Chapitre 11 - Kevran
Une lumière aveuglante vient agresser mes pauvres petits yeux alors même que je suis encore en train de dormir. Grommelant et injuriant la personne qui vient de commettre l'affront de me réveiller, je me frotte les yeux en soupirant. Il n'y a vraiment pas moyen de dormir correctement sur cette planète artificielle.
— Quand tu auras fini de m'insulter, dit une voix féminine, je pourrais peut-être t'expliquer pourquoi je suis venue te réveiller à l'aube. Et au passage, la prochaine fois que tu me parles comme ça, je t'expédie dans le Gouffre Sans Fin de l'Océan Reculé.
Ne me dites pas que c'est Isalys que je viens de traiter de sirène puante venant des bas-fonds et qui servira de nourriture aux piranhas quand elle sera morte ? Ouvrant prudemment les yeux pour empêcher la lumière de m'aveugler, je découvre ma Cristalia debout devant le lit, les bras croisés et le regard ennuyé.
— Qu'est-ce qui me vaut l'honneur de ta visite dans ma chambre à une heure si matinale ? demandé-je en me redressant.
— Lève-toi et enfile ton habit de funérailles pour les traîtres. Quand tu auras fini, rejoins-moi devant l'entrée de la cour intérieure.
C'est seulement à ce moment-là que je me rends compte qu'elle est un peu moins maquillée que d'habitude et qu'elle a laissé ses tenues de grands créateurs de côté pour une simple tenue bleue, mise uniquement lorsque des traîtres sont mis à mort. Sans me laisser le temps de répondre, elle se tourne vers la porte et commence à partir. Mes habits pour les traîtres ? Pourquoi donc ? Est-ce qu'ils... Non, c'est impossible ! Pas aussi vite ! Les lèvres serrées, je me redresse en sursaut dans mon lit et manque de tomber, ce qui attire sur moi l'attention d'Isalys.
— Pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe ? Je veux savoir !
— Tu le sauras quand tu arrêteras de jacasser et que tu seras dans la cour intérieure. Maintenant tu vas me faire le plaisir de bouger tes fesses et de ne pas nous ridiculiser en arrivant en retard. Ma mère a été claire, hors de question que tu ne nuises à la réputation d'Atlantia une fois de plus.
Comment ça, une fois de plus ? Elle ne peut pas se douter de quelque chose. Même si elle est plus intelligente que ce qu'elle laisse paraître, elle ne l'est pas à ce point. Les mains tremblantes, je la regarde quitter la pièce et me force à me déplacer pour aller m'habiller. J'ai vaguement l'impression que je ne vais pas aimer du tout ce qu'il va se passer.
***
Alors que je suis encore loin de la cour intérieure, je dois jouer des coudes pour pouvoir avancer. Je ne sais pas du tout ce qu'il se passe mais entre les serviteurs qui courent dans tous les sens et tous les habitants de l'Ambassade qui se bousculent pour entrer dans la cour, j'ai vraiment du mal à avancer. Le plus surprenant c'est que toutes les personnes que je croise sont habillées comme moi, en bleu avec une chemise ample et un pantalon de la même couleur.
— Poussez-vous, marmonné-je. Isalys va me tuer si je ne me dépèche pas.
Tu as bien raison Kevran, résonne sa voix dans ma tête. Si je peux entendre tes pensées malgré l'effervescence de l'endroit, c'est que tu n'es pas loin alors dépêche-toi.
Je pousse un soupir de soulagement quand je remarque un coin du couloir vide et une chevelure lavande. J'y suis enfin arrivé. Elle est entourée de ses gardes du corps et l'un d'eux lui parle lorsqu'il m'aperçoit. Elle se retourne vers moi, l'air agacée, tout en me faisant signe de me dépêcher. Il n'y a vraiment pas à dire, le bleu et ses cheveux ne vont vraiment pas ensemble.
— Il était temps, dit-elle lorsque j'arrive à ses côtés. J'ai cru que tu n'arriverais jamais.
— Il y a des bouchons dans les couloirs, ce n'est pas de ma faute.
Je l'entends soupirer et elle commence à marcher pour entrer dans la cour, escortée par tous ses gardes, qui ne font même pas attention à moi. Je dois courir pour rattraper la sirène et marche à côté d'elle pour ne pas me perdre à nouveau. Elle risquerait de me tuer si je la faisais remarqué. Pour la première fois depuis que je la connais, elle ne cherche pas à attirer l'attention sur elle. Même si elle marche la tête haute, elle cherche à se fondre parmi ses gardes pour qu'on ne la remarque pas trop, ce qui est bizarre. D'habitude, elle aurait tout fait pour qu'on la regarde.
— Tu vas enfin me dire pourquoi on est là et pourquoi il y a autant de monde ?
— Milésis s'apprête à faire une démonstration de force, dit-elle seulement.
Voilà qui ne m'avance pas du tout. Décidant de me taire, je continue de la suivre et m'arrête à côté d'elle lorsque nous arrivons devant une estrade placée tout au bout de la cour, vers une porte cachée qui est actuellement ouverte. On aurait pu entrer par là. Voyant qu'Isalys n'est pas très bavarde, je décide de regarder ce qu'il se passe autour de moi pour essayer de comprendre.
Autour de moi et séparé de la foule pour une nuée de gardes venant des six planètes se trouve les héritiers et leurs accompagnateurs. La seule d'entre nous à être absente est la princesse Nova. Sans faire exception à toutes les autres personnes qui ont apparemment été conviées ici, ils sont tous habillés en bleu, portant la tenue officielle de leur planète. Je ne comprends vraiment rien à ce qu'il se passe. Apercevant Ebony, la Louvetia de Mytgia, je décide de la rejoindre mais celle-ci m'en empêche, me montrant du doigt l'estrade qui est devant moi et à qui je n'avais pas prêté attention ainsi que des caméras de télévision. Comment ça se fait que je ne les ai pas vues avant ?
Levant les yeux pour essayer de comprendre en quoi cette estrade m'empêche d'aller la voir, je me sens pâlir en découvrant ce qu'il se trouve dessus. Un homme est attaché à une croix en acier, les bras plantés dans le métal à chaque extrémité et penché en avant, à genoux sur le sol recouvert de sang. Oh. Mon. Dieu. Pourquoi est-ce qu'il a été arrêté ? Il ne pense tout de même pas que c'est lui qui a tué la milésienne avant-hier ? Tandis qu'Isalys me met un coup de coude pour que j'arrête de montrer ma répugnation devant le spectacle qui se passe devant moi, Lord Treawey relève la tête et croise mon regard. Son regard autrefois fier est désormais fatigué et de nombreuses cicatrices se dessinent désormais sur son visage ainsi que son abdomen. Ils n'y vont pas de main morte sur Milésis...
A quelques mètres du malheureux homme se trouve Nova, habillée de sa tenue de guerre, une combinaison par-balle agrémentée d'une tunique en cotte de maille. Son épée pend à ses hanches et ses bras sont croisés sur la poitrine en une posture qui ne donne pas du tout envie de l'approcher. Son regard sévère parcourt l'assemblée avant de se poser sur moi. Elle a dut voir ma réaction quand j'ai reconnu Treawey. Son air inquisiteur reste posé sur moi un peu trop longtemps à mon goût et je soupire de soulagement lorsque son attention. Je déglutis en remarquant que la princesse ne me lâche toujours pas de ses pupilles vertes émeraudes. Essayant de masquer ma gêne devant son insistance, je tourne la tête pour regarder Isalys, qui fixe le sol plein de sang avec dégoût.
— Ils auraient au moins pu faire l'effort de nettoyer, grimace-t-elle.
Sérieusement ? Un homme qui vient de se faire torturer se tient devant elle et c'est tout ce qu'elle trouve à dire ? Comment est-ce possible d'être aussi froide et sans-cœur ? Les poings serrés, mon attention est détournée par une porte dérobée à l'estrade qui s'ouvre avec fracas. Un homme au visage sévère fait alors son apparition, vêtu d'une tenue similaire à celle de Nova. Il se tient bien droit tandis qu'il inspecte la foule et sa présence fait taire absolument tous les milésiens présents dans la cour. Une expression où se mêle tristesse et haine déforme ses traits impassibles lorsqu'il arrive au niveau de Lord Treawey, lequel se recroqueville encore plus sur lui-même. Le nouveau venu s'apprête sûrement à le frapper mais la voix de la princesse l'en empêche. Après un dernier regard mortel au prisonnier, il rejoint la milésienne en lui faisant une révérence. Quand il se relève, il se place juste à sa gauche, n'attendant visiblement qu'une chose, de pouvoir tuer Treawey.
Peu de temps après, un deuxième homme entre par cette porte, un micro dans la main et portant une tenue vraiment étrange. Il porte les couleurs des gemmes de prospérité de chaque planète, couleurs qui ne vont pas du tout ensemble. Il sourit d'un air tellement hypocrite qu'il en est effrayant et son maquillage extravagant ne fait rien pour y remédier. On dirait une de ses personnes qui présente ses émissions de télévision complètement idiote, faite pour ridiculiser leurs invités. Mais qu'est-ce qu'il fait là ?
L'homme se place devant le prisonnier et, tapant dans ses mains, demande le silence à toutes les personnes présentes. Les lumières accompagnant les caméras se braquent sur lui et c'est à ce moment-là que le silence se fait vraiment. J'entends vaguement une personne dire "ça tourne" avant que la musique enjouée du journal télévisé ne retentisse. Ils osent vraiment mettre cette bande-son, des caméras et un bouffon télévisé alors qu'un homme mourant se trouve sur l'estrade ? Le mépris des hauts-placés des six planètes pour les personnes leur étant inférieures me donne envie de vomir.
— Mesdames et messieurs, sirènes et tritons, loups-garous, sorcières et sorciers, nymphes, banshee ou dirigeants des six planètes, bonjour à vous ! commence l'homme au micro. Et bonne nuit à tous ceux qui ont mis leurs réveils pour assister au spectacle ! Nous sommes ravis de vous savoir aussi nombreux derrière vos écrans ! Quarante-cinq milliards de téléspectateurs me dit-on à l'oreillette ! C'est formidable ! La princesse Nova doit être ravie que son appel ait été entendu à si grande échelle !
Il se tourne alors vers vers la milésienne, comme pour qu'elle prouve ce qu'il vient de dire, mais elle se contente de lui lancer un regard noir, aussi meurtrier que celui de l'homme qui se tient à côté d'elle et dont je ne connais toujours pas l'identité. Alors qu'un silence s'éternise, le présentateur - si je peux l'appeler comme ça - attendant toujours une réponse de Nova, Lord Treawey laisse entendre un gémissement de douleur immense avant d'essayer de se lever. Sa tentative échoue quand il glisse sur son sang, aggravant ses blessures dues à ses entraves. Les poings serrés à m'en faire blanchir les extrémités et me mordant la lèvre pour ne pas intervenir, je regarde, impuissant, le présentateur se tourner vers lui.
— Oh mais oui mon mignon, ne sois pas aussi impatient ! Nous allons nous occuper de ton cas, dit-il d'un rire macabre.
Ce n'est qu'à ce moment-là que mon cerveau fait le rapprochement et que mes jambes sont à deux doigts de ne plus supporter mon poids. C'est lui qu'ils ont arrêté pour le meurte de la milésienne. Ils vont l'exécuter publiquement, sans aucun honneur ni procès. Je n'y crois pas. Voilà qui explique la tenue réservée aux traîtres. Je vais vomir.
— L'homme que vous voyez derrière moi est un traître et un meurtrier. Vous le connaissez sûrement si vous êtes dans les hauts lieux de Milésis. Descendant d'un Traditionaliste qui avait été gracié et autorisé à rester vivre dans notre belle galaxie. Comme c'est triste de voir qu'il trahit lui aussi sa planète natale, fait-il semblant de pleurnicher en essayant une larme imaginaire sur sa joue. Ce malheureux jeune homme a été arrêté pour le meurtre de miss Karleya, il y a de ça deux jours, après que sa signature cybernétique n'ait été retrouvée sur le lieu du crime. Le général Stones, ici présent, à l'air assez pressé de s'occuper de l'assassin de sa fille. Oh, comme tout ceci est excitant !
Sautant sur place comme un enfant de trois ans qui s'apprête à recevoir ses cadeaux d'anniversaire, il se tourne vers l'homme qui se tient à côté de Nova. Je comprends mieux la raison de sa présence et son air de fureur sur son visage. Ne voulant pas supporter ce spectacle macabre plus longtemps, je m'apprête à partir quand la poigne de fer d'Isalys m'étreint le cerveau, m'empêchant de bouger et me faisant bien comprendre que je dois rester ici jusqu'à la fin.
— Le vénéré Empereur Orus de Milésis ayant confié à sa fille l'honneur de présider ce procès, je vais laisser à la très respectée princesse Nova la place. Nous vous écoutons princesse. Comment va être puni ce grossier personnage ? demande-t-il avec une voix guillerette de fillette de deux ans.
La milésienne s'approche alors du présentateur d'un pas décidé et s'arrête à ses côtés, lui prenant le micro des mains et se tournant vers l'assemblée. Elle parcourt toute la cour du regard, s'attardant même sur les dizaines de caméras présentes. Pitié, faites qu'elle dise que tout ceci est une énorme blague et qu'il ne vont pas exécuter Treawey. Il ne mérite pas ça.
— Cet homme est coupable de meurtre envers un représentant de l'état et de trahison. Sur Milésis, ses deux crimes sont punis par la mort. Cependant, il a commis son délit sur le sol de l'Ambassade, où aucune loi ne s'applique. C'est pourquoi j'ai décidé moi-même de la punition de cet homme.
Comme pour ménager le suspens, elle laisse un petit temps de silence et lève une main, ce qui déclenche l'allumage d'holo-écrans aux quatres coins de l'endroit. Ils ne diffusent pour l'instant qu'une image noire.
— Elle ne va quand même pas faire ça ? murmure la Sucesseur debout à côté de moi.
De quoi parle-t-elle ?
— Almus Déror Treawey est déchu de son titre de Lord et toute sa fortune ira à la famille de sa victime. De plus, il est condamné à mort. Comme il n'a pas avoué son meurtre, sa famille, proche ou non, sera assassinée sous ses yeux, annonce-t-elle d'une voix dure, sans aucune hésitation.
Dès qu'elle a fini de parler, les holo-écrans affichent l'image d'une trentaine de personnes, dont une petite dizaine d'enfants. Elle ne va quand même pas oser ? Le cri de désespoir de Treawey à la vue de tous ses proches attachés, bâillonnés et en larmes me brise le cœur et si Isalys ne maintenait pas son influence sur moi, j'aurais fait une énorme connerie.
— Dans l'immense générosité du général, il accorde au coupable une dernière parole à ses proches.
D'un signe de tête, elle ordonne à un garde d'approcher un micro de la bouche du condamné à mort, qui peine à parler.
— Dérecheoh oso mow.
De l'ancien milésien. Toutes les personnes présentes prennent son choix de langue comme un aveux et commencent à le huer et à le traiter de tous les noms possible, alors même qu'il y a quelques secondes, ils étaient scandalisés par la décision de Nova. Dès que Nova sort son épée de son fourreau, les bourreaux de l'autre côté des holo-écrans apparaissent comme par magie, prêts à faire un massacre. L'épée sous le cou de Lord Treawey, la milésienne l'oblige à regarder sa famille se faire massacrer jusqu'au dernier. Cette fille n'a pas de cœur. Sûrement satisfaite de voir sa victime pleurer, la princesse lui lance un sourire meurtrier et le général Stones s'approche lui aussi du condamné. Nova donne son micro au présentateur, qui le reprend avec joie et commence à déblatérer sur la finesse et la précision des bourreaux, qui n'ont apparemment pas fait souffrir leurs victimes.
— Tu as vécu en lâche, lance alors Nova. Meurs en traître et rejoint les abîmes pour y souffrir éternellement.
Sur ses mots, elle déplace son épée au niveau du cœur de l'homme et le général pose la sienne sur la gorge du mourant. Sans se concerter, tous deux enfoncent simultanément leurs lames dans le corps du malheureux, causant une explosion de sang. Retirant son épée sale du corps, Nova s'approche du présentateur qui sourit et lui prend le micro des mots.
— Ceci est un avertissement. La prochaine personne qui attaquera Milésis souffrira bien plus que ce traître. Je ne serai pas aussi clémente la prochaine fois.
Et à la voir comme ça, son épée pointée vers le ciel et sa tenue pleine de sang, je veux bien la croire. Je suis un homme mort.
— Merci pour ce superbe spectacle Votre Altesse, intervient le présentateur en lui volant le micro des mains. Je vais finir cette petite cérémonie par une nouvelle aussi réjouissante que le meurtre de cette personne. Les Héritiers des six planètes commenceront leur tour de la galaxie la semaine prochaine ! Je suis sûr que nous sommes tous impatients de voir comment tout ceci va se dérouler ! Bonne journée à tous !
Ses personnes n'ont absolument aucun respect. Une fois certaine que les caméras sont éteintes, Isalys relâche son étreinte sur moi pour me laisser partir. Enragé, je quitte la cour sans demander mon reste. Je vais tous les tuer.
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