Chapitre 4
PDV Jade.
« Tu viens avec moi » dit mon père lorsqu'on arrive devant l'immeuble.
Je regarde mon frère pour lui demander de l'aide et il comprend que je ne veux pas y aller.
« Laisse-la ce soir aussi » dit-il.
Mon père souffle puis claque la portière en sortant. Je remercie mon frère et il nous conduit à son appartement. Je suis encore sous l'effet de tout ce qui vient de se passer. Je ne peux pas penser clairement. En fait, Samuel ne m'aime même pas, il est forcé lui aussi...
Éloïse nous ouvre la porte et je baisse immédiatement la tête vers la petite fille qui est à ses pieds.
« Tata ! » elle crie puis saute dans mes bras. Je suis heureuse de l'avoir.
Je la serre dans mes bras et lui demande pourquoi elle n'est pas couchée, parce qu'il est presque minuit.
« Je voulais te voir avant » elle baille, je la ramène donc à sa chambre et la met dans le lit. Je l'embrasse sur le front et elle s'endort presque immédiatement. Je ferme sa porte et va dans la chambre d'amie où je reste. Éloïse est assise sur mon lit.
« Tu veux dormir ou tu veux que je reste pour parler? » me demande-t-elle.
« Je suis fatiguée » répondis-je.
Elle hoche la tête et sors de la chambre après m'avoir souhaité une bonne nuit. Je me change et rentre sous les couvertures. Je suis fatiguée mais je n'arrive pas à dormir. Je ne peux pas m'empêcher de penser à ce que Samuel m'a dit. Je pensais que lui m'aimait et qu'il me voulait mais ce n'est pas le cas. C'est vraiment pire que ce que je pensais. Mon père veut me marier avec un homme que je ne connais pas, qui en plus ne m'aime pas. Comment peut-il penser que je serais heureuse dans ces conditions? Comment peut-il penser qu'on pourrait fonder une famille ensemble? Est-ce qu'il est au courant que Samuel ne m'aime pas non plus? Je devrais peut-être lui demander demain, ça pourrait le dissuader de l'idée de me marier...
J'ai à peine réussis à dormir que je me fais réveiller. J'ouvre lentement les yeux en grognant, demandant un peu plus de sommeil mais rien n'y fait.
« Papa a appelé, je dois t'emmener » m'explique Matt.
J'hoche la tête et me lève du lit. Je ne proteste pas, j'ai besoin de voir mon père pour lui poser des questions. Matt me laisse seule pour que je me change. Je suis prête en quelques minutes et je sors de la chambre. Maria et Éloïse dorment encore alors on sort de l'appartement sans faire de bruit.
« Ça va aller ?» me demande mon frère alors qu'il me reconduit chez moi.
« J'imagine » dis-je pensive.
Vais-je pouvoir me sortir de cette situation? Vais-je pouvoir convaincre mon père?
« On est arrivés » mon frère me fait revenir sur Terre. « Surtout, s'il y a quelque chose, tu m'appelles » dit-il avant que je sorte de la voiture. Je lui fais un petit sourire pour qu'il ne s'inquiète pas mais je sais que ça ne sert à rien. Une fois sa voiture éloignée, je me retourne vers l'immeuble et prend une grande inspiration avant de rentrer à l'intérieur. Arrivée devant la porte, j'hésite à frapper ou m'en aller. Sans trop réfléchir, je frappe, je dois le faire. Mon père ouvre la porte et comme je m'y attendais ce n'est pas un accueil très chaleureux. Il a un air très sérieux qui me donne des frissons. Je le suis au salon et ma sœur saute dans mes bras dès qu'elle me voit.
« Tu m'as manquée ! » dit-elle après s'être séparés.
« Toi aussi » je m'installe sur le canapé et regarde autour de moi. Rien n'a changé.
« Annie, va dans ta chambre » dit mon père et ma sœur s'exécute sans aucune protestation.
Dès qu'on entend la porte de sa chambre se fermer, mon père se retourne vers moi avec une expression sévère.
« Je t'avais dit que je ne voulais pas de problème hier soir » dit-il froidement.
« Je n'ai rien fait »
« Rien fait ? Et sortir au milieu du dîner c'était quoi ? »
« Vous nous demandiez rien de toute façon. J'avais besoin de prendre l'air. » me justifiais-je.
« Bon, je ne vais pas en faire toute une histoire. Venons au sujet principal, Édouart m'a appelé, un essayage de robe est prévu dans deux jours. Tu vas passer toute la journée avec Jeanne. Edouart veut que vous fassiez un choix pour la maison avant d'aller en lune de miel, quelque chose est prévu la semaine pro... » je le coupe avant qu'il ne puisse finir sa phrase.
« Tu sais que Samuel ne m'aime pas non plus? » lui demandais-je.
« C'est juste qu'il ne te connaît pas »
« Et tu veux toujours me marier avec lui? »
« On en a déjà parlé Jade. Je n'ai plus le choix maintenant, tu dois le faire pour toi mais aussi pour nous, pour ta sœur »
« Mais tu te rends compte de ce que je pourrais vivre avec lui ? »
« Oui. Et c'est pour ça que tu vas te marier avec lui, que tu le veuille ou non » il commence à s'énerver.
« Tu ne vas pas changer d'avis c'est ça? » demandais-je les larmes aux yeux.
« Je ne peux pas. Maintenant, arrête de trop y penser et prépares-toi à l'idée d'être mariée. »
« Tu veux que j'arrête de penser à ma vie ? Tu entends ce que tu dis papa? »
« Ça suffit !» crie-t-il en se levant.
Je n'ai plus rien à faire à part le supplier. C'est bas, je sais, mais je n'ai plus d'autre choix.
« Papa... Je t'en prie... Ne fais pas ça, je suis ta fille non? Tu ne peux pas juste me laisser dans les mains d'un homme comme ça. Pense à ma mère, qu'est-ce qu'elle dirait si elle était là hein? » quelques larmes font déjà leur chemin sur mes joues.
« Le problème Jade, c'est qu'elle n'est pas là. Je n'ai plus rien à te dire. Fait le pour Annie » dit-il puis il sort du salon.
Fait le pour Annie, fait le pour moi, fait le pour nous. Et moi dans tout ça? Pourquoi c'est moi qui doit me sacrifier? Je ne peux pas rester une seconde de plus ici, j'ai besoin d'air. J'ai besoin de respirer. Je prends mon manteau et sors de l'appartement sans prévenir. Je marche dans les rues en direction de mon coin, le seul endroit où je peux respirer, le seul endroit où je peux parler. Mais ma vue commence à se brouiller à cause des larmes et le cimetière est encore trop loin. Je continue tout de même à marcher, sans faire attention aux multiples regards qui me sont jetés. Au moment où je passe à côté d'un parc, des bruits retiennent mon attention. Des enfants qui crient, qui rient, qui s'amusent. Sans trop réfléchir, je traverse les barrières menant au parc et m'assoit sur un banc isolé. Je peux rester seule et voir tout de même ces enfants jouer. Je donnerais tout ce que j'ai pour être à leur place en ce moment. Quand des instants de mon enfance rejouent dans ma tête, mes larmes augmentent encore plus. Je n'arrive presque plus à respirer.
« Tenez » je relève la tête pour voir un jeune homme me tendre un inhalateur. Il est assez grand et musclé, des cheveux blonds mal coiffés qui lui donnent un air plus jeune, des yeux verts émeraude.
« Je ne suis pas asthmatique » je réponds puis rebaisse la tête. Je pense qu'il va partir mais il fait tout le contraire. Il s'assied juste à côté. Je relève la tête vers lui avec incompréhension mais il regarde les enfants jouer au loin.
« Tu veux en parler? » demande-t-il sans me regarder. Sa voix rauque mais tout aussi douce me permet de rester calme, je n'ai pas peur.
« Non » soufflais-je en sortant un mouchoir pour m'essuyer les yeux.
« C'est toujours plus facile de parler avec un étranger et ça peut te soulager » insiste-t-il.
Je ne réponds pas. Qu'est-ce que ça va changer si je lui conte mon histoire? Va-t-il faire revenir ma mère? Va-t-il convaincre mon père? Va-t-il m'aider? Je ne pense pas non.
« Mon fils est malade, gravement malade. Tu sais ce que je ressens à l'intérieur? Ne pouvoir rien faire en tant que père, voir son fils mourir à petit feu chaque jour... Je me sens si faible des fois... Mais je continue toujours à sourire, parce que je dois le faire, je dois le faire pour ma fille. Ma femme nous a quitté à son accouchement... Je dois donc rester debout pour elle... » raconte-t-il sans même se soucier si je l'écoute ou pas. C'est vrai que je l'écoute mais je ne sais pas pourquoi il me raconte ces choses.
« A toi » ajoute-t-il en me regardant. Oh. Je comprends mieux maintenant. Peut-être que je devrais lui dire en fin de compte. Peut-être qu'en parler à quelqu'un va pouvoir soulager la douleur.
« Je suis forcée à me marier... » commençais-je. Je regarde au loin, pour ne pas rencontrer son regard, parce que ça serait plus dur. Il me jette des regards d'incompréhension, de surprise, tout au long de mon récit. Je lui raconte tout depuis la mort de ma mère jusqu'à aujourd'hui. Juste le fait de se rappeler de tout ça refait surgir la souffrance et la tristesse mais quand j'ai enfin finis, je soupire de soulagement. C'est beaucoup mieux que de pleurer pendant des heures seule, beaucoup mieux.
« Tu n'es pas obligée de faire ce mariage » dit-il après un moment de silence.
« Je le suis » répondis-je immédiatement.
« Personne ne peut te forcer à faire ça, tu as le droit d'ouvrir un procès »
Je le regarde pour savoir s'il est vraiment sérieux. Il veut que je suive mon père en justice?
« Écoutes, je suis avocat, je peux t'aider si tu veux » propose-t-il.
« Je ne peux pas » murmurais-je. Je ne peux pas faire ça à mon père. Quoiqu'il fasse il reste mon père.
« Il n'a tout de même pas le droit » insiste-t-il.
« Écoutes, ce n'est pas si facile que ça. J'ai une sœur de douze ans, le seul parent qui lui reste est mon père. Je ne peux le lui enlever. Elle a toujours été plus proche de mon père que de ma mère, t'imagines si mon père va en prison, qu'est-ce qu'elle va penser? Elle va sûrement me détester... » expliquais-je.
« Réfléchis-y au moins d'accord? Je te donne ma carte, appelle-moi si tu as besoin de quelque chose. » il me tend une carte et me sourit avant de s'en aller. C'était quoi ça? Un inconnu qui me parle de sa vie puis qui propose de m'aider? Mais ce qui est bizarre c'est que je me sens mieux en ce moment. Comme soulagée...
Je reste encore un moment à observer les enfants jouer au parc puis reprends la route de chez moi. J'ai réfléchis à ce que m'a dit cet homme, je ne pense pas être capable de suivre mon père en justice, je ne peux pas faire ça. Mais je vais parler avec Annie ce soir, c'est en fonction d'elle que je vais me décider, c'est en fonction d'elle que je vais tracer ma vie. Les rues sombres éclairées par quelques lampadaires me font voyager dans le temps. Des moments du passé me reviennent en tête. Des moments merveilleux que je n'oublierais jamais, les moments où ma mère était là, les moments où tout allait bien...
Quand je rentre à la maison, je suis soulagée de voir que mon père n'est pas là. Au moins je pourrais parler tranquillement avec Annie. J'enlève mes bottes et me dirige vers sa chambre mes des bruits venant de la cuisine retiennent mon attention. Je trouve Annie devant la gazinière, un tablier autour du corps, ses cheveux longs attachés en un chignon décoiffé.
« Qu'est-ce que tu fais?» demandais-je en m'approchant d'elle.
« Je voulais préparer le repas pour que papa ne soit pas en colère quand il rentre mais je crois que j'ai pas réussis... » dit-elle en me montrant la casserole sur la gazinière. Je crois que les pâtes sont beaucoup trop cuites...
« C'est pas grave Annie, viens » dis-je en lui enlevant son tablier.
« Tu vas m'aider ?» demande-t-elle.
« Je pense pas que ton père voudra manger ce soir mais... toi, tu as faim? »
« Mon père? C'est notre père... Et oui j'ai faim » répond-elle.
J'ai dit ton père? Je n'y ai même pas réfléchis...
« Oui notre père... Pizza? » me rattrapais-je.
« Papa n'aime pas les pizzas qu'on commande » répond-elle instantanément.
Pourquoi elle lie tout à mon père? Ça me complique la tâche encore plus.
« D'accord... On les fait alors c'est ça? » soufflais-je.
Elle hoche la tête avec un grand sourire. Je sors un tablier propre et le met, m'attache les cheveux et sors les ingrédients. Annie remet son tablier et se place à côté de moi pour m'aider. Elle connaît la recette par cœur comme moi, on l'a fait souvent. Mon père n'aimant pas les pizzas surgelées ou commandées, ma mère les faisaient toujours à la main. C'est elle qui nous a appris. J'essaye de ramener le sujet qui me trotte dans la tête pendant qu'on prépare la pâte mais Annie me prend au dépourvu.
« Toi aussi tu vas partir? » demande-t-elle en essayant de mélanger les ingrédients. Je me retourne pour la regarder dans les yeux.
« Partir où?»
« Tu sais, comme maman. Tu vas partir loin? »
« Non... Je ... Je ne vais nulle part Annie... » bégayais-je.
« Je vais toujours te voir ?»
« Bien sûr » dis-je pensive.
« Est-ce que tu détestes papa? » elle poursuit. Ce n'est pas elle qui devrait poser des questions, c'est moi.
« Tu sais, papa il t'aime beaucoup, c'est lui qui m'a dit » rajoute-t-elle quand je ne réponds pas. J'arrête tout mouvement et la regarde faire.
« Et qu'est-ce qu'il a dit d'autre? » demandais-je.
« Qu'il fait ça pour nous, pour qu'on soit heureuses quand il... » elle arrête de parler puis baisse la tête en arrêtant de mélanger.
« Quand ? » l'encourageais-je.
« Quand il ne sera plus là... » murmure-t-elle.
J'ai un pincement au cœur. Quand il ne sera plus là... Je n'ai pas pensé à ça. Annie m'embrasse la joue puis me sourit avant de se remettre au travail. On finit la pizza sans parler. Je n'ai plus rien à dire. Je ne peux pas lui enlever son père, je ne peux pas lui faire ça...
Je sors la pizza du four et coupe une part pour Annie. Elle la mange en regardant une émission de musique puis va dans sa chambre pour terminer ses leçons. Pendant ce temps, je vais dans la chambre de mes parents, profitant de l'absence de mon père. Je ressors le grand coffre du placard et le pose devant le lit où je m'assois. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas ouvert... Je ressors tous les albums photos, tous les souvenirs de vacances, toutes les vidéos de notre enfance, tous les souvenirs de ma mère. Je regarde toutes les photos une par une, les examinant dans le détail. Puis je regarde les vidéos. La vidéo de nos dernières vacances avec elle, le pique-nique, les anniversaires, mon premier jour au lycée et pleins d'autres. Quelque chose dans le fond du coffre retient mon attention. Je place toutes les photos qui étaient sur mes genoux sur le lit puis attrape le tissu au fond du coffre. C'est sa robe. La robe de mariée de ma mère. Elle semble encore toute neuve. Les dentelles qui ornent tout le long de la robe sont toujours dans un très bon état. Elle est toujours belle. Je ris en me rappelant des fois où j'essayais de mettre cette robe avec ma petite taille. Annie n'a jamais fait ça. Pendant que je parlais avec ma mère, elle restait avec mon père. Quand quelque chose la fracasse, c'est mon père qu'elle va voir, quand elle pleure c'est dans les bras de mon père, quand elle est heureuse c'est avec mon père qu'elle partage sa joie. Elle l'aime tant... Il est beaucoup trop important pour elle, je ne peux pas lui faire ça. Je dois me sacrifier pour elle...
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