Chapitre 82

" Je... " il secoue la tête, avale difficilement, jette un coup d'oeil à Jade puis se relève. " J'ai besoin de réfléchir. Seul "

Et ni Jade, ni moi ne l'arrêtons de partir. Je me retourne alors vers celle-ci.

" Parlons un peu, veux-tu ? "

* * *

Je suis prise au dépourvu par notre conversation, par tous les aveux qui ont été faits et par toutes les choses que je viens d'apprendre. Je me doutais bien qu'il y avait quelque chose entre mon fils et Jade, mais pas ça.

Je ne pensais pas qu'ils pouvaient vivre autant de choses en si peu de temps et que l'un comme l'autre pouvaient se taire.

Jade n'a pas voulu entrer dans les détails, donc ce qu'elle a vécu peut être pire que ce que je pense. Je suis juste soulagée que Samuel n'a pas utilisé la violence ; ça, je ne le tolérerais plus.

Cependant, côté sentimental, il l'a complètement épuisée. Elle semblait si perdue, si vide, quand elle me parlait, quand elle m'expliquait tous  les vas et viens, tous les " je t'aime " suivit de " je te déteste ". Le fait qu'il soit parti sans rien lui expliquer la semaine dernière a sûrement dû être la dernière goutte d'eau.

" Je vais le faire, laisse " je propose alors que je vois Jade arriver avec de nouveaux draps dans la chambre d'amis. J'ai appelé Samuel quelques fois mais son portable était éteint, je n'avais pas beaucoup de choix que de rester ici pour cette nuit.

En silence, nous changeons alors les draps et Jade monte ma valise à l'étage pour que je puisse me changer. Elle semble toujours en train de réfléchir. Ce que j'ai dit à Samuel lui a fait comprendre certaines choses, d'après ce qu'elle m'a dit, mais je ne sais pas dans quel sens cela va lui servir. J'espère dans le bon.

" Jade, assieds-toi deux minutes ma belle " je l'appelle avant qu'elle puisse sortir de la chambre.

Elle fait demi-tour et viens s'asseoir au bord de mon lit comme je lui ai indiqué. Son expression faciale ne me donne aucun indice sur son état, si ce n'est que me rappeler combien elle semble perdue en ce moment.

" J'ai parlé avec Edouart " je commence, l'observant attentivement pour jauger sa réaction, " apparemment tu veux divorcer, est-ce correct ? "

Elle me regarde longuement, puis finit par acquiescer d'un signe de tête.

" Mais... Tu m'as avoué l'aimer " je murmure, inclinant la tête sur le côté, à la recherche de son regard.

" Parfois ce n'est pas suffisant " elle hausse les épaules, " pour lui, mon amour n'est pas suffisant "

Je la comprends, mais je veux tellement la contredire. Cependant, ce serait lui mentir. Elle a raison, parfois l'amour n'est pas suffisant. Pour faire fonctionner un couple, il faut bien plus que de l'amour. Voyant que je ne réponds rien, elle lâche un petit soupir qui me semble être de fatigue, et se relève.

" Si tu as besoin de quelque chose, je serais dans ma chambre, n'hésites pas. Bonne nuit Jeanne. "

" Bonne nuit... Et, Jade ? " je l'interpelle encore une fois alors qu'elle a sa main sur la poignée de la porte, " n'abandonnes pas maintenant, s'il te plaît. Ne l'abandonne pas. "

Sans se retourner, elle quitte ma chambre en prenant soin de fermer la porte derrière elle.

*

Le lendemain, à mon réveil, je me retrouve seule dans la maison. Jade m'a laissé un petit mot, me prévenant qu'elle serait à l'hôpital toute la journée et que je pouvais l'appeler en cas de besoin. Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire face aux mots qu'elle a écrits.

Après avoir déjeuné, j'ai passé quasiment toute la matinée à essayer de joindre Samuel, mais je suis tombée encore et encore sur sa messagerie. La panique montrait le bout de son nez, mais j'ai gardé mon calme.

Il est seulement en train de réfléchir. Tout ce que j'ai pu lui dire hier soir ne peut pas se digérer si facilement, il a besoin de temps, et c'est normal. En tout cas, j'essaye de me convaincre que c'est le cas.

Peu avant treize heures je reçois un message. Ce n'est pas de la part de Samuel, mais de son père qui me rappelle notre rendez-vous. Je lui réponds que je suis prête et un quart d'heure plus tard une voiture vient me chercher.

" Bonjour madame " Charles me salut en tenant la portière arrière ouverte.

" Bonjour Charles " je lui souris et m'installe, attendant qu'il fasse de même pour reprendre la parole. " Où nous attend Edouart ? "

" À l'entreprise " il répond en me lançant un regard désolé à travers le rétroviseur.

" Laisse moi deviner, il a tellement de travail qu'il ne peut pas quitter l'entreprise pour une petite heure, n'est-ce pas ? "

Je n'attends pas une réponse de sa part, et il le sait puisqu'il ne fait que me lancer un autre regard avant de se concentrer sur sa conduite.

Une heure. Il m'a demandé une heure pour pouvoir discuter quand je lui ai répondu au téléphone. S'il ne m'avait pas parlé du possible divorce de Jade et Samuel, je n'aurais même pas accepté. Et la seule condition que j'ai mise était de se donner un rendez-vous à un endroit où Samuel ne serait pas susceptible de nous voir. Mais il est juste tellement fou de son travail que même cela il ne pouvait pas le faire.

 Quelle idiote suis-je d'avoir pensé qu'après toutes ces années il aurait changé. Cela n'arrivera jamais.

" As-tu vu Samuel ce matin ? " je demande alors qu'on s'approche de l'entreprise.

" A ce que je sache, il n'était pas à l'entreprise madame. Voulez-vous que je me renseigne davantage ? "

" Non, ce ne sera pas nécessaire. Merci Charles "

En entrant dans l'entreprise, un sentiment de dégoût s'instaure en moi. Je déteste cet endroit. Ce bâtiment, ce travail est le bout du couteau qui a réussi à frissurer notre couple. Et ce monde de travail a seulement poussé le couteau un peu plus loin, jusqu'à nous séparer.

" Bonjour Mme. Huguet. Monsieur vous attend dans son bureau. " la secrétaire annonce dès que je sors de l'ascenseur.

Après un hochement de tête, je la suis jusqu'au bureau dont elle m'ouvre les portes, et je suis finalement devant mon futur ex-mari, après tant de semaines d'absence.

" Belle façon de me prouver que ton travail passe toujours avant moi " je remarque en m'avançant dans la pièce, enlevant ma veste avant de m'installer sur un des fauteuils.

" Ravie de te revoir aussi Jeanne " il réplique sur le même ton. Puis il se penche sur la table, les mains croisées devant lui, et prend un tout autre visage. " Plus sérieusement, merci d'être venus "

" Tu ne m'as pas vraiment laissé le choix, à vrai dire. Envoyer des hommes après moi, ne penses-tu pas que nous avons dépassé l'âge pour ce genre de chose ? "

" Tu ne m'as pas laissé le choix non plus, Jeanne. Tu ne peux pas t'éloigner de moi, tu sais ce que cela me fait. "

" Rien. Cela ne te fait rien du tout, Edouart " je ricane légèrement, l'observant alors qu'il se laisse tomber en arrière en lâchant un soupir très exagéré.

" Tu sais très bien que ma vie sans toi c'est... C'est atroce. Sais-tu combien j'ai du mal à dormir sans toi ? Combien c'est dure de manger seul, regardant ta place vide ? Je n'arrive pas à fonctionner sans toi, et tu en es pleinement consciente. "

Je le regarde avec encore plus de dégoût qu'avant.

" Te rends-tu compte combien tout ce que tu dis sonnent égoïste ? Tu as besoin de moi pour dormir et pour manger ? Oh c'est tellement dommage, pauvre de toi. Et quand j'avais besoin d'un mari et d'un père pour mes enfants, où étais-tu ? Où étais-tu Edouart Huguet ? "

Je ne peux m'empêcher d'élèver ma voix. Cet homme était tous ce dont je rêvais, tous ce qu'il me fallait pour être heureuse, mais tous ce qu'il a fait c'est me détruire. Petit à petit, il m'a pris tout ce que j'avais.

' J'ai besoin de toi '. A chaque fois que ces quelques mots sortaient de sa bouche, je revenais dans ses bras, je lui laissais l'opportunité de m'enlever quelque chose d'autre. Il m'a tout simplement épuisé. Au bout d'un moment je ne vivais plus pour moi mais seulement pour mes enfants.

Maintenant, même si ni Samuel ni Léna sont à des places que j'attendais qu'ils soient, je veux pouvoir me reprendre. Je veux pouvoir montrer à cet homme que non, la Terre ne tourne pas autour de lui. Je veux qu'il comprenne qu'il n'a tout simplement pas le droit de faire certaines choses, s'il ne va pas en assumer les conséquences.

Il semble complétement désorienté, déboussolé, alors qu'il se lève, fait quelques pas derrière son bureau avant de contourner celui-ci et de venir s'installer en face de moi.

" Qu'est-ce que tu veux ? Dis-moi, je ferais tout pour que tu reviennes. "

" Quoi ? " je lâche un rire triste - triste pour lui, " Tu es complétement fou Edouart. Ouvres tes yeux bon sang, je suis ta femme, pas un objet de contrat que tu veux signer à tout prix ! C'est cela que tu voulais me dire en m'obligeant à revenir sur Paris ? Tu veux aussi me payer peut-être, pour que je reste ? Non mais j'y crois pas, comment oses-tu me dire de telles choses ? "

A ce stade, il n'est plus lui-même. Du moins, il n'est pas Edouart Huguet, le milliardaire. Il n'est plus intimidant, il baisse la tête et il semble juste afligé. J'ai presque l'impression de revoir Samuel, comment il a glissé au sol hier soir, apportant ses genoux à sa poitrine et regardant le vide. Mais cette vision de mon fils s'efface, et je regarde Edouart, l'homme qui devait être l'amour de ma vie, assis sur un fauteuil avec la tête baissée. C'est tout ce qu'il peut faire. C'est la position la plus vulnérable qu'il peut prendre.

J'avais raison, Samuel est bien différent de son père.

" Je... Je ne sais juste pas quoi faire... " il murmure finalement, gardant la tête baissée, croisant et décroisant ses mains. " J'ai l'habitude de faire des réunions, j'ai l'habitude de convaincre les gens, j'ai l'habitude de gagner ; mais je ne sais pas faire grand chose d'autre. Je ne sais plus, du moins... "

" N'essayes même pas de prendre la position de victime Edouart, tu l'as fait bien trop souvent jusqu'ici. "

" Je ne fais pas - "

" Oui tu le fais. Je te connaîs que très bien pour le savoir. Depuis le début, que des rumeurs soient lancés à propos de moi était de ma faute, nos disputes étaient de ma faute, ta violence était de ma faute ; même la mort de ce petit enfant, tu as essayé de le mettre sur moi, sur nous ! Tu n'as jamais rien fait de mal Edouart Huguet, c'était toujours les autres. Eh bien, je suis désolée mais moi j'arrête. "

Immédiatement, il relève les yeux et commence à secouer la tête de droite à gauche.

" Non, Jeanne tu ne peux pas ! " il s'exclame.

" Penses aux décisions que tu as prises, regardes les conséquences que tes mots ont eu sur les gens autour de toi. Avec une décision, tu as changé la vie de plusieurs personnes, tu es le centre de tous les problèmes que ces gens vivent ; Samuel, Jade, son père, sa soeur, et beaucoup d'autres, ils vivent ces choses là parce que tu as été égoïste, parce que tu n'as pensé qu'à toi.  Maintenant il est temps que je prenne mes décisions aussi, ne penses-tu pas ? "

" Jeanne, je t'en supplie... "

" Je te prie de signer les papiers Edouart, ne compliques pas les choses. C'est finis, nous n'étions même pas un couple depuis des années, il n'est plus nécessaire de rester mariés. Je veux divorcer Edouart, et je te demande d'accepter ma décision, comme nous avons toujours acceptés les tiennes "

" Mais je t'aime... " il finit par murmurer, presque en acceptant sa défaite.

" Parfois ce n'est pas suffisant Edouart. Parfois l'amour n'est pas suffisant. "

En quittant cette pièce, je prie intérieurement que Jade n'aura pas l'occasion de réutiliser ces mots en face de Samuel. Parce que je n'imagine pas comment Samuel se sentirait, si même moi j'ai eu un pincement au coeur en entendant ces mots cette nuit.

Puis je me retrouve face à Samuel.

" Que fais-tu ici ? "

" Je vais t'expliquer, allons-y " je demande en prenant son bras. Et malgré sa soudaine de colère de me voir ici, il ne dit rien de plus et nous prenons l'ascenseur.

Je laisse finalement derrière moi un amour qui ne m'a apporté rien de bien si ce n'est que mes enfants. Je laisse derrière moi une vie que je me suis obligée à vivre.

*

" Je suis revenue sur Paris pour lui parler "

Nous sommes assis un café pas loin de l'entreprise, et Samuel me fait quasiment passer un interrogatoire. Je finis par lui couper la parole en avouant que je suis bien venue pour son père. Mais pas dans le sens dont il avait peur.

A ma surprise, il ne s'énerve pas plus, et lâche seulement un soupir.

" De quoi avez-vous parlés ? " il demande, tournant la cuillère dans son café.

" J'ai juste... Jade veut divorcer " je lâche sans y réfléchir une seconde fois.

Le tintement que faisait la cuillère en frappant sur les bords de la tasse de café s'arrêtent, et le silence s'installe à notre table.

" Pardon ? ". Il fronce les sourcils en relevant la tête, puis, face à mon silence, il secoue légèrement la tête, comme s'il ne voulait pas accepter cela. " Elle t'a dit cela ? "

" Elle... Elle en a parlé avec ton père. "

" Elle a parlé avec cet homme en plus ? " il demande, incrédule.

" Samuel arrête avec ça bon sang ! Cet homme est ton père ! Et Jade est encore ta femme ; c'est à toi de voir si tu veux qu'elle le reste ou pas. "

Il ne répond rien et baisse les yeux sur son café une fois de plus. Puis il reprend sa cuillère et continue à le tourner en rond dans le verre.

" Samuel... Jade m'a plus ou moins expliqué ce qui s'est passé. Pourquoi tu ne vous donne pas une chance ? "

 " Ce n'est pas si simple maman... "

" Tu ne vas pas lui faire de mal, on en a parlé hier - "

" Il n'y a pas que ça... "

 Je ferme les yeux et prends une grande inspiration. " Qu'est-ce qu'il y a d'autres ? "

Quand il relève les yeux après de longues minutes de silence qui me semblaient interminables, quand je vois la tristesse et la souffrance derrière ceux-ci je comprends qu'il n'est pas seulement question du traumatisme que son père a causé.

" Dis-moi " je murmure en posant ma main sur la sienne.

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