Chapitre 7 - Kevran

Assis dans l'un des salons de l'Ambassade avec les autres accompagnateurs, j'attends que la réunion des héritiers soit terminée pour en apprendre plus sur ce qu'il s'est passé. Isalys étant incapable de tenir sa langue, ça ne va pas être trop difficile. Ils sont enfermés là-dedans depuis le début de la matinée et c'est bientôt l'heure du dîner, je me demande bien pourquoi c'est aussi long.. Tous les autres se sont regroupés par planètes et Imalia s'est endormie à côté de moi il y a quelques minutes. Elle est peut-être la cousine de la Cristalia mais à treize ans, rester debout toute la nuit et être réveillée à l'aube parce qu'on a découvert un cadavre, ce doit être assez fatiguant. Laissant de côté la petite sirène endormie qui nous a transmis de belles informations avant le début de la réunion, j'observe les autres. Les jumelles milésiennes se sont installées le plus loin possible des autres et parlent à voix basse depuis tout à l'heure. L'eclysien a sorti un ordinateur dernier-cri pour faire des recherches dessus, et les mytgiennes se sont endormies aussi. Bizarrement, le fiancé de la Successeur, la sœur de Lorcan et son fiancé ne sont pas là. Est-ce qu'ils ont été autorisés à assister à la réunion ? Je savais que j'aurais dû me faire passer pour le fiancé d'Isalys. Lorsque Nymphéa nous a emmené devant la salle, nous nous sommes fait recaler, moi parce que je ne suis pas de sang royal, Imalia parce qu'elle est trop jeune.

Remarquant l'heure qu'il est et que je devrais normalement bientôt recevoir un coup de fil important que je ne peux pas prendre dans cette pièce, je décide de me lever pour aller dans ma chambre. Je me lève donc et me dirige vers la porte, gardée par deux soldats. Ils se jettent un regard en coin lorsqu'ils me voit approcher et l'un d'eux met son arme, une sorte de lance, au milieu de la porte pour me bloquer le chemin.

— Personne n'a le droit de sortir d'ici tant que la réunion des dirigeants n'est pas finie. Ordre du Conseil des Planètes.

— Et qui donc a donné cet ordre ? demandé-je, un sourire en coin. La directrice du Conseil est morte, je ne vois pas pourquoi je devrais obéir.

L'air choqué de l'un des gardes ne me fait ni chaud ni froid mais au vu de ses yeux rouges, je comprends qu'il connaissait la morte.

— Tu dois obéir à tous les membres du Conseil, espèce de poisson avarié.

Je me laisse insulter sans réagir, regardant le garde endeuillé. C'est parfait, plus ils sont instables émotionnellement, plus ils sont faciles à manipuler et j'ai vraiment besoin de sortir d'ici.

— Sauf que j'ai vraiment besoin de sortir de cette pièce alors laissez moi sortir, s'il-vous-plaît.

Pendant que j'étais en train de parler, je me suis concentré sur le garde silencieux depuis que je suis arrivé devant la porte. Il me regarde quelques secondes avant de se tourner vers son collègue, son regard légèrement vitreux passant inaperçu.

— Laisse-le sortir, s'il veut finir dans le même état que Karleya, c'est son problème, grogne-t-il en enlevant la lance du passage.

— Mais qu'est-ce que tu racontes ? demande son collègue. On pourrait avoir des problèmes si quelqu'un dit à notre supérieur qu'on en a laissé partir un.

— Je serai revenu avant que la réunion ne soit terminée, dis-je en jetant un coup d'œil à l'horloge numérique. Maintenant vous me laissez sortir ou je dois faire ma commission au beau milieu du salon ?

Un regard dégoûté vient se placer sur le visage des deux gardes quand je leur fais croire que j'ai besoin de sortir pour aller aux toilettes. L'un d'eux me fait alors signe de sortir en me disant de me dépêcher et que si je croisais le meurtrier de Karleya, je devrais me débrouiller tout seul. Ne vous inquiétez pas pour moi, pensé-je. Je ne risque absolument rien. Me rendant compte que je ne vais pas tarder à recevoir mon appel, je marche au pas de course pour rejoindre ma chambre avant de louper l'appel. J'arrive dans la pièce au moment où la sonnerie de mon coquillage retentit et je me dépêche de refermer la porte et de prendre l'objet qui sonne sur mon bureau.

— Allo ? dis-je en décrochant.

— Kevran ? Tu en as mis du temps, c'est la troisième fois que je t'appel, me réprimande la même voix féminine que la dernière fois.

— J'ai eu un petit contre-temps. Vous savez très bien pourquoi.

Même si elle est à l'autre bout de mon coquillage, je suis pratiquement sûr que la femme avec qui je parle hoche la tête d'un air résigné.

— Je suppose que vous n'y êtes pas pour rien.

— Mon cher Kevran, je suis aussi innocente qu'un nouveau-né. Ce n'est pas moi qui prends les décisions. De nouvelles mesures ont-elles été annoncées ?

— Pas encore. Je crois qu'ils essaient d'abord de savoir ce qu'il s'est passé avant de prendre une quelconque décision.

Un silence me répond et je comprends qu'elle est en train de réfléchir. Je me mets alors à marcher dans ma chambre, attendant de nouvelles instructions.

— Bien, recontacte-moi quand une décision aura été annoncée et s'ils te parlent de leur supposition. Ton autre mission a-t-elle avancée ?

— Pas encore. Elle n'est pas facile à approcher, que ce soit à n'importe quel moment de la journée.

— Dans ce cas, débrouille-toi pour y arriver. Tu sais ce qu'il va se passer pour nous tous si tu échoues.

Par habitude, je hoche la tête même si elle ne peut pas me voir.

— Je prends ton silence pour un oui. J'attends de tes nouvelles Kevran.

— Attendez ! Est-ce que je peux lui parler ?

— Quand tu auras avancé dans ta mission. No gyoen assen ia.

Je n'ai pas le temps de lui répondre qu'elle a déjà décroché. La mâchoire serrée, je range mon coquillage en retenant l'envie de le jeter à travers la pièce. En deux jours j'ai à peine réussi à approcher la princesse et encore, c'est grâce au bal où elle a passé la soirée à m'ignorer. Si j'avais su que ça serait si difficile de l'approcher, j'aurais laissé ma place à quelqu'un d'autre.

Sauf qu'on ne t'as pas laissé le choix, me rappelle ma conscience. Tu dois y arriver, pour elle.

Alors que je commençais à me perdre dans mes pensées, une cloche se met à sonner avant qu'une voix dans les hauts-parleurs n'appelle les accompagnateurs des héritiers à se rendre dans la salle du Conseil. Ils doivent avoir fini leur réunion. Je sors de ma chambre, les mains dans les poches pour que les personnes que je rencontre ne se rendent compte que je sers les poings d'énervement. En chemin, je croise le groupe que j'ai laissé dans le salon, les deux gardes me fusillant du regard. Je me faufile dans les rangs et rejoint Imalia, qui me regarde bizarrement. Faisant attention puisque la sirène peut lire dans mes pensées, je chasse la conversation que je viens d'avoir de ma tête pour essayer de me concentrer sur le meurtre de la milésienne.

— Où étais-tu passé Kevran ? me questionne-t-elle.

— Aux toilettes, je mens.

— Flipette. Il suffit que tu vois un cadavre pour que tu ailles te terrer aux toilettes pour pleurer ?

Si ça te fait plaisir de croire ça. Je me contente de me hausser les épaules et de continuer à marcher, jusqu'à apercevoir les portes de la salle dont on m'a refusé l'accès en début de matinée. Elles sont grandes ouvertes et les gardes nous font signe d'entrer, sans pour autant nous suivre. Je remarque directement l'absence de la princesse milésienne et d'Isalys, ce qui me fait froncer les sourcils. Je jette un coup d'œil à Imalia, qui n'a pas l'air de savoir non plus pourquoi notre Cristalia n'est pas là.

— Asseyez-vous en attendant le retour de la princesse Nova je vous prie. Elle ne devrait pas tarder.

Repérant deux chaises vides, je me dirige vers elles et m'assoit sur l'une, la sirène s'asseyant sur celle d'en face.

— Vous savez où est Isalys ? demande Nymphéa en s'approchant de nous.

Nous répondons tous deux par la négative, ce qui fait soupirer ma meilleure amie avant qu'elle ne s'éloigne vers les autres membres du Conseil des Planètes. L'eclysien se dirige alors vers la porte, qu'il ouvre pour parler aux gardes présents devant la pièce. Ils n'ont pas le temps de partir à sa recherche qu'elle arrive, perchée sur des talons de dix centimètres et habillée d'une tenue différente de celle de ce matin.

Tu crois vraiment que c'est le jour pour te croire dans un défilé de mode ?

Tais-toi Kevran. Je m'occupais de l'éducation sexuelle de Connor et j'ai décidé de me changer avant de venir.

Garde les détails pour toi.

Je grimace en me retenant de tirer la langue quand elle s'approche de moi, c'est uniquement à ce moment-là que je remarque qu'en effet, l'epsylonien n'est pas là.

— Donc, pendant que nous, on était obligé de rester dans le salon et surveillé par des gardes, toi tu t'envoyais en l'air ?

— Dans un langage moins familier Kevran, me réprimande-t-elle en regardant autour d'elle pour être certaine que personne ne m'a entendu.

Sa réplique me fait lever les yeux au ciel tandis qu'elle me fixe du regard pour me faire comprendre que je dois me lever pour lui laisser la chaise.

— Mais oui, c'est bien ce que j'étais en train de faire.

— Il ne t'aura pas résisté longtemps finalement, rigolé-je.

Elle me sourit d'un air qui veut dire je le savais déjà. Quelques minutes plus tard, Connor entre, les joues rouges écarlate lorsqu'il aperçoit la sirène. Je ne peux retenir un éclat de rire, ce qui me vaut un regard de reproche de la part de toutes les personnes présentes dans la pièce. Je déglutit en jetant un regard faussement choqué à la Cristalia.

— Elle arrive quand votre milésienne ? J'aimerais bien manger moi, dit Isalys.

— Je suis là le poisson, renchérit la princesse en arrivant. Tu t'es enfin décidée à te comporter en princesse ?

— Et toi tu t'es enfin décidée à nous annoncer ce qu'il était écrit sur le mot qu'on a retrouvé sur le cadavre de Karleya ? D'après mes sources c'était de l'ancien milésien non ?

Je pense que ça va devenir intéressant. Le visage de Nova laisse paraître son désarroi pendant quelques secondes mais elle se reprend vite et lance un regard intrigué à ma Cristalia.

— Tes sources sont bien informées. Ne me regardez pas comme ça, ajoute-t-elle en voyant tous les regards sur elle. Je voulais juste m'assurer de ne pas avoir fait d'hypothèse trop rapide. Et je suis presque certaine que le meurtre de Karleya est l'oeuvre des Traditionnalistes.

Un éclat de surprise passe sur mon visage tandis que toutes les autres personnes présentes regardent la princesse milésienne comme si elle venait de raconter la plus grosse idiotie de tout l'univers.

— Princesse ? intervient Nymphéa. Vous nous avez déjà fait part de vos soupçons avant de quitter la salle ce matin mais après quelques recherches, nous avons conclu qu'il n'y avait plus aucuns Traditionalistes dans notre système solaire et aucun vaisseau étranger n'a été repéré dans l'espace.

— Parce que vous croyez vraiment que les Traditionalistes sont aussi facilement repérables ? demande Nova. Nos ancêtres les ont peut-être tous expulsés du système solaire après la Guerre des Gemmes mais certains ont eu l'autorisation de rester dans notre système et nourrissent toujours autant de haine envers nous. L'équipe de gardes personnelle de mon père a réussi à trouver deux familles avec des racines Traditionalistes qui étaient invitées au bal d'hier soir.

— Ce n'est pas parce qu'ils ont des racines Traditionalistes qu'ils nous détestent forcément, la contredit la Successeur.

Connor, qui n'avait jusque-là pas dit un mot, lève la main - pour demander le silence ou la parole, je ne sais pas - et après avoir froncé les sourcils, se tourne vers la blonde platine.

— D'après mes recherches personnelles, environ 95% des descendants de Traditionalistes vivant dans notre système solaire souhaitent voir vos planètes tomber en ruines. Les 5% restants sont reconnaissants aux dirigeants de leur avoir donné une autre chance.

Et donc Isalys a décidé de coucher avec un mec comme ça, je m'en sentirais presque vexé. Je déteste les personnes intelligentes, elles se sentent toujours supérieur aux autres. Avec un sourire en coin, je le regarde sourire sous le regard perçant d'Isalys avant que la princesse Nova ne reprenne la parole.

— En plus, ils n'y a qu'eux qui savent encore parler l'ancien milésien.

— Tu oublies de préciser que les membres de la famille royale ainsi que certaines familles privilégiées de Milésis le parle aussi, la contredit Lorcan. On a aucune preuve que ce soit bien ses ordures qui ont tué Karleya.

Esa no prem. Keta a Ambassada ot olos semos. C'est la première. Quitter l'Ambassade ou d'autres suivront, traduit-elle.

Non mais sérieusement ? Comment ont-ils pu laisser un mot comme ça sur un cadavre ? Ils sont stupides. S'ils voulaient faire passer ça pour un règlement de comptes, c'est loupé. Feignant la surprise, je parcours rapidement la salle du regard pour voir la réaction des autres. Bien qu'Isalys et Imalia soient au courant que le message était écrit en ancien milésien, elles n'en avaient pas compris le sens et tirent une tête de dix pieds de long. Tous les autres font à peu près la même tête, de la surprise et, pour certains, de la peur.

— Que quelqu'un ose encore me dire que j'ai tort, grogne la princesse Nova. Je ne suis pas stupide au point d'accuser sans preuve. La famille de Karleya est détestée chez les Traditionalistes, et l'une des familles qui étaient invitées hier soir fait partie de celles qui la déteste le plus. Qui est l'imbécile qui a invité des Traditionalistes d'ailleurs ?

— Le Conseil des Planètes à l'unanimité, répond le représentant eclysien. Pendant le discours de bienvenue de Karleya hier soir, nous avons dû sortir de la pièce car une dispute avait éclaté entre l'une des anciennes familles de Traditionalistes et l'une des familles de vampires venant de Mytgia. Nous les avons escortés jusqu'à leurs vaisseaux, ils sont rentrés sur leur planète et...

Comme s'il se rendait compte qu'il avait oublié un détail majeur, il se tourne vers sa collègue iclyenne qui semble comprendre où il veut en venir. Chose étrange, je remarque qu'Imalia le regarde en fronçant les sourcils. Une goutte de sueur perlant sur sa tempe, je comprends qu'elle est en train de lire dans les pensées de toutes les personnes présentes dans la pièce pour essayer de trouver un indice. D'un coup de coude, j'interpelle Isalys qui, après m'avoir fusillé du regard, se tourne vers sa cousine.

— Arrête ça Imalia, lui ordonne-t-elle. Nous n'avons aucune raison de les aider. Écoutez-moi bien, tout le monde sait que la cible principale de ses barbares est la famille royale milésienne et qu'ils sont prêts à tout pour mettre fin à la lignée des Di'Myloynes. Je refuse de mettre en danger mon peuple à cause de cette réunion. Ses faces d'anémones vont croire que je vous aide à trouver le meurtrier et devinez qui va en subir les conséquences ? Imalia, Kevran et moi. C'est hors de question que les affaires de Milésis nous retombent dessus. Débrouillez-vous sans mon aide.

Alors que je suis choqué qu'elle m'est inclus dans le lot, tous les autres la regarde comme s'ils venaient seulement de se rendre compte qu'elle dit vrai. L'accompagnateur de Connor est le seul qui a l'air sceptique tandis que les autres, à part les conseillers, se regroupent par planète, ce qui fait soupirer la milésienne.

— Je ne sais pas si vous êtes au courant mais ce n'est pas moi qui ai convoqué cette réunion alors si vous voulez partir, dégagez. Mon père a déjà convoqué la meilleure police milésienne pour qu'elle vienne enquêter elle-même. on a pas besoin de vous.

— Même si tu avais eu besoin de nous, Atlantia ne t'aurait pas aidé. J'enverrai une comm-coquillage à ma mère la Diamante dès que je serai sortie de cette pièce et une navette viendra nous chercher tous les trois pour nous ramener sur notre planète.

Comment ça, rentrer à Atlantia ? Je ne peux pas y retourner maintenant ! Qu'est-ce qui va lui arriver si j'échoue dans ma mission ? Il faut que je trouve un moyen de convaincre Isalys de rester ici. C'est une question de vie ou de mort.

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