Prologue
La pluie tombait à verse.
L'orage grondait.
A travers mes yeux baignés de larmes, j'apercevais les éclairs redoubler d'intensité dans le ciel nuageux et noir. Trempée jusqu'aux os, j'accélèrai la cadence. Je me fichais totalement de ne rien voir à plus de trois mètres devant moi, de pouvoir chuter à tout moment ou de tomber malade. Quelque chose de bien plus important que ma santé était en jeu.
A bout de souffle, je sentais que mes genoux peinaient à me porter. Je courais ainsi depuis près d'un quart d'heure et je savais que je ne parviendrais pas à tenir le rythme pendant encore très longtemps. Heureusement pour moi, j'approchais de ma destination. Dans quelques centaines de mètres, la vieille maison abandonnée dans laquelle j'avais rendez-vous apparaîtrait dans mon champ de vision. Cette pensée me donna un élan de courage et je hâtai encore un peu plus le pas. Je n'avais jamais sprinté aussi vite. Mes jambes me brûlaient, tout comme mes poumons mis à mal par cet effort inhabituel. C'était la première fois que je courais autant. Je ne pouvais pourtant pas me permettre de ralentir.
Le destin de deux royaumes dépendait de moi. Je n'avais pas le choix. Si je traînais trop, une guerre éclaterait. Je devais l'empêcher.
La bâtisse en ruine où je devais me rendre apparue devant moi, et un souffle de soulagement s'échappa de mes lèvres. Il se transforma en un nuage de brume et s'évapora dans l'air. A quelques mètres seulement du parvis de mon point de rendez-vous, le tonnerre gronda dans mon dos, plus fort que jamais. Prise par surprise, je sursautai et ma cheville se tordit lorsque je la posai pas terre. Je trébuchai sur l'herbe glissante et m'étalai de tout mon long sur le sol détrempé et boueux. La respiration coupée par le choc, je mis plusieurs secondes à me reprendre. Le cœur au bord des lèvres, je luttai contre l'envie de rendre le contenu de mon estomac. Je réprimai un haut le cœur et me relevai, le bas du corps si tremblant que j'ignorais de quelle manière je parvenais à tenir debout. Je repris ma route en ignorant la douleur lancinante qui me poursuivait désormais dès que je posais la cheville droite sur le sol. Le bois des escaliers menant à l'entrée de la ruine grinça sous mon poids et j'entrai dans le hall d'entrée dans un vacarme étourdissant.
Je me laissai tomber à genoux, puis sur le dos, pour reprendre mon souffle, sachant que la personne que je venais retrouver ici m'avait entendu arriver et viendrait me rejoindre si je ne la rejoignais pas dans la seconde. La main posée sur ma cheville désormais douloureuse, je grimaçai en prenant de grandes inspirations. Ma vision était trouble et je me sentais lourde, mais ce n'était pas le moment de faire un malaise. Je n'étais pas venue jusqu'ici pour tomber dans les pommes une fois arrivée.
— Qui est là ? m'interpella une fois.
— C'est moi !
Les bras flageolants, je pris appuie dessus pour me redresser et m'appuyer contre le mur. La tête rejetée en arrière, j'attendis que ma sensation d'étourdissements disparaisse. Des bruits de pas me parvinrent à travers le boucan causé par la pluie et l'orage, puis une silhouette passa la porte menant à l'étage supérieur.
— Maeve ?
Malgré la situation pressante et l'urgence qui pesait sur nous, je souris en voyant le sorcier qui me faisait face s'approcher de moi. Sans faire attention à l'état pitoyable dans lequel je me trouvais, je me redressai sur mes deux jambes et m'avançai vers lui. Il m'accueillit en me prenant dans ses bras, indifférent à la pluie et la boue qui maculaient chacun de mes vêtements et que je ne manquerais pas de lui offrir dans cette étreinte. D'un claquement de doigt, il sécha l'intégralité de mes habits ainsi que mes cheveux. La gêne dans ma cheville disparut aussitôt, mais ma cage thoracique resta à deux doigts de l'implosion. Je ne pris pas le temps d'apprécier ses changements et levai vers le magicien des yeux pleins de sanglots. Il comprit aussitôt que quelque chose n'allait pas.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
Nous devions nous retrouver entre amoureux, dans une bonne ambiance. Me voir dans cet état n'était pas dans ses plans. Entre deux respirations sifflantes, je parvins à prononcer quelques mots.
— Ma mère... Elle vient de déclarer la guerre à ton royaume.
Son visage perdit l'intégralité de ses couleurs et devint totalement livide.
— Quand ?
— Il y a vingt minutes. Je me suis éclipsée du château pour te prévenir dès que j'en ai eu l'occasion.
Courbée en deux, incapable de retrouver une respiration régulière, je le sentis se crisper.
— Dray, on doit faire quelque chose.
Il se mit à faire les cent pas devant moi, me donnant le tournis par la même occasion. Je me laissai tomber sur le sol, la tête dans les mains. Dray tourna en rond pendant de longs instants. La colère transpirait par tous ses pores.
— Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? finit-il par me demander. Nos peuples sont incapables de s'entendre !
Je secouai la tête, et tendis la main vers lui. Il l'a prit en comprenant parfaitement où je voulais en venir.
— On est la preuve du contraire, arguai-je. Il suffirait qu'on...
— Non. C'est hors de question.
Il me lâcha et s'éloigna en se passant la main dans les cheveux d'un geste rageur. Je me redressai pour aller me placer devant lui. Ma vitesse de mouvement me donna le tournis mais je passai outre pour m'approcher de Dray.
Mon petit ami.
Et le prince du royaume ennemi au mien.
— Tu ne sais même pas ce que j'allais dire !
— Si, je le sais ! Depuis des semaines, tu veux qu'on annonce à nos parents qu'on sort ensemble parce que tu es persuadée que c'est la meilleure chose à faire.
Parce que je ne voyais pas d'autres solutions de faire comprendre à nos royaumes que la paix était possible. J'avais déjà avancé cet argument à de nombreuses reprises mais Dray le refutait à chaque fois. Il était persuadé que son père tenterait de me tuer au moment même où il apprendrait notre relation.
— On a plus le choix, Dray. On ne peut pas laisser nos armées s'entretuer sans rien faire. On ne peut pas continuer à se voir en cachette alors que nos peuples se déchirent.
Je n'en pouvais plus de voir les habitants de mon royaume souffrir en silence lorsque, trois fois par semaine, j'allais retrouver mon petit copain qui était le visage de leurs cauchemars. J'étais leur princesse, et j'avais l'impression de les trahir en agissant de la sorte.
— Je sais. On ne peut plus faire ça.
Sa voix tremblante ne manqua pas de me tordre le cœur. Je me plaçai devant lui et l'examinai. Des larmes perlaient au coin de ses yeux, me faisant froncer les sourcils. Jamais. Jamais je ne l'avais vu pleurer. Même lorsque sa mère était morte, il y avait deux mois de cela, je n'avais vu aucun sanglot s'échapper de ses prunelles grises. Cela ne me disait rien qui vaille.
Sur la pointe des pieds pour être à sa hauteur, je passai délicatement mes pouces sous ses yeux pour essuyer les larmes qui ne demandaient qu'à dévaler son visage.
— Alors allons voir nos parents... tentai-je une nouvelle fois. Ma mère m'écoutera.
— Mais pas mon père, contra-t-il immédiatement.
Il s'éloigna de moi sans plus oser croiser mon regard. Je l'observai faire sans comprendre ce qu'il se passait dans son esprit. Il me dévisageait. Il détailla chaque partie de mon corps en déglutissant, avant de planter ses prunelles dans les miennes. Le torrent d'émotions qui y brillait me donna la nausée.
— Je veux qu'on rompe.
Ses quatre mots suffirent à réduire mon cœur en miettes. Bouche bée, j'essayais de déceler dans son regard le moindre signe qui pourrait me montrer qu'il ne pensait pas un mot de ce qu'il venait de me dire. Le sol tangua sous mes pieds et je me rattrapai au mur pour ne pas tomber.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
Ma voix était à peine audible au milieu du tourbillon de pensées qui habitait mon crâne.
— Ne m'oblige pas à me répéter.
— Pourquoi ? m'écriai-je. Pourquoi, Dray ?
S'il y avait eu quelqu'un dehors, il m'aurait entendu. Seulement, c'était le cadet de mes soucis, pour le moment. N'y tenant plus, je laissai des larmes dévaler mes joues. Dray ne mit pas longtemps à faire de même. Sous mes yeux ébahis, je compris les raisons de son acte. J'aurais dû les comprendre depuis le départ.
— Tu ne veux pas rompre ! Tu veux me protéger ! Tu crois vraiment que c'est la bonne solution ? Tu sais très bien que ça ne servira à rien ! Tu ne peux pas faire disparaître mes sentiments comme ça ! Qu'est-ce que tu crois ? Que c'est en rompant avec moi que tu vas m'empêcher de faire ce qu'il faut pour mon peuple ? Tu ne peux pas prendre des décisions idiotes sur un coup de tête parce que tu crois que c'est mieux pour nous deux !
Dray subit l'accusation sans broncher.
— Je n'ai pas pris cette décision à la légère? J'y pense depuis des jours entiers. Je te connais, Maeve. Si la guerre éclate réellement, tu voudras absolument y participer, même si tu es l'héritière de ton royaume. Et à ce moment-là, tu devras te battre contre moi. Je sais que je ne pourrais pas t'empêcher de prendre part aux combats, mais je peux au moins te protéger de mon père.
— Il ne me fait pas peur !
Le roi de la monarchie voisine ne suffirait pas à ce que je laisse tomber mon amour pour Dray. Notre relation était interdite, mais je détestais obéir aux règles. Surtout lorsque cela me brisait le cœur de le faire.
— Tu ne sais pas de quoi il est capable. Je t'aime Maeve, je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose à cause de moi, dit-il d'une voix brisée.
— Tu penses vraiment que c'est à toi de décider pour nous deux ? m'énervais-je. Tu crois vraiment que c'est en rompant que ça va changer quelque chose ? Je ne vais pas t'oublier juste parce que tu décides que c'est mieux pour moi !
Les sentiments qui voilèrent ses prunelles me firent comprendre que si, il le pouvait. Et c'était exactement ce qu'il avait prévu de faire. Je reculai de plusieurs pas en secouant la tête, jusqu'à ce que je butte contre le mur qui se trouvait derrière moi.
— Non, ne fait pas ça !
Mes sanglots redoublèrent d'intensité. Je marmonnai des paroles incompréhensibles pendant que Dray s'approchait de moi. D'un geste doux, il essuya les larmes qui coulaient sans cesse sur mes joues. D'autres remplacèrent immédiatement celles qu'il venait de faire disparaître. Tendrement, il approcha ses lèvres des miennes dans un dernier baiser au goût des larmes.
— Je dois le faire, Maeve. Pour toi.
— Je t'aime, pleurai-je.
Sa main caressa doucement ma joue.
— Je ne t'oublierai jamais, me promit-il. Xechna mei.
Une sensation étrange enveloppa l'intégralité de mon corps. Ma vue se brouilla et, avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, j'eus l'impression de sentir mon cœur se briser dans ma cage thoracique. Les yeux braqués sur Dray, je clignai des paupières durant une infime seconde. Lorsque je les rouvris,j'étais seule au milieu de la bâtisse abandonnée.
Je me laissai glisser le long du mur, jusqu'à tomber à genoux sur le sol. Je n'avais rien oublié. Rien du tout. Le sort de Dray n'avait pas fonctionné. Mon cœur réduit à l'état de cendres, je posai la main sur la bague lui appartenant et que je gardais toujours cachée dans la poche de ma veste. Il avait tenté de m'effacer la mémoire, sans aucun remords. Je jetai le bijoux lui appartenant à l'autre bout de la pièce en laissant des larmes dévaler mes joues, hurlant ma peine.
Mon cri déchira le silence jusqu'à l'autre bout du continent.
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