1. Adrien

Média: merci de rester à mes côtés, même si j'essaye toujours de te repousser.

Premier jour en communauté.

Quel jour sera le bon ? Voila la question que je me pose déjà le matin, en engloutissant mon bol de céréales, le midi au self, seul à ma table, et le soir dans mon lit lors de mes très nombreuses insomnies. C'est un rituel chez moi. Depuis tout petit je me demande si ma vie a un certain sens, si je mérite vraiment ma place dans ce monde. Il est vrai que c'est idiot de retarder ce moment crucial où la vie s'arrête alors que l'on sait d'avance que notre mort est prémonitoire... Dans ma vie, je n'ai pas vraiment de distractions: peut-être ma famille, ma mère et mes soeurs, et puis les filles en général. Même si elles ne m'accordent pas vraiment d'attention, ou juste lorsqu'elles sont seules avec moi. En public, elles ont sans doute peur de se ridiculiser. Quoi ? Sortir avec Adrien Anderson ? Quoi de plus humiliant !
Voila le résumé global de ma pauvre existence, même si je ne devrais pas me plaindre: j'ai en tout pour tout un meilleur ami, Auguste ( ses parents sont fans de la Rome antique ), et puis j'ai un domicile fixe, de la nourriture, je ne manque de rien, ma famille est presque parfaite ( si mon père ne s'était pas barré dix ans plus tôt et si ma mère s'en était remise ) et mes résultats scolaires sont plutôt satisfaisants.
Alors comment en suis-je arrivé à vouloir me suicider me demanderiez-vous ? Ça, je ne le sais pas encore. Enfin si, mais c'est à dire que je ne suis pas encore prêt à vous le dire. Lourde tâche que de révéler la vérité... et puis, à quoi bon vivre si cela risque de nous arriver de toute façon ? Mieux vaut s'y préparer. Et j'ai trouvé le bon endroit pour enfin faire le grand saut. Parce que je ne vais pas dire que depuis ces derniers temps, je suis très confus sur ce sujet, mais j'ai tout de même déjà essayé cinquante-neuf fois en un an de sauter du toit du lycée, le point le plus culminant de toute la ville. Depuis, mes camarades de classe se sont habitués à me voir tenter par la mort... ce qui m'a fait valoir le surnom de "fêlé".
Mais cette fois, je sens que c'est la bonne. J'avance sur la partie avant du toit, le vent m'entrainant sur le rebord, comme si c'était un signe... je sais parfaitement que c'est plutôt malsain de faire cette acte morbide le jour de la rentrée, mais je déteste la vie en communauté, et le lycée est un très bon exemple pour ce genre de pratique. Il est vrai que je suis une sorte de psychopathe modernisé, celui qui pique des crises de colère dans les moments les plus inattendus, celui qui a pas mal d'entretiens avec le psychologue du lycée et qui, depuis, le connait par coeur, celui qui est toujours seul à trainer dans les couloirs, celui qui interprète très mal ses pensées, ... bref, le fêlé. Les autres ont raison.
Alors je vais leur enlever un poids de leurs épaules. Je vais disparaitre pour ne plus jamais revenir. Tout ça, c'est terminé. Adrien Anderson ne sera plus qu'un mauvais souvenir perdu au fin fond de leurs esprits moqueurs. Oui, car nous sommes au lycée. La moindre occasion pour se marrer est bonne à prendre.                                                                                    Mais, sur le toit, je sens comme une présence. Je sais que je ne suis pas seul. Je pense à une sorte de divinité qui serait tout simplement en train de m'ouvrir ses bras vers la mort, mais lorsque je tourne la tête, j'aperçois une fille. Les cheveux blonds foncés volants dans le vent et dissimulant un tendre visage avec une bouche en coeur et des yeux myosotis. Je la reconnais. Je crois qu'elle s'appelle Mélina, mais son nom de famille ne me dit plus rien. Elle était là l'année précédente. C'est le genre de fille qui traine avec Léonie Marty et qui flirte avec Gaëtan Sarthe. Ses yeux se révulsent presque et fixent le vide avec une panique contagieuse: je ne suis plus du tout en confiance maintenant que je sais qu'une fille est à mes côtés. Mon regard passe du vide à elle, et j'essaye de garder mon calme. Je m'approche lentement jusqu'à sa fine silhouettes, gardant les pieds bien rapprochés pour ne pas glisser. Enfin je la voie plus clairement: elle semble avoir perdu tout espoir, et elle a exactement la même lueur de confusion dans les yeux que moi. La cloche retentit, signe que la première heure de cours vient de s'écouler. Tous les lycéens vont sortir du bâtiment et nous voir perchés à quinze mètres de haut. Les dents de Mélina se serrent, mais elle ne me jette pas un regard. Après tout, j'ai l'habitude.                                                                   - Si tu veux avoir au moins une chance de sauver ta popularité, il va falloir que tu descendes et que tu me laisses la place, dis-je avec les yeux brillants d'adrénaline.                                              
Elle ne dédaigne pas me dévisager, alors je décide d'entamer la conversation, tout guilleret.         
- Je ne sais pas ce qui te pousse à en arriver là, mais sache que tu as choisi le bon endroit pour te suicider. J'ai longtemps cherché, moi, avant de trouver ça. On est tranquilles, ici. Enfin, pendant les heures de cours, parce que là maintenant, c'est sûr que ça va être moins tranquille...          
Elle ne bronche toujours pas, et je poursuis. Non pas que je veuille la décourager à sauter, je ne suis pas dans ses problèmes personnels, mais je veux juste faire connaissance... draguer au sommet du point culminant de Calais ne me serait jamais venu à l'esprit, auparavant.                        
- J'ai tout essayé, hein, je te jure: la mairie, la gare, la petite statue du rond-point et même ma maison... j'ai toujours terminé au conseil disciplinaire. Ah, et d'après mon ancien psychologue, je suis "un petit con". Depuis ce jour ma mère m'a fait suivre des milliards de fois chez le psy du lycée, le plus patient avec moi. C'est vrai qu'il est sympa, Monsieur Millet. Je devrais le remercier, parfois. À cause de moi, il évite de peu le licenciement, et ça c'est pas cool, je l'avoue... n'empêche que j'aime bien voir le monde d'en haut. Tout a l'air plus gentil. Même Léonie et sa bande, alors c'est pour dire ! La vie est un peu plus claire qu'avant. Parce que dans ma tête, tout est flou... alors si tu veux vraiment sauter, tu vois, il faut une raison valable. Si tu as le courage de partir, je te suivrai. C'est une place de choix. Vas-y, enjambe la barrière de sécurité. S'il te plait, fais-le. Pour m'éviter la mort.                                                                                                                        
Et, comme par magie, elle se décide enfin à me regarder droit dans les yeux. Son visage est déformé par la peur, mais elle semble de plus en plus rassurée. Depuis le temps que je fais la causette, les lycéens sont presque tous sortis du bâtiment. Certains nous ignorent totalement, d'autres ont l'air de reconnaitre Mélina, et j'aperçois même Valentin et Léonie se moquer de moi. Elle s'approche enfin de la barrière de sécurité, et l'enjambe avec l'agilité d'un chat. Je la suis du regard, avant de la voir retomber aisément sur ses deux pieds, dans un endroit où elle n'est pas soupçonnée de suicide.                              
- Vas-y, à ton tour. Avance doucement parce que ça glisse, me prévient Mélina à la surprise générale.
J'ai peine à croire que ce que je viens d'entendre sort bien de sa bouche. J'approche de la barrière, les jambes tremblantes, puis elle m'attrape le bras. Je frémis mais les mots que je m'apprêtais à dire restent coincés dans mon gosier. Elle me tire légèrement vers elle.                    
- Tu y es presque !                                                                                                                                                          
Elle vient de m'encourager ! Je passe le pieds droit, puis le pieds gauche, la main de Mélina toujours attachée à mon bras. Une fois hors de danger, je perçois des applaudissements venant d'en bas et des "bravo Mélina !" ou "Mélina, le héros du fêlé !". Ces remarques me font sourire.   
- Pas un mot sur cette histoire, ok ? M'ordonne-elle d'une voix soudainement autoritaire.           
Je souris encore plus.                                                                                                                                                        
- Oh, de rien. Ce n'est pas la première fois que je sauve la vie de quelqu'un, tu sais.                       
Elle devient plus calme. Les gens sont si prévisibles !                                                                                         
- Désolée... merci beaucoup. Je ne sais pas ce qui m'a pris...                                                                          
- C'est surement la vue. Elle est imprenable d'ici !                                                                                          
Elle m'offre enfin un magnifique sourire.                                                                                                                  
- C'est que... les gens sont si déprimants ! J'ai l'impression d'être de trop dans ce monde, d'être seule en permanence ! Il n'y a rien de plus horrible que de se sentir ordinaire...                                                                   
- Mmh... moi ça me plait bien d'avoir deux yeux, une bouche, et une rangée de dents.                   
Je lui souris pleinement pour qu'elle constate par elle-même, et elle rit. Mon dieu, quel rire ! C'est la première fois que j'amuse quelqu'un. Quelqu'un qui rit sans se moquer.                                 
- Pour un gars suicidaire, tu m'épates Anderson !                                                                                          
Mais soudain, une voix interrompt notre conversation. Léonie, bien sûr. Cette fille n'arrive pas à se mêler uniquement de ses affaires.                                                                                                                             
- Ça va Mémé ?! Crie celle-ci en se décrochant la nuque pour regarder en l'air.                                  
"Mémé" tourne subitement la tête vers son interlocutrice, puis lui fait un grand signe de la main.
- Oui oui ! Tout va bien, ne t'en fais pas !                                                                                                                  
Je viens juste de faire une tentative de suicide avec Adrien Anderson mais à part ça tout va bien ! Un air d'incompréhension se dessine sur mon visage, et Mélina lève un sourcil. Je n'ai jamais réussi à faire ça.
- Mémé ? J'épèle en la fixant droit dans les yeux.                                                                                             
Elle hausse les épaules.                                                                                                                                                     
- Oui, c'est mon surnom. Bon, je dois te laisser. Merci encore pour tout ce que tu as fait, Ad.     
Mes yeux se mettent à pétiller de joie. Elle me sourit une dernière fois avant de se tourner vers la sortie.
- Ok. Ah, et j'adore ce que tu fais avec tes sourcils.                                                                                               
Elle pousse un petit rire adorable, puis disparait.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top