Chapitre 7
" Ce n'est pas le doute qui rend fou,
c'est la certitude " , de Friedrich Nietzsche
*~
Lorsque nous ressortons de l'institut, je remarque avec surprise que le véhicule démolit que nous avons laissé a disparu pour laisser place à la seule marque de voiture que je connais et admire : une AlphaRoméo. Et pas n'importe laquelle je vous prie, le dernier modèle.
Rochelle, d'un pas léger, se dirige vers l'auto et la déverrouille. Elle disparaît à l'intérieur.
Pantelante, je l'imite. L'odeur du cuir, mélangé au neuf, forme un arôme somptueux, auquel je me laisse aller avec joie.
Rochelle démarre, et le moteur silencieux de cette voiture me semble être une berceuse idéale.
En moins d'une seconde je m'endors.
*~*~*~*~*~*~*~*~*~*~*~
- Nous sommes arrivées.
La voix de Rochelle me réveille. J'émets un grognement avant d'ouvrir les yeux. Je regarde la montre du tableau de bord, il n'est que 14heures.
Elle descend de la voiture et je la suis.
Le temps est toujours aussi morose. Nous traversons le jardin et je laisse Rochelle sonner ne serait-ceque pour vérifier si mes parents sont là. Il faut dire qu'il n'est pas au temps ,ni à l'ambiance où je rentrerais en criant : je suis rentrée.
Cette pensée m'arrache un sourire, mais ce dernier s'en va très vite, lorsque la porte d'entrée s'ouvre sur ma mère. Lorsqu'elle nous aperçoit elle arbore un air surpris.
- Vous êtes déjà là ? !, s'exclame-t-elle en se mettant un peu de côté et je précède Rochelle à l'intérieur. Ma mère referme la porte derrière nous et nous dépasse pour aller à la salle à manger. Nous lui emboitons le pas.
Mon père est installé à table, son journal sous les yeux. Mais lorsqu'il sent notre présence, il le dépose. Jamais, depuis que je suis revenue, aucun des deux n'a croisé mon regard. Ils ont l'air gênés, comme si nous étions des étrangères.
- Alors comment c'était ? , demande ma mère et pendant un instant, je me demande à qui elle pose la question étant donné qu'elle ne regarde aucune de nous.
- C'est à nous que tu parles ? , demande-je d'un ton acerbe. Mes parents me regardent surpris, car avouons-le, je n'ai jamais pris ce ton là avec eux. Je n'ai jamais pris de ton du tout avec qui que ce soit, mais là ils m'énervent comme jamais. Mes nerfs sont à vifs, et leur comportement n'arrange rien.
Rochelle se racle la gorge mal à l'aise .
- Je crois que c'est bien à nous que ta mère parle Gillian, toi la première.
Je ne réponds pas, car je n'ai rien à dire.
Un silence gênant remplit l'air.
- C'était constructif, finit par lâcher Rochelle.
Ça me fait rouler des yeux.
- Je vais dans ma chambre.
Je sors de la pièce, mais au moment où je suis prête à grimper les marches, quelque chose m'arrête. Une idée tordue me vient soudain à l'esprit. En faisant de petits pas je vais me poster près de la porte de la salle à manger qui n'avait pas été fermée. De là j'entends parfaitement ce qui se dit.
- Alors comment ça a été ?, redemande cette fois ci mon père.
- De mon point de vue, ça c'est plutôt bien passé.
- Elle a l'air de mauvaise humeur pourtant, fait remarquer ma mère qui n'a pas l'air convaincue.
- Vous savez madame Ross, à mon avis Gillian a peur. Le changement lui fait peur et le fait qu'elle ne nous fasse pas confiance est un gros problème. Vous êtes ses parents, vous devez lui montrer qu'il n'y a rien à craindre. Tout ce qu'on veut c'est l'aider.
Mais bien sûr. Qu'elle leur parle de la course poursuite de ce matin ! Il y a un soupir qui retentit.
- On sait, exhale mon père avant de poursuivre, « Mais vous ne pensez pas qu'il y a autre chose ? »
Où est ce qu'il veut en venir ?
- Est-ce qu'il faut vraiment qu'elle s'en aille ? , semble s'inquiéter ma mère.
- C'est ici que Gillian est née, grandit, vécut. Il n'y a aucun doute que vous l'aimez, mais ce n'est pas son habitat naturel. Et ça ne le sera jamais. Dom est le lieu où elle devrait être. Si elle reste ici, elle ne saura jamais qui elle est. Si je n'ai pas votre confiance, je n'aurais pas non plus la sienne. Elle est jeune et ne sait pas ce qui est bon pour elle, mais vous si : elle a besoin d'être dans son environnement.
Un silence lourd s'en suit. La gorge nouée et l'esprit en feu, je monte en silence jusqu'à ma chambre. J'en ai trop entendu ou pas assez, je m'en fiche. Mes membres sont lourds, alors que je me laisse aller contre mon lit. Journée, difficile et compliquée, en plus de ça, ce que je redoutais le plus vient de se confirmer : mes parents ne me disent pas tout.
La voix de Rochelle se joue en continuité dans mon esprit. Sa voix stupide de personne qui a l'air de tout comprendre. Qu'est-ce qu'elle en sait ? Rien du tout. Elle fait sa psy, les dresse contre moi. Pourquoi ne pas leur raconter la calcination des yeux de Jane ?
Exaspérée, frustrée, je passe mes mains sur mon visage et souffle profondément. Je me redresse et prends mon téléphone à mes côtés. Je le déverrouille.
Cinq appels manqués et un nouveau message vocal.
Je regarde le contact, et mon cœur fait un bond.
Jane.
Je m'empresse d'écouter le message vocal qu'elle m'a laissé
- (la voix robotique parle, puis le bip retentit), Hum salut Gillian. J'ai vu ton message, donc heu si tu pouvais me rappeler ou au pire passer chez moi. Merci.
De nouveau le bip puis le silence. Mes sourcils se froncent, elle a dit avoir vu mon message, ça veut dire qu'elle voit !
Tout d'un coup reboosté au max, je me lève du lit et fouille ardument dans mes cahiers. Si mes souvenirs sont bon, en début d'année notre professeur de physique nous a obligé à recopier le numéro de téléphone et l'adresse de tout le monde sur une feuille au cas nous serions absent, afin d'avoird e quoi rattraper le cours.
Mon corps entier se détend lorsque je saisis la feuille de classeur rose. Mes yeux parcourent vite le papier et je retrouve facilement le nom de Jane. Je regarde son adresse et je suis étonnée de remarquer qu'elle n'est qu'à deux rues de chez moi.
J'ouvre la porte de ma chambre pour sortir et tombe nez à nez avec Rochelle.
Magnifique.
- T'es pas encore partie ? , demande-je ennuyée. Elle me regarde d'un air bizarre qui me fait froncer les sourcils.
- Qu'est-ce qu'il y a ? , redemande-je et elle fait son petit sourire en coin agaçant avant de hausser les épaules.
- Je m'apprêtais à partir, donc je venais te dire au revoir.
- Bye.
Elle souffle et je ne lui donne pas tort. Mais c'est de sa faute j'ai envie de dire. Depuis qu'elle a mis pied dans cette maison je suis devenue quelqu'un d'horrible, acerbe et aigrie.
Même si ça ne fait qu'un jour.
- Ok, fait-elle, « j'ai parlé longuement avec tes parents ». Là-dessus elle me fait une fois de plus son regard bizarre, « il faut que tu saches une chose. Tu as deux jours pour te décider »
- Quoi ?
- Dans deux jours je reviendrais, car l'expédition pour Dom est prévue après-demain. Je rentrerais avec les joueuses qui auront décidé de venir. Si c'est oui, tu n'auras qu'à te préparer, je viendrais dans la matinée.
Mes lèvres restent scellées. Je suis dans l'incapacité de dire quoi que ce soit, tant ce qu'elle me dit me prend au dépourvu. De nouveau le petit sourire, narquois, fier. C'est sûr à l'intérieur elle jubile pour m'avoir fait fermer mon clapet. Sans un mot elle se détourne pour descendre.
Nous descendons alors toutes les deux, moi me répétant l'adresse de chez Jane. Lorsque nous débouchons dans le salon, mes deux parents sont bien sûr là.
Merci seigneur.
Lorsque ma mère nous voit, elle a les yeux qui scintillent. Sûrement croit-elle que grâce à ma sortie éducative de ce matin, j'ai dit « oui »sans aucune objection.
Mais bien sûr.
- Au revoir monsieur et madame Ross.
Mon père lève les yeux de son journal, et la gratifie d'un hochement de tête. J'essaie d'attraper son regard mais sans aucun résultat.
Ma mère se lève et nous suit jusqu'à l'extérieur.
Rochelle se dirige vers la voiture puis s'y engouffre, moi je me tourne vers ma mère.
- Je vais voir une amie.
Ma mère fronce les sourcils.
- Lys et Effie ?
- Non, juste une amie.
Je n'ai pas envie de débattre avec ma mère à propos d'où je vais.
- Ok, reviens avant le dîner.
Sans un mot, je traverse le jardin, et commence à marcher.
Il n'ya personne dehors à part moi. Je sais qu'il faut traverser deux rues et la première maison sur ma droite est celle de Jane.
J'essaie de vider mon esprit par rapport à tout ce que m'est arrivé ces dernières 48 heures, c'est à dire le test, Rochelle, l'I-pod, le rire et encore plus l'IJPS, les cachoteries de mes parents.
Et c'est arrivé si vite, toutes ces choses bizarres, ce n'est pas normal. Et pourtant me voilà, là, en train de marcher. Comme s'il n'y avait rien, comme si je n'avais pas envie en fait de crier, pleurer, ou je ne sais quoi encore.
« Elle a besoin d'être dans son environnement. »
Rochelle et sa voix posée. Celle qui veut montrer qu'elle sait tout, la personne qui essai de tout comprendre. Mais qu'est-ce qu'elle en sait ? Elle ne me connait même pas !
Ça fait 16 ans que je suis ici. Que je vis ici ? Jusqu'à hier, je n'avais pas eu un seul problème.
Oui depuis hier, depuis ce test. C'est n'importe quoi. Un sourire mauvais se forme sur mes lèvres. Je ne suis même pas encore partie et j'ai déjà des soucis. Qu'est-ce qu'il en sera lorsque je serais là-bas, hein ?
- Gillian ?! , je fronce les sourcils à l'interpellation et je m'arrête de marcher. Je regarde autour de moi et je finis par apercevoir la tête de Jane penchée au-dessus d'une fenêtre.
- Tu as reçu mon message ? , elle me demande.
- Oui.
- Attends-moi, je descends.
J'acquiesce. Je me rends compte que j'ai failli dépasser sa maison, tellement j'étais plongée dans mes pensées.
La porte s'ouvre sur une Jane, les cheveux rassemblés en une queue de cheval négligée. Son jogging extra large est noir et elle a un énorme sweat. Par contre ce qui m'intrigue, ce sont les lunettes de soleil qu'elle porte.
- Salut, dis-je un peu mal à l'aise quand elle s'approche de moi. C'est drôle de voir la « star » du lycée Jane La Rose dans cet état. La coqueluche du lycée, si Lys et Effie voyaient ça, elles n'en reviendraient pas.
- Tu venais chez moi ?, demande-t-elle d'une voix enrouée et je remarque sa pâleur frappante.
- Ça va ? , demande-je ignorant sa question. Un sourire sans humour se forme sur ses lèvres.
- J'ai l'air de bien aller ?, une moue de dégoût se peint sur son visage. Elle pince ses lèvres.
- Mes yeux sont de quelle couleur ?
- Quoi ? , fronce-je les sourcils, ne comprenant pas sa question et ses lunettes n'arrangent rien. Bon sang il n'y a même de soleil !
- Je ne sais pas, dis-je en me sentant nerveuse tout d'un coup, « marrons ? »
- Oui marrons, elle répète songeuse. Puis elle s'esclaffe. D'un geste rageur elle arrache les verres de son visage. Ce que je vois me fait reculer d'un pas.
- Tes yeux, murmure-je. Elle hoche dédaigneusement la tête.
- Oui mes yeux tu les vois ?
Oui je vois.
Ses yeux ne sont plus marrons, ah ça non. Ils ont pris une toute autre teinte. Rouge écarlate.
- Qu'est-ce que les médecins ont dit ?
- Les médecins, crache-t-elle presque leur nom. Son regard est dur et j'ai un frisson de frayeur qui parcoure mon échine lorsqu'elle l'accroche au mien.
- Les médecins, répète-t-elle, ces braves gars. Oui Gilian ils sont braves. Tu sais pourquoi ?
Comme une idiote je secoue la tête la gorge nouée.
- Ils ont mentis, tous comme les deux autres pétasses.
Je sais de qui elles parlent en disant « pétasses ».
Elle secoue la tête le regard rivé au sol.
- Ils ont dit que c'était rien. Ils m'ont endormie puis je me suis réveillée avec un bandage. Ils ont raconté de la merde à ma mère comme quoi, tout serait nickel.
Elle se tourne vers sa maison.
- Ils font la sieste, dit-elle en se tournant de nouveau vers moi, « ça me démangeait, je n'ai pas pu m'en empêcher donc je l'ai enlevé »
Elle se tait et je devine facilement la suite. Elle plonge son regard dans le mien et je tressaille. Je ne vais pas mentir, j'ai peur. Je suis encore plus troublée lorsque ses orbites rougeâtres se liquéfient.
Elle renifle.
- Putain, souffle-t-elle, « personne n'a vu ça », du doigt elle montre ses yeux, « de quoi j'ai l'air Gillian ? J'ai l'air d'un monstre ! Qu'est-ce que je vais faire ? »
Elle a l'air perdue. Elle marmonne des paroles incohérentes.
Tout d'un coup, je me demande ce que je suis venue faire ici. Très sérieusement à quoi je m'attendais ?
Tout sauf à ça.
- Pourquoi t'es là ? , me demande-t-elle abruptement, elle a apparemment les idées en place. Je remarque alors qu'elle a remis se lunettes de soleil. Je suis sûre le point de lui rappeler que c'est elle qui m'a demandé de venir, mais elle m'interrompt.
- Je veux dire à part le fait que je te l'ai demandé, pourquoi tu es ici ? On n'est même pas amies.
- Je ne sais pas, réponds-je honnêtement.
- Moi aussi, murmure-t-elle.
J'ai envie de m'en aller, cette conversation ne rime à rien.
- Je vois des trucs.
- Quoi ?
- Depuis que je suis revenue je vois des trucs. Ou du moins de les voir encore.
Oh non pas elle aussi.
- Comment ça tu vois des trucs ?
- C'est pour tout ça que j'ai peur, déclare-t-elle sans répondre à ma question.
- Peur de quoi ?
- Je sais ce que l'autre fille est venue chez toi, je sais ce qu'elle t'a raconté.
Mon corps se raidit. Bon sang, ça veut dire quoi tout ça ?
- Je ne te comprends pas.
- Moi non plus.
Jane ne me regarde plus, toujours les yeux rivés dans le vide ou le vague, je n'en sais rien.Dieu seul sait. Elle a l'air folle.
- Elle ne ment pas.
Je la regarde suspicieusement.
- Qu'est-ce que tu en sais ?
- Toi aussi tu as peur.
Je serre les dents.
- Dom est bien pour toi, tu devrais y aller.
Furibonde je me détourne de Jane.
J'en ai marre de tous ces gens qui croient savoir tout sur tout, savoir ce qui est bien pour moi ! On ne me demande pas mon avis !
Quelque chose me traverse l'esprit, je refais demi-tour rapidement, elle est toujours assise, regardant devant elle.
- C'est Rochelle qui t'a dit de me dire ça ?
Jane ne relève même pas la tête pour me regarder. Elle a l'air drogué.
- Est-ce que les médecins t'ont donné quelque chose ? Tu as avalé des comprimés ?
Mais elle reste silencieuse, m'ignorant totalement. Comme si elle était dans une transe. Je me relève, dubitative. Il y a moins de cinq minutes, elle était au bord de l'hystérie et maintenant voilà ce qu'il en est.
Comme tout à l'heure je refais demi-tour.
Je peux sentir mon cerveau palpiter contre les parois de mon crâne. J'aimerais faire comme Jane, appeler quelqu'un pour qu'il vienne afin que je lui déverse dessus tout ce que j'ai de colère et de frustration.
Mais j'étais seule, en pleine rue, comme si j'étais étrangère à ce qui se passait. Tout se déroule trop vite, trop de choses bizarres.
A chaque pas que je fais, le regard braisé de Jane me revient à l'esprit, me rappelant tout ce qui s'est passé.
« Dom est bien pour toi »
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