Chapitre 83
PDV Samuel
Après avoir déposé ma mère à l'hôtel où je reste, je fais demi-tour et reviens à l'entreprise pour avoir la discussion que j'avais prévu avec mon père.
Mon père... Je n'arrive pas à accepter tous ce que ma mère m'a expliqué hier soir. Comment peut-il être si aveugle ? Comment peut-il croire des gens qui sont en compétition avec lui au lieu de faire confiance à sa femme, celle qu'il devait aimer ?
Comment peut-il dénier son enfant ?
Tout ce que ma mère a vécus étaient la conséquence de simples rumeurs. Tout ce que j'ai vécus étaient la conséquence de simples rumeurs et la stupidité de mon père, de cet homme.
Petit, je me demandais toujours pourquoi il était si distant avec moi. Je me demandais pourquoi il me regardait avec cette expression froide lorsque je courais dans la maison avec un grand sourire après l'école. Je me demandais pourquoi mon père ne venait jamais me chercher devant l'école comme les pères des autres enfants.
Petit, je me demandais pourquoi je ne pouvais pas parler de mon père comme les autres parlaient des siens. Je me demandais pourquoi leurs héros était leur père.
Petit, je me demandais pourquoi ma mère pleurait. Je me demandais pourquoi elle m'obligeait à monter dans ma chambre quasiment chaque soir avant l'arrivée de mon père. Je me demandais pourquoi mon père n'était pas heureux comme moi quand je lui parlais de quelque chose qui me tenait à coeur. Pourquoi il n'était pas content comme ma mère l'était quand je lui montrait un dessin.
Mais je me demandais aussi pourquoi il venait dans ma chambre en cachette, s'asseyant sur le bord de mon lit en silence. Pourquoi, quand il pensait que je dormais, il passait sa main sur mon front et dans mes cheveux ?
Pourquoi je n'avais aucune photo avec lui ?
Puis, avec le temps et l'âge, ça ne m'importait plus tant que cela. Ma mère était là, elle l'avait toujours été, et c'est peut-être pour cela que je tiens énormément à elle ; plus que ma propre vie.
Mais je me posais toujours des questions : pourquoi il agissait comme un vrai père avec Léna et pas avec moi, c'était ma principale question.
Malgré cela, je n'ai jamais ressenti de la jalousie face à Léna. J'étais plutôt content pour elle. Et j'ai tout fait pour qu'elle ne vit pas la même chose que moi.
Maintenant je comprend. Je comprend pourquoi mon père était là sans vraiment l'être.
Mais son excuse n'est pas valable, et ne sera jamais valable. Il n'avait pas le droit de nous faire ça.
" Monsieur n'accepte personne " la secrétaire de mon père réagit au moment où je m'approche de la porte de son bureau.
Je me retourne vers elle en arquant un sourcil. " Est-ce que je t'ai demandé la permission ? "
" Mais... Monsieur a insisté qu'il ne voulait voir personne pour le reste de la journée... " elle murmure en jouant avec ses doigts.
" Je ne suis pas 'personne' " je réplique et sans plus attendre, j'ouvre les portes de l'office.
J'avale difficilement ma salive en fermant les portes derrière moi. Je ne sais plus ce que je devais lui dire. Je ne sais même plus pourquoi je suis là déjà.
Il est assis sur son fauteuil derrière son bureau, tourné vers la baie vitrée et ne donnant aucune réaction face à mon entrée. Je m'avance lentement dans la pièce, l'observant attentivement ; mais il ne réagit toujours pas.
Je vais alors vers la baie vitrée pour être en face de lui, et je m'adosse contre celle-ci, enfonçant mes mains dans les poches de mon jean. Pourtant, il regarde encore droit devant lui.
C'est impossible qu'il ne m'ai pas remarqué.
" Que veux-tu ? " il demande dans un murmure, me faisant légèrement sursauté. Je me reprend rapidement et me redresse.
" Parler... Papa "
Il cligne des yeux et pose enfin son regard sur moi. Exactement la réaction à laquelle je m'attendais. Papa... Un petit mot que je n'ai pas prononcé devant lui depuis maintenant des années. Ce petit mot ne le correspond même pas, peut-être est-ce pour cela que cela sonne bizarre.
" Ca fait longtemps que tu ne m'a pas appelé comme ça, n'est-ce pas ? " il rit doucement, baissant les yeux sur ses mains.
" Peut-être parce que tu ne le méritais pas ? "
" Possible. Ou peut-être parce que je ne l'étais pas ? "
C'est à mon tour de rire - un rire triste, comme lui. " Tu penses toujours que je ne suis pas ton fils alors ? "
Il ne répond rien. Je le regarde un moment en silence, puis je secoue la tête d'incrédulité et vais pour m'asseoir en face de son bureau. Le silence est étrangement confortable, malgré la tension entre nous. Je commence à tapoter mes doigts sur le bras du fauteuil, et c'est la seule chose qui brise le silence.
" Tu veux que je te raconte nos débuts avec ta mère ? " il demande soudainement en se tournant vers moi.
" Ne gâches pas ta salive pour rien, je sais déjà tout ce qu'il faut savoir. Ma mère a enfin pris la peine de m'expliquer pourquoi tu n'as jamais jouer ton rôle de père. "
Je ne peux m'empêcher d'être légèrement en colère contre ma mère. Si elle m'aurait expliqué tout cela bien plus tôt, on aurait pu partir. J'aurai pu l'emmener loin d'ici, loin de cet homme, et on aurait pu commencer une nouvelle et bien meilleure vie.
Mais elle m'a mentit, et elle a fait perdurer cette histoire jusqu'à en arriver ici.
J'aurai au moins pu épargner Jade de toute cette souffrance, si ma mère m'aurait dit la vérité.
" Tu t'es déjà fait ton idée ou tu veux savoir mon point de vue de cette histoire ? "
" Je le devine déjà, mais... Vas-y, expliques-toi aussi. On a plus rien à perdre de toute façon, n'est-ce pas ? "
Il hoche la tête, mais ce n'est pas un signe d'accord ou de compréhension. C'est un signe de prise de conscience.
" J'aime toujours ta mère. C'est vrai " il ajoute en me voyant lever les yeux au ciel, " je l'ai toujours aimé. Mais tu sais, mon père m'a fait entrer dans le monde du travail très tôt, bien très tôt. Il m'a appris certaines choses que j'ai utilisé pour faire agrandir notre entreprise, et une de ces choses était la règle suivante : ne jamais faire confiance à quelqu'un. Cette phrase s'est ancré dans ma tête et même si c'est à cela que je dois mon succès, elle a également gâché ma vie...
" Tu vois, je me devais de me méfier de tout le monde. Et au bout d'un moment, je suis arrivé à un point où je doutais de ma propre femme. Je ne sais pas si elle t'as parlé des rumeurs qui couraient à propos d'elle, mais saches que c'était juste horrible. Chaque jour je venais ici, et chaque jour j'entendais les mêmes choses sur elle. Au début j'ai viré les gens qui en parlait, ensuite j'ai seulement défendu ma femme, et à la fin, je n'ai fait que les écouter. Ils ont réussis à instaurer le doute en moi, et une fois que cela est fait, il est impossible de faire confiance à nouveau. Impossible. "
Il me regarde droit dans les yeux à la fin de son monologue, et je sens des frissons parcourir mon corps.
" Ce n'était pas une raison pour utiliser la violence. Il n'y a aucune raison pour utiliser la violence même. " je réplique, cachant le fait que je suis déstabilisé par son regard et ses propos.
" Tu as raison. Je suis content que Jeanne t'as éduqué comme cela. Mais moi j'en pouvais plus. J'en pouvais plus d'entendre des choses sur elle et de venir à la maison, la voir me sourire comme ça et me demander si elle est sincère ou pas. Ca me rendait littéralement fou de ne pas savoir. A un moment donné, je ne savais plus qui croire. Un jour je croyais ce que les gens disaient, et j'allais m'en prendre à ma femme ; un jour je croyais ma femme, et j'allais m'en prendre à mes employés. J'étais déboussolé. Puis, une fois que tu utilises la violence, tu peux être sûr que ce ne sera pas la dernière fois. Je n'ai pas su me contrôler après la première fois, une voix au fond de moi me disait que je devais faire exactement cela, et je le faisais, sans y penser une seconde fois. Sans même me rappeler que cette femme, je l'ai aimé de tout mon cœur et je pourrais même mourir pour elle... "
A ce stade je n'en peux plus et je me retrouve sur mes pieds, passant ma main sur ma nuque et prenant de rapides respirations.
Pourquoi tout doit être aussi compliqué ? Les gens prennent-ils du plaisir à gâcher la vie des autres ? Une seule phrase, une seule rumeur et voilà que toute une série de personnes sont affectés.
" C'était quoi le vrai but de ce mariage ? " je demande quand je prend conscience de quelque chose. " Puisque tu ne me voyais pas comme ton fils, pourquoi tu voulais que je me reprenne en main ? Pourquoi tu voulais que je devienne un homme responsable ? "
" Je doutais Samuel, j'ai toujours douté. Si je prenais en compte la possibilité que tu n'es pas mon fils, alors je voulais que tu t'en ailles, que tu quittes la maison et que je ne te vois plus jamais. Mais je me demandais, et si tu étais mon fils après tout ? Alors j'ai trouvé cette solution : te marier pour que tu t'en ailles, mais garantir le fait que tu sois un homme responsable et que tu ais un travail pour rester debout. J'ai toujours marché sur un fil, Samuel. Pour moi, il y avait toujours deux possibilités, et parfois, je devais prendre les deux en compte. "
Je commence à tourner en rond, ma main frottant toujours ma nuque et ma respiration encore plus forte et rapide.
Je ne veux pas accepter tout cela comme une excuse. Je ne peux pas.
Tout ce qu'on a vécus, c'était à cause de ça ? A cause d'une simple rumeur ?
" Je suis un gâchis... " je l'entend murmurer.
Je m'immobilise et baisse les bras. " Oui tu l'es. Tu n'es qu'un putain de gâchis ! Tu es tout simplement un - "
Les mots se bloquent dans ma gorge, et je me retrouve à mordre ma lèvre inférieure en regardant cet homme. Je me laisse tomber sur le fauteuil une fois de plus, prenant la tête dans mes mains.
Le silence se réinstalle dans la pièce, mais cette fois elle n'est pas confortable, elle pèse sur nous, elle pèse sur mes épaules et me donne l'impression de m'effondrer.
Je dois quitter cette salle. Je dois m'éloigner de cet homme. J'ai besoin d'air.
Alors je me lève et reste droit devant lui, serrant la mâchoire.
" Donnes moi toutes les copies du contrat que tu as fait signé à Jade. Après tout cela, il est temps que tu dégages de nos vies, si on veut divorcer, cela ne te regarde pas. "
Quand il relève les yeux, son regard ne détient plus cette force que j'avais l'habitude de voir. Il me regarde longuement, puis ouvre un tiroir et en sors une pochette. En me donnant les feuilles que je lui demande, lui et moi savons tout les deux qu'il accepte sa défaite.
" J'en parlerais avec mon avocat aussi, il n'y aura plus de problème " il souffle alors que je déchire les trois copies du contrat devant ses yeux.
Après les avoir jetés au sol, je le regarde dans les yeux et lui dit mes dernières paroles.
" J'étais ton fils. Je l'étais. Mais plus maintenant. "
Je ne ressens aucune satisfaction quand il baisse la tête. Même quand je quitte son bureau et cette entreprise, je ne ressens rien de bien. Pas de joie, pas de liberté comme je l'avais espéré.
Je ressens quelque chose de profond sur lequel je n'arrive pas à poser le doigt. Je ne veux pas croire que c'est de la tristesse ; c'est pas comme si je venais de perdre mon père, puisque en fin de compte, je n'en avais jamais eu.
*
Je n'ai pas dormi cette nuit. Je ne pouvais tout simplement pas. Notre discussion avec mon père était encore trop fraiche dans ma mémoire et c'est comme si à chaque fois que je fermais les yeux, son visage apparaissait pour venir me hanter.
Puis au fil de la nuit, je repensais à notre conversation avec ma mère. Je lui ai avoué quelque chose que personne à part Léna ne sait. Et je sais que le conseil qu'elle m'a donné peut être facilement applicable, mais je ne me sens pas aussi confiant.
Je ne sais pas si je pourrais dire ça à Jade.
Et si seulement ce n'était que ça le problème...
Malgré tout ce que ma mère a pu me dire, une voix au fond de moi me dit que je vais lui faire du mal un jour ou l'autre. Je sais que je lui fais déjà du mal, seulement pas physiquement. Je ne pourrais pas vivre si je la touchais de cette manière.
Est-ce qu'elle m'acceptera si je lui avoue ?
Est-ce que je peux être ce qu'elle a besoin, malgré tout ?
Est-ce que je peux tout oublier et passer à autre chose ? Fonder une nouvelle vie ?
Recommencer à zéro ?
Je ne sais pas, et je ne sais pas si je saurais un jour.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top