Chapitre 9
"But if you're never here and I'm left all alone,
Tell me what am I supposed to do ?"
Everything Goes Black – Skillet.
— Axel... Axel, mon chéri...
La douce tendresse qui s'aventure jusqu'à moi me sort d'un sommeil agité, et je peine à ouvrir les yeux. Patiente, la voix me demande gentiment de me réveiller alors qu'une caresse protectrice parcourt ma joue droite. Après une bataille acharnée contre la fatigue qui refuse de me lâcher, je finis par émerger pour me retrouver face à une Jeanne aux traits tirés et au regard inquiet. Que se passe-t-il ?
— Jeanne, est-ce que ça va ? demandé-je avant de regretter ma question l'instant d'après.
Elle a perdu son fils espèce de crétin, bien sûr que non, ça va pas. La cinquantenaire éreintée considère mon froncement de sourcil avec attendrissement, puis me sourit de ce sourire sans âme qui la ronge depuis la mort de Neven.
— Je suis désolée de te réveiller, mais ton père n'arrête pas d'appeler. Il a menacé de débarquer ici si on t'empêchait encore de lui parler, alors...
— Je te demande pardon pour ça, soupiré-je d'un ton plus dur que je ne l'aurais voulu.
— Tu n'y es pour rien mon grand, m'assure-t-elle en déposant un baiser sur mon front. Envoie-lui un message, d'accord ? Et appelle-le quand tu le sens. Tu peux même l'appeler en présence de George et moi, si tu as besoin qu'on lui parle.
Sans pouvoir articuler le moindre mot, je hoche la tête. Les commissures des lèvres de Jeanne se lèvent de nouveau, puis elle se retourne pour sortir de ma chambre. Arrivée dans l'entrebâillement de la porte, elle s'arrête, mais ne semble pas oser me faire face.
— Quoi qu'il se passe avec ton père, tu seras toujours le bienvenu ici, Axel, se contente-t-elle de dire avant de s'en aller pour de bon.
L'oxygène quitte mes poumons dans un souffle bruyant tandis que j'attrape mon smartphone. 17 heures. La boule au ventre, je reste un instant accroché au regard brillant de Neven sur mon fond d'écran. Après quelques secondes d'hésitation, je l'imagine me dire qu'on « l'emmerde, ce vieux con » pour me rebooster, et prends mon courage à deux mains. Les doigts en apesanteur au-dessus de l'appareil, j'entends mon cœur battre jusque dans mes tempes. Même à des kilomètres d'ici, ce connard me pourrit la vie. Sans réfléchir plus longtemps, je pianote sur mon portable, clique sur envoyer et balance mon portable comme s'il m'avait brûlé.
✉ Salut, appelle-moi dans une heure. Et laisse Jeanne et George en dehors de ça.
Agacé par le comportement irrespectueux de ce qui me sert de père, je me lève d'un bond en maudissant les décharges électriques qui parcourent ma jambe. J'attrape mes béquilles, reprends mon téléphone, enfile une veste qui ne m'appartient pas, et quitte la maison en trombe. La hargne pulse dans mes veines, mais je ne suis pas capable de la nourrir. J'aimerais pouvoir exploser, fracasser tout ce qui se trouve aux alentours, m'acharner sur la grille du cimetière au moment où elle croise ma route, mais je n'en ai pas la force.
Un claquement brutal résonne au milieu des tombes moroses quand je balance mes cannes sur le sol, et une grand-mère qui s'apprêtait à partir de l'endroit sombre me dévisage en remarquant que je m'allonge sur une pierre tombale. Encore un peu plus en colère, je puise dans l'énergie qu'il me reste pour l'ignorer et me concentrer sur Neven.
— Aujourd'hui, à la clinique, je me suis pris la tête avec un mec, lâché-je d'un ton rauque. Je le vois à chaque séance de rééducation, pourtant je lui ai jamais demandé son nom. Lui, il remarchera jamais, et il a eu tout le temps de l'accepter. Je suis content qu'il ait réussi, vraiment, mais parfois, il devrait fermer sa grande gueule. Il a dit qu'il comprenait pas pourquoi tu t'étais suicidé. Qu'être en situation de handicap c'était pas simple, surtout si c'était soudain, mais que c'était pas une raison de mourir. J'ai eu envie de lui sauter à la gorge.
De chaudes larmes dégoulinent le long de mes tempes, mais je ne les essuie pas. Je me contente de me laisser noyer par mon monologue.
— Je l'ai envoyé chier, pourtant j'aurais pas dû. J'aurais plutôt dû lui dire que ton départ avait rien à voir avec ces conneries. Qu'avoir des douleurs et du mal à marcher c'était un enfer, mais que c'était pas ce qui t'avais... Ce qui nous avait poussés à vouloir sauter ce soir-là. Il sait pas lui, il sait pas ce que c'est de perdre sa passion, l'impulsion qui nous maintient en vie, le truc pour lequel on pense être fait et qui a laissé place à aucun autre futur dans nos têtes. J'aurais dû lui expliquer ça, et j'aurais rajouté que c'était même pas vraiment le problème. Que c'était un tout. À la rigueur, on aurait peut-être pu se la jouer à la Grand Corps Malade si on avait eu le temps. Si ça se trouve, comme lui, on a un talent qu'on connait pas et qu'on a jamais pris le temps d'exploiter à cause des heures d'entraînement.
Les joues en feu, bien que baignées de chagrin et de colère, je me mets à rire.
— Nan, la vraie raison elle est éparpillée au milieu de tout le reste, et elle picore sur ce nouvel aspect un peu triste de nos vies. La vérité, c'est qu'on a pas seulement perdu notre passion, on a aussi perdu des amis. Tu as perdu ton meilleur ami, ce soir-là. On l'a vu mourir et on savait tous les deux qu'on aurait pu le sauver si on l'avait pas laissé conduire. La vérité, c'est qu'on était en train de regarder Océane s'en aller et qu'elle est toujours pas revenue parmi nous. La vérité, c'est que même avant l'accident, tu luttais contre la douleur. Des parents en instance de divorce, un frère qui s'est barré parce qu'il supportait plus son père et qui t'a jamais donné de nouvelles, Willow qui allait bientôt déménager... T'as essuyé abandons sur abandons et là, non seulement ton corps te lâchait, mais le basket aussi... Tes seuls amis mouraient et tu perdais ton équipe, ton coach, ton avenir... J'aurais dû lui dire tout ça. J'aurais dû lui balancer la dépression à la gueule. Comme ça, froidement. Et lui assurer que si on voulait mourir, c'était pas à cause du handicap.
Un sanglot m'échappe, mais je ravale les suivants. J'ai besoin de vomir ce que j'ai dans la poitrine, j'ai besoin de déblatérer, peu importe ce que je dis. Peu importe si ça a du sens. Peu importe si quelqu'un m'entend.
— Et puis merde, l'alcool y est pas pour rien non plus. Peut-être que si on avait pas bu, on aurait jamais décidé de sauter. D'ailleurs si on avait pas bu, rien de tout ça serait arrivé. Pas d'accident, pas de rêves brisés, pas d'âmes envolées, rien. On aurait juste assisté à la représentation de Willow et on aurait adoré. On l'aurait félicitée à outrance, tellement qu'elle serait sortie de là victorieuse avant même d'avoir la réaction de ses profs. Comme une star. Notre star. Notre étoile. Après ça elle nous aurait traînés chez elle pour une soirée film à l'eau de rose que t'aurais fait semblant de détester et puis elle se serait endormie la première pour se réveiller avant nous, et me botter le cul pour que je passe ma nouvelle lame avec succès. La semaine d'après on aurait assisté à ton match, t'aurais tapé dans l'œil d'un des mecs qui était censé être là, et on aurait fini par fêter nos réussites dans le chalet alpin des Hamilton, tous ensemble, avant que l'année se termine et qu'on voit nos chemins se séparer. Willow à Londres ou à New York, toi quelque part à te battre pour intégrer la NBA avec Lucas et Océane, et puis moi je sais pas trop où. On aurait vécu nos rêves à fond et on se serait retrouvés à chaque victoire, à chaque défaite, à chaque fois qu'on le pouvait. Ouais, on aurait fait ça sans ce putain de...
La sonnerie de mon téléphone me coupe dans mon utopie, et je ferme les yeux. Ça ne peut pas faire déjà une heure, quand même... J'approche l'écran de mon visage, mais ne décroche pas. Lentement, je me redresse, me tourne vers la photo de Neven sur la tombe, puis attends. Sans surprise, l'appareil se remet à sonner, et cette fois, je ne me défile pas.
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Salut tout le monde, désolé pour le retard, j'ai eu un contre-temps qui s'appelle "mon cerveau est en vacances" et j'ai complètement oublié de poster. J'espère que ce chapitre valait quand même la peine d'attendre un peu.
Que pensez-vous de la colère d'Axel ? Vous pensez qu'elle est justifiée, que l'autre garçon est juste un abruti ?
Le père d'Axel fait sa grande arrivée, que pensez-vous de lui, avant qu'on le découvre vraiment ? Que pensez-vous qu'il va dire à Axel au téléphone ?
Et la musique, alors ? On aime ?
Je suis pas très bavard aujourd'hui, mais j'ai pas grand chose à raconter. Comme je l'ai dit sur Instagram, en ce moment j'écris malgré mon retard un peu partout. C'est cool d'écrire un peu, d'écrire de nouvelles choses, de me lancer dans une nouvelle aventure. J'espère que vous aussi, vous prenez du temps pour faire ce que vous aimez, peu importe si la vie vous en laisse le temps ou pas.
Je vous dis à mardi ici ou a demain pour le nouveau réel sur mon Instagram, les potes.
Prenez bien soin de vous.
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