peux m'empêcher de sourire encore une fois.
Parce que malgré tout ce qu'il dit, Samuel n'est pas un monstre ; c'est un petit enfant avec un grand coeur et de grandes peurs.
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