Chapitre 81


" Parce que... Je suis... Je suis comme lui... "

Il relève la tête, mais je suis obligée de baisser la mienne. Il m'est impossible de maintenir son regard si... Triste; remplit de regret et de souffrance.

Je n'aime pas le fait que j'ai mal quand il a mal.

" De... De quoi tu parles ? Qui ? " Jeanne brise finalement le silence, sa voix tremblante.

" Papa... " il marmonne. C'est étrange de l'entendre dire ' papa ' alors qu'il l'appelait ' cet homme ' quasiment tout le temps.

A son aveu, je ne peux m'empêcher de vouloir intervenir, mais dès que je relève la tête et rencontre le regard de Jeanne, les mots se bloquent dans ma gorge et ma bouche se referme sans qu'un son en sorte.

Ses yeux sont écarquillés, mais ce n'est pas par surprise. C'est différent.

Elle doit lui dire qu'il n'est pas comme son père. Malgré tout, je ne veux pas qu'il pense cela et qu'il en souffre.

Mais il me semble qu'elle est sans voix aussi.

" Je ne voulais juste pas te faire de mal " Samuel s'adresse maintenant à moi et j'essaye de ne pas baisser le regard cette fois-ci. " Je ne voulais pas... "

C'est comme si ses yeux me demandaient de venir près de lui. Il a l'air si innocent à cet instant, presque comme la victime dans l'histoire. Comme le soir où il m'a avoué ses sentiments, quand il avait réussi à se présenter comme la victime et me faire culpabiliser.

" Ce n'est pas parce que tu es son fils que tu es comme lui. " je réussis finalement à parler. " Si tu ne veux pas faire de mal, cela dépend de toi et de toi seulement. Arrête d'essayer de trouver des excuses - "

" Jade ! " ma belle-mère semble s'être repris suite à mes mots que je regrette presque immédiatement.

Samuel ne dit rien, mais son regard est encore plus triste qu'il y a quelques secondes. Son expression complète change, et son mur se détruit sous mes yeux, montrant vraiment sa souffrance.

" Tu penses vraiment que c'est une excuse ? Tu penses vraiment que je prend du plaisir à te faire souffrir ? " il demande dans un murmure. C'est une grande différence de son ton habituel. Normalement il aurait du être énervé à ce point, me crier dessus ou s'en aller, s'enfuir.

Mais à cet instant c'est différent, et je ne sais pas pourquoi j'ai peur.

" Je ne sais pas " je murmure en retour, haussant légèrement les épaules.

Il secoue la tête, ne croyant visiblement pas mes mots. Que pouvais-je lui dire après tout ce qu'il s'est passé ? Qu'il m'est compréhensible qu'il me fasse souffrir pour mon bien ?

Non, ma logique ne fonctionne pas comme cela.

Lentement, il se laisse glisser du canapé au sol, repliant ses genoux vers son torse et regardant le vide.

" Il la frappait devant mes yeux... " il marmonne. " Il lui criait dessus... Il disait que c'était de sa faute... ". Il pose son regard sur moi avant de continuer, " Mais elle n'avait rien fait... Elle n'avait rien fait à part l'aimer... Il la frappait, puis il continuait sa vie comme si de rien était... "

" Samuel... " Jeanne tente d'intervenir et je remarque à cet instant qu'elle a recommencé à pleurer.

" Combien de fois je l'ai vu lever sa main ? Combien de fois je l'ai vu rager au point de devenir terrifiant ? " il avale sa salive difficilement, puis murmure " Elle n'avait rien fait de mal... "

" Samuel, s'il te plaît... " Jeanne hôquete, mais en vain, son fils continue.

" Tout cela à cause de quoi, tu sais ? A cause de ce putain de sentiment qu'ils appellent l'amour. Il la faisait souffrir parce qu'apparemment ils s'aiment; il lui gâchait la vie parce qu'apparemment ils s'aiment; il la faisait pleurer parce qu'apparemment ils s'aiment. "

" Je ne l'aimes pas "

Et une fois de plus, le silence se réinstalle dans la pièce. Suite aux mots de Jeanne, Samuel referme la bouche et me regarde d'un air absent. Peut-être qu'il ne me regarde pas moi exactement, je ne saurais dire.

Moi, de mon côté, je ne sais pas quoi faire. J'ai l'impression que je n'ai pas ma place ici, dans cette conversation, et que je devrais plutôt les laisser seuls. Mais pourtant je sais que je dois être ici, parce que le passé de Samuel est la raison pour laquelle nous ne pouvons - apparemment - pas avoir de futur ensemble. J'ai besoin de savoir. Pour une fois qu'il parle, pour une fois qu'il ne se cache pas derrière son mur et décide de s'expliquer, je ne peux pas partir. Tout ce que j'ai souhaité depuis le début était d'avoir des explications.

Je commence enfin à les avoir.

Samuel reste assis au sol mais se retourne vers sa mère qui pendant ces quelques minutes de silence essayait de se calmer.

" Tu l'aimes. Tu m'as dit que tu l'aimes... Maman ? "

Elle secoue la tête, effaçant ses joues, non plus avec son mouchoir mais directement avec ses mains. " Je l'aimais... Au début, je l'aimais. "

Sur ces mots, Samuel est sur ses pieds, semblant ahurie. Il frotte ses mains sur son visage plusieurs fois, presque brutalement, puis les passent dans ses cheveux, avant de se retourner vers sa mère.

" Je t'ai demandé qu'on s'en aille mais tu as dit l'aimer ! "

Quand il hausse la voix, je ne peux me retenir et me lève. En deux pas je suis à ses côtés et ma main s'enroule délicatement autour de son bras.

" Restes calme, s'il te plaît. " je murmure, légèrement hésitante. Je sais comment il est dans les moments de colère. Il a tendance à me repousser, autant physiquement que mentalement.

Il se tourne vers moi d'un geste vif, mais son expression me fait retenir de faire un pas en arrière.

" Elle m'a dit qu'elle l'aimais... " il répète, comme un enfant, d'une manière innocente.

" Je sais " je murmure en détachant ma main de son bras, " elle doit avoir une raison, n'est-ce pas ? Laisses la s'expliquer "

" Mais... "

" Chut... Assieds-toi "

Il prend une profonde inspiration puis hoche la tête. Il s'installe à côté de sa mère une fois de plus alors que je reprend ma place aussi, le coeur battant un peu plus vite.

 Le toucher m'a donné des frissons.

" Écoutes moi jusqu'à la fin Samuel, s'il te plaît " elle renifle. Elle regarde son fils, il hôche la tête et c'est son signal pour commencer son récit.

PDV Jeanne

Flashback : 24 ans plus tôt...

" Tu es sûre que tu veux l'annoncer ce soir ? " ma soeur demande d'une voix hésitante à l'autre bout du fil, " Tu viens seulement de faire le test, attends d'être sûre au moins. "

" Non, je veux lui dire ce soir "

Je souris et pose ma main sur mon ventre. Qui aurait sû qu'une vie se formait à l'intérieur de celui-ci ?

" Jeanne, une prise de sang serait plus sûr. Tu sais qu'on ne peut pas faire totalement confiance aux tests de grossesse "

" Je suis sûre, moi. Je n'ai pas eu mes règles en plus, c'est un indice. "

" Bon... Si tu veux " elle finit par soupirer.

" Je pense qu'il sera content, tu sais... " je murmure, relevant mon regard de mon ventre. " Et peut-être qu'il... Qu'il redeviendra comme avant... "

" Jeanne... En vérité, c'est à cause de cela que je ne veux pas que tu lui dises à propos de ta grossesse. Il est violent avec toi, imagines s'il te fait quelque chose ? Imagines s'il arrive quelque chose à ton bébé ? "

" Non, non, il ne le fera pas. Il a toujours voulu un enfant, il ne fera rien qui risquerait sa vie. Je pense qu'il sera content. Il n'était pas violent il y a encore quelques mois, tu verras, il va redevenir comme cela. "

" Ne prends pas le risque, viens ici - "

" Je crois qu'il est arrivé, je vais y aller. Je te rappelle plus tard "

Sans plus attendre, je raccroche le téléphone et me lève. Je réajuste ma jupe et ma veste, souris en regardant mon ventre, et prend une grande inspiration.

Je vais lui faire l'annonce qui va tout changer. On sera heureux, encore une fois, comme avant.

Nous étions mariés depuis deux ans maintenant, et c'était les plus beau jours de ma vie. Quand je l'avais rencontré, je m'étais déjà imaginé une vie avec lui. Mes parents avaient d'abord refusé, je ne savais pas la raison, mais Edouart a toujours été un homme qui se bat pour ce qu'il veut. Il n'a pas lâché, il ne m'a pas lâchée.

Quelques temps avant notre mariage, il m'avait annoncé qu'on allait venir ici, à Paris. Il voulait reprendre l'entreprise de son père, il disait qu'il était temps. Je l'ai donc suivis ici après notre mariage, et tout se passait très bien.

J'étais tellement heureuse...

Puis un jour, il est revenu à la maison presque avec rage. C'était peut-être la première fois qu'il élèvait sa voix de cette façon. Apparemment, il y avait des rumeurs qui passaient sur moi dans toute l'entreprise. Apparemment je voyais d'autres hommes quand il partait à l'étranger pour le travail.

Ce soir était le début de notre nouvelle vie.

J'ai essayé de le convaincre que j'ai toujours été fidèle, parce que je l'étais. Je ne savais pas s'il me croyait. J'ai compris qu'il avait préféré croire aux autres quand les disputes à propos de ce sujet se sont multipliés.

Quand il a commencé à me faire suivre à chaque fois que je sortais de la maison; quand il a commencé à choisir mes amies; quand il a commencé à me limiter tout simplement la vie.

Mais les rumeurs continuaient.

Un soir, il était revenus avec des photos. Une femme et un homme marchant main dans la main dans la rue, assis à un café ou près d'un parc. Il n'a pas voulu croire que cette femme n'était pas moi. Il n'a pas voulu voir le complot.

Et ce soir-là, il m'a mis une gifle que je n'oublierai jamais. Jamais.

Après cela, les disputes et la violence ont continués, mais je n'ai pas lâché. Je me devais de sauver mon couple. Après tout, on s'aimait.

Je lui ai proposé de mettre des caméras dans la maison pour lui prouver que je ne sortais pas. Je suis restée enfermée à l'intérieur pendant deux semaines, je ne suis même pas sortis dans le jardin. Ma soeur était la seule qui savait à propos de tout cela, elle venait me rendre visite quand elle le pouvait.

Il s'est calmé après cela. J'avais l'impression de retrouver l'homme dont  j'étais tombée amoureuse. On était redevenu un couple.

Mais un jour, un homme est arrivé à la maison. J'étais seule. Je ne le connaissais pas, il m'a dit qu'il avait quelque chose d'important à me dire, je l'ai laissé entrer. On a parlé, il m'a dit qu'il était celui qui inventait les rumeurs. Il s'est expliqué. Il était seulement jaloux d'Edouart et de son succès, il pensait qu'en créant des problèmes dans sa famille, il réussirait à le battre.

Je pensais qu'il était venus pour s'excuser. Mais j'ai vite compris que c'était un autre complot quand il m'a embrassé avant de s'en aller. Ses lèvres étaient sur les miennes d'un coup, puis sans que je puisse réagir, il était déjà de l'autre côté de la porte. Ô combien j'ai regretté d'avoir proposé de mettre des caméras à cet instant.

Edouart était maintenant convaincus que je le trompais. Tous mes efforts étaient tombés à l'eau. Il était encore plus violent qu'avant.

Si aujourd'hui je suis enceinte, c'est seulement parce qu'un soir il était rentré saoule. Il disait m'aimer, il avait pleuré, puis nous avions fait l'amour. A part ce soir-là, il ne voulait plus me toucher. Je le dégoûtait.

Maintenant je vais lui annoncer ma grossesse. Je sais qu'il va être content. Il va me prendre dans ses bras, il va me serrer fort contre lui. Il va sourire après tous ces mois. Et nous allons redevenir comme avant.

" Bonsoir "

Je l'accueille avec mon plus beau sourire. Il me répond par un simple signe de tête. Je garde pourtant mon sourire.

" Veux-tu passer au dîner maintenant ? "

" Oui, s'il te plaît "

Nous nous rendons donc dans la salle à manger en silence. Je peux sentir son regard sur moi pendant que je nous sert, il fait cela quasiment tout le temps. Parfois je le surprend à me regarder d'un air perdu et je devine presque immédiatement à quoi il pense. A comment nous en sommes arrivés là. Je sais qu'il regrette ses actes, je sais qu'il m'aime toujours. Sinon, pourquoi serais-je encore sa femme ?

" Tu as quelque chose à me dire " il remarque alors que je m'installe à ma place, près de lui.

" Oui, en effet " j'acquieçe.

" Je t'écoutes "

Il sait parfaitement me lire. Il a sûrement du remarquer que je me mord la lèvre inférieure depuis son arrivée.

Il pose ses coudes sur la table et son regard perçant sur mon visage. Je fais de mon mieux pour ne pas sourire comme une folle, même si j'en ai grandement envie. Je me redresse, prend une profonde inspiration, essuie mes mains transpirantes à l'aide d'une serviette puis ose enfin relever les yeux pour rencontrer son regard.

" J'ai appris quelque chose aujourd'hui. Une bonne nouvelle. Une très bonne nouvelle. Ma soeur dit que ce n'est peut-être pas très sûr, mais je voulais t'en faire part quand même ". J'aimerai tellement qu'il me sourisse à cet instant pour me donner un peu de courage. Mais il ne le fait pas. " Je crois que je suis enceinte " je finis par dire, perdant un peu de mon enthousiasme du début.

Suite à mes mots, le silence s'installe et pèse sur mes épaules. Mon sourire diminue avec chaque minute qui passe, voyant son expression froide, sans aucun signe de joie ou autre.

" De qui est ce bébé ? "

" Pardon ? "

" Qui est le père ? "

" Edouart... Comment tu... "

Je secoue la tête, ne pouvant formuler aucun mot, aucune phrase. Ma main se pose sur mon ventre comme par réflexe alors qu'il se lève, me lance un dernier regard qui me blesse au plus profond, et s'en va.

Fin du Flashback

" Donc... Il pense que je ne suis pas son fils ? "

Je relève finalement la tête après mon récit. Samuel a l'air... Ahurie. Etonné. Blessé. Tout ce que je ne voudrais pas qu'il ressente.

" Il a toujours douté... " je hausse légèrement les épaules. " Parfois il avait l'air de me croire, mais il ne m'a jamais cru totalement. Quand tu es né, je le voyais venir te bercer la nuit, mais seulement en cachette. Il ne me montrais rien. Parfois il te prenais dans ses bras, il te souriais, il parlait avec toi; tu devrais t'en rappeler de ces moments, il faisait cela jusqu'à peut-être tes sept ans. Mais il doutait toujours, alors il s'éloignait. "

" Vous n'avez pas fait un test ? " Jade demande alors que Samuel semble perdu.

" Bien sûr que oui, et les résultats montraient bien que c'était son fils. D'ailleurs, les quelques jours après cela ont été les moments où il s'est le plus occupé de Samuel. Mais soudainement, il a recommencé à douter. Il a même osé me dire que j'avais comploté avec le médecin pour avoir des résultats positifs. Il ne faisait plus confiance à personne, même pas à moi. "

" C'est... "

" Oui, ça l'est "

Elle détourne le regard, seulement pour le poser sur Samuel. Je ne sais pas ce que ces deux ont vécus pendant mon absence, mais je perçois une différence dans leur comportements. Surtout dans leurs regards. Je sais qu'à cet instant, elle ne le regarde pas avec pitié; peut-être avec de la compassion, ou avec de la tristesse, mais des sentiments semblent s'être développés.

" Pourquoi tu ne l'as pas quitté ? " Samuel finit par parler.

" Je pensais à toi... Je voulais que tu ais une bonne vie, je ne voulais pas la gâcher en me sauvant. J'attendais seulement que tu grandisses. Mais il y a eu Léna, alors j'attendais qu'elle grandisse aussi. Je voulais m'assurer que vous tenez sur vos pieds avant de penser à mon futur. "

" J'avais dix-sept ans quand je t'ai proposé de partir, j'étais assez grand, tu ne penses pas ? "

" Non, tu n'étais pas assez grand. Et Léna non plus. "

" Mais - "

" Tout cela pour te dire, je n'aime plus ton père comme avant. Pas après tous ce qui s'est passé. Et si je ne l'ai pas quitté, c'est seulement pour vous. Maintenant dis-moi, c'est pour cette raison que tu ne veux pas aimer ? "

Il regarde Jade, qui le regarde depuis le début. Puis il hoche la tête.

" Tu n'as donc aucune raison d'avoir peur d'aimer, mon coeur. Et tu n'as aucune raison de penser que tu lui feras du mal. Tu n'es pas comme ton père, mais surtout, vous ne vivez pas la même chose que nous. "

" Je... " il secoue la tête, avale difficilement, jette un coup d'oeil à Jade puis se relève. " J'ai besoin de réfléchir. Seul "

Et ni Jade, ni moi ne l'arrêtons de partir. Je me retourne alors vers celle-ci.

" Parlons un peu, veux-tu ? "

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