Chapitre 85

PDV Jade

Je suis de retour ici, dans mon ancienne chambre, dans mon ancien chez moi. Je pensais que j'allais être heureuse de pouvoir revenir ici, me réinstaller ici, mais je n'arrive même pas à me forcer à sourire.

Avec des gestes presque robotiques, je défais mes valises et range mes vêtements dans mon placard, place mes produits sur ma commode et dans la salle de bain et refais de cette pièce mon chez moi.

Il fallait que je le fasse - ce pas, il fallait que je prenne finalement cette décision et quitte cette maison remplit de souvenirs plus mauvais que bon.

Il fallait que je pense à moi-même pour une fois.

On frappe à ma porte et je laisse ce que je faisais en voyant mon père entrer dans ma chambre.

" Tu as besoin d'aide pour quelque chose ? " il demande en regardant tout autour de la pièce.

" Non, merci. J'ai presque finis de tout façon "

Il hoche la tête, et je continue à plier mes vêtements et les ranger sur les étagères. Il s'asseoit au bord de mon lit en silence et attends sûrement que je finisse pour pouvoir me parler. Je sais déjà le sujet, j'essayais seulement de ne pas y penser en me tenant occupée avec le rangement.

" Il est dans le coma " il annonce finalement.

Mes mains arrêtent tout mouvement malgré moi, restant sur le dernier pull que j'ai déposé sur le tas empilé sur l'étagère.

Quand Samuel était partit en courant, je savais qu'il y avait quelque chose de grave. Je n'ai pas pu l'appeler, je n'ai toujours pas acheté un nouveau portable. En arrivant chez mon père, je lui en ai parlé et il m'a informé que c'était à propos d'Edouart, que tous les employés avaient été renvoyés chez eux bien plus tôt que d'habitude et qu'il y avait une panique non-expliquée.

On a appris plus tard ce qu'il a essayé de faire. Comment sa secrétaire l'a retrouvé dans son bureau, la tête couchée sur la table et immobile.

" Je vais y aller " je finis par dire en me retournant vers lui.

" Tu n'es pas obligée d'y aller, tu sais. "

" Je le suis... " je murmure.

Il n'insiste pas. Il fait beaucoup plus attention à ce qu'il dit maintenant.

Une dizaine de minutes plus tard je suis en route pour l'hôpital. Je suis nerveuse. Je ne sais pas ce qu'il va se passer. Je ne sais pas dans quel état je vais retrouver Samuel et Jeanne. Je ne sais pas ce que je pourrais faire.

Quand Jeanne nous avait parlé de son passé avec Edouart, j'étais partagé entre le sentiment de dégoût et de pitié envers Edouart. Aujourd'hui j'éprouve de la tristesse, parce que malgré tout ce qu'il peut faire il est humain, il a fait des erreurs - des énormes erreurs - et il en paye les conséquences maintenant, en perdant sa femme et son fils - qu'il avait perdu depuis bien longtemps maintenant.

S'il est arrivé au point de ne plus vouloir vivre, c'est qu'il a souffert aussi. Peut-être moins que Jeanne ou Samuel, peut-être plus, mais il n'a pas pu rester debout sous le poids.

Garée dans le parking de l'hôpital, je regarde un instant les alentours, essayant de reprendre tout le courage possible.

Je quitte finalement la voiture et prend une profonde inspiration en me dirigeant vers l'entrée. Je ne suis même pas venus pour mon stage aujourd'hui, et je n'ai pas appelé non plus. A vrai dire, ça ne m'importe plus tant que ça.

Juste avant de passer les portes coulissantes, mon regard se pose sur un homme assis sur l'un des bancs à une dizaines de mètres d'où je suis. Samuel.

Je fais demi-tour et redescend les marches menant à l'intérieur de l'hôpital, prenant le petit chemin pour rejoindre Samuel. Je ne réfléchis même pas une seule seconde, je ne me demande même pas si c'est la meilleure chose à faire, si je devrais aller le voir lui au lieu de Jeanne qui doit sûrement être à l'intérieur. Mes pieds me guident à lui, et je ne les arrêtent pas.

Il ne relève pas les yeux quand j'arrive près de lui. Il ne réagit même pas quand je m'asseois à côté de lui.

Son visage est pâle, son regard dans le vide, son expression neutre.

Ca me fait de la peine de le voir comme cela. Si je savais que cet évènement allait suivre, je ne lui aurais pas dit ces mots plus tôt quand il est venu m'apporter ma voiture.

Je ne lui aurais pas menti en déniant mes sentiments pour lui.

Je voulais simplement lui enlever la possibilité de me refaire du mal, de me refaire souffrir, mais maintenant je regrette. J'étais à la limite de regretter et reprendre mes mots quand j'avais vu combien il était atteint par mes paroles, mais je m'étais retenus. Maintenant je veux les reprendre, mais ce n'est pas le moment de parler d'amour.

" Samuel ? " je murmure en inclinant la tête sur le côté.

Il ne réagit toujours pas. J'avale difficilement ma salive. Je n'aime pas le voir comme cela. C'est désagréable comme vision.

Délicatement - pour ne pas le brusquer - je prend ses mains et décroise ses doigts. Il se laisse faire, et je serre une de ses mains dans la mienne.

" Je suis là " je murmure.

Je n'attend pas une réaction cette fois-ci, je veux juste qu'il sache que je suis avec lui à cet instant, en espérant que ça représente quelque chose pour lui.

Et je comprend que oui, ma présence représente bien quelque chose, quand il émet une légère pression en retour.

Je veux qu'il parle, qu'il cri, qu'il fasse ce qu'il veut, du moment qu'il ne reste pas comme ça, en silence et immobile. Mais en même temps je le comprend, et je ne veux pas le forcer.

Alors je ne dis rien, je garde sa main dans la mienne, et j'attend en silence à ses côtés.

*

Je ne sais pas combien de minutes sont passés avant que Samuel ne fait un autre mouvement. Je me demande même si nous étions pas assis ici pendant une heure.

Il glisse sa main en dehors de la mienne et frotte son visage plusieurs fois, comme pour se réveiller. Puis il se lève, ne dit rien, prend ma main dans la sienne pour me mettre sur mes pieds aussi, et il nous guide vers l'entrée de l'hôpital.

Nous prenons l'ascenseur, toujours main dans la main, et nous aboutissons sur un long couloir qui me rapelle de mauvais souvenirs et me fait espérer que cette fois-ci ne sera pas un autre évènement que je vais ajouter à cette liste.

Arrivés devant la salle d'attente, je suis étonnée de voir qu'elle est remplit, de petits chuchotements se faisant par-ci par-là. Je reconnais la secrétaire d'Edouart et celle de Samuel, mais les autres personnes, je peux seulement deviner que ce sont des employés aussi vu leur style vestimentaire.

Je ne vois pas Jeanne, et Samuel ne fait aucun pas pour entrer dans la salle d'attente, alors je regarde aux alentours.

" Tu veux aller à un endroit plus calme ? " je chuchote près de son oreille en me mettant sur la pointe des pieds.

Il hoche la tête, et c'est même lui qui nous guide une fois de plus. On marche quelques instants le long de couloirs, avant que Samuel s'arrête. Il lâche ma main et s'adosse à un mur, se laissant glisser au sol et amenant ses genoux à sa poitrine.

Je fais de même et me laisse glisser près de lui.

Ensuite, il reprend ma main dans la sienne, et il glisse ses doigts sur le dessus, sur mes doigts, dans la paume de main main, comme s'il l'examinait. Je le laisse faire, et pendant ce temps je l'observe, attentive à chacune de ses expressions, à chaque instant où ses sourcils se froncent, à chaque instant où sa mâchoire se crispe.

" Est-ce que ta mère te manques ? " il demande soudainement.

" Oui... Beaucoup " je réponds sans même réfléchir.

" Est-ce qu'il va me manquer aussi s'il part ? "

" Samuel... Rien n'est sûr, il faut rester optimiste. Il peut s'en sortir. "

" Je ne veux pas "

" Sam... Tu ne peux pas dire une telle chose. Quoiqu'il en soit, c'est ton père. " je lui dis d'un ton de reproche malgré moi.

" Je ne veux pas qu'il me manque " il clarifie.

Je cherche quelque chose à lui dire mais je suis sans mot et je finis par lâcher un soupir. Ses doigts arrêtent leur mouvements sur ma peau, mais il garde ma main dans la sienne et l'observe d'un air pensif.

" Hier, il semblait dévasté, tu sais... Mais j'avais besoin de lui mettre une autre claque. J'avais besoin de lui ajouter de la souffrance. Alors je lui ai dit que je n'étais plus son fils. Je pensais que j'allais être heureux après ça, après l'avoir vu dans cet état. " Il se tourne vers moi et continue, " Pourquoi je n'arrive jamais à être heureux ? "

" Ne dis pas cela... "

" Je peux te donner la réponse. Veux-tu savoir ? " il ricane mais au fond il souffre et je peux le lire sur son visage. " Je n'arrive jamais à être heureux parce que les monstres comme moi ne méritent pas cela. "

" Sam - "

" N'as-tu pas encore compris que je suis un monstre ? Pas ce genre de monstre qui se cache sous le lit des enfants, ni ce genre de monstre qu'on décrit dans les contes ; non, moi je suis un de ces monstres qui détruisent tout sur leur passage, je suis un de ces monstres qui aspirent la vie et la joie des personnes autour d'eux, ne les laissant rien pour continuer, pour vivre. "

" Tais-toi. Tu ne sais pas ce que tu dis, juste tais-toi "

" Pourquoi tu ne veux pas me croire ? " il murmure d'un ton plus bas, approchant sa main de mon visage et la déposant sur ma joue. " Pourquoi tu essayes de voir quelque chose d'autre en moi ? Ne te voiles pas la face Jade, je ne suis rien de bien, je n'apporte rien de bien, je suis seulement un monstre. "

" Je t'en supplie arrête Samuel. Tu n'es rien de cela, tu es quelqu'un - "

" Non, Jade. Tu ne veux pas comprendre, tu ne veux pas l'accepter, n'est-ce pas ? Mais je suis comme ça. J'ai gâché la vie de ma mère dès ma naissance, j'ai tué un petit enfant innocent, je t'ai fait souffrir comme pas possible, et j'ai finalement tué mon père aussi. Il m'avait dit que j'étais un monstre, il l'avait compris bien plus tôt. "

" Q...Quoi ? "

Mon souffle se coupe et je ne peux me retenir de reculer, enlevant tout contact entre nous. Je regrette immédiatement mon geste quand je vois la souffrance derrière ces beaux yeux, mais je ne sais pas de quoi il parle et mon corps semble ne pas vouloir être touché par lui à cet instant.

" De quel enfant parles-tu ? " je demande d'une voix tremblante.

" Dans toutes les personnes que j'ai cité, tu n'as retenu que lui ? " il sourit, mais ce n'est pas un sourire amusé, ni un sourire moqueur, ni un sourire auquel je suis habitué de voir sur ses lèvres.

" Les autres ne sont pas vrais, Samuel. Tu n'as rien fait à ta mère, moi je suis encore là regardes, et ton père n'est pas mort. "

" N'essayes pas de voir le bon côté des choses. Je vous ai gâchés la vie, je le sais. Et ce petit enfant innocent ? C'est Samy. T'en rappelles-tu ? Je t'avais parlé de lui une nuit... "

" Samy ? Ton... Ton élève ? " il hoche simplement la tête, " Tu ne l'as pas tué Samuel, enlèves ça de ta tête ! "

" Je l'ai tué. " il répète plus fermement, son regard perçant sur moi, me faisant reculer encore un peu.

" Je... Je ne te crois pas... " je bafouille, priant pour qu'il ment, pour qu'il se trompe.

Il ne peut pas avoir fait une telle chose... Il ne peut pas avoir tué quelqu'un, encore moi un enfant innocent qu'il adorait au point de le traîter comme son fils...

Non, je ne veux pas le croire.

" Tu sais c'est quoi le pire dans tout ça ? " il reprend, attirant encore une fois mon attention sur lui. " Le pire c'est que je voulais un enfant. Je voulais être père, mais différent du mien. Je n'allais pas faire les mêmes erreurs que lui. J'allais donner tout ce que j'ai à mon fils ou ma fille. Je suppose que j'ai essayé de faire ça avec Samy, mais j'ai finis par le tuer... C'est peut-être pour cela que je suis stérile, non ? Pour me punir... Et pour m'empêcher de gâcher la vie d'un autre être innocent... "

" Tu es... Tu es... "

" Stérile, oui. Je te dis que je n'apporte rien de bien, Jade. Vas-y, sauves toi, tant que tu as le temps... "

Ma vue se brouille de larmes après tout ce temps à me retenir. Je secoue la tête et me lève finalement du sol, m'éloignant de lui petit à petit et laissant les larmes couler face à son expression peinée.

Quelques pas de plus et je commence à courir le long du couloir, puis dans les escaliers, avant de me refugier dans les toilettes du rez-de-chaussée.

J'ai littéralement mal au coeur. Ce n'est pas seulement une douleur psychique, c'est physique, et bordel ça fait un mal de chien ! Je pose ma main au niveau de mon coeur et appuie dessus, espérant atténuer la douleur, mais en vain.

Apprendre qu'il est stérile me fait mal, tellement mal. Parce que toute ma vie j'ai rêvé du jour où je serais mère...

Mais de toute façon je ne sais même pas si j'aurai finis avec Samuel vu les circonstances.

Ce qui me détruit, ce qui cause cette douleur dans mon coeur, dans mon corps tout entier même, c'est la façon dont il parle de lui-même. La haine qu'il ressent envers lui. Les choses qu'il a accepté. Et aussi le fait que je sais que le faire changer d'avis, lui permettre de voir les choses autrement est presque impossible.

A-t-il vécus comme cela jusqu'ici ? Avec ces pensées, ces choses qu'il considére comme des vérités ?

Comment a-t-il fait pour vivre avec toute cette souffrance compressé au fond de lui ?

Je comprend mieux pourquoi il ne souriait que si rarement. Je comprend mieux pourquoi il me demandait de le détester. Je comprend mieux pourquoi il essayait de m'éloigner de lui. Je comprend mieux pourquoi il était convaincu qu'il allait un jour me faire du mal.

Mais je ne vais pas l'écouter et me sauver. Non, je vais lui faire comprendre qu'il n'est rien de ce qu'il dit, et c'est seulement quand il verra de la lumière à nouveau que je pourrais partir.

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