Chapitre 8 - Nova
Contente de la stupéfaction des autres héritiers à la suite de son annonce, Isalys prend sa cousine par le bras et regarde son triton tellement mal que même s'il avait voulu rester pour entendre la fin de la discussion, il ne l'aurait pas fait. Levant les yeux au ciel, je parcours la salle des yeux retenant à grand peine une grimace entre l'amusement et la pitié. Hormis le fait que certains soient choqués qu'Isalys décide de rentrer sur sa planète, je vois certaines personnes se mettrent à discuter entre elles comme si elles trouvaient l'idée bonne. Heureusement qu'ils ne sont pas de Milésis, ils ne seraient pas restés longtemps sur ma planète s'ils sont aussi trouillards que ça.
— Je n'ai jamais demandé votre aide, répété-je d'une voix dure, alors je vous conseille de sortir de cette pièce et de laisser mon peuple régler cette histoire seul. Ne comptez pas sur moi pour vous aider si c'est un membre de vos peuples qui se fait tuer.
Même si elle se trouve derrière moi, je peux presque voir Freya lever les yeux au ciel. Je la connais beaucoup trop bien. Elle doit être en train de se dire que j'exagère et qu'à ce rythme là, ce n'est pas les Traditionalistes qui vont causer la guerre mais moi. Les bras croisés sur la poitrine, je leur lance mon regard de dictatrice qui en fait déglutir plus d'un. Ils commencent alors tous à sortir de la pièce, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les membres du Conseil des Planètes. Les choses sérieuses vont enfin commencer.
— Vous me cachez quelque chose, déclaré-je sans même leur demander si c'est vrai. Je veux savoir de quoi il s'agit.
— Je ne sais pas de quoi vous parlez princesse, répond la représentante de Mytgia.
— Vous oubliez que je peux vous obliger à dire la vérité. Vous feriez mieux de me le dire de votre plein gré.
Mon regard se pose alors sur Clark, le représentant d'Eclysia. Il nous a menti ce matin, il est temps qu'il me dise tout ce qu'il sait. Lorsqu'il se rend compte que mon regard reste figé sur lui, il appelle ses collègues au secours d'un regard mais ils ne réagissent pas, ce qui l'oblige à retourner son attention sur moi.
— J'étais le petit ami de Karleya.
Une milésienne et un eclysien ? Quelle horreur, je ne veux même pas imaginer à quoi aurait pu ressembler leur gosse. Mais attendez, ce qu'il dit est impossible. Karleya avait un fiancé sur Milésis, ils devaient se marier dans les mois qui arrivent. Pourquoi jouait-elle sur deux tableaux ?
— Mais encore ? l'incité-je à continuer.
— C'est lui qui a trouvé le corps de Karleya en premier, assène l'epsylonien.
Outre le fait que je me doutais déjà de ce qu'il vient de me dire, ce qui me dérange le plus est le fait que ce ne soit pas Clark qui me l'ai annoncé mais quelqu'un d'autre et que tous les autres paraissent choqués qu'il m'ait révélé ça.
— Non mais ça va pas ! Pourquoi tu lui as dit ?!
— Parce que c'est la vérité et que j'aimerais bien éviter de me mettre Milésis à dos. Je tiens à la vie.
Un petit égoïste, j'aime ça. Un sourire hautain sur les lèvres, j'acquiesce et me tourne vers l'eclysien.
— Je ne sais plus si je vous ait mis au courant mais une unité spéciale de Milésis est actuellement en route pour l'Ambassade avec comme mission de clôturer cette enquête et d'arrêter le meurtrier. Ils seront beaucoup moins patients et indulgents que moi alors je vous conseille de tout me dire tout de suite.
— Parce que vous êtes patiente vous peut-être ? intervient la représentante d'Icly. Sa petite amie est morte et vous l'harcelez depuis ce matin pour qu'il vous dise des choses qui lui brise le cœur.
Pour qui elle se prend ? Ce n'est pas parce qu'elle fait partie du peuple de Freya que je vais être indulgente avec elle. Avec un visage impassible et mes yeux lançant des éclairs, je m'approche d'elle. Je retiens un sourire en voyant de la peur s'insinuer dans ses prunelles de chat et m'arrête à quelques centimètres de cette insolente, qui recule de quelques pas. Ne bouge plus. Soumise à ma volonté, elle essaie en vain de se déplacer, jetant des regards un peu effrayés aux autres membres du conseil.
— Non, je ne me considère pas comme patiente, dis-je en faisant courir mes ongles sur sa joue. Cependant, je le suis beaucoup plus que l'unité spéciale qui a été envoyée, sans compter que le père de Karleya arrivera bientôt aussi. Il a très envie de se venger et vous savez tous comment on procède sur Milésis.
Ma main, que j'avais serrée autour de cou de l'iclyenne, la relâche et la jeune fille tombe par terre, la respiration saccadée à cause de mon petit étranglement.
— Maintenant parle, ordonné-je à Clark.
— Elle m'avait dit il y a quelques jours qu'elle était enceinte mais hier elle m'a dit qu'elle avait quelque chose à me dire, soupire-t-il. Quand j'ai vu qu'elle ne venait pas dans ma chambre j'ai décidé de partir à sa recherche et c'est là que j'ai... découvert son corps.
Ignorant totalement son air désespéré et triste ainsi que la détresse dans sa voix, je m'éloigne de l'iclyenne pour m'approcher de lui et le pousse violemment contre le mur.
— Et tu ne pouvais pas nous dire ça avant espèce d'imbécile ?
— Princesse ! Il a perdu sa petite amie et son enfant il y a peine quelques heures ! Vous pourriez le comprendre.
C'est encore l'iclyenne qui parle. Je souris en entendant tout de même un peu de peur dans sa voix. Elle commence à comprendre que je ne suis pas comme Freya, parfait.
— Encore faudrait-il que l'enfant soit de lui.
Moi, méchante ? Pas du tout. Je n'ai pas besoin de faire face aux autres membres du conseil pour savoir qu'ils me regardent tous comme si j'étais un monstre, le regard mortifié de Clark me suffit largement.
— Quoi ? Tu n'es pas au courant qu'elle était déjà fiancée et qu'elle allait se marier ? Tu es sûr que vous sortiez vraiment ensemble ?
Pendant quelques secondes, j'ai la vague impression de salir la mémoire de la milésienne avant de chasser cette idée de ma tête. Je veux juste pousser l'eclysien à bout pour qu'il me dise enfin toute la vérité.
— Vous mentez.
— J'admets avoir des défauts, mais le mensonge n'en fait pas partie. Je préviendrai l'unité d'élite de venir vous interroger dès qu'elle sera arrivée. En attendant, j'ai autre chose à faire.
Les laissant seuls dans la pièce avec Clark en état de choc à cause de ce que je viens de lui dire, je parcours les couloirs de l'Ambassade pour retourner dans ma chambre. Arrivée dans l'aile des dortoirs sans avoir mangé, je me rappelle que selon les règles qu'on nous as dites lorsque nous sommes arrivées. Les héritiers sont tous censés manger ensemble.
— Tant pis, marmonné-je.
Ce n'est que lorsque je suis presque arrivée vers la porte de ma chambre que je remarque le triton posté dans l'ombre et qui avait visiblement l'air de m'attendre.
— Il faut que je vous parle princesse, dit-il d'entrée de jeu.
Au moins il va droit au but, il ne va pas me faire perdre trop de temps. Bon, ce n'est quand même pas grâce à ça que je vais être gentille avec lui. Maintenant que j'y penses, il me vouvoie d'habitude ?
— Non ce n'est pas moi qui ai demandé à ce qu'ils servent du poisson au repas de ce soir et non je ne leur demanderai pas d'arrêter d'en préparer. Maintenant laisse-moi tranquille.
— Ce n'est pas pour ça que j'ai besoin de te parler, soupire-t-il en posant la main sur la porte pour m'empêcher de l'ouvrir.
— Pourquoi alors ? J'ai autre chose à faire.
— Isalys veut qu'on retourne sur Atlantia et c'est hors de question que je retourne là-bas. Je veux que vous la fassiez changer d'avis pour qu'on reste ou au moins que je puisse rester.
Et il ose venir me déranger pour ça ? Sérieusement ? Tout le monde serait enchanté que cette pimbêche parte de l'Ambassade. Elle énerve tout le monde, pire que moi. D'un autre côté, je me demande aussi pourquoi il a l'air de tenir autant à rester ici. Il y a comme de la supplication dans son regard, ce qui me fait hausser les sourcils. Je suis au courant que les hommes détestent vivre sur Atlantia parce qu'ils y sont traités comme des êtres inférieurs, à peine au-dessus des nymphes qui sont utilisées comme esclaves. Mais de là à me demander de convaincre la sirène de rester, je suis sûre qu'il y a une histoire louche derrière ça.
— Qu'est-ce qui te fais croire qu'elle va m'écouter ? lui demandé-je, l'air suspicieux.
— Vous êtes la princesse de la planète la plus puissante du système solaire. Je suis certain que vous réussirez à trouver un argument pour la convaincre de rester.
La flatterie maintenant ? Il pense vraiment que ça va réussir à me convaincre ? Je sais que j'ai la réputation d'être égocentrique mais quand même. Cette sirène stupide est décidée à me faire du tort de toutes les manières possible et inimaginables et je ne compte plus le nombre de fois où elle a failli découvrir ma relation avec Freya. Plus tôt elle partira, plus ça m'arrangera.
— Pourquoi est-ce que je ferais ça ? Ce n'est pas dans mes intérêts qu'elle reste ici.
— Pour ne pas avoir ma mort sur la conscience ? propose-t-il.
Le mensonge ? Il compte m'amadouer avec les sept péchés capitaux ? Il pourrait au moins apprendre à mentir. Il n'est vraiment, mais alors vraiment pas convainquant. Il n'arrive même pas à me regarder dans les yeux. On va voir jusqu'où il est capable d'aller.
— Explique-toi.
— A condition que vous me promettiez de ne rien dire à personne.
Lorsqu'il me voit hausser les sourcils d'un air incrédule, il soupire avant de se lancer dans ses explications.
— Je pense que vous êtes au courant mais les tritons sont une espèce considérée comme inférieure sur Atlantia. Mes parents voulaient à tout prix avoir une fille mais ils n'ont eu que moi, je suis une honte pour eux. Il y a une tradition dans certaines familles de sirènes qui veut que les tritons passent une épreuve lorsqu'ils sont adultes pour prouver qu'ils ont le droit de vivre. Pour ma part, je dois rester ici jusqu'à la fin de l'Ambassade si je veux rester en vie.
Je suis au courant de cette tradition un peu barbare, il y a donc un peu de vérité dans ce qu'il m'a dit mais je l'ai vu tiquer à plusieurs reprises, comme lorsqu'il a dit être triton unique. Il a une demi-sœur qui fait partie du Conseil des Planètes en plus. Je n'ai pas l'impression que son épreuve pour rester en vie se résume à ce qu'il m'a dit.Cet homme n'est pas honnête avec moi.
— Tu espères m'attendrir avec ton histoire ? Ta vie privée ne m'intéresse pas. Tu peux mourir, ce n'est pas mon problème.
Remarquant qu'il a toujours la main posée sur la porte, j'ignore son regard surpris et affolé pour lui faire une clé de bras et le dégager de mon passage. Je ne sais pas à quoi il s'attendait en venant me voir mais il a perdu son temps.
— S'il-vous-plaît !
Son ton désespéré me fait me retourner pour le regarder. Il a l'air terrorisé. Qu'est-ce qui peut bien l'attendre sur Atlantia qui lui fait si peur ? Finalement, je m'en fiche mais si je l'aide, il pourra peut-être m'aider plus tard.
— Tu auras une dette envers moi si je fais ça, annoncé-je.
— Tout ce que vous voulez.
Un sourire hautain sur les lèvres, je rentre dans ma chambre pour me doucher et me changer. Avoir un atlantien qui a une dette envers moi peut être une très très bonne idée.
***
Un peu plus tard dans la soirée, je décide de sortir de ma chambre et d'aller dans la salon où j'ai passé mon après-midi pour rejoindre Lorcan et Freya. J'aimerais bien pouvoir passer la soirée en tête-à-tête avec elle mais vu mon comportement d'aujourd'hui, elle ne voudra pas. L'inconvénient de sortir avec une fille trop gentille. Elle n'aime pas quand je suis trop méchante. Alors que je suis à un niveau de méchanceté plutôt bas depuis ce matin. Arrivée dans la pièce, les conversations s'arrêtent et tous les regards se tournent vers moi, celui de mon ami d'enfance eclysien et de sa sœur me lançant des éclairs. Ne me dites pas que Clark est allé se plaindre ? Déjà blasée de la conversation qui va suivre, je m'avance vers le canapé où ma blonde platine est assise avec son fiancé aussi insignifiant qu'une pierre sur une comète. Apercevant Isalys un peu plus loin, je fais juste signe à mes amis pour rejoindre la sirène.
— On peut se parler ? Ton triton est venu me voir.
La Cristalia me regarde d'un air surpris avant d'acquiescer et de s'éloigner encore un peu plus des autres et de me regarder.
— T'as cinq minutes princesse. Mon spationef va bientôt atterrir. Kevran est venu te parler ?
— Oui, je sais pas pourquoi moi d'ailleurs, il est vraiment lourd.
— Je sais. Pourquoi ?
Je peux presque lire dans ses yeux une sorte de peur, comme s'il était au courant de l'un de ses secrets et qu'il aurait eu la possibilité de m'avouer. Intéressant.
— Il est venu me raconter sa vie pour que je te fasse changer d'avis et que vous restiez à l'Ambassade. Apparemment sa famille va le tuer s'il rentre chez lui avant la fin de la cohabitation. Vous êtes vraiment des psychopathes sur Atlantia, on vous l'a déjà dit ?
— Non, répond-elle. Pourquoi tu me dis ça, tu ne gagnes rien à ce que je reste.
Fixant ses prunelles, je la laisse réfléchir à la possibilité que je lui mente ou que je cherche à lui mettre à l'envers.
— Parce que maintenant que je t'ai dit qu'il voulait rester, il a une dette envers moi. Tu savais que selon les lois de l'Ambassade, si un héritier part de son plein gré avant la fin des trois mois c'est Milésis qui prend le contrôle de la planète de l'héritier ? J'aime beaucoup cette règle.
Ses yeux s'arrondissent alors comme si elle comprenait enfin pourquoi jamais aucun héritier n'avait quitté l'Ambassade avant la fin de la période obligatoire. Elle commence alors à me fusiller du regard, comme si sa pauvre planète pleine d'océans pouvait m'intéresser.
— Tu rêves si tu crois que je vais te laisser ma planète.
— J'en veux pas de ta planète, la contredis-je. Mon père en revanche, il la veut depuis un bon moment. Quand je prendrais la tête de ma planète, je me contenterais de laisser mourir la tienne et tous ses habitants. À toi de voir.
Serrant les dents, elle me laisse seule dans le coin de la pièce et part comme une furie rejoindre Kevran qui vient d'arriver vers la porte. D'un regard, je fais comprendre au triton qu'il a une dette envers moi. On va bien rigoler.
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