Chapitre 2


« Je n'ai jamais eu peur d'éprouver des sentiments,

Ni de me perdre dans l'obscurité,

Et encore moins d'affronter la vie.

Je crains juste mes démons,

Cette partie de moi dont les autres ignorent l'existence

Cette facette que je ne connais pas moi-même », De moi-même.

*


Mes pieds m'amènent jusqu'à l'intérieur et je constate que la cour est déjà remplie. Les conversations et les rires qui fusent remplissent l'air.

Comme premier cours j'ai deux heures de physique, je m'en vais alors vers le bâtiment de Sciences. Je me dirige jusqu'à ma salle, où quelques élèves de ma classe sont déjà là et attendent que le professeur arrive. Ne les connaissant pas vraiment, je me contente d'un petit bonjour auquel ils répondent.

Je fixe un moment mes converses détaillant avec soin leurs couleurs et ornements.

Puis doucement, je ne sais pas pourquoi, je sens une bouffée de chaleur m'irradier le corps. Je fronce les sourcils ne comprenant pas ce qu'il m'arrive. Je relève la tête et, tout à coup, l'air quitte ma poitrine. Ma bouche s'ouvre sous le choc, alors qu'une odeur totalement inconnue s'empare de mon être. Tout à coup j'ai l'impression que le temps s'arrête, se fige, comme si j'étais congelée sur place et cette chaleur, si étrange qui s'était éprise de moi, s'envole. Quelques secondes s'écoulent et l'odeur s'en va, me laissant inspirer et expirer rudement. Je me laisse aller sur le mur derrière moi. D'un geste machinal, j'amène ma main à ma poitrine. Je peux sentir mon cœur battre à tout rompre.

Je regarde rapidement autour de moi pour voir si personne n'a remarqué ce qui vient de se passer et, heureusement, c'est le cas. Je passe une main tremblante dans mes cheveux et cela me prend au moins deux minutes avant que je ne réussisse à retrouver mon calme. Je pense un instant à aller à l'infirmerie, mais me ravise très rapidement. Je vois déjà d'ici les questions : « Tu as mangé ce matin ? », « Tu as assez dormi ? », et elle appellera mes parents. Ma conversation avec mon père me revient en mémoire. Non, décidément, ce n'est pas une bonne idée.

Je regarde ma montre : Il reste environ trente minutes avant le début de mon cours. Mon regard longe le couloir avant d'aller déboucher sur la petite cour du bâtiment de Sciences, et, dans un besoin affolant de respirer de l'air pur, je me dirige vers elle. Mais dès que je fais un pas, un mal me rappelle à l'ordre. Instinctivement je tends ma main pour me soutenir grâce au mur.

Mes jambes sont comme du coton. Je reste un moment debout avant de faire un autre pas, puis un autre et ainsi de suite, je me retrouve à l'extérieur. Le temps est toujours peu accueillant, mais je me sens légèrement mieux.

- Gillian !

Je tourne ma tête vers la voix qui vient de m'appeler. Je rencontre alors un regard bleu électrique. Lys. Je me dirige vers mon amie qui est entourée par son groupe de potes habituels, dans lequel d'ailleurs, j'identifie une blonde identique à Lys avec de grands yeux bleus océan rieurs, Effie.

Lys et Effie sont jumelles. Elles et moi nous sommes retrouvées à devenir un trio soudé au bout de quelques mois de fréquentation. Je crois que c'est grâce à elles si mes parents ne m'ont pas encore assigné un psychologue, sûrement trouvent-ils rassurant le fait que j'ai des amies. Peut-être pas une tonne, mais j'en ai quand même. Et j'avoue qu'au fond, moi aussi.

- Salut, dis-je en arrivant à la hauteur du groupe.

Les jumelles me font de grands sourires et les autres me répondent. Je vais me placer aux côtés de mes amies, qui sont adossées à un banc, le groupe les entourant.

Ils continuent leur conversation et je ne fais que suivre. De tout ce petit monde, je suis la plus jeune, car ils sont tous en première et moi en seconde. Je préfère traîner avec eux plutôt qu'avec les élèves de mon année, ils sont plus matures et c'est plutôt cool de rester avec eux.

- Hé Gillian, tu as ton boss qui arrive.

Je me tourne vers Effie les sourcils froncés, ne comprenant pas de quoi elle parle. D'un mouvement de tête, elle m'indique une fille aux pointes rouges qui se dirige vers nous à grands pas : Sasha Brown.

Sasha est la présidente du club de photographie auquel je participe et j'en suis la co-présidente.

- Gillian.

Sasha vient à nous et je remarque les garçons du groupe se redresser et lui adresser de grands sourires. Je ne peux qu'en faire de même à mon tour. Sasha est plutôt grande, taille fine, des épaules de mannequin. Son teint est hâlé, elle a de grands yeux verts intéressants. Les traits de son visage sont harmonieux et le grain de beauté juste au-dessus de sa lèvre supérieure ne fait que renforcer son charme. Sasha est blonde depuis que je la connais, mais elle change chaque année la teinte de la pointe de sa chevelure. Cette année on dirait bien que c'est le rouge.

- Salut les gens !

Elle étire ses lèvres et penche légèrement la tête vers la gauche. Puis elle se retourne vers moi et s'exclame :

- Gill !

Sasha ne m'appelle presque jamais « Gill » seulement quand elle est de très bonne humeur ou alors quand elle veut me demander quelque chose. J'arque un sourcil.

- Qu'est-ce qu'il y a Sasha ?

Son sourire s'élargit et elle plonge sa main dans son sac et en sort une chemise chargée qu'elle me tend.

- Gill, s'il te plaît écoute. Je suis censée faire le programme pour le book et tout ça, pour la réunion de ce soir, mais tu vois là j'ai un test de maths et ensuite un autre de philo dans la journée. Ce n'est pas vraiment la joie, tu pourrais le faire s'il te plaît ?

Elle tient la chemise contre sa poitrine et me regarde d'un air suppliant en plissant les lèvres. Sasha est en Terminale et je sais qu'elle est assez occupée avec les devoirs et tout ça.

- Ok.

Un couinement sort de sa bouche alors qu'elle me le donne.

- Super ! Merci.

Elle remet correctement son sac sur son épaule et elle s'éloigne en jetant un baiser en l'air dans notre direction.

Je ne serais pas contre si elle m'en faisait un vrai, lance Cody, un garçon de l'équipe de basket.

Nous le regardons en gloussant face à son état. On dirait presque qu'il bave en tirant la langue cet idiot.

- Je veux dire, ses lèvres sont tellement... pulpeuses.

Nous rions de bon cœur et Cody se remet de sa semi-transe en cachant son visage de honte.

Je range la chemise que Sasha m'a remise dans mon sac.

Les trente minutes passent rapidement et je rejoins ma classe, disant au revoir à mes amis. Je vais m'installer à ma place habituelle : celle près de la fenêtre. La salle de classe ne met pas longtemps à se remplir. Je me tourne vers ma voisine de table lorsque celle-ci vient se placer à mes côtés.

Jane La Rose. Jane est censée être en 3e mais elle a sauté 1 classe. Parfois je me demande ce qu'elle fait encore là. Malgré qu'elle soit la plus jeune c'est souvent elle qui obtient les meilleurs résultats. Je lui souris et elle en fait de même. Si je traîne avec des personnes plus âgées, elle c'est encore pire. Elle n'a que quatorze ans mais passe le plus clair de son temps avec les élèves de Terminale ou encore de première. J'en fais de même, mais elle, c'est grisant de la voir entourée d'eux, entrain de rigoler. Elle a une taille moyenne par rapport à son âge. Ses cheveux sont naturellement bouclés et son teint est anormalement bronzé pour quelqu'un vivant à Londres. En gros, elle est jolie, même très jolie.

- Il y a un problème ?

Sa voix un peu fluette me surprend et je me rends compte que je la fixe depuis un moment. Je sens mon cerveau surchauffer et je détourne le regard. Du coin de l'œil je peux la voir sourire et s'il y a une chose que je ne peux m'empêcher d'admirer, c'est son aplomb.

Je me tourne vers le paysage extérieur. Notre professeur n'est pas encore là et ce n'est vraiment pas son genre d'être en retard. Dans la petite cour du bâtiment de sciences, mon regard est vite attiré par une camionnette en stationnement. Il y a des lettres inscrites dessus, mais de mon angle de vue, je ne saurais dire lesquelles. Elle n'était pas là tout à l'heure.

Je reçois un léger coup de coude et je me retourne de nouveau vers ma voisine, mais la voix de notre enseignant capte mon attention. Monsieur Campbell est un homme de petite taille, chauve et un peu trapu. Il se tient maladroitement, s'adossant à son bureau.

- Bonjour, je m'excuse du retard. Avant de commencer, vous allez assister à une intervention. Soyez gentils et faites semblant d'être convenants, vous représentez Saint Hubert.

Quelques rires retentissent dans la classe et Mr Campbell ne fait que soupirer. A peine quelques secondes s'écoulent que deux coups secs retentissent. Sans attendre la réponse, la porte s'ouvre. Mes yeux s'écarquillent. Mon nez est un peu irrité, je me retiens à ma table, mon regard rivé sur celle-ci.

Un silence s'installe dans la salle de classe.

L'odeur du couloir.

Elle est là, plus présente que jamais, et si cette fois-ci mon corps ne réagit pas comme si c'était une agression, cependant tous mes sens sont en alerte. Je me redresse sur mon siège et mes yeux qui étaient jusque-là, fixés sur ma table, s'en décrochent. Je relève la tête.

Il ya deux jeunes filles devant nous, elles ont l'air un peu plus âgés que nous. Les deux sont brunes, mais l'une d'entre elles a une coupe au carré.

Leur regard fait le tour de la classe et fini par s'arrêter sur Jane et moi. Je remarque qu'elles fixent un moment Jane et cette dernière, est aussi crispée que moi. Est-ce qu'elle la sent aussi ? L'odeur ?

Un sourire fend leurs lèvres et la fille à la coupe stricte s'avance d'un pas vers les élèves du premier rang.

- Bonjour.

Sa voix fait écho avec les murs et je crois bien que c'est la première fois que nous sommes aussi silencieux.

- Je m'appelle Shay, et voici ma collègue Rochelle.

La dénommée Rochelle hoche la tête puis elle se déplace dans la salle pour aller au bureau de Monsieur Campbell où elle s'installe. Elle semble allumer l'ordinateur installé sur la table de notre professeur.

- Nous sommes ici pour représenter l'IPJS qui vient de s'installer à Londres. L'IPJS est un Institut Pour Jeunes Surdoués en partenariat avec le gouvernement américain et l'entreprise The Future.

Elle se tourne vers Rochelle et cette dernière se lève pour allumer le vidéoprojecteur et éteindre la lumière dans la salle. Sur l'écran, nous voyons apparaître une vue aérienne de bâtiments très prestigieux avec un espace immense entre eux. Shay va à l'écran. Elles font passer un autre diaporama et un homme, à la calvitie naissante, les rides marquées sur le visage et le teint livide, apparaît à l'écran. Il se tient droit, le menton haut et son costume lui donne une certaine prestance.

- Voici Mr Sébastian Prescott. Il est le fondateur de L'IPJS, mais aussi le PDG des locaux The Future. Vous avez sûrement déjà entendu parler de lui ?

Quelques 'oui' retentissent.

Personnellement, cet homme ne me dit rien du tout.

- Mr Prescott a déjà implanté son institut dans plusieurs autres villes, continue-t-elle en se tournant vers la diapo et je vois apparaître la tour Eiffel, la Maison Blanche, le mont de Pékin.

La dénommée Shay croise les bras au niveau de son abdomen et poursuit :

- Nous sommes un établissement de grande renommée, mais à la fois très peu ... connu.

Quelques rires accompagnent le sien. Elle se tourne vers sa collègue qui jusque-là n'avait rien dit et cette dernière s'avance un peu vers nous.

- En conséquence de notre aménagement ici, mais aussi des quelques nouveautés qui ont été faîtes à l'institut, nous nous sommes tournés vers votre lycée qui compte...

Elle se tourne et prend une liasse de papiers posée sur le bureau, derrière elles. Elle relit rapidement les documents.

- Eh bien, Saint Hubert compte au total dix élèves surdoués. Vous obtenez les meilleurs résultats à vos examens et je ne doute pas qu'il y ait d'autres élèves possédants des dons non révélés.

Son regard nous embrasse et je perçois à travers le silence, le tic-tac de l'horloge. Un raclement de gorge retentit et Rochelle retourne dans son coin alors que Shay continue la présentation. Rochelle revient sur la première diapo, celle avec les quatre bâtiments.

- Donc avant que nous passions à la suite, voici un plan aérien de L'IPJS de Londres.

Elle montre un premier bâtiment :

- Ici, c'est l'endroit où les cours vous seront dispensés.

Elle indique un autre.

- Celui-ci est prévu pour les recherches scolaires ou personnelles.

Elle montre le troisième.

- Celui-là est fait pour la bibliothèque et le dernier pour les dortoirs.

- Et où se trouve l'institut précisément ?

Toute l'attention se porte alors sur Mr Campbell qui jusque-là s'était fait discret. Shay sourit tout en penchant la tête sur le côté, comme les mamans font pour expliquer quelque chose de très important à leurs enfants.

- L'emplacement est gardé secret, dit-elle en se tournant vers nous :

- Dès lors où vous serez acceptés, ça changera pour les membres de votre famille

et vous-même.

L'écran s'éteint et la lumière revient.

- Nous ne sommes pas là que pour vous présenter l'IPJS, nous recherchons aussi des pensionnaires. Pour ça, nous avons étudié vos dossiers scolaires et là, il vous faut juste passer un petit test.

Un test ? La classe a l'air de reprendre vie et quelques protestations s'élèvent. Shay les calme d'un mouvement de la main, mais rien n'y fait. Rochelle s'avance vers nous et personne n'a l'air de le remarquer, sauf moi.

- Taisez-vous.

L'impensable se produit alors, la classe se mue dans un silence de mort. Nous échangeons un regard.

Elle n'a rien d'imposant ou d'autoritaire. Elle est aussi pâle que ce Mr Prescott sur la photo. Ses cheveux sont sombres comme l'ébène et ils lui tombent en vague sur les épaules. Elle a des lèvres rosées bien dessinées et ses yeux sont déguisés de longs cils. Elle est mince et la chemise beige qu'elle porte actuellement souligne parfaitement sa taille de guêpe. Son jean est bleu et assez ample. Ses ballerines grises font très vintage et je me demande d'où elle vient. Elle ressemble à 'Blanche Neige'.

- Ce n'est qu'un test de reconnaissance neurologique. Vous n'avez rien à craindre,

reprend Shay.

Rochelle se détourne, mais je peux la voir lever les yeux au ciel. Elle sort de la salle, et revient peu de temps après, munie d'une sacoche, qu'elle dépose sur le bureau de Mr Campbell. Tout comme nous, il a les yeux rivés sur elle. Rochelle sort du sac deux gros boitiers. Carrés et métalliques, sur le dessus se trouve un espace blanc. Etant au deuxième rang, j'ai une assez bonne vue de ce qu'elles font. Chacune attrape une boîte et elles posent leur doigt sur l'espace blanc. Dès lors qu'elles se retirent, un « cloc » se fait entendre.

Je me penche sur ma table en appuyant mes coudes dessus et regarde attentivement ce qui suit. Les boitiers s'ouvrent laissant apparaitre des plaques argentées. Elles s'en saisissent et s'approchent de nous.

-Vous n'aurez qu'à les regarder environ dix secondes, déclare Shay. Elles s'illumineront.

Elles vont vers le premier rang de la rangée de droite. Nous regardons tous dans leur direction, alors que Shay place sa plaque en face d'un élève, qui vient de prendre un teint livide. La plaque cligne et prend une couleur rose. Shay passe au voisin du garçon, alors que Rochelle refait la même chose sur celui que Shay vient de voir. Sa plaque, à elle, devient violette.

- Pourquoi vous repassez après elle ?

Rochelle se tourne vers Mr Campbell suite à sa question.

- Ce sont des tests différents, dit-elle sèchement.

Le visage de Mr Campbell prend une expression outrée, mais il ne dit rien.

- Gillian !

Je me tourne vers Jane. Elle a le visage rouge et ses pupilles sont dilatées.

Oh.

- Tu ne te sens pas bien ?

Elle soupire bruyamment et secoue la tête. Elle se tourne vers les deux filles ; qui elles ont presque terminé avec la première rangée. Après, ce sera notre tour.

- Il faut que je sorte d'ici, dit-elle d'une voix éraillée.

Je m'apprête à répondre, mais de l'agitation se fait devant nous, attirant notre attention. Elles sont justes à une table de nous, s'occupant de nos voisins. Je me tourne de nouveau vers Jane. Elle a la bouche légèrement ouverte et je n'entends pas sa respiration. Est-ce que se serait possible que ?

- Tu sens l'odeur ?

Elle expire brutalement et me regarde. Elle passe des doigts tremblants sur son visage.

- Comment tu sais ? Tu l'as aussi sentie ?

Je me contente de hocher la tête.

- Oh mon dieu, il faut que je sorte d'ici.

Je pose mon menton au creux de ma main et passe un regard sur la classe. Les autres ont l'air tout à fait de se sentir bien.

- Bonjour.

Je lève la tête et je tombe dans le regard noisette de Shay. Ses cheveux coupés au carré lui tombent légèrement sur le visage. Elle me fait un sourire que je suis incapable de lui renvoyer. Je lance un coup d'œil à Jane, qui a les yeux fixés sur sa table comme moi tout à l'heure.

Shay se racle la gorge et je reporte mon attention sur elle. Elle brandit sa plaque devant moi. Contrairement à ce que j'avais vu tout à l'heure, la face qui m'est présentée est noire. Un noir très sombre, et c'est comme s'il s'obscurcissait au fur et à mesure que les secondes s'écoulent. Puis tout à coup, il disparait et un rouge vif apparait, me faisant reculer promptement. Je sens le regard de tous les élèves sur moi.

Je me mords fortement la joue. Les autres fois, la plaque était rose, et à mon tour, elle a pris une teinte rougeâtre. Je regarde Shay et elle a l'air surprise. Mais sans un mot, elle passe à Jane. Cette dernière lève les yeux et regarde aussitôt la plaque. Quelques secondes s'écoulent, ses sourcils se froncent, la plaque clignote et devient verte. Jane tourne vivement la tête vers moi, mais je suis incapable d'esquisser le moindre geste ou parole.

Qu'est-ce que c'était censé vouloir dire ?

La mine froissée, elle se re-concentre sur sa table.

Un nouveau raclement de gorge retentit pour attirer de nouveau mon attention. Rochelle me regarde avec un sourire, tandis que sa plaque est contre ses cuisses.

- Comment tu t'appelles ?

Mes yeux s'élargissent sous le choc. C'est bien la première fois que l'une d'entre d'elles nous pose une quelconque question personnelle depuis leur entrée.

- Gillian, réponds-je la gorge sèche.

Elle fronce les sourcils, puis arque l'un d'eux.

- Je suis Gillian Ross.

Elle sourit de nouveau, comme satisfaite. Sans plus, elle brandit, elle aussi, sa plaque. Tout comme celle de Shay, la face qui est censée s'illuminer est d'un profond noir. Le noir de cette plaque-là est plus envoutant et je m'accoude à ma table.

Je cligne plusieurs fois des yeux, et le noir se met à s'éclaircir, jusqu'à devenir bleu ciel. Tout à coup, un rire cristallin retentit. Je suis incapable de dire d'où il vient, mais ce dernier retentit encore et encore.

Une jeune fille apparaît en robe de chambre. Elle est de dos, et quand le rire retentit encore une fois et que je vois ses épaules trembler légèrement, je sais qu'il vient d'elle. Elle a des cheveux blonds resplendissants qui lui pendent jusqu'au bas du dos en faisant de grandes vagues. J'ai envie de l'interpeller où lui dire quoi que ce soit, mais mes lèvres restent closes. Soudain alors, tout disparait, et je me sens comme revenir à moi-même.

J'entends de nouveau : le silence, le bruit des respirations. C'est comme si je venais de vivre l'une de mes insomnies à l'instant même. Je sens mon estomac se tordre. La plaque cligne et elle devient verte.

Je me laisse tomber sur le dossier de ma chaise. Je relève le regard vers Rochelle et elle a une drôle d'expression sur le visage. Sans un mot, elle passe à Jane et je sais que la classe entière nous regarde, nous observe, que ce soit le prof ou encore même Shay. Elle a la même expression que Rochelle, et il m'est impossible de dire ce qu'elles ressentent.

Lorsque Rochelle se retrouve en face de Jane, je sens ma voisine se raidir. Je commence à m'inquiéter quand elle saisit ma main sous la table. Qu'est-ce qu'elle a? Rochelle met en face d'elle la plaque, mais Jane ne lève toujours pas les yeux.

- Jane, murmuré-je, mais cette dernière ne bouge pas.

- Jane, il faut que tu regardes.

Mr Campbell vient de se rapprocher de nous et à cet instant, je suis sûre que nous avons l'attention de tout le monde sur nous.

- Jane, répète notre professeur, mais la prise de Jane se resserre autour de ma main.

- Jane, nous avons besoin que tu lèves les yeux.

A la voix de Shay, Jane relâche un peu prise. Je la vois souffler un coup et regarder la plaque. Les secondes qui s'écoulent ont l'air de prendre une éternité. La plaque devient alors transparente et Jane fronce les sourcils. Elle se penche un peu plus vers la plaque, et d'un coup, elle prend une couleur orangée vive.

Je sens les os de ma main se faire broyer, puis tout à coup, elle me lâche.

Un cri strident retenti.

Jane hurle et se laisse tomber de sa chaise. Je reste clouée sur place et la regarde, ébahie, se contorsionner au sol.

Mr Campbell s'approche de cette dernière.

- Jane, laisse-moi voir.

Jane continue de s'agiter, ses yeux cachés par ses mains. Je regarde alors Shay et Rochelle qui n'ont pas bougé. Elles échangent un regard et Shay hoche la tête.

- Mes yeux me brûlent putain, ça brûle !, hurle Jane en répétant la même phrase, mais il est impossible à Mr Campbell de s'approcher sans risquer de se prendre un coup de pied.

C'est le visage rouge qu'il se relève et se tourne vers les deux filles.

- Vous ! , les pointe-t-il dédaigneusement du doigt.

- C'est tout à fait normal.

J'ai l'impression de m'étouffer avec ma salive quand j'entends Rochelle dire ça. Shay la soutient en hochant la tête. Mr Campbell est si furieux qu'il n'arrive pas à rétorquer. Sa bouche s'ouvre et se referme frénétiquement.

- Il faut l'immobiliser, dit Rochelle en s'approchant de Jane qui continue à s'agiter même si ses cris ont un peu baissé de volume. Elle maintient le torse de Jane au sol et cette dernière hurle encore plus fort.

- Lâche-moi !

Rochelle l'ignore et se tourne vers nous.

- Gillian, viens la tenir par le bas.

Complètement abasourdie, j'essaie d'éviter tant bien que mal les coups de pied de Jane. Je me permets de m'asseoir sur ses jambes et cette dernière rugit.

- Dégagez !

J'entends par-dessus les hurlements de Jane, le ricanement de Rochelle.

- Shay, viens! Tu vas lui retirer ses mains.

Alors que Shay se met au-dessus de Jane, saisissant ses poignets, Mr Campbell apparaît, l'appréhension peinte sur le visage.

- Vous êtes sûres ?

- C'est le seul moyen de voir ce qu'elle a, après ça, il faudra l'amener immédiatement à l'infirmerie, répond Shay en tentant de rassurer notre professeur.

- Bien à trois, tu vas lui enlever ses mains de sur le visage, déclare Rochelle.

Shay acquiesce et je sens ma tête bourdonner.

- Un

- Non !

- Deux

- Trois !

- Non !

A travers le hurlement de Jane, j'ai l'impression d'entendre le déchirement de ses cordes vocales. Je trésaille et Rochelle la lâche en même temps que Shay. Je me dépêche de me lever et un haut-le-cœur m'assaille. Les yeux de Jane sont rouge-sang, et c'est comme si le liquide allait couler d'une minute à l'autre.

- Amenez là, ordonne Rochelle.

Je vois plusieurs garçons de notre cours transporter le corps de Jane qui s'est tout à coup immobilisé. Les hurlements ont cessé mais son visage reste dépeint de peur et sa respiration saccadée et ses gémissements de douleurs donnent un air lugubre.

- Je crois que nous allons nous arrêter là, déclare Rochelle.

- Non, vous croyez vraiment ?, crache Mr Campbell.

Elles se dirigent vers leurs effets et les rangent tranquillement.

- Gillian.

Je fixe mon professeur, incapable de faire le moindre mouvement.

- Prends les affaires de ta voisine et apporte-les-lui, s'il te plaît.

Sans plus, il se rapproche des deux jeunes filles et ils se mettent à murmurer.

Je remarque alors, que je suis en plein milieu de la salle de classe. Complètement lasse, je range les affaires de Jane et les miennes en passant. Je regarde vers Mr Campbell, il est trop occupé à discuter. J'en profite alors pour sortir rapidement de la salle avec les affaires, ignorant les regards qui me sont jetés. Dans le couloir, plusieurs surveillants me dépassent et je me retourne pour les voir rentrer dans notre salle de cours. Ils ont sûrement dû être alertés par les cris.

Je marche rapidement et sors du bâtiment scientifique, afin de me rendre à l'infirmerie. Le temps est aussi peu clément que tout à l'heure. Le sac de Jane est lourd, et ma gorge est sèche.

J'ai l'impression d'entendre encore ses hurlements et j'ai un haut-le-cœur.

J'accélère le pas.

Un soupir m'échappe lorsque j'arrive enfin à destination. Je toque doucement, mais aucune réponse. Je pousse alors délicatement la porte et dépose hâtivement le sac de Jane au sol. Je sors en vitesse.

Sans réfléchir, je cours jusqu'aux toilettes. Ma bouche est sèche, ma gorge serrée. Je m'enferme dans une des cabines et me penche en avant. Un frisson parcourt l'échine de mon dos, et l'instant d'après ma gorge s'enflamme tandis que mon déjeuner se déverse dans un bruit immonde.

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