Dès que la soldate nous annonce que Freya et Iagan ont été retrouvés, je ne peux m'empêcher d'émettre un petit soupir de soulagement. Il ne manquerait plus qu'ils se soient noyés ou une autre connerie dans le genre pour qu'Icly déclare la guerre à Atlantia, même s'il s'agit d'un accident.

Du coin de l'œil, je remarque les épaules de Nova s'affaisser, comme si le poids de sa disparition venait de quitter ses épaules. Je continue à penser que la relation entre les deux filles est vraiment bizarre. Je m'occuperai de leurs histoires d'amitiés ambiguë plus tard. Prenant les devants sur ma mère, je m'avance vers la sirène qui vient de nous annoncer la nouvelle pour lui parler. L'air préoccupé qui habite son visage ne me dit vraiment rien qui vaille et la sueur qui coule le long de son cou indique qu'elle a couru pour nous annoncer qu'ils avaient été retrouvés. Ce qui ne peut vouloir dire qu'une chose, que la successeur iclyienne et son fiancé ne sont pas au meilleur de leur forme. Qu'est-ce qu'ils ont encore fait ces deux-là ?

— Et bien parle, dis-je. Où est-ce qu'ils sont ?

Sans m'en rendre compte, j'ai serré les poings en attendant sa réponse. C'est moi qui ait organisé ce bal et je n'étais même pas présente toute la soirée. S'ils ont eu un problème, c'est forcément sur moi que ça va retomber.

— La Successeur Freya se trouve dans le bâtiment infirmier du palais, Ma Cristalia. Elle a été retrouvée inconsciente au bord de la plage, baignant dans une mare de sang. D'après les premiers rapports de nos médecins qui me sont parvenus pendant que je vous rejoignais, elle aurait été poignardée par deux fois dans le ventre. Nos médecins sont en train de s'occuper de guérir ses plaies.

Dès que la sirène a fini sa phrase, je perçois un imperceptible hoquet de douleur venant de ma droite. Nova. Je n'y fais pas plus attention que ça, légèrement intriguée de ne pas encore avoir entendu parler de Iagan.

— Et son fiancé ? demandé-je.

— Il a été retrouvé à quelques mètres d'elle. Mort. Les sirènes nécromanciennes l'ont emmené dans la crypte pour analyser les causes de la mort mais il semblerait qu'elle soit dû à un coup de poignard au niveau du cœur.

Cette déclaration me fait serrer les dents. Une héritière poignardée et son futur mari poignardé. Cette fois encore, j'attend une réaction de la part de Nova. Comme je n'en entends pas, je tourne la tête vers elle. La seule chose qui montre qu'elle a entendue la nouvelle de la mort de Iagan est la phrase qu'elle a dite ensuite.

— J'aurais toujours pensé que ça serait moi qui tuerait ce moins-que-rien.

Haussant un sourcil, je regarde ses mains trembler. Elle a l'air vraiment inquiète pour son amie. A côté d'elle, Lorcan à l'air moins secoué qu'elle. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il n'est pas touché par les deux nouvelles mais Nova a l'air bien plus à la limite de fondre en larmes que lui. Cette soudaine présence de cœur chez la princesse milésienne me ferait presque la prendre en pitié. Si j'étais à sa place et que ça serait Imalia qui serait blessée, je serais sûrement dans le même état qu'elle. Surtout que je ne suis pas certaine de réussir à faire aussi bien semblant.

Je déteste cette fille, c'est sûr et certain. Elle est belle, presque plus que moi, elle est l'héritière de la planète la plus puissante du système et en plus, elle peut sortir avec qui elle veut, ce n'est pas sa mère qui va l'en empêcher. Elle est bien plus crainte que moi et n'a même pas besoin de jouer à la pétasse sans cœur pour que les gens aient peur d'elle, sa réputation à elle seule suffit et je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi douée qu'elle pour cacher ses émotions. Je la déteste. Et peut-être que je l'admire un peu aussi, mais je ne l'avouerai jamais.

— Conduis-nous à l'infirmerie, je pense que Nova et Lorcan veulent la voir.

Lorsqu'elle entend son prénom, Nova relève la tête et me regarde en clignant des yeux. Elle n'a absolument pas écouté ce que je viens de dire. Comment s'est possible de tenir autant à une fille qui ne fait pas partie de sa famille ? Surtout quand l'on est supposé ne pas avoir de cœur.

— Bien ma Cristalia. Ma Diamante ? Le conseil vous attend en salle de réunions avec de plus amples détails.

Visiblement mécontente que le conseil ait commencé à se réunir sans elle, ma mère me jette un regard noir, comme si c'était de ma faute, et sors de la pièce.

— Nous devrons avoir une discussion toutes les deux Isalys, dit-elle avant de partir.

Quand elle quitte la pièce, je soupire d'agacement. Elle va sûrement m'interdire encore une fois de revoir Blake ou alors elle va vouloir que j'arrête de porter la gemme de prospérité comme une bague. Alors qu'elle est bien plus en sécurité sur mon doigt que sans surveillance dans la grotte aux Merveilles. D'un geste de la tête, j'ordonne à la sirène de nous conduire jusqu'à l'infirmerie puisque je ne sais pas du tout où elle se trouve. J'ai dû entrer dans ce palais quatre fois dans ma vie maximum, il ne faut pas compter sur moi pour une visite guidée. Je commence à suivre la soldate, Nova et Lorcan marchant derrière moi.

Visiblement, la princesse milésienne se retient pour ne pas dire à la soldate d'accélérer le pas. Elle n'arrête pas de poser la main sur le pommeau de son épée et de l'enlever depuis que ma mère est partie. Bien sûr, elle ne voulait pas montrer trop de signes de faiblesses devant ma mère mais devant moi, elle n'en à rien à fiche.

Devant moi, la sirène soldat n'arrête pas de se retourner vers moi comme si elle avait quelque chose à me dire. Néanmoins, dès que son regard se pose sur Nova et qu'elle remarque qu'elle est assez près de moi pour l'entendre si elle me parlait, elle se ravise. Après quelques minutes de marche, la sirène s'arrête devant une porte blanche signée d'un coquillage rose, le symbole de la médecine.

— Elle se trouve dans la chambre au fond à droite. Ma Cristalia, pourrais-je vous parler d'un autre détail concernant cette affaire ?

A côté de moi, je vois Nova hésiter à aller voir Freya, voulant sans doute connaître le détail dont je vais bientôt prendre connaissance. Milésis et Icly étant des planètes alliées, elle veut sûrement faire un rapport à la mère de la princesse assez tôt.

— Vas voir ta copine Nova, je te ferai un récapitulatif après.

Je ne sais pas trop pourquoi je me suis proposée à dire ça. Cependant, je suis certaine d'avoir vu le visage de la milésienne se crisper quand j'ai appelé Freya sa copine. Elle se reprend rapidement et entre dans la pièce en m'adressant un signe de tête. Je pose alors mon attention sur la sirène.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Nous avons de fortes raisons de penser que le meurtrier du fiancé de la Successeur est un complice de celui qui a sévi sur l'Ambassade. Nous avons retrouvé des ressemblances frappantes visibles très rapidement entre les deux cadavres, explique-t-elle. Enfin, selon les informations que Milésis a bien voulu nous fournir.

Un complice ? Pourtant Nova a affirmé que l'homme qu'elle a exécuté avait agi seul. Quand la sirène se rend compte que j'ai du mal à la croire, elle se met à chercher quelque chose dans sa poche.

— Je sais que la princesse Nova a dit qu'il n'y avait qu'un seul meurtrier mais soit elle s'est trompée, soit nous avons à faire à un copieur. De ce que je me souviens, la cadavre de la milésienne avait été retrouvé avec une profonde entaille en forme de pyramide sur le ventre, un mot en ancien milésien dans la main. De plus, elle a été tuée d'un coup de poignard en plein cœur et le cou cassé. Celui de Iagan a été retrouvé le cou brisé, un poignard planté dans le cœur, une pyramide gravée sur le ventre et un mot dans la main. A la seule différence que la pyramide a été gravée sur son ventre à l'aide d'un tison et que le mot est écrit en ancien atlantia.

— Plus personne ne sait parler en ancien atlantien de nos jours.

— Tout comme personne ne sait parler l'ancien milésien, Cristalia.

Sur ses mots, elle me tend un petit bout de papier blanc. C'est vrai que les similitudes sont frappantes. Le problème, c'est que d'après ce que j'ai entendu dire, seules les polices de chaque planète ont été mises au courant de ses détails. Si l'on prend ça en compte, ça voudrait dire que ce nouveau meurtrier est une membre de la police atlantienne. Ou comme l'a dit la soldate, un complice de celui qui est mort. Laissant ses pensées dans un coin de ma tête, je commence à déplier le morceau de papier. Écrit en tout petit dans un coin de la feuille se trouve quelques mots que plus personne ne saurait traduire aujourd'hui à part ma mère et moi.

Rales mina em. Mori tor.

Je vous avais prévenu. Il est trop tard.

— J'ordonne que la garde autour des héritiers soit renforcée. Si ma mère trouve quelque chose à y redire, dis-lui que l'ordre vient de moi et que si ça lui pose un problème, elle vienne me voir directement et qu'il hors de question que mon ordre soit levé. Fais passer le mot à toutes les soldates. Ma mère n'a pas autorité sur cette directive. Je suis la seule à pouvoir la lever. Exécution.

Surprise par mon élan d'autorité, la sirène me regarde les yeux écarquillés. Elle part néanmoins distribué mes instructions dès qu'elle croise mon regard sévère. Son pas se fait tout de même hésitant. Si elle croise ma mère et qu'elle lui rapporte ce que je lui dit de dire, elle va passer un mauvais quart d'heure. Ça l'endurcira. Maintenant, il faut que j'aille parler à Nova. J'ouvre la porte menant à l'infirmerie et me dirige vers la chambre indiquée par la garde, il y a quelques minutes. Lorsque je pénètre dans la pièce, je me retiens de justesse d'éternuer. Quelle idée d'être allergique aux produits stérilisants dans une infirmerie ? L'apprentie eclysien se tient debout pas loin de moi, les mains dans les poches et le visage pâle. En face de moi derrière une vitre stérilisée, se trouvent Nova et Freya. De l'autre côté de la pièce, une infirmière regarde des données sur une tablette.

— Hé toi, l'interpellé-je. Qu'est-ce qui est arrivé à la princesse ?

Surprise que je m'adresse à elle, l'infirmière regarde tout autour d'elle avant de comprendre qu'elle est seule. Elle s'avance vers moi et s'incline bien bas avant de prendre la parole.

— Elle a été poignardée à trois reprises au niveau de l'abdomen. Ce sont des blessures sans importance qui ont déjà été recousues grâce à la technologie médicale que nous avons reçues d'Epsilon la semaine dernière. Selon la médico-sirène, les blessures ont été causées pour l'empêcher d'aller chercher du secours et donner l'alerte, pas dans l'intention de la tuer. Nous avons néanmoins trouvé des traces de poison dans son sang, nos chimistes sont en train d'essayer de l'identifier, nous devrons la garder en observation pour le moment. Elle a perdu énormément de sang mais elle va s'en sortir. A condition que nous trouvions l'antidote.

Hochant la tête, j'ignore le grognement de Lorcan et congédie la jeune femme. Il faudra aussi que je demande à renforcer la surveillance de la chambre de Freya. Tant que Nova est avec elle, je suis à peu près sûre qu'elle ne risque rien mais on sait jamais. L'eclysien prononce alors des paroles que je ne comprends pas et sort de la pièce pendant que je m'approche de la porte en verre pour rejoindre les deux filles. Elles tournent toutes deux la tête vers moi quand elles m'entendent arriver et je retiens une expression de surprise. Allongée sur le lit médical, Freya est réveillée. Pâle comme la mort, elle peine à bouger la tête et de toute façon, même si elle l'aurait pu, Nova ne l'aurait pas laissé faire puisqu'elle la réprimande dès qu'elle voit qu'elle essaie de lever la tête.

— Je ne suis pas en sucre Nova, dit la blonde, un sourire sur les lèvres.

— Tais-toi et ne me refais pas dire ce que je t'ai dis tout à l'heure. La prochaine fois que tu me fais une peur pareille je te tue.

Sa réplique me fait lever les yeux au ciel. Ce n'est pas la première fois que j'entends cette expression mais je ne l'ai jamais comprise. Pourquoi menacer la personne de mort alors qu'elle vient d'y échapper ? Laissant ma réflexion de côté, je regarde plus attentivement Nova. Elle a pleuré. Son mascara a coulé et a laissé une traînée noire sur ses joues. Ses yeux sont rouges. Sa réaction excessive me fait froncer les sourcils. D'accord, son amie s'est fait poignarder et elle a cru qu'elle allait mourir mais tout de même pas au point de pleurer. Devant mon air perplexe, la princesse milésienne me fusille du regard.

— Arrête de me regarder comme ça Milésis. Alors Freya, toujours vivante ?

— On dirait bien, répond-t-elle d'une voix lasse. Qu'est-ce que tu fais là Isalys ? Tu t'es rendue compte que j'étais pas si nulle que ça ?

Un grognement désapprobateur monte dans la gorge de Nova et elle prend un air surpris lorsque nos deux regards se tournent vers elle.

— Quoi ?

— On t'as entendu grogner espèce d'imbécile.

Plissant les yeux, elle se tourne vers moi.

— Qu'est-ce que tu fou là Isalys ?

— J'ai des choses à vous dire.