~~ Chapitre Trente-Deux partie trois ~~


 Sans doute surprise par ces remerciements, elle l'imita au même moment et leur regard se croisèrent derechef. Un frisson lui parcourut l'épine dorsale notant cette proximité. Elle était si proche, à peine à quelques centimètres de ses lèvres, et pourtant si loin tant ses yeux paraissaient vides. Les pupilles si expressives d'habitude, ne brillaient d'aucun éclat. Et ce constat lui serra le cœur autant qu'il le motiva à aller plus loin dans ce sens.

« - Nul besoin d'être aussi bon, Isaac, lui conseilla-t-elle en reportant son regard sur l'assemblée. Tout ceci n'est qu'une mascarade aux yeux du public, tu me portes le plus longtemps possible pour gagner et une fois que c'est fait, tu empoches le prix et on fait comme si cette soirée n'avait jamais eu lieu. »

Elle était à mille lieux de la vérité et du changement qui s'opérait en lui.

« - Tu ne comprends pas, Juli, je suis sérieux, expliqua-t-il en secouant la tête.

- Je le suis aussi, rétorqua-t-elle.

- Ce n'est pas une mascarade pour gagner. C'est une trêve pour s'amuser ensemble et qui sait, remporter le prix qu'ils décerneront, fut-il obligé de préciser. »

Il ne pouvait pas seulement parler d'amusement mais le terme coopération leur était plus approprié, au risque d'effrayer sa partenaire. Le terme coopération était plus approprié mais il ne pouvait sciemment pas l'utiliser, au risque d'effrayer sa partenaire.

« - Es-tu en train de t'amuser, Isaac, à l'heure actuelle ? Ton visage est fermé comme jamais et tu vas devoir me porter longtemps pour arriver à tes fins... En quoi est-ce que tout ceci pourrait te faire plaisir ? »

L'amusement et la joie n'étaient peut-être pas flagrants en ce moment même, mais la régénération elle, l'était bien. Et c'était ce qui l'importait plus. N'allez pas bêtement croire qu'il utilisait Julianne pour son propre bien-être. Non, c'était elle-même qui lui faisait découvrir, à son insu, toutes les vertus qu'elle possédait, et lui reconnaissant qu'il était, se laissait porter par le cours des événements.

« - Je n'aime pas parler de mon passé avec toi, mais même au regard de cette erreur que nous avons commise ce weekend, rien n'explique ta volonté actuelle. Tu voulais t'amuser en jouant à ce jeu, mais pourquoi le faire avec une fille qui ne t'inspire aucune sympathie, aucun respect ? Je te connais depuis assez longtemps pour savoir que tu n'agis à mon égard que par pur calcul. »

Comment pouvait-elle être aussi véridique et acide en même temps ? Sa logique était aussi implacable que sa question légitime. Aux yeux de la jeune fille, rien de censé ne justifiait son initiative et pourtant ce souhait n'avait rien de pervers, pour une fois. Il n'intervenait qu'en réponse au besoin douloureux qu'il avait de voir et de converser avec Julianne. Mais comment pouvait-il s'évertuer à lui expliquer tout cela alors qu'il n'était qu'un gros enfoiré à ses yeux... Jamais il n'aurait le tact nécessaire et jamais elle ne lui accorderait une once de crédit, le considérant comme le roi des menteurs.

Bienvenue dans le monde des apparences !

« - Je te l'ai dit, Julianne, je t'ai choisie parce que je te connais et ce critère m'a suffi, avoua-t-il en fixant les portes du cinéma. Et si tu penses que j'aurais pu inviter Héléna, poursuivit-il avant qu'elle n'aborde ce point, sache que je ne l'aurais pas fait, parce que d'ici quelques temps elle se remettra avec Thomas et je ne veux pas avoir lui expliquer le pourquoi du comment. Et puis en réponse au mensonge du « couple » pour faire déguerpir le maghrébin, je me suis dit que l'on pourrait toujours s'en sortir vu qu'on l'avait été. »

Voilà une esquisse de réponse sincère qui protégeait ses arrières tout en apportant des explications à celle qui se posait une ribambelle de questions. Certes la fin n'était pas géniale mais c'était le seul point qu'il pouvait avancer pour ne pas lui ouvrir davantage son cœur.

Sans prévenir, sa partenaire éclata de rire et, éberlué, il se tourna vers elle, sentant tout son corps frémir contre le sien. Qu'avait-il dit de si drôle pour qu'elle rit de cette manière, ses bras enserrèrent davantage ses épaules et elle enfouit son visage dans son cou, caressant sa gorge à son insu.

Son fou rire ne voulant se terminer, bon nombre de participants et invités les toisaient, amusés par la situation. Ce qui n'était guère son cas. Depuis plus de cinq ans, il n'était jamais parvenu à la faire rire et ne venait surtout pas de lui faire la blague du siècle pour qu'elle s'esclaffe de la sorte, les yeux étant devenus humides.

« - Qu'est-ce qu'il t'arrives, Juli ? Demanda-t-il, un brin inquiet. »

Les sons s'étaient tus mais le sourire lui perdurait devenant de plus en plus inquiétant à mesure que leur regard se liaient. Et lorsque la phase finale se matérialisa devant lui, face à une grimace de profond dégoût caché par une main manucurée la protégeant des regards suspicieux, son cœur rata un battement.

Que Dieu me pardonne ! Comment pouvait-on autant haïr quelqu'un ?

« - Tu es l'être le plus exécrable qu'il m'ait été donné de rencontrer, Isaac ! Avoua-t-elle doucereusement. Comment peux-tu dire ce genre de choses avec autant d'indifférence après tout ce qu'on a vécu ?! Je sais que je ne suis qu'un objet à tes yeux, mais il y a une manière de présenter les choses, et le commercial que tu es devrais le savoir ! »

Les yeux écarquillés, il ne put se détourner de ce visage transpirant une haine fondée et infondée, bon sang ! L'effet contraire de celui voulu venait d'avoir lieu ! Il n'avait jamais pensé qu'elle réagirait de la sorte, surtout qu'il n'avait glissé aucune froideur ou indifférence dans ses mots.

Mais force était de constater qu'il venait tristement de tout faire voler en éclats. Si Julianne ne comprenait jamais rien à ses manœuvres, lui manquait cruellement de tact dès lors qu'il se trouvait en face d'elle et souhaitant parler avec sincérité.

Tout en étant collés l'un à l'autre comme deux sangsues, ils parvenaient toujours à être aux antipodes l'un de l'autre. C'était phénoménal !

« - Ce n'est pas ce que je voulais ..., commença-t-il en vain.

-  Mais soit, Isaac. Je ne suis pas plus touchée que ça, révéla-t-elle et quelque part, il fut contraint de la croire. Et puis, on est de bons comédiens, à défaut d'avoir été un couple exemplaire, alors on peut leur en mettre plein les yeux. »

L'équilibre qu'il avait tenté d'établir venait d'être détruit devant ses yeux. Et il ne restait plus qu'une Julianne, debout, narguant le fossé dans lequel il s'enfonçait. Rien ne se passait tel qu'il l'avait espéré, la brune devenant de plus en plus venimeuse et laissant derrière ses mots qu'une traînée d'acide qui viendrait cimenter ses balafres intérieures.

« - Et par là même, tu verras que la petite idiote que je suis à tes yeux, ne l'est pas tant que ça, Evans. Que le jeu commence réellement ! »

Il accueillit ces mots en fermant les yeux, la réalité devenant de plus en plus douloureusement acceptable. Et ce stade ultime atteint, lui donnait tout simplement envie de tout plaquer et de clairement se barrer. Il avait été un battant mais force était de constater que Julianne avait eu raison de lui, l'épuisant mentalement.

Lavette.

Si elle continuait sur cette lancée, elle allait clairement le dévorer tout cru, ne laissant derrière elle que des lambeaux.

Piégé par une centaine de regards, Isaac sentait une belle chute arriver à grands pas. En plus d'être une victime à ses propres yeux, il le serait aussi aux yeux des autres. Et cela était intolérable.

Quelle grande erreur !

Obnubilé qu'il était par Julianne, il ne s'était même pas rendu du pétrin sans fond vers lequel il s'entraînait, n'étant conscient que de ces retrouvailles qu'il devait faire perdurer.

Tu vas causer ma perte, Davis...

Engoncé jusqu'au cou dans ces sables mouvants qu'étaient les humeurs de la brune, il n'avait d'autre choix que d'attendre que le temps s'écoule, ne pouvant en aucun cas déclarer forfait. Son cœur se désintégrait littéralement, déchiré par les paroles de la brune, piétiné par son propre comportement passé.

Le visage devenu hermétique pour protéger le peu de fierté qu'il lui restait, les iris reflétant l'état déplorable de son âme, il entendait clairement son cœur pleurer. En cette soirée, la brune était parvenue à faire remonter tous les mauvais souvenirs de leur relation au lycée : toutes ces heures passées à ruminer contre le silence et l'indifférence dont Julianne avait fait preuve, les mots qu'il lui avait adressé, leur relation devenant un fardeau et en même temps ce besoin inexplicable de lien entre eux ... Tout ceci défilait devant ses yeux, renforçant le goût amer de leur relation.

Il ne manquait plus que ses yeux s'embuent de larmes et les déversent pour qu'il sanglote comme lorsqu'il avait appris que sa mère était morte en lui donnant la vie. A toute cette douleur vint s'ajouter un dégoût profond qu'il ressentit envers sa propre personne. Comment pouvait-il comparer Julianne à sa mère ? Comment Julianne pouvait-elle autant l'atteindre que le décès de sa mère ?

Tu viens de toucher le fond ...

Et ce constat l'enjoignit à se reprendre avant que tout ne soit dévoilé au grand jour, signant officiellement sa perte. Mais ce n'était sans compter ce petit corps chaud qui s'appuyait contre le sien et ses petites mains qui s'agrippaient à lui qui l'empêchaient de réfléchir clairement.

Envolés les problèmes qu'avait suscité son rêve érotique, celui-ci était à des années lumières de l'autre, en ayant toutefois la même racine.

Ne me lâche surtout pas.

« - Quel moulin à paroles ce présentateur ! Tiens-toi prêt, c'est bientôt à nous de nous présenter ! »

Il eut à peine le temps d'avaler le peu de salive qui lui restait en bouche et de se préparer mentalement que le dit Monsieur se posta devant eux, l'air ravi. Tandis qu'il rappelait le nom du couple en question, le brun jeta rapidement un regard en direction d'Héléna pour voir s'ils étaient toujours en place. Et en l'occurence, oui, ils l'étaient, tandis que deux couples avaient abandonné la partie.

« - Et bien, voici il me semble, fit-il en relisant les informations données avant de monter sur l'estrade, un de nos plus jeunes couples. Vous avez tous les deux vingt-deux ans, n'est-ce pas ? »

Julianne le devança rapidement et quelque part il la remercia d'être aussi spontanée.

« - C'est bien ça, répondit la brune, d'un air jovial. Nous nous sommes connus à nos dix-sept ans et depuis Isaac ne parvient plus à me lâcher, plaisanta-t-elle en glissant sa main sur son cou pour aller caresser de son pouce la partie sensible sous l'oreille. »

D'abord surpris par son ton et le fond de sa réplique, il fut pétrifié par son geste doux et bienveillant avant de se rendre compte qu'il était calculé.

Elle s'en souvient !

Durant les rares moments de stress où il l'avait laissée s'approcher de lui, le seul contact qu'elle s'était permise à chaque fois, était cette main posée sur sa nuque et ce pouce caressant la peau sous son oreille. Cherchant à procurer du réconfort de cette petite place qu'il lui avait imposé. Et en ce moment même, c'était ce même schéma qu'elle reproduisait, ayant senti cette tension émaner de lui.

Pourquoi, Juli ? Pourquoi parfois es-tu si concernée ?

Certes elle montrait par là même une preuve d'affection aux yeux de tous, mais lui ne retenait que ce moyen qu'elle utilisait autrefois. Et ce geste drapa de lui-même le chaos qu'elle avait engendré avec ses dernières paroles.

Son tour étant venu, il inspira lentement de l'air avant de prendre la parole, un faible sourire illuminant son visage fermé. Si Julianne pouvait jouer, il le ferait aussi. Il avait toujours été meilleur qu'elle et il devait se le prouver, une nouvelle fois.

Du nerfs, Evans !

Après tout n'était-il pas là pour s'amuser ? Aussi sensible soit-il devenu, il devait s'empêcher d'être aussi susceptible face aux mots de cette sorcière à la gueule d'ange et garder la force d'antan qui fuyait à toute vitesse.

« - Comment lâcher une jolie fille qu'on a eu tant de mal à dégôter ? Je vous pose la question, Monsieur. Moi, je n'en ai pas eu le cœur. »

Contre sa nuque, il sentit ses lèvres s'étirer en un sourire moqueur.

Retiens ce que tu veux, Juli, mais il y a une belle part de vérité dans tout ce que je dirai.

« - Je vous l'accorde, Monsieur. Déjà qu'en ces temps, il est difficile de trouver quelqu'un nous correspondant, alors aucune raison de le lâcher de sitôt. Parlez-nous de votre rencontre, le public sera enchanté d'entendre votre histoire et l'aboutissement avec ces fiançailles. Car oui, Mesdames et Messieurs, ces deux tourteraux sont fiançés, révéla-t-il en se tournant le public qui leur offrit un tonnerre d'applaudissements.

-  A toi l'honneur, Isaac. »

Et tandis qu'elle lui laissait prendre les devants, elle s'éclipsait tout en retirant ses doigts de son cou. Initiative déplaisante à ses yeux, il bloqua sa main de son épaule droite, l'obligeant ainsi à reprendre ses caresses. Son bras se contracta autour de lui, mais il n'en tint guère compte et attendit qu'elle reprenne son toucher pour dévoiler leur histoire.

« - Il n'y a pas plus cliché que nous, je vous l'avouerai d'emblée. Une salle de classe, un cours de portugais atypique où l'on ne parle que français, un débat organisé sur la condition de la femme dans le monde de l'entreprise, un désaccord qui provoque un échange de regards colériques. Un intérêt qui s'éveille, une attirance qui naît alors que la personne vous semble à l'opposé de ce que vous êtes. Des sourires furtifs échangés entre deux disputes, des corps qui se rapprochent et des mains qui se joignent. Et là, vous prenez conscience.

-  De quoi ?

- Que vous avez perdu d'avance. Que le petit bout de femme en face de vous peut faire ce qu'il souhaite de vous. Et c'est à la fois effrayant et délicieusement tentant.»

Une fois sa tirade terminée, durant laquelle il venait de révéler en partie la naissance de leur relation tout en la pimentant de remarques croustillantes car après tout c'était ce qui plaisait au public, la noirceur de leurs débuts les auraient fait passer pour des fous qu'ils étaient sans contest, il vit que les invités avaient de grands sourires amusés sur les lèvres. Et s'ensuivit de nouveau une salve d'applaudissements. Décidement, pendant qu'ils aiguisaient leur lame sur les cœurs déboussollés, ils divertissaient le public !

Un comble !

Un éclat de rire franchit les lèvres de Julianne et elle vint l'étouffer en les posant sur la nuque d'Isaac. Déposant sur cette partie ultra-sensible chez lui, un baiser inespéré et ô combien désiré, lui faisant par là même rater un battement.

« - Tu as oublié entre-temps les baisers que tu m'as volées en attendant que je t'en offre de plein gré, chéri. »

Je n'ai rien oublié, je te le promets.

« - C'était le seul moyen pour te prouver qu'il y avait quelque chose entre nous. Tu étais à l'époque trop têtue et hélas, ma fiancée l'est toujours, lui rappela-t-il en souriant provoquant un éclat de rire du présentateur. »

Quel culot et quel talent !

Faire de leur douloureux passé, mêlant colère et frustration, un sujet de rigolade sur un plateau de mensonges... c'était la palme que l'on pouvait leur offrir pour marquer le désastre auquel tous deux avait donné lieu. Et il ne savait s'il devait en rire ou en pleurer.

Mais il se rendait maintenant compte que cette idée de couple était grandement irrespectueuse vis-à-vis de celui qu'ils avaient formé. Et quand bien même cela avait été une erreur, ils ne pouvaient plaisanter de ce qu'ils avaient été l'un pour l'autre, révélant ci et là, de belles vérités.

Mais serons-nous aptes à les découvrir ?

« - Au regard de l'émotion qui se lit sur le visage de nos invités, vous avez l'air de leur avoir beaucoup plu. Sans indiscrétion de notre part, quelles sont les raisons qui vont ont poussé à vous unir aussi jeunes ? »

Alors qu'est-ce que tu vas répondre à ça, Evans !

Il prit le temps d'y réfléchir n'ayant aucune réponse qui ne venait.

Le piège du mensonge se referme sur toi, idiot !

Comment pouvait-il expliquer ce désir de s'être uni à Julianne aussi jeune ? Peut-être fallait-il tous simplement reprendre les mots de son collègue Raphael ?

« - Ces fiançailles ..., commença-t-il en regardant le présentateur.

- Cela fait cinq ans que nous nous connaissons, que nous nous aimons, que nous discutons de tous les sujets de la vie, que nous nous supportons aussi. Et depuis ce temps, j'ai pu apprendre les qualités et les défauts d'Isaac et j'ai appris à l'aimer pour ce qu'il avait et ce qu'il n'avait pas. Et je pense que c'est cela le plus important, connaître l'autre en profondeur et pas juste en surface pour éviter les mauvaises surprises. »

Toi, tu me surprendras toujours ...

« - C'est un beau parcours que vous nous racontez ici et qui pourrait servir à grand nombre de personnes, ici présentes, qui cherchent à établir une histoire sur la durée. L'échange et la confiance sont peut-être les piliers les plus importants d'un couple, encore plus que les sentiments qui ne sont pas à mettre de côté évidemment, ajouta-t-il avec un sourire.

- Je suis pleinement d'accord avec vous. Rien n'est à négliger dans les fondations d'une relation, chaque critère y a une place importante, conclut-elle en passant deux doigts sur la partie supérieure de son oreille. »

Geste qui le fit tout bonnement frissonner et il s'en voulut aussitôt parce qu'il l'entendit sourire. Elle le mettait clairement mal à l'aise tout en dévoilant ses prétendus sentiments aux yeux de tous pour accompagner ses mensonges aussi beaux qu'elle. Et surtout parce qu'il savait qu'elle faisait cela tout simplement pour l'énerver, lui qui prétendait ne pas aimer les effusions sentimentales en public.

C'était vrai à une époque, bien lointaine dorénavant, mais aujourd'hui... Comment expliquer à cette tête de mule qu'il aurait pu lui faire n'importe quoi si elle lui en donnait l'autorisation. Une putain d'autorisation suite à laquelle il aurait fait d'elle une femme, une vraie, lui offrant baisers, caresses et du plaisir à l'en rendre folle l'espace de quelques nuits. Jusqu'à que cette satanée tension sexuelle se dissipe et qu'il puisse de nouveau la toiser avec moquerie sans avoir cette dévorante pulsion de l'entendre gémir à son oreille, plaquée brutalement contre une porte, la poitrine marquée par ses dents.

Belle image, Evans !

Et tandis que le présentateur les quittait subitement, un cinquième couple venant d'abandonner au bout de quarante minutes en laissant huit sur l'estrade, il sentit les doigts fins caresser ses pattes puis se faufiler ensuite dans ses mèches. Ils gagnèrent lentement le terrain, prenant bien le temps de redécouvrir cette matière, appréciant la douceur de chaque mèche. Et durant cette promenade malicieuse, il fit de son mieux pour garder les yeux ouverts et ne pas succomber à l'envie qu'il avait de les fermer pour savourer le geste, aussi calculé soit-il encore une fois.

Cette chipie de Julianne savait très bien ce qu'elle faisait, toutefois elle n'en montrait rien et balayait innocemment le public du regard. Elle ne se laissait pas du tout atteindre par son initiative, tandis qu'elle réveillait bien des sentiments en lui. Et presque tout ce corps collé à lui, sa fragrance coco qui les enveloppait tous deux, et ses phalanges joueuses, il ne put résister longtemps et succomba comme un puceau lorsqu'elle tira légèrement sur ses mèches, provoquant un soupir.

Les paupières retombées, il cala quelques secondes sa tête contre l'épaule de sa partenaire et savoura la tendresse du geste. Aussi calculé soit-elle, il aimait la tournure des choses. Si parfois il en venait à silencieusement remercier le Ciel d'avoir permis à leur regard de se croiser, que ne pouvait-il pas ressentir lorsque rencontre charnelle il y avait ?

Elle te fait tourner la tête la Mère Davis !

Quarante cinq minutes de jeu s'étant écoulées et la difficulté du jeu se faisait maintenant ressentir, même s'il ne souhaitait en montrer les marques. La pose n'était pas des plus aisées et Julianne n'était pas non plus un poids plume.

Retiens-toi de le dire, Evans !

Il réajusta leur position et la fit basculer davantage en avant, glissant ses bras sous ses cuisses, les dévoilant davantage. Il risqua un discret coup d'oeil et bon sang, elles avaient l'air aussi sexy que dans son rêve.

On se calme !

« - Tu penses tenir encore combien de temps ? Cinquante minutes c'est déjà bien, commenta-t-elle. On pourra toujours inverser lorsque tu ne pourras plus me porter, pensant que tous les gâteaux et sucreries avalés récemment ont eu raison de toi. Ca ne me gêne pas, proposa-t-elle en haussant les épaules. »

A cette remarque qui rejoignait sa pensée, il pouffa de rire en secouant la tête avant de se rendre compte de ce qu'il venait de faire. La situation semblait s'être détendue à son insu. Etait-ce dû au temps passé collé l'un à l'autre ou bien le mensonge qu'ils faisaient perdurer ?

Il était dangereusement tenté de penser que c'était un beau mélange des deux propositions et qui lui fit du bien, creusant une brèche dans cette mascarade pour y apporter un nouveau souffle.

« - Nul besoin que tu me portes, Julianne, continue seulement ce que tu fais, s'entendit-il conseiller avant de réaliser brusquement la teneur de sa phrase. »

L'effet fut mutuel et elle stoppa son jeu de phalanges une demi-seconde avant de repartir. Il resserra ses doigts sous l'effet de la honte qui vint le narguer, la jeune fille avait bien compris qu'il n'était plus du tout sous l'emprise du jeu.

Ne relève pas, par pitié !

« - Y plaçais-tu un quelconque espoir comme Dimanche ? Questionna-t-il, redevenue mauvaise. N'oublies pas que nous sommes que des comédiens venus nous amuser, rappela-t-elle avec détachement. »

Un retournement de situation made in Davis. Un talent dans toute sa splendeur. Attiser vos sens de manière détachée, vous rendre à fleur de peau, vous pousser jusqu'au bout et lorsque vous l'étiez, vous le faire comprendre en vous mettant face au fait accompli. De quoi vous donnez envie de vous flinguer !

De quelle terre es-tu faîte, bon sang ?!

Ainsi, en profondeur, elle ne ferait aucun effort pour établir de trêve.

Peux-tu réellement lui en vouloir ?

Non, il ne le pouvait pas, étant responsable de tout ce qu'elle ressentait à son égard. Toutefois, il s'attendait à de la coopération de sa part et considérait qu'elle lui avez donné sa dose de méchanceté caractérielle pour la soirée. Face aux deux précédents assauts, il ne pouvait la laisser reprendre le dessus maintenant. Il en allait de son équilibre mental.

Reprends-toi, Evans !

« - C'est la deuxième fois que tu mentionnes notre séance câline, Julianne... Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Du mal à oublier ? »

Il la sentit se tendre et perçut son regard foncer. Puisqu'elle ramenait cela une seconde fois sur le tapis, pourquoi ne pas l'affronter sur ce terrain ? Après tout elle venait elle-même de balayer le caractère pudique de leur échanges.

« - Je suis un homme, Julianne, et un toucher peut signifier et provoquer par mal de réactions. Et il en va de même pour toi, souhaiterais-tu que je te montre ? S'enquit-il, concerné. »

Elle parut de nouveau s'agiter mais il fut plus rapide et d'un mouvement de bras il déplaça sa main gauche qui se promena sur son mollet avant d'atteindre l'intérieur de sa cuisse. Tentant d'emprisonner l'intrus sans pousser de cri de suprise, elle serra ses jambes contre ses hanches, lui faisant ainsi mal. Mais face à celui qui sévissait dans son cœur, de celui-ci, il n'en tint guère cure.

Imposant une emprise manifeste sur cette chair délicate, il la sentit serrer ses bras autour de lui, en une supplique muette.

« - Et tu es une femme, au corps aussi sensible que le mien, souffla-t-il en tournant la tête vers elle, tandis que la sienne reposait sur son épaule. »

Au même moment, un autre couple abandonnait, en laissant sept sur l'estrade. Elle souffla un « arrête » auquel il fut sourd.

« - Ma caresse n'était pas aussi osée que la tienne, Evans. Alors arrête, ordonna-t-elle, le front toujours posé sur son épaule.

-  A ce stade là, la mienne n'est osée que selon ton interprétation et ce que tu ressens, souffla-t-il contre sa tempe. Mais si on avance un peu, informa-t-il en accompagnant sa parole d'un geste, là, tu peux avoir raison et l'on pourrait reproduire la séance de ce weekend vu qu'elle te reste en mémoire.

- Sornettes ! Comment peux-tu sous-entendre que j'y accorde ne serait-ce qu'une once d'importance ?! Ne vois en aucun cas dans cette discussion un iota d'affection que tu sembles désirer à travers ce jeu et toutes ces belles paroles, Evans. »

Au-delà de cette trêve, ce besoin d'affection de la part de Julianne était-il si flagrant, qu'elle-même, la plus grande des aveugles, avait perçu ? Il lui fallait une belle riposte, alors.

« - Je n'attends rien de ta part mis à part des échanges cordiaux dans le cadre de cette soirée. Et puis, il serait peut-être temps, ne trouves-tu pas, de séparer le désir de l'affection ? Proposa-t-il un peu sèchement tout en reglissant sa main à l'arrière de son genou. »

Elle parut se détendre et releva sa tête pour croiser son regard. Bon sang, quel regard expressif cette fille avait ! Il y lisait de la colère et de la méfiance, un éclat qu'il identifia être celui de la tristesse.

Voyez-vous cela...

Et puis la chose qui le dépassait encore plus que l'attraction que ses mirettes exerçaient sur ses yeux, était le sujet de discussion. Allait-il vraiment parler de sexe avec Julianne ?! Tout en étant collé à elle ?!

De la torture !

« - Deux personnes se portant de l'affection peuvent ne pas du tout éprouver de désir, par exemple Héléna et moi, et deux personnes ne se connaissant presque pas peuvent ressentir du désir l'une pour l'autre. L'ordre des choses voudraient que pour un homme et une femme les deux aillent de pair, mais le désir peut naître sans l'affection. Et c'est un peu ce qu'il s'est passé pour nous, expliqua-t-il en déviant son regard sur ses chaussures, une chaleur se propageant dans tout son visage. Les corps ont exprimé ce qu'ils souhaitaient sur le moment, même si tu ne me portes pas dans ton cœur, Juli, et moi je... »

Il se tût aussitôt, les joues en feu. Mais qu'est-ce qu'il lui arrivait, bon sang ! Pourquoi est-ce qu'il s'épanchait autant avec cette fille ? Pourquoi en cette soirée, il avait ce besoin de vider son sac devant celle qui ne ferait qu'une seule bouchée de lui ?! Il était maso ou quoi ?!

Et maintenant, lançé qu'il l'était, la jeune fille attendait une réponse rapide, comme l'attestait son regard perçant posé sur lui qui le brulait littéralement, raidissant sa nuque et contractant sa mâchoire.

Mais quel abruti !

Ne pouvant résister à ces pupilles impérieuses et les siennes comme aimantées par celles de Julianne, il renoua le contact, honteusement soumis. Elles attendaient une réponse tout en le mettant en garde. Et face à cet échange et cette attente son estomac se tordit clairement, marquant ses traits par de la crainte, celle de se dévoiler pour la première fois.

« - Continue, je te prie, encouragea-t-elle d'une voix douce mais ô combien froide. »

Son corps réagit aussitôt mais le cerveau lui s'était perdu dans ses méandres.

« - Et moi ... je crois ... »

Mais que pouvait-il faire ? Lui avouer qu'il avait toujours ressenti de l'affection pour la petite sorcière qu'elle était ? Ou bien lui dire qu'il ne ressentait rien du tout et que cette soirée n'avait été que purement physique ? Dans le premier cas, il s'évitait une honte et une énième cicatrice indélébile venant de Julianne et dans le second cas, il se protégeait mais s'attirerait les foudres de la brune, tout en la blessant, ce qu'il ne cherchait plus à faire. Il savait ce que pouvait représenter ce genre d'échanges pour elle, même si elle ne semblait pas du tout l'apprécier.

Toi ou Elle ?

Dilemme terrible à ses yeux. Là où il aurait autrefois cherché à se protéger en premier, aujourd'hui il considérait l'état de cette fille. Là, résidait tout le changement.

Bon ou mauvais ce changement ?

Aucune idée. Mais il était certain d'une chose, de l'humeur de Julianne découlait la sienne. Son sourire pouvait faire jaillir le sien, et sa tristesse provoquer la sienne.

Que m'as-tu fait ?

« - Enfin je veux dire... dire que je ne te d..., bégaya-t-il, tiraillé de part en part.

- Laisse tomber. Pas la peine de chercher tes mots pour me faire comprendre de manière cordiale que tu me détestes. Je ne comptais pas t'abandonner pour autant, je ne suis pas ainsi. Si je t'ai dit que j'acceptais alors j'irais jusqu'au bout. »

Leur cours de la vie était peut-être le plus instable qui soit sur Terre. L'on souriait deux secondes plus tôt et le besoin d'hurler vous prenant l'instant d'après ... Autre signe manifeste de l'équilibre incroyablement fragile qui existait entre eux, bâti à l'aide d'efforts et abattu en un mot... Comment pourrait-il recréer ce qu'ils venaient de perdre dorénavant ? Julianne allait se braquer comme une huître et devenir imperméable à toute tentative de réconciliation, le faisant passer à ses propres yeux pour un incapable.

Avant tu ne souhaitais pas agir et maintenant, tu ne le peux même plus.

Plus le temps passait et plus il s'accrochait désespérément à elle, espérant et agissant du mieux qu'il le pouvait et elle ne souhaitait que s'échapper. Et l'ignorant qu'il était ne savait même pas quelles stratégies et paroles employées pour se faire comprendre. Et elle susceptible et rancunière qu'elle était ne souhaitait rien entendre.

Une triste paire d'handicapés ...

« - Je ne suis pas comme toi, Isaac. Et que Dieu fasse qu'il n'y ait personne d'autre comme toi, asséna-t-elle, impitoyable. »

Le choc fut tel une gifle retentissante, écarquillant ses yeux, révélant la fissure se creusant sur un cœur déjà malmené. Elle accompagna cette prière d'un regard appuyé avant de détourner la tête.

Au même moment, il entendit l'annonce d'abandon de deux couples mais n'y prêta aucune attention, un tumulte régnant en lui. Le cœur battant douloureusement, il toisait les traits serrés de la brune et ressentait toute sa colère avec ses bras qu'elle ne cessait de serrer autour de lui, comme si elle tentait de contenir tous les émotions qui affluaient en elle. Et que dire de ces yeux humides qu'il avait entrevus avant qu'elle ne tourne la tête ?

Pitié, tout sauf ses larmes ...

Il ne pourrait en aucun cas les supporter. Le cœur au bord des lèvres et le tournis menaçant de sa présence, il baissa honteusement la tête. Cette réplique de la jeune fille venait tout simplement de l'achever pour de bon à ses propres yeux... Comment pouvait-on souhaiter cela à quelqu'un ? De quelle colère bouillait Julianne en ce moment même ? Il ne pourrait jamais en mesurer l'intensité mais découvrait les racines redoutables.

Une heure et trente qu'il était sur l'estrade pour amuser la galerie et prouver que leur lien était solide et jamais il n'avait été en aussi peu de temps mis à l'épreuve de cette manière. Tiraillé par une envie aussi dévorante d'abandonner la partie. Cela le démangeait de partout, tout son corps le suppliait de jeter l'éponge mais il n'abandonnerait pour rien au monde.

Parce que j'ai promis moi aussi, Davis. Et nous gagnerons.

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