13. Adrien

Média: Emma Anderson.

Deuxième week-end d'ennuis.

- Alors, comment se sont passées vos journées ?
Ma mère vient à peine de raccrocher son téléphone, et c'est déjà le grand débat de la journée. Une vraie interrogation surprise sans aucun moyen d'échappatoire. Rachel grommelle quelque chose de totalement inaudible tandis qu'Emma se redresse sur sa chaise pour raconter sa vie extraordinaire.
- J'ai un mot à te faire faire signer pour une sortie scolaire. Madame Foucher a dit que si c'était pas signé pour Mardi prochain, elle allait annuler la sortie. Nan mais sérieux, c'est qui cette folle wesh ? Manon et moi on était juste choquées.
Pendant qu'Emma nous raconte sa matinée plutôt trépidante, je repense à ma journée avec Mélina. La plus belle de toute ma vie, si je puis dire. L'une des premières fois où je me suis senti compris par un être humain, comme moi. Car la plupart du temps, j'aime discuter avec des insectes. Soudain, je décide de couper ma petite sœur.
- Est ce que je peux raconter ma journée, moi aussi ?
Tout le monde porte son attention sur moi, Emma est "juste choquée", Rachel est quelque peu soulagée et ma mère... on va dire qu'elle se contente d'afficher un sourire béat.
- Oui mon chéri, qu'as tu fait aujourd'hui ?
- J'ai appris qu'il n'y avait pas que des crétins dans ce monde.
Comme si elles avaient l'espoir de m'entendre dire quelque chose de plus ou moins "commun", mes deux soeurs poussent un long soupir et s'affalent sur leurs chaises. Ma mère n'a pas vraiment eu l'air de m'écouter.
- Ah oui, et tu as appris ça dans quelle matière ?
Je souris. Et c'est sans doute le sourire le plus inattendu du monde.
- Dans le cours des balades.
- D'accord d'accord, bon les enfants, ce soir je dois aller travailler. Rachel, je te confie la garde de tes frères et soeurs.
- Pas besoin de me le demander, c'est toujours moi qui les garde, marmonne-t'elle entre ses dents.
Ma mère se lève de sa chaise en se frottant le front, les yeux dilatés. Je la regarde d'un air inquiet: j'ai une soudaine envie de l'aider. Si c'est grâce à Mélina, cela veut dire que cette fille est en réalité une sorcière.
- Maman, si tu veux, je fais la vaisselle ce soir. Vas te reposer avant d'aller travailler.
Peut-être qu'elle n'est pas la meilleure mère du monde à l'écoute de ses enfants, mais je la respecte tout autant. Elle nous a éduqués toute seule depuis des années en travaillant d'arrache-pied en tant qu'infirmière de nuit. Puis de temps en temps, elle fait des petits remplacements dans des bibliothèques pour nous avancer encore un peu financièrement. Et Rachel, malgré sa majorité, ne l'aide vraiment pas. Elle conçoit qu'une mère se doit de s'intéresser à nous. Elle n'a pas tort, mais personne n'a vraiment tort dans cette maison. Ma mère me gratifie d'un sourire, se retourne pour partir, puis se fige d'un seul coup.
- Tu... tu m'as appelée "Maman" ?

***

Je sens le regard vicieux de Mr Millet sur moi, derrière son bureau. Il se tourne nerveusement les pouces, comme s'il cherchait une solution pourtant évidente. Je regarde les alentours de la salle pour m'occuper. Son cabinet est minuscule: il y a quelques dessins d'enfants de maternelle accrochés au mur, une plante verte qui doit surement être là depuis toujours et les murs ont un papier peint orangé sûrement jaune à l'époque arraché à quelques endroits. Soudain, Millet se réveille sans pour autant bouger et j'en sursaute presque.
- Vous avez changé, Anderson, marmonne-t'il en se caressant le menton.
Je souris de mon plein gré, fier de ma personne.
- Ah, vous avez remarqué l'accent !
- Non, non non ce n'est pas ça dont je veux parler. Vous êtes plus joyeux et "vivant" qu'avant. Après, est ce un bon signe ? Je n'en sais rien.
Mon sourire disparait pour se transformer en grimace.
- Qu'est ce que j'ai fait pour que vous me dites ça ? J'ai sauté sur le bureau en criant "je suis joyeux et vivant" ?
Attention, emploi de la même métaphore que la dernière fois:
- Ne tournez pas autour du pot, Anderson ! Avez-vous rencontré quelqu'un ? Et cette Mélina Allard ?
Je pars dans un grand fou rire pour faire mine qu'il raconte vraiment n'importe quoi, même s'il vise juste, trop juste. Je pense aussi que c'est le principe d'un psychologue.
- Mélina Allard ? Alors là Monsieur, on s'enfonce dans la profondeur de la ridiculualité !
- Ce n'est pas un mot, Anderson.
- Oui bon, c'est pareil. Peut-être que je me suicide moins en ce moment, mais ce n'est pas non plus une raison pour dire que j'ai rencontré quelqu'un !
J'éclate de rire une deuxième fois, mais je m'emballe surement un peu trop. Millet me jette un regard suspect.
- Et cette accent étrange, alors ? Une nouvelle technique de Monsieur pour que l'on s'intéresse à lui ?
Je me calme immédiatement. Il commence à s'énerver, alors mieux vaut ne pas l'agacer. Il poursuit tout en me fixant d'un oeil mauvais.
- On se reverra dans deux jours. À bientôt, Anderson.
Je me lève précipitamment de ma chaise en bredouillant:
- Ouais, tchao, au revoir, à bientôt euh... salut, ...
- Sortez !
Je détale hors de son cabinet en riant.

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