Chapitre 2 - Nova
Debout à l'entrée de la pièce, je fixe le vieil homme en fin de vie, debout au centre. Un corps fatigué, le dos voûté et plus aucuns cheveux sur le crâne. Super, notre guide est un ancêtre. Un sourire méprisant adressé à Isalys sur le visage, je prends place sur le siège libre dans l'espace réservé à ma planète sans même m'excuser pour mon retard ou pour l'avoir interrompu. Je ne m'excuse jamais.
— Princesse Nova, bienvenue parmi nous, dit le vieil homme.
Je me contente de répondre d'un hochement de tête tout en regardant de travers les autres personnes présentes dans la pièce. Je suis prête à parier que je ne m'entendrai jamais avec quelqu'un d'autre que Lorcan et la petite Iclyenne. J'adresse d'ailleurs un signe de la main à mon allié avant de me tourner vers le guide.
— Vous pouvez continuer, dis-je d'une voix hautaine alors même que je suis sûre qu'il n'attendait pas mon autorisation.
— Et bien je suis en train de présenter toutes les personnes qui ont fait l'honneur de répondre à mon appel. J'en étais à votre planète. Vous êtes donc la princesse Nova et vous êtes accompagnée des jumelles Bellona et Androma Léyan.
Je n'écoute ensuite que d'une oreille distraite les mots qu'il prononce. La planète la plus douée en matière de technologie, Epsilon, est représentée par un gosse qui ne doit pas avoir plus de 15 ans, chétif avec des lunettes bien trop grandes pour lui. Ses cheveux gris ne doivent pas avoir été coiffés depuis un petit moment et ses yeux noir parcours la salle d'un air apeuré. Ce que je peux, en soi, comprendre. Les dirigeants de cette planète, dits Professeurs, sont choisis grâce à leur QI élevé et n'y connaissent absolument rien en politique. Il est accompagné d'un autre garçon plus âgé et je ne retiens les noms ni de l'un, ni de l'autre.
La sixième et dernière planète, Icly, est la plus éloignée du soleil. Connaissant déjà Freya, la Successeur de cet astre et Iagan, son fiancé qui lui a été imposé par sa mère, je ne prête pas beaucoup d'attention aux présentations. La blonde platine, dont les cheveux sont phosphorescents, signe qu'elle est héritière de sang de sa lignée, me fixe de ses yeux de chats bleus en faisant une moue dégoutée quand le guide prononce le nom de son fiancé. Je lui ai déjà proposé à maintes reprises de le tuer pour elle mais elle n'a jamais voulu.
Une fois tout le monde présenté, le guide récupère une feuille sur son bureau et je retiens un soupir lorsque je le vois avancer ses lunettes sur son nez pour mieux lire. Il réitère son manège plusieurs fois avant de froncer les sourcils.
— Alors oui, humm, bien, maintenant que vous vous connaissez les uns les autres, nous allons pouvoir parler des quelques règles que vous devrez respecter. Tout d'abord, je m'appelle Fiel, cela pourrait vous servir. Ensuite, niveau règlement, meurtre et agression sont interdits. Vous pouvez faire ce que vous voulez de vos journées si l'on ne vous donne pas d'indications contraires mais les futurs dirigeants doivent obligatoirement passer deux heures ensemble dans la salon chaque jour. Les accompagnateurs devront également passer autant de temps ensemble dans le petit salon. Vous prendrez tous vos repas ensemble et aucune dispute n'est permise.
A ses mots, il me fixe, puis la Cristalia d'Atlantia, sans doute au courant de nos nombreux désaccords. Ce n'est quand même pas ma faute si elle se prend pour la reine de la galaxie alors que tout le monde sait que je suis l'héritière de la meilleure planète du système.
— Bien, maintenant que les choses sont claires nous pouvons faire le tour du propriétaire pour que vous ne vous perdiez pas. Si vous avez des questions, les serviteurs et moi-même sommes à votre disposition pour y répondre. Je vais d'abord vous emmenez à l'aile Est, où sont situées vos chambres. Veuillez me suivre.
Pas très habituée à ce que quelqu'un d'autre que mon père me donne des ordres, j'attends d'être la seule encore assise pour me lever. Déjà que je suis ici contre ma volonté et que je vais devoir supporter les cinq autres héritiers, il ne faut pas en plus croire que je vais faire tout ce qu'on me dit. Alors que je rejoins les autres pour cette fameuse visite, Isalys passe devant moi en faisant exprès de me fouetter avec ses cheveux. Non mais elle a quel âge ?
— Cette sirène va finir en poisson grillé dans deux semaines si elle commence déjà à essayer de te rendre la vie impossible, commente Bellona.
— Tu comptes faire quoi ? demande Androma en me regardant.
— Lui rappeler ce qu'il s'est passé la dernière fois qu'elle m'a ennuyée.
J'attends que la Cristalia prenne la tête du groupe et marche juste derrière le guide pour une petite vengeance préventive. Tombe, pensé-je en fixant son dos. Quelques secondes plus tard, la sirène se mélange les pieds à cause de ses talons et s'étale par terre. Je me retiens de rire lorsqu'elle se relève en me fusillant du regard et je prends une mine innocente que j'ai perfectionnée au fil des années. Faire des bêtises dans un palais gardé par le plus grand dictateur que Milésis n'est jamais connu n'est pas une bonne idée si on se fait attraper. Alors que tous les regards sont posés sur la sirène qui affiche une mine furieuse, je m'avance vers elle pour prendre la tête du groupe.
— Les poissons, c'est fait pour rester dans l'eau, murmuré-je en la dépassant.
Je sors de la pièce suivie par les deux jumelles et une fois que tout le monde s'est remis de la chute d'Isalys, même si Lorcan et Freya en rigolent encore, le guide, Fiel, commence à marcher à travers les couloirs, ne me soupçonnant pas une seule seconde.
— Tout est fait pour assurer votre sécurité, déclare-t-il lorsque nous passons devant un garde. Même s'il n'y a évidemment aucune raison pour que vous soyez en danger.
Surprise par l'accent qu'à pris sa voix vers la fin de sa phrase, je tourne vers lui un regard curieux. J'ai l'impression d'être la seule à avoir remarqué cet infime détail. Soit sa voix a déraillé, soit il vient d'un autre système solaire, cet accent m'est étranger. Bon, ce n'est pas très important. Chassant ce détail de mes pensées, je me reconcentre sur ce qu'il est en train de dire et grimace discrètement quand je comprends que j'ai loupé la localisation des cuisines. Après nous avoir fait monter deux escaliers et traversé un nombre incalculable de couloirs, il s'arrête devant deux grandes portes. Sur celle-ci est gravé un message en langue ancienne qui signifie Le sommeil est la meilleure réflexion pour une âme tourmentée et au-dessus de cette gravure est indiqué qu'il s'agit de l'aile Est. D'où l'expression qui parle du sommeil, si j'ai bien compris il n'y a que des chambres ici. Les portes sont surmontées d'arabesques en or et le bois est vernis et brille sous l'éclairage des néons.
— Toutes vos chambres ont étés préparées à cet étage. Vos noms sont marqués dessus et encore une fois, vous êtes priés de ne pas faire de grabuge. Les pièces ont été décorées selon les informations qui nous ont été fournies par vos serviteurs. Si cela ne vous convient pas, veuillez en avertir le personnel qui fera le nécessaire pour changer ce qui vous dérange.
Il se tait alors et deux hommes ouvrent les grandes portes menant à l'aile des chambres. J'ai vu des photos de l'endroit quand mon père est venu il y a cinquante ans mais ils ont visiblement fait des travaux depuis car les lieux ont changés, et en bien. Le sol est recouvert d'une moquette en velours rouge, les murs sont de couleur nacrée de la même couleur que le plafond et des néons nous éclairent d'une lumière tamisée. Vraiment pas mal. Pas aussi bien que mon palais, mais pas mal.
— Bien, je vous laisse découvrir vos chambres. Le repas sera servi dans une heure dans la salle à manger que je vous ai montré lorsque nous sommes venus ici.
J'espère que les jumelles ont écouté quand il a indiqué où se trouvait cette pièce parce que personnellement, je n'en ai aucune idée. Je lève les yeux au ciel quand je remarque que le futur dirigeant d'Epsilon, qui me semble être le plus jeune de nous tous, est en train de regarder le couloir comme s'il n'avait jamais rien vu de plus beau dans sa vie. Remarque, c'est peut-être le cas. A part les écrans de leurs tablettes et lunettes digitales, ils ne regardent pas grand-chose. Devançant tous les autres, j'entre la première et commence à chercher l'endroit dans lequel je vais dormir. Un détail que je n'avais alors pas remarqué me monte aux yeux.
Chaque porte a été construite selon la spécialité de chaque planète. La porte menant à la chambre de la Cristalia est en fait un énorme coquillage qui s'enfonce dans le sol pour la laisser passer quand elle montre son amulette à un scanner, celle pour entrer dans la chambre du futur Professeur d'Epsilon est constituée de toutes sortes de technologies et il doit résoudre une énigme pour pouvoir y entrer. Pour Lorcan, l'Apprenti d'Eclysia, il lui suffit de voler car l'entrée de sa chambre est située à peine plus bas que le plafond. Freya doit montrer ses yeux de chats devant un capteur d'image rétinienne pour que sa porte en minerais s'ouvre. Pour la Louvetia de Mytgia, elle doit entre l'une de ses griffes de louve-garou dans la serrure.
Je ne reste pas plus longtemps dans le couloir pour voir comment sont les portes des accompagnateurs et me tourne vers la mienne. Gravée du blason de la famille royale, une épée croisée d'un arc avec un diamant au centre, elle est ornée de la même pierre précieuse sur ses bords et en bois rouge. Pour entrer dans ma chambre, il me suffit de placer ma main sur un socle en cristal.
Une fois la porte ouverte, j'entre dans la pièce qui est à peine plus petite que celle que j'occupe chez moi. Un lit king size trône au centre du mur à ma gauche, une armoire en pin royal est placée juste en face. Un bureau à été placé dans un des coins et est recouvert de feuilles, crayons et du nécessaire. Mes valises ont été défaites et rangées en haut de l'armoire. D'immenses fenêtres se trouvent juste en face de moi, entourées de rideaux rouges. Le sol est de la même matière et couleur que celui du couloir alors que les murs sont marrons avec des arabesques jaunes dorées. Une porte juste à côté du lit attire mon attention et je me dirige vers elle avant de l'ouvrir, débouchant sur la salle de bain. Le lavabo, la douche et la baignoire sont fait en marbre blanc et le sol en carrelage blanc également. J'aime bien.
Alors que je suis en train de chercher une tenue plus confortable que ma tunique de combat pour aller dîner, quelqu'un frappe à ma porte.
— Qui est là ? demandé-je.
— Ton admirateur secret, répond une voix grave que je reconnais sans mal.
Me retenant de pouffer de rire, je vais ouvrir à Lorcan, qui entre sans même attendre mon autorisation. Les bras croisés sur la poitrine et un faux air sévère sur le visage, je referme la porte derrière lui et le regarde se jeter sur mon lit.
— Je te dérange peut-être ?
— Ton lit est plus confortable que le mien, dit-il.
— Fais gaffe avec tes serres, tu vas déchirer les draps, préviens-je en le rejoignant.
Il me regarde de haut en bas quelques secondes et je vois sa désapprobation par rapport à ma tenue. Ce n'est pas comme si j'avais eu le temps de me changer en sortant de mon stage militaire, le vaisseau dans lequel j'ai voyagé a été actionné en vitesse années-lumière, avec les jumelles nous sommes arrivées en une heure au lieu de dix.
— Tu sais ce que dirait ton père s'il nous voyait tous les deux dans une chambre sans chaperon ?
Je souris à l'eclysien en repensant au nombre de fois où mon père nous a dit cette phrase. Je connais cet imbécile depuis que j'ai dix ans, aujourd'hui j'en ai dix-neuf et lui vingt-six et pourtant, le dictateur qui est mon père est toujours convaincu que j'ai une liaison avec Lorcan.
— Que ce n'est pas digne de m'enfermer dans ma chambre en pleine journée avec mon amant, rigolé-je. C'est n'importe quoi.
— Exactement comme la chute d'Isalys tout à l'heure. Tu n'y étais pas étrangère n'est-ce pas ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles, dis-je innocemment. D'ailleurs, en parlant d'étranger, tu...
— On n'était pas du tout en train de parler de ça, me coupe-t-il.
Excédée par le fait qu'il m'ait coupé la parole alors qu'il sait que je déteste ça, je pose les main sur mes hanches en attendant qu'il arrête de se comporter comme un enfant.
— Donc je disais, tu n'as pas entendu l'accent bizarre qu'à pris le guide tout à l'heure ? le questionné-je.
— A part son accent de vieux tu veux dire ? Non je n'ai rien remarqué, pourquoi ?
— Je sais pas je le trouvais bizarre.
Je hausse les épaules et me dirige de nouveau vers mon armoire parce qu'avec son arrivée, je ne me suis toujours pas changée.
— Le décalage horaire te donne des hallucinations, si tu étais encore en train de passer ton stage tu serais en train de dormir.
— Peut-être. Tu sais où se trouve la salle à manger ?
— Bien sûr, moi j'ai écouté pendant la visite. Mets ta robe rouge, elle est trop belle.
Je regarde la robe en question et grimace avant de me tourner vers lui. Je n'ai pas mis cette robe depuis deux ans, elle ne m'ira jamais. En plus c'est une robe de bal, pourquoi je ferais autant d'effort juste pour aller dîner.
— Non, hors de question. Tu m'attends le temps que je me change ? Sinon je vais me perdre.
— Je ne bouge pas de ton lit, déclare-t-il en se couchant dessus.
Et c'est le plus âgé de nous tous. Je fouille encore un peu dans mon armoire avant de me diriger vers la salle de bain. Lorsque j'en ressort, j'ai troqué mon tenue de combat pour un jean bleu et un simple débardeur noir.
— Tu comptes faire bonne impression habillée comme ça ?
— J'ai pas besoin de faire bonne impression, je suis la princesse de la meilleure planète du système.
Il lève les yeux au ciel avant de me suivre en dehors de ma chambre. Il me guide à travers plusieurs couloirs jusqu'à la salle à manger. Lorsque j'entre, je remarque que la plupart des autres sont déjà arrivés et que nous sommes partis les derniers. Une grande table se trouve au centre de la pièce et de la vaisselle est déjà disposée sur celle-ci. Je m'apprête à m'asseoir à côté de Freya en attendant les jumelles quand le guide entre dans la pièce.
— Excusez-moi de vous interrompre. Avec les diplomates et l'accord de vos parents, nous avons décidés d'organiser un bal en l'honneur de la quarantième réunion de la paix à l'Ambassade avec cependant une petite innovation cette année. Ce sont nous qui choisirons les couples qui se présenteront ensemble demain. Vous vous doutez bien qu'ils ont été créés en fonction de l'inimitié entre vos planètes.
Super, je vais avoir le choix entre Isalys et le môme d'Epsilon, que rêver de mieux ? En soupirant, je vais m'asseoir là où je l'avais prévu sans faire attention à Fiel. Avec qui est-ce que je vais bien pouvoir me retrouver ?
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