Chapitre 4

Lewane

Le prochain qui me dit que je dois sortir de mon lit et aller de l'avant, je l'extermine avec un pied de tabouret !

Comment est-ce que je pourrais « aller de l'avant » ? Et dans quelle direction devrais-je « aller » maintenant que j'ai tout perdu ? Tous les gens à qui je tenais, le Royaume qui aurait dû être le mien et même ma raison d'exister.

Je vais rester au fond de mes draps et attendre la mort ainsi, qu'est-ce que je suis censé faire d'autre ?

J'entends Acile entrer discrètement dans la chambre. Elle dépose un plateau sur le bureau, récupère le précédent auquel je n'ai pas touché et sort de la pièce en toute hâte.

Je referme les yeux. J'essaie de dormir le plus possible, espérant plonger dans un souvenir où je pourrais voir Mathioé, mais en vain. Je n'ai eu aucun souvenir depuis Velatour. Je suis perdue, j'essaie de comprendre comment cela fonctionne, j'y mets tout mon cœur, mais je n'y arrive pas et des larmes s'écoulent jusqu'à tremper mes draps.

Engloutie par le désespoir, je tape frénétiquement les oreillers de mes poings rageurs.

Je vais dormir ! Je vais avoir des souvenirs ! Je le veux, par les dieux des saisons ! Je le veux !

Je m'assoie avant de plonger ma tête dans le pauvre oreiller que je martyrisais quelques secondes auparavant et étouffe un cri qui sort tout droit de mes entrailles.

Je ne parviens pas à sortir de ma tête le visage d'Aliarena, de Matioé,...et dire que tout ça est de ma faute. Ali devrait vivre paisiblement dans sa cabane avec Teren et Mathioé devrait protéger les gens de Velatour. Encore une fois j'ai chamboulé tout ce qui aurait dû être à moi toute seule. Comment une seule personne peut provoquer une pagaille pareille ? Est-ce que ma Destinée touche à sa fin, est-ce que j'ai fait assez de mal autour de moi pour satisfaire les Graveurs de Sang ou vais-je encore provoquer le chaos pour tous ceux qui s'approcheront de moi, de près ou de loin ?

Je croyais très sincèrement bien faire, je pensais pouvoir aller contre ce qui était écrit et j'ai couru tête baissée dans la gueule du loup.

Tenez, voici la Promise Sang qui était si bien cachée, allez-y massacrez-la et détruisez mon Royaume ! Soyons fous !

Mon sang bouillonne dans mes veines à m'en faire mal aux tempes.

Je désire tellement me rattraper, je ne peux pas revenir en arrière et effacer mes fautes, alors il faut que je trouve un moyen de sauver ce qui peut encore l'être.

Mauvaise idée, tu ne vas faire qu'empirer les choses une fois de plus.

Les gonds de la porte grincent une nouvelle fois.

— Acile, je n'ai ni faim, ni soif et je veux qu'on me laisse en paix ! m'époumoné-je en balançant mon oreiller en direction de la personne qui s'avance dans la pièce.

— Len, calme-toi ! Je sais que tu m'as surnommé « oreiller » lors de notre première rencontre, mais ce n'est pas utile de m'en envoyé un en pleine face à chaque fois que tu me vois.

Je me relève sur les coudes pour apercevoir le visage d'Elion dans la semi-obscurité de la pièce. Je lui offre un regard froid tandis qu'il s'approche en passant nerveusement une main dans ses cheveux.

— Je peux ? me demande celui-ci en pointant le lit de son index.

Devant mon mutisme, il décide de s'asseoir faisant tanguer le matelas.

— Ecoute, commence-t-il en cherchant ses mots, je comprends que tu sois fatiguée, perdue et triste, mais...

— Je ne suis pas fatiguée, perdue et triste le coupé-je sèchement, je suis en colère, en colère et en colère !

— D'où l'oreiller volant, se contente-t-il de commenter dans sa barbe, un sourcil relevé.

— Tu peux sortir de la chambre maintenant, il m'en reste un autre en réserve, je le menace en me laissant retomber sur le matelas.

— Je voudrais bien Len, mais je t'ai déjà laissé trop de temps.

Je l'entends expirer bruyamment et je le connais assez pour savoir qu'il fait cela pour se calmer avant d'annoncer quelque chose qui n'est pas plaisant.

— J'ai parlé avec Mathioé avant que... enfin, il va falloir qu'on éclaircisse certains points avec toi, c'est urgent Len.

A l'évocation de son nom je me redresse instantanément, mes cheveux en bataille me barrant le visage. Je les repousse rageusement pour affronter le regard d'Elion qui se veut pourtant bienveillant.

— Il a dit des choses étranges à ton sujet et il faut que nous puissions établir la vérité, c'est extrêmement important pour la suite de...la suite de ce conflit.

Je reste de marbre, ne sachant pas de quelle vérité il s'agit. Quand nous sommes partis de Velatour en toute hâte, j'étais si abattue que je suis restée en état de semi-conscience durant les trois jours qu'il nous a fallu pour rejoindre Méramar. Je ne saurais dire si c'était la blessure physique ou la blessure de mon âme qui m'avait plongé dans cet état catatonique, mais le fait est que je ne parvenais pas à sortir de mes ténèbres. Je me souviens simplement avoir été soigné dans la précipitation, qu'Elion m'a gardé près de lui durant tout le chemin et qu'il me parlait sans arrêt, cherchant sans doute à m'ancrer à la réalité pour que je ne me laisse pas envahir par la mort. Abattue et vidée de mes forces, je n'ai pas compris ce qu'il me murmurait, mais je sais que cela m'a aidé à résister. Peut-être m'a-t-il avoué à ce moment-là ce qu'il savait, mais je ne saurais le dire et je plonge dans ses yeux océan pour essayer de comprendre.

— C'est délicat, tu sais, tout le monde parle à Velatour, les bruits de couloir s'amplifient et il devient difficile de te protéger.

— ..me protéger ? je le reprends, dubitative.

Il sillonne de nouveau ses cheveux de ses doigts tendus par l'anxiété.

— Voilà, Mathioé nous a dit que tu étais l'héritière de Velatour. La fille du Grand maître Kamien. Est-ce que c'est vrai ?

C'est quoi cette histoire ? Pourquoi Mathioé lui a-t-il avoué cela ?

La bouche entrouverte par la surprise, aucun son ne parvient à sortir de ma bouche. Les intrigues, la politique, les stratégies ce n'est pas mon fort. Et encore moins en ce moment où mon cerveau semble perdu dans un brouillard d'incompréhension. Avec une épée, je peux vaincre une armée, mais avec des mots j'ai déjà un pied dans la tombe.

— Les habitants de Velatour et les dignitaires de Méramar réclament ta tête et si tu ne m'aides pas, je n'arrive pas à les empêcher de t'emmener à l'échafaud.

Par les dieux de l'hiver ! Je ne m'attendais pas à cela !

— Ils veulent me tuer Moi ? Et Arconia ? Et Saxtis ?

Mon ami secoue la tête en fixant mes couvertures. Il ne parvient plus à soutenir mon regard.

— Ils sont intouchables pour le moment, bien trop puissants. Nous sommes partis en armée conquérante et nous sommes revenus décimés, Len. Les femmes et les enfants de Méramar ont perdu leurs maris et leurs pères. Ils sont en colère, ils sont tristes et ils crient vengeance. Arconia et Saxtis sont loin, mais toi tu es ici, juste sous leur nez.

Je me lève d'un bond, l'adrénaline ayant terrassé toute trace de torpeur. Quelques minutes auparavant j'avais décidé de me laisser mourir au fond de ce lit, mais savoir que je devrais payer pour un crime que je n'ai pas commis a ravivé en moi une flamme qui dormait bien tapis au fond de mes entrailles. Je déteste l'injustice et j'en ai marre d'être toujours celle qui passe après le bien des autres, celle dont on sacrifie la vie. J'ai fait des erreurs, je n'ai pas fait les bons choix, je me suis égarée, mais à aucun moment je n'ai voulu ce qu'il s'est passé. Je voulais juste les sauver, les sauver tous ! Et maintenant on veut me faire porter le chapeau et se servir de moi pour assouvir une vengeance absurde.

— Je ne les laisserais pas faire, je te jure, je vais me battre pour toi, mais...

Elion se lève à son tour et s'approche dangereusement de moi alors que je commence à trembler de frustration.

— ...il faut que tu m'aides sur ce coup-là, me demande-t-il la mâchoire serrée. J'ai perdu Ali, je ne peux pas te perdre toi aussi.

Un voile de tristesse traverse ses iris alors qu'il dépose sa main trop froide sur mon épaule à peine couverte. J'avais oublié que je ne portais que ma chemise de nuit et je me sens tout à coup nue et vulnérable sous son regard. Je repousse sa main sans douceur avant de saisir la couverture de mon lit et de m'enrouler maladroitement dedans.

— Tu aurais peut-être dû y penser avant d'amener cette satanée armée jusqu'à nous ! m'emporté-je.

— Nous ? me reprend-il, étonné par ma réponse. Qui NOUS ? Velatour ? Les Sang Royaumes ? Ou tu veux peut-être dire Mathioé et toi ?

Mon cœur se comprime dans ma poitrine.

Mathioé et moi...

Je ressens la tension dans sa voix ; cette jalousie qui a pris possession de ses veines en prononçant ces mots, cette colère froide qui déferle sur son être alors qu'il tente de comprendre.

— De quel côté es-tu bon sang Lewane. Je ne comprends plus rien. Est-ce que tu es l'héritière de Velatour ?

Il me dévisage en silence, attendant que je réfute ses dires, que je me positionne derrière lui, que je renie mes origines pour me lier à lui.

Je hoche ostensiblement la tête. Maintenant que mon Royaume est en cendre, mon esprit commence à réaliser qui je suis. Tout ce que j'ai essayé de cacher, de refouler, de noyer car il était trop difficile de gérer ma véritable nature, je l'avoue enfin. Autant pour le jeune homme aux traits tirés qui me supplie silencieusement de lui dire la vérité, que pour moi.

— Je suis la fille du Grand Maître Kamien, unique héritière de Royaume de Velatour. Et je suis fière de représenter mon Royaume !

Je pensais que le dire à haute voix me brûlerait les lèvres, mais au contraire une fierté à peine dissimulée gonfle mon égo et ma poitrine.

Elion semble sonné, les cernes qui cerclent ses yeux se creuse encore plus alors qu'il énonce d'une voix glaciale :

— Lewane, tu es attendue dans une heure devant le conseil pour que nous décidions ce qu'il adviendra de toi. 

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