22. Mélina
Média: Stress Out - Twenty-One Pilots.
Troisième balade.
Je m'affale indirectement sur mon lit, bercée par cette si douce et si symphonique musique de hard rock. Je commence à peine à m'endormir, lorsque soudain, un bruits tout autre me fait rouvrir les yeux. Je tends une main encore endormie vers mon poste radio pour l'étendre, mais j'entends toujours ce léger son de martèlement. Je finis par lever la tête en direction de ma fenêtre de chambre et je comprends tout de suite quelle est l'origine de ce désagrément insupportable. Quelqu'un me lance des cailloux sur ma vitre. Et je crois savoir qui est ce quelqu'un... Lorsque j'ouvre la fenêtre, je m'aperçois que j'avais définitivement raison: Adrien. Toujours lui. Il n'en a pas marre de me coller comme... comme un sparadrap ?! Je me frotte les yeux en grognant. Généralement, il ne faut pas trop me chercher lorsque je viens à peine de me réveiller... mais ça, il n'en sait rien, malheureusement pour lui. Il s'apprête à lancer un autre cailloux, mais abstient son geste en me voyant. Les cheveux emmêlés et le visage sans maquillage, je dois ressembler à un iguane sur le point de s'éteindre. Il passe une main sur son front comme les indiens. Il porte une robe de chambre beige sur un pyjama Snoopy bleu marine.
- On part en balade ? Me demande-t'il avec un sourire jusqu'aux oreilles.
- C'est évident que non.
Ai-je vraiment mérité qu'un jour, mon chemin ne croise celui d'Adrien Anderson ???
- Oh, allez ! Tu ne vas pas me laisser dormir dehors une seconde fois !
- Dit celui qui m'a fait subir la toute première heure de colle de ma vie, avec un clin d'oeil.
- Tu m'en veux encore ?
Bien sûr que je t'en veux encore. Je t'en veux même d'exister, si tu veux tout savoir. J'aimerais te voir pendu une bonne fois pour toute.
- Non, je ne suis pas rancunière.
Par contre, je suis la pire menteuse de tout le Nord-Pas-De-Calais. Et ça, il semble l'avoir remarqué. Que dis-je ! Adrien remarque tout, de toute façon.
- Tant mieux. Alors on y va ?
Il commence à grimper sur son vélo tout neuf en espérant surement que je vienne le rejoindre.
- Je ne suis pas habillée, et la nuit, les gens normaux sont censés dormir tu sais.
- Et ben vas t'habiller. Je te laisse trois minutes. Et, tu sais aussi que nous ne faisons pas partis des gens normaux. C'était la leçon numéro un de ce week-end.
- Donc tu as réponse à tout, en faite ?
- C'est exact. Et ça c'était la leçon numéro deux.
- Je tâcherai de m'en souvenir...
J'ai envie de lui dire que je ne peux pas venir, mais c'est trop tard. J'ai déjà enfilé un sweat à capuche et des grosses bottines fourrées pour partir de nouveau à l'aventure. Youpi...
***
Je grelote comme une folle, à vélo. Mais je me rends compte que nous n'allons pas très loin: la bibliothèque de Calais, l'un de mes endroits préférés juste après le cinéma. Pendant le trajet, Adrien ne dit rien mis à part des petits "ça va Moulinet ?" auxquels je ne réponds pas. Néanmoins, il règne un silence plutôt confortable. Lorsque nous arrivons devant la plus grande bibliothèque de la ville, il s'arrête et je souris. C'est bel et bien l'endroit que je prédisais. Il doit adorer les livres pour avoir ses mots favoris dans la langue française. Personnellement, je n'y avais jamais songé... quoique, "songe" est un mot magnifique. Il fouille dans son sac et en retire des clés sans la moindre gêne. J'ai soudainement un doute: comment s'est-il procuré ces clés ? Les a-t'il volées ?! Par tout hasard, se serait-il glissé par une fenêtre de la bibliothèque comme Edward Cullen aurait fait ??! En voyant mon visage horrifié, il dit:
- Je connais la bibliothécaire, enfin du moins, sa fille. Elle m'avait refilé le double des clés parce que ma mère avait sympathisé et qu'elle savait que j'adorais lire, mais il faudrait que je la revois, un de ces jours...
Cette remarque a été prononcée uniquement pour me narguer, je le sais bien. Alors pourquoi je me sens en colère, tout à coup ? Il entre dans le gigantesque kiosque et je le suis malgré ma peur panique d'être toutefois entrée par effraction. Il m'invite à choisir le livre que je veux, mais je dois admettre que dans le noir, tout n'est que complication. Il se dirige malgré tout dans le rayon pour enfants et pioche un livre au hasard. Je décide de choisir Eleanor & Park, un livre que j'avais commencé vers mes dix ans mais que je n'ai jamais eu le courage de terminer. Trop long et trop compliqué, avais-je dit à mes parents. Mais cette fois, je me sens capable de le finir en quelques heures à peine. L'histoire colle parfaitement avec ce que je voudrais lire, et j'aimerais savoir comment Eleanor s'en sort avec Park. Des conseils pour survire dans ce milieu hostile seraient les bienvenus. Je m'assois à côté de lui, sur un petit tapis rougeâtre près du coin enfant. Il a l'air complètement absorbé dans sa lecture, et je me penche vers lui pour voir ce qui l'attire autant. C'est une comptine. Il tourne la tête et me dévisage. C'est à ce moment que je me rends compte que je me suis approchée un peu trop près de lui. Je recule, gênée, puis je me mets à lire pour de bon.
L'a t'elle manqué ? Elle voulait se perdre en lui, lui attacher ses bras autour d'elle pour toujours. Si elle lui montrait à quel point elle avait besoin de lui, il se serait enfui...
Absorbée par ma lecture, je ne remarque même pas qu'Adrien commence à danser en chantant:
- Ah les cro cro cro, les cro cro cro, les cro cro diles, sur les bords du Nil, ils sont partis n'en parlons plus !
Je finis par relever progressivement la tête, pour ne pas trop le brusquer. Mais il continue de danser en chantant joyeusement...
- Il fredonnait une marche militaiiiireee,, dont il mâchait les mots à grosses dents ! Quand il ouvrait la gueule toute entièèèèèreee, on croyait voir ses ennemis dedans !
- Et bien et bien, je te croyais un peu plus littéraire que ça. - L'araignée Gipsy, monte à la gouttière, tiens voilà la pluie ! Gipsy tombe par terre. Mais le soleil a chassé la pluie...
Il me tire par le bras et nous chantons tous les deux La souris verte, l'une des comptines les plus connues du monde. Nous nous amusons ainsi pendant plusieurs minutes, jusqu'à tomber sur le sol, la voix cassée et les yeux cernés.
- J'aime bien les comptines, me confie-t'il, je n'aurais jamais dû grandir...
Je suis très surprise par le fait que nous nous comprenons parfaitement sans avoir besoin d'être pareils.
- C'est vrai. J'aurais dû profiter un peu plus de mon enfance.
- J'aurais dû être un enfant comme les autres sans m'attirer d'ennuis.
- J'aurais dû me confier avant.
- Alors j'aurais dû te rencontrer plus tôt...
Il me jette un petit regard en coin et je rougis comme une tomate. Il y a un silence confortable durant lequel nous nous consacrons pleinement à notre lecture. Pour ma part, je suis fascinée.
Il l'avait cueillie par surprise, et avant même qu'elle puisse s'en empêcher, il lui avait mis le coeur en miettes. Comme si son coeur n'avait pas trouvé de meilleure raison que lui pour se briser.
Cette dernière phrase me donne la chair de poule. Et si mon futur se déroulait comme dans Eleanor & Park, et qu'Adrien me briserait le coeur ? Enfin, il faudrait déjà que je sois en couple avec Adrien, et ça, ce n'est pas gagné d'avance. Je vais m'en tenir à: ce n'est pas mon genre de mec. Et c'est vrai, les suicidaires ne sont pas vraiment à mon goût. C'est alors qu'au bon d'un certain temps, il se lève et repose son livre sur une étagère au hasard pour se diriger vers un petit escalier un peu étroit. Comme j'ai peur de me retrouver seule, assise en plein milieu d'une bibliothèque déserte dans le noir, je le suis. Nous arrivons sur le toit, et je me rends compte que le bâtiment est tout de même très haut. La ville est encore une fois à portée de main, et je commence à croire qu'Adrien aime se sentir plus grand et plus fort que tout le monde. Il ne détourne pas le regard lorsque je m'approche de lui, mais je suis un peu inquiète. Il est un peu trop près du bord pour ne pas se douter de quelque chose et, avant que j'aie pu dire quoi que ce soit, il me rassure:
- Je ne vais pas sauter.
- Ah, non mais je le sais, hein...
Voici la fille qui essayait de faire genre qu'elle n'était pas du tout inquiète alors qu'elle était juste morte de trouille. Et oui, c'est moi. Qui s'en doutait ?
- Pourquoi tu t'es évanoui devant Cédric Sanchez ?
J'ai surement fait une très grosse erreur en posant cette question, car Adrien se fige, et je commence à le comparer avec une planche de bois. Je n'ai rien pu faire pour empêcher les mots de sortir de ma bouche. Dans tous les cas, Adrien le gros dur semble revenir à son esprit.
- J'ai eu une migraine. Tu sais, ce genre de chose qui te fait tourner la tête abominablement fort.
- Je sais ce qu'est une migraine. Je demande juste s'il aurait joué un rôle important dans cette "migraine".
Il fait la moue de manière très objective.
- Il m'a juste rappelé quelqu'un, mais à part ça, la migraine a fait le reste du boulot.
- Je sais reconnaitre lorsque tu mens et lorsque tu me dis la vérité.
Grâce à ses merveilleux talent d'acteurs. Il me jette un regard ébahi, comme s'il venait d'apprendre que la Terre allait exploser.
- Nan ??! Et je fais quoi quand je mens ?!
- Ha ha.
- Toi, je sais que tu fais un genre de haussement de sourcils très bizarre. Tu es douée avec tes sourcils, en tout cas.
- La vérité.
Je le mène à la baguette, et j'adore ça. Même s'il n'en a pas l'air, il est plutôt naif, en réalité.
- La vérité c'est que j'ai pas pu me retenir de manger le Kinder de ma soeur hier soir.
Il a dit ça d'une voix tellement sérieuse que je ne peux pas m'empêcher d'émettre un petit "pff" juste pour ne pas rire davantage.
- Si tu ne veux rien me dire, tant pis. Moi au moins, j'aurais eu le mérite d'avoir pu me confier.
- J'ai juste employé les méthodes de mon psy pour te faire cracher le morceau: parler à la personne concernée derrière un écran, faire du chantage et donner des conseils inutiles.
- Adrien Anderson, tu n'as pas fini d'entendre parler de moi. Je percerai à jour ton secret.
- Cool. On va passer un peu plus de temps ensemble, alors ?
- Si ce que tu cherches ce sont les réponses des contrôles, alors rêve bien.
- Non, je veux juste être avec toi.
Je le regarde en train de me fixer avec un petit sourire. Nos deux visages sont plus ou moins rapprochés, et j'ai cru qu'il allait m'embrasser pour de bon. Mais non, rien. Et je commence à me demander quand est ce qu'il osera enfin. Quand est ce que j'arrêterai d'attendre, moi aussi. Il toussote avant de s'avancer près du bord du toit.
- Mais, ne vas pas t'imaginer que je dis ça parce que tu me plais, hein.
Je le rejoins en soupirant.
- Quelle originalité, Anderson.
- Je sais.
Puis, il étend ses bras et se met à crier haut et fort:
- J'en ai assez d'être ce que je suis, d'avoir des migraines, de lire des livres sans images, d'avoir un cerveau doté d'une mémoire et d'avoir une famille bizarre !!!
Il se recule avec un grand sourire. J'ai les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, et une question se répète dans mon esprit: pourquoi il a fait ça ???
- À toi.
Je m'approche un peu, impatiente de crier au monde ce que je ressens. Même si je trouve ça excessivement stupide.
- J'en ai assez de vivre seule, d'être comme les autres mais de pleurer tous les soirs en cachette, de penser que la vie est une pute, d'avoir la pire vision du monde, de pleurer devant des films d'amour et de ne pas être capable d'embrasser Adrien Anderson !!!
Je plaque une main sur ma bouche, horrifiée. J'en ai beaucoup trop dit. Je me tourne vers Adrien qui a les deux sourcils relevés et un grand sourire dévoilant ses dents. J'ai envie de me gifler jusqu'à l'extinction de mes joues. Je bredouille:
- Euh... je crois que je vais y aller...
Sur ce, je file tout en trébuchant maladroitement.
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