Need Therapy ?

Il faisait étrangement frisquet pour un 31 octobre. L'obscurité s'était déjà installée depuis bien longtemps, ce qui indiqua aux lampadaires de se réveiller afin d'offrir leur douceur jaunâtre au-dessus des trottoirs. La voute était glabre de toute trace de nuage cotonneuse, laissant la vision chimérique des gemmes déchues dans le ciel. La pleine Lune semblait avoir attendu cette nuit-là précisément pour se manifester, laiteuse et craintive au-dessus de Gravity Falls. Le Mystery Shack venait d'officialiser sa fermeture, impatient de profiter des vacances automnales. Le frère du propriétaire du musée dormait à poing fermé, tandis que le vieux Monsieur Mystère guettait l'arrivée d'enfants, camouflé derrière un masque de squelette. Et bien que Morphé l'incitait à rejoindre son oreiller, Stanley appréciait particulièrement effrayer les petites têtes blondes avant de leur offrir des confiseries. Ou du moins, ceux qui lui restaient. Cette année-là, Halloween était parfait, organisé dans le moindre détail pour le sourire de chacun. Malgré l'heure tardive qu'affichait les pendules et les montres, quatre enfants ne dormaient pas encore !

En effet, dans le salon de la maison des deux vieux Pines, un cercle s'était créé autour d'une bouteille. La plus âgée tenait une lampe de poche et éblouissait le pauvre Dipper, ce qui eut l'effet de le crisper, incapable de garder ses yeux ouverts. Excédé, l'adolescent finit par donner un coup de coude à sa sœur jumelle pour qu'elle agisse. Mais malheureusement pour lui, Mabel était trop occupée à enfiler des bonbons en gélatine dans ses orifices nasales... Candy, qui se trouvait être la plus maigrelette du groupe, était assise entre Grenda et Dipper. Finalement, la prénommée Grenda déposa l'instrument qui torturait inconsciemment les délicates rétines de l'unique garçon, prête à faire tourner le contenant en verre sur lui-même. Quelques tours effectués, la bouteille s'arrêta et désigna la personne voisinant le jeune brun. « Mabel ! Action ou vérité ? » demanda la plus costaud des trois de sa voix enrouée, à la brunette qui servait de sœur à Dipper. Mabel n'hésita pas un seul instant pour demander une action, bougeant ses bras dans tous les sens comme si le démon de l'excitation était enfermé dans son corps. Grenda réfléchit un court instant. « Tu vas devoir finir la bouteille de sirop d'érable en sautant sur un pied ! » La sorcière s'exécuta, manquant à mainte reprise de faire tomber son chapeau violet. Lorsqu'elle eut fini d'ingurgiter tout ce sucre liquide, elle se ressaya et fit tourner la bouteille afin de désigner la personne suivante. Le triste hasard décida de pointer du doigt le seul garçon du quatuor. Candy, déguisée en Maître Yoda, pouffa de rire en jetant un regard au vampire à sa droite. Mabel partagea son amusement avec elles, songeant très certainement au destin de son petit frère. Ce dernier avait très peur de répondre vérité ; après tout, ses secrets lui appartenaient, et qui savaient ce qu'elles étaient capables de demander ! « Action. » répondit-il après une pincée de secondes à se soucier de cette partie. Les trois meilleures amies reculèrent pour ne former qu'un triangle et se chuchotèrent des propositions. Finalement, sa sœur jumelle lui refit face et se racla la gorge de manière solennelle. « Dipper, tu vas devoir te prendre en photo dans la salle de bain de la maison abandonnées. » Le cœur du jeune garçon était en retard sur les battements de cette minute précise, soit les soixante secondes les plus longues de sa vie à lutter pour refuser, en vain. Il allait devoir le faire.

Il était vingt-trois heures passées lorsque le jeune groupe arriva en face de la demeure isolée. Même les autres adolescents se refusaient à approcher cet endroit pour une raison inconnue, et Dipper devais avouer que pour lui-même, du haut de ses seize ans, ce sentiment de mal-être de d'inquiétude ne faisait pas d'exception. Mabel posa une main sur l'épaule du garçon. « Ça va aller, la maison est vide. Et puis c'est toi qui aimes les mystères ! » Son visage tacheté arbora une grimace, tout en tâtant son téléphone portable qui dormait au fond de la poche de son costume de zombie. « Si tu as trop peur, dis-le-nous et on te trouvera une vérité ! » renchérit Grenda avec un sourire malicieux, ce à quoi Candy acquiesça par un réajustement de lunettes. Mais Dipper n'allait pas se défiler aussi facilement, non mais ! Alors, déterminé, il dévala la clôture et traversa le jardin. Le gazon semblait ne pas avoir été entretenu depuis bien des années, laissant cette désagréable sensation de marcher dans de la paille molle. Arrivé devant la porte principale, il eu un mal fou pour ne pas détourner le regard de la poignée. La dorure était rongée par le temps, et une étrange substance semblable à du mucus verdâtre asticotait sa surface ronde. Il s'essuya rapidement la main contre une poutre, l'ayant touchée pour voir ce que c'était, jusqu'à ce qu'une fenêtre attire son attention. Dipper prit un caillou pour briser le reste de carreau, ce qui envoya en éclat la transparence de la vitre déjà détériorée par les précédents visiteurs, datant très certainement de deux ans ou trois. À l'aide de ses bras maigrelet, il se hissa sur le rebord du cadre et atterrit à l'intérieur. La poussière flottante le fit éternuer. Le jeune garçon usa ensuite de la puissance de sa lampe de poche pour s'éclairer, incapable d'y voir clair dans ce hall désert. Chaque pas qu'il effectuait était suivi d'un grincement de parquet, semblable à un ronronnement sinistre. La moisissure escaladait les murs dont le papier-peint s'effritait en grande masse. Le plafond lézardé de faille dans le bois pouvait céder à tout moment, alors autant se montrer délicat lors des déplacements. L'odeur putride lui soulevait le cœur, à un point que Dipper se retenait de vomir durant les trois premières minutes marquant son apparition dans ce cadavre de mortier et de bois. Il se demandait quel âge avait cette maison abandonnée...

Le jeune Pines se dirigea vers les escaliers. Il leva la tête pour jeter un coup d'œil au peu d'étage supérieur qu'apercevaient ses yeux noisette, avant de risquer d'y poser le pied. Cela semblait solide. Délicatement, il monta et arriva finalement dans un couloir inquiétant. Le long tapis vert sapin semblait regorgé d'eau lorsque ses baskets en écrasaient la surface, ce qui eut le don de le faire frissonner. En tout cas... Dipper espérait qu'il s'agissait bien de cela, que devrait-il faire s'il s'agissait de sang ? Heureusement, la nébulosité de ce passage dissimulait bien la couleur, il n'avait donc pas à s'inquiéter là-dessus. N'est-ce pas ? Le brun pénétra ensuite dans la première pièce qui s'offrait à lui. Il s'agissait d'une vulgaire chambre à coucher avec un lit double. Il préférait ne pas s'attarder davantage sur les détails, suggérant à ses jambes de tracer immédiatement jusqu'à la salle de bain pour finir au plus vite cette visite abominable. La pièce qu'il cherchait se trouvait à gauche de la précédente. Le bois qui constituait le plancher était ténébreux, trouée de-ci de-là par des vers. Cependant, et bien que la pièce soit étrangement dépoussiérée – peut-être à cause du courant d'air que Dipper sentait à travers les cloisons – la vue de la baignoire figea le jeune Pines. Sa langue devint pâteuse et ses mains moites. Pris de vertige, le garçon fit tomber sa lampe de poche à même le sol et esquissa un mouvement de recule brusque. Un liquide sombre avait stagné en son sein, laissant tout juste dépasser un reste de peau... Un bras ? Une tête ? Impossible de donner un nom à cette chose hideuse qui pataugeait dans l'hémoglobine presque sèche. Dipper voulais s'en aller. Il voulait abandonner. Il détestait le sang, et bien vite, sa tête se mit à tourner de plus en plus rapidement. Sa respiration s'accéléra lorsque Dipper se retient de justesse au lavabo sur le côté, prêt à se vider à l'intérieur. Mais il recula à nouveau. Des mèches de cheveux... Une langue... Des doigts... Ces trois ingrédients servant à constituer l'anatomie humaine barbotter dans le lavabo fut de trop pour que l'adolescent ne puisse supporter cette vue plus longtemps. « Je vais m'évanouir... Mais si je tombe dans les pommes, personne ne retrouvera mon corps avant un moment... » La main tremblante, il prit son cellulaire et enclencha l'appareil photo. Il prit un selfie face au miroir, incapable de montrer l'images d'un corps émietté de ce qu'il suspectait être l'ancien maître de cette propriété isolée. Sur la photo, Dipper se surprenait en train de pleurer, cependant, ce n'était pas une raison, à son avis, pour capturer un second cliché de cette scène d'horreur. Sans prendre la peine d'essuyer ses larmes de panique, il effectua des gestes maladroits pour quitter cet enfer, non sans oublier de ramasser la lampe de poche qui éclairait le décor depuis le sol.

Il voulait appeler Mabel par téléphone, mais elle ne répondait pas. « Ai-je bien entendu des bruits de pas ? » Craintivement, Dipper quitta l'étage mais, à peine il eu le temps de rejoindre la seconde marche d'escalier, qu'une main empoigna le col de son haut de déguisement. Brusquement, il fut retenu en arrière et la lampe lui échappa des mains, dégringola chaque marche dans un tintement échoïque avant de finir pour morte au rez-de-chaussée. L'obscurité l'enveloppa dans une étreinte traumatisante. « Non laissez-moi partir !! » s'époumona le jeune Pines en se débattant. La seconde main de cette créature se colla contre la bouche du garçon, certainement dans le but d'étouffer ses appels à l'aide, car si telle était son objectif, ce fut un succès. Incapable de se délivrer de cette emprise, il finit par s'immobiliser dans ses bras. Le souffle brûlant de l'anonyme lui chatouillait la nuque, mais impossible d'en profiter ou d'en trouver le moindre plaisir. Les larmes et la sueur salissaient son visage déjà crasseux à cause de toutes ces escalades, et ses gémissements ne trouvèrent repos que dès qu'une voix chaude vient lui susurrer tout près de l'oreille une phrase orpheline qui eut l'effet d'un choc électrique sur tout son corps affaibli. « Tu t'en vas déjà ? ~ » Nouvelle crise de panique. Dipper aura beau hurler derrière cette main gantée et donner des coups de pieds dans le vide, l'inconnu était déterminé à garder son invité tout contre de lui.

Dans un ricanement d'amusement, la créature ou la personne qui le détenait tira l'adolescent tout au fond du couloir, dans l'une des nombreuses pièces que ce dernier s'était interdit d'approcher. Il s'agissait d'un petit salon de thé, dont chaque meuble était recouvert d'un tissu blafard et décousu. L'étranger le libéra sèchement, manquant de le faire tomber, mais jamais Dipper ne le vit fermer la porte de ses propres mains. Le jeune Pines esquissa un mouvement de recul pour s'adosser contre l'ouverture de bois, laissant ses yeux se balader à leur guise pour chercher la moindre présence de cette chose. « Assieds-toi, Pinetree. ~ » Sa respiration s'accéléra à l'entente de cette voix suave employer ce surnom. Dipper avait, en effet, gardé sa casquette bleue avec un sapin imprimé dessus, et il fallait avouer qu'il avait failli le perdre dans les escaliers peu avant. Et bien que l'anonyme lui ait demandé si gentiment, il n'allait certainement pas se plier à la volonté de cet étranger ! Cependant, il lui était impossible de rouvrir la porte, comme si elle avait été verrouillée de l'extérieur. Dipper eut beau la tirer, la pousser, la forcer, impossible ; elle était ferme et n'allait pas céder aussi facilement à la volonté d'un gamin. « N'aie pas peur, je ne te ferais rien... Pour le moment. ~ » Il déglutina difficilement et s'assoit sur le sofa endormi sous un bout de tissu protecteur. La poussière volatile bondit de tout côté dès que Dipper s'y installa, le faisant suffoquer. Une silhouette se détacha de l'obscurité, élancée, grande, imposante. « Bienvenue, désires-tu un peu de thé, Pinetree ? ~ » A peine il eut le temps de lui répondre quoique ce soit, que l'inconnu usa d'une magie bleue pour faire léviter une tasse jusqu'au jeune brun. Ce dernier la prit, déconcerté, sans détacher ses yeux noisette des saphirs de son correspondant.

Sa tenue était organisée, comme s'il se souciait de son apparence. Néanmoins, il négligeait les taches de sang qui empourpraient le tissu blanc de sa chemise froissée, et ses jeans étaient légèrement poussiéreux au niveau des genoux. Organisés, mais pas entretenue, c'était le cas de le penser. Son nœud papillon s'accrochait tant bien que mal à son tour de coup, aussi noir que son magnifique veston qui, contrairement au reste de son habillement, semblait parfaitement neuf. « Q-qui êtes-vous ?! » demanda Dipper, tandis que l'inconnu flottait jusqu'au canapé où se trouvait son convive désorienté. Il esquissa un sourire qui dévoilait ses dents pointues, pendant que son doigt vint se poser sur le menton du plus jeune. « Que c'est impoli de ma part, je ne me suis donc pas encore présenté ? Bill Cipher, tu as forcément déjà dû entendre parler de moi. ~ Sauf si... Bien entendu, tu n'es pas du coin. » Dipper n'en avait jamais entendu parler, si ne serait-ce d'un hypothétique démon farceur. « C-c'est vous... Vous qui aviez assassiné l'ancien propriétaire de cette demeure... Et qui effraye les curieux... N'est-ce pas ? » Il croisa les jambes en applaudissant. « Bravo, je vois que ton esprit est aussi aiguisé que celui de Stanford ! » Son grand-oncle... Comment le connaissait-il ? « Oh que oui, je le connais depuis qu'il sait tenir une lampe de poche dans ses mains ! Tu sais, Dipper Pines, tu n'es pas le seul de ta famille à pénétrer en ces lieux maudits. » Comment a-t-il deviné ce à quoi le jeune brun pensait ? Il n'en revenait pas et n'arrivait pas à comprendre, si ce n'était essayer de suivre les paroles de ce dénommé Bill, dont les mots sortaient plus vite qu'il ne pouvait les penser. « J'entends ce que tu penses, Pinetree. ~ » Dipper laissa tomber son regard sur la tasse qu'il n'avait pas encore bu. « Pourquoi vous ne m'effrayez pas comme tous les autres visiteurs ? » Il entortilla une mèche blonde autour de son indexe, amusé par la question de son invité. « Je suis ravi que tu me le demandes ! » Il se pencha vers le jeune Pines. « Tu es le centième visiteur, ça se fête... ~ »

Et à compter de ce jour, Dipper fut obligé de rejoindre la maison abandonnée. Il se débrouillait pour s'isoler le soir après l'extinction des feux, usant de ses capacités intellectuelles pour ne pas se faire remarquer, afin de plonger dans la profondeur de la forêt de Gravity Falls rejoindre le démon. Il n'aimait pas venir, mais il savait que Bill avait à disposition ses pouvoirs pour le punir d'une façon ou d'une autre. Alors il s'exécutait, et durant tout le mois de Novembre, il rejoignait le territoire maudit. Bill Cipher était ravi, et pouvait passer sa nuit à parler de tout et de son contraire, de la pluie et du beau temps, mais jamais, au grand jamais, son invité lui répondait. Chaque soir, son cher Pinetree escaladait la clôture du jardin, se hissait à travers la fenêtre, montait d'un étage et s'installait tout bonnement sur le canapé fantôme – Bill l'appelait comme ça à cause du drap blanc qui le recouvrait – et pendant une heure ou deux, il écoutait son hôte. De sa vie ici, de celle d'avant, du futur, mais jamais Dipper n'osa lui demander la raison pour laquelle un cadavre pataugeait dans la baignoire de la salle de bain. En fait, il ne lui demandait jamais rien. Il se contentait d'un « salut » et d'un « bonne nuit ». Et aux files des semaines, Bill commençait à s'ennuyer. Il ne savait plus quoi raconter à son humain, et à chaque fois qu'il lui posait une question, il haussait des épaules comme s'il ne savait pas. Le démon savait bien que Dipper venait contre son gré, mais ce ne fut qu'au troisième jour de décembre que Dipper commençait à se rendre compte de ce qu'il faisait subir à son aîné. Cette soirée-là, il avait juste fixé l'humain s'assoir, comme à son habitude certes, mais sans un mot cette fois. Il était affalé dans son fauteuil, les jambes croisées et la tête reposant sur son poing. Durant le premier quart d'heure, il s'était regardé silencieusement. Dipper était anxieux ; pourquoi est-ce qu'il ne parlait plus ? Et pour la première fois depuis un mois, le jeune Pines prit la parole en premier. « Salut ? » Le démon soupira simplement. « Salut. » Une poignée de secondes s'écoula, durant laquelle le jeune garçon s'était mis à pianoter sur ses cuisses du bout des doigts. « Tu n'as rien à me raconter aujourd'hui ? » Il surprit Bill fermer les yeux un court instant. « Au début, c'était sympa de parler à quelqu'un. Tu es la première personne qui me tient compagnie depuis que je vis ici, mais te parler revient à parler au mur, comme je le faisais déjà avant. » Dipper s'apprêtait à s'excuser, mais Bill enchaîna. « Tu sais que je peux lire dans tes pensées, mais tout ce que j'entendais se résumait à vouloir rentrer chez toi. Tu me fatigues. Dorénavant tu vas te contenter de venir et d'attendre que je te libère, au moins pour me tenir compagnie. » Et ce fut la dernière chose que Dipper entendit durant la première semaine du douzième mois.

Car en effet, le soir du huit décembre, il avait refusé d'y aller. A quoi bon ? Il avait autre chose à faire que passer deux heures de sommeil à regarder une pendule décider de l'heure qu'il était, à devoir supporter le silence d'un démon qui ruminait dans son coin. Dipper aurait préféré demander une vérité à Mabel, il en était certain à présent, mais il ne pouvait plus revenir dans le passé. Il voulait que les choses changent, alors ce soir-là, il resta dans son lit. Après tout, ce n'était pas comme si Bill allait se mettre en colère pour un jouet qui l'avait lassé depuis longtemps, n'est-ce pas ? Cependant, et bien que sa décision lui semblât définitive, le jeune Pines ne pouvait s'empêcher d'avoir des remords. Il se tourna, se retourna, mais son lit semblait si inconfortable ! Peut-être que ne pas voir le démon gênait son sommeil, peut-être que c'était ça la punition dont il avait fait allusion le mois précédent, mais comment en être totalement sûr ? Dipper le savait, lui. Il se changea en vitesse et quitta le Mystery Shack sans même fermer la porte derrière lui. La nuit était belle, mais la Lune n'était pas pleine. Le vent qui fouettait le visage de l'adolescent semblait lui brûler, ou la pincer. Il aurait dû mettre autre chose que sa casquette, en effet, mais il avait jugé manquer de temps pour chercher son bonnet ! La neige qui crissait sous ses bottes comblait le silence jusqu'à la propriété hantée. Les traces dans la poudre blanche qui traversait le jardin lui appartenaient, datant de toutes les fois précédentes où Dipper était venu, soit chaque soir. Mais à peine il eut le temps de se remettre de l'escalade de la clôture de fer, le brun entendit des bruits semblables aux siens. Il se retourna et aperçut Mabel. « Dipper, mais qu'est-ce que tu fiches ici ? » demanda-t-elle en s'agrippant à la barrière métallique, prête à la franchir à son tour. « Toi qu'est-ce que tu fais là ? Tu devrais être au lit ! » accusa son jumeau fronçant des sourcils. « Des réponses frangins, des réponses ! Je t'ai entendu sortir de la maison, et je te retrouve devant cette... maison abandonnée ! Dis, est-ce que tu fais parti d'une secte... ? » L'inquiétude que Dipper pouvait constater dans le ton que prenait la brune le calma dans sa panique. Il regarda sa sœur le rejoindre de l'autre côté de la clôture en cherchant une réponse correcte. « Bien sûr que non, je ne fais parti d'aucune secte. Mais... Depuis quelques temps déjà, je rends visite à quelqu'un. Il vit tout seul ici. » Mabel pencha la tête sur le côté, surprise. « Quelqu'un ? Ici ? Qui ça ? » Une poignée de secondes s'écoula tandis qu'il lui prenait la main de manière rassurante. « Si je te le présente, tu me promets d'en parler à personne, d'accord ? Ni à Ford, ni à Stan. » Ses lèvres se crispèrent. « Mais de qui parles-tu bon sang, Dipper ? » Il ne répondit pas tout de suite. Il se demandait si Bill n'allait pas trop lui en vouloir d'être non seulement en retard de quatre heures, mais en plus, de ramener sa sœur. Finalement, il fit son choix. « Bill Cipher, c'est un démon. Il vit ici depuis plusieurs années et depuis Halloween, je dois lui rendre visite chaque soir. Mais il est gentil avec moi, alors je ne vois pas pourquoi il ne le serait pas avec toi ! » Son sourire fit tressaillir Mabel. « Mais Dipper, les démons n'existent pas... Pas plus que les gnomes et les licornes... ! » Son frère la tira jusqu'à la villa. « Je te promets, ils existent ! Viens avec moi je vais te le prouver ! » Peu enchantée, elle se laissa faire et suivit son jumeau jusqu'à l'étage supérieur.

Au fond du couloir, Dipper toqua à la porte – deux fois pour prévenir de son arrivée – et l'ouvrit doucement. « Mabel, attends-moi là, je reviendrais te chercher dès que j'aurai fini de lui parler. » Elle hocha prudemment la tête et regarda son frère fermer la porte entre eux. « Bill ? Désolé de ne pas être venu plus tôt... Et aussi, j'aimerai te présenter quelqu'un, j'espère que ça ne te dérange pas... » Le démon était assis sur le canapé où s'asseyait Dipper, d'habitude, et sursauta en remarquant la présence de son invité. « Pinetree, ça fait des heures que je t'attendais ! » s'énerva le démon en se levant, rouge de colère durant l'espace d'un instant. Puis, dès qu'il sentit son cher humain dans ses bras, il redevint serein. L'odeur de ses cheveux l'avait calmé, tout comme la couleur relaxante de ses yeux noisette. Bill était soulagé d'enfin pouvoir apprécier son petit pin. Dipper ne bougeait pas, comme figé par cette étreinte aussi inattendue qu'agréable. Il ne se débattit pas comme la première fois, car cette fois-ci, il savait que le démon n'avait pas l'intention de lui faire du mal. Finalement, après quelques longues minutes, il se détacha du plus jeune et son regard s'assombrit. « Pourquoi es-tu en retard ? » Le jeune Pines baissa la tête, honteux, sans s'expliquer. « Je sais que tu le penses, mais je veux t'entendre le dire de ta propre bouche. » susurra-t-il à son humain d'une manière sévère. Il ferma les yeux et prit une profonde inspiration. « Je ne voulais pas venir. Mais je m'en suis voulu, alors me voilà... Désolé Bill. » Mais le démon savait que Dipper se doutait que ça ne s'arrêtera pas là. Sous les tremblements du jeune brun, le blond retira son gant avec ses dents et vint caresser la joue de son Pinetree, comme pour le rassurer. Son indexe vit rencontrer les lèvres de l'humain, tétanisé, comme un baiser papillon du bout des doigts. Dieu ce qu'il avait les lèvres douces, se disait Bill en lui attrapant le menton. Cependant, il ne l'embrassa pas, pas par manque d'envie, mais par manque de concentration.

« Tu avais bien dit que tu voulais me présenter quelqu'un... N'est-ce pas ? » Dipper entrouvrit légèrement les paupières, avant d'acquiescer d'un faible hochement de tête. Il ne se donna pas la peine de lire dans les pensées confuses de son humain, préférant se garder la surprise en ouvrant la porte d'un coup de magie. Mabel, qui n'avait pas bougée, sursauta en voyant l'ouverture de bois s'ouvrir à la volée, et pourtant, son frère était trop loin dans la pièce pour l'avoir fait lui-même. Bill leva un sourcil, curieux, tandis que ses saphirs dévisageaient la petite humaine ressemblant comme deux gouttes d'eau à son Pinetree. « Mabel, je te présente Bill Cipher. Bill, voici ma sœur jumelle, Mabel. » La brune se mit à trembler. Inquiet, son frère s'éloigna rapidement de son hôte et lui murmura de ne pas avoir peur. « Mais Dipper, il n'y a personne dans la pièce à part toi et moi ! » Il se retourna vers le démon. « Quoi ? Non, non il est juste là, tu ne vois pas ?? » Elle secoua la tête en reniflant, manquant de se mettre à pleurer. Elle avait peur pour son frère, peur qu'il voit des choses étranges. Peur que ça recommence... Elle prit doucement la main du garçon dans la sienne, comme pour le consoler. « Tout va bien Dippy, je vais prévenir oncle Ford et oncle Stan et on trouvera une solution pour t'aider... » Il fronça des sourcils en reculant de deux pas. « M'aider ? Mais en quoi ! Il est juste là ! Bill, dis-lui quelque chose ! » Le démon se contenta seulement de prendre place dans son fauteuil, et croisa des jambes avec un faible sourire. Dipper se sentait trahi. « Viens, rentrons. » murmura-t-elle en l'invitant à sortir. Son jumeau la suivit sans s'empêcher de foudroyer Bill du regard.

Et bien vite, Noël arriva. Il faisait déjà sombre lorsque Dipper décida de s'assoir sur le rebord de sa fenêtre pour regarder la neige tomber avec air mélancolique. « Dip-Dop ? » risqua de demander Mabel en ouvrant la porte de la chambre de son frère. « N'oublie pas de prendre ton médicament... » continua-t-elle avec un sourire patient, ses yeux fixant tristement la boîte de pilules sur la table de nuit, ainsi que le verre d'eau encore plein, prouvant qu'il ne l'a pas encore prise. Le jeune brun ne détourna par le regard de l'extérieur, comme s'il était fasciné par quelque chose que seul lui pouvait voir. « Pas maintenant, j'ai encore envie de le voir quelques minutes... » La fille savait qu'il allait la prendre alors elle n'insista pas, disant simplement une bonne nuit avant de refermer la porte derrière elle. Dipper n'éloigna pas son regard de la fenêtre triangulaire de sa chambre. Il détaillait d'un œil attentif la silhouette qui se tenait dans le jardin, la tête levée dans sa direction. Malgré la pénombre, ses yeux saphir brillaient d'une intense lueur presque irréelle, si ce n'était déjà le cas. Le démon finit, une petite poignée de minutes plus tard, par baisser la tête avec le regard vide. Son humain savait ce qu'il voulait dire, et il n'en était pas enchanté également. Il se refusa de prendre son médicament, ce qui fit soupirer Bill.

Dipper ferma les yeux quelques secondes, fatigué, puis les rouvrit en sentant la chaleur de l'étreinte par derrière. Tout ça paraissait si réel... Le démon plonga son nez dans le creu du coup de Dipper pour sentir son odeur - n'était-il pas dehors, dans le jardin, quelques secondes plus tôt ? - ce qui le fit frissoner de plaisir. C'était chaud, c'était bon. Le brun se laissa faire, apaisé. Mais cette chaleur... Ce sentiment... Lui...

Tout était dans sa tête.

« Désolé de ne pas te l'avoir dit plus tôt...» il soupira en sentant le corps de son humain trembler. Bill approcha ses lèvres tout près de l'oreille de Dipper pour lui susurrer d'une voix délicate quelque chose qu'il s'était privé de dire depuis tout ce temps, quelque chose de rassurant et d'excitant à la fois. Une toute petite chose. « Je t'aime, Pinetree... »

Tout ça paraissait si réel... Donc, ça ne l'est pas ?

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