Chapitre 9
Assise dans le réfectoire dédié aux repas, j'observai les étudiants qui dînaient. Là aussi, les peuples ne s'étaient pas mélangés. Les sorciers occupaient toutes les tables qui se trouvaient à droite de la pièce, tandis que mes sujets avaient envahi le côté gauche. Une frontière invisible semblait avoir été dressée entre estyrians et mermailyains, ce qui ne paraissait déranger personne.
Eva, comme toujours en retard, vint s'installer à côté de moi alors que mon regard dérivait sur Dray. Il était en grande conversation avec une sorcière brune que je n'avais jamais vu avant aujourd'hui. Je ne pus m'empêcher de ressentir de la jalousie en voyant cela.
Un an. C'était le temps qu'il lui avait fallu pour me trouver une remplaçante... Je suppose que je devrais m'estimer heureuse de ne pas en avoir eu vent avant.
— Sois plus discrète, chuchota-t-elle à mon oreille. On dirait que tu veux le bouffer. Ou le tuer.
Je lui lançai une œillade en biais, cherchant à savoir si elle était sérieuse ou non. A la façon dont elle me fixait, je compris que c'était le cas. Je soufflai avant de porter mon attention sur l'assiette qui se trouvait devant moi. Le plat qui s'y trouvait sentait délicieusement bon, et je fis mine d'être absorbée par la nourriture pour éviter tout interrogatoire venant de ma meilleure amie. Celle-ci dévisagea brièvement Dray avant de se tourner vers moi, un léger sourire sur les lèvres.
— Jalouse ? s'enquit-elle.
Je laissai un sentiment de dégoût étirer les traits de mon visage pour essayer de la convaincre que ce n'était pas le cas.
— D'une vulgaire sorcière ? Je ne crois pas, non.
Bien évidemment, Eva ne me crut pas un seul instant. Elle eut tout de même l'intelligence d'esprit de ne rien ajouter. je savais que ce n'était que partie remise. Elle n'insistait pas uniquement parce que nous étions en public. Elle saisirait la moindre occasion pour m'en reparler, lorsque nous serions rien que toutes les deux. Il allait sans dire que je repousserais cette conversation le plus longtemps possible. Les discussions à coeur ouvert, ce n'était plus vraiment mon truc.
— Bilan de cette première journée de cours ? lui demandai-je.
Elle avait été avec moi toute la journée, donc je savais à peu près ce qu'elle allait me dire. Il faudra néanmoins que je m'entretienne avec les chargés des autres classes pour m'assurer que tout s'était bien passé. S'il y avait des problèmes, il fallait que je les désamorce dès le premier jour. Plus tôt j'assoierais mon autorité sur les professeurs, moins ils se croiraient tout permis comme l'enseignant de potions de ce matin. Lui, je l'attendais d'ailleurs au tournant. A la prochaine tentative d'humiliation, même moindre, il allait devoir se trouver un nouvel emploi. Je ne le laisserais pas s'en tirer une seconde fois avec un simple changement de consigne.
— Si l'intégralité de l'année s'annonce aussi chiante, je me débrouille pour me faire virer dès que possible, résuma Eva.
Je rigolai, comprenant parfaitement son sentiment. J'étais moi-même chanceuse de ne devoir rester que six mois et de pouvoir partir dès que ce délai serait écoulé, mais ce n'était le cas de personne d'autre, hormis Dray. Je compatissais grandement avec le sentiment d'Eva.
— T'inquiète pas. Je te rappellerai auprès de moi au palais à la moindre occasion, si bien que tu seras toujours absente.
Un sourire éclatant peignit son visage, et elle me remercia d'un clin d'œil. A la table d'en face, qui était remplie de sorcier. Des bruits de couverts tombant sur le sol attirèrent notre attention. Je me tournai vers les estyrians, qui fixaient tous Eva avec admiration. Temporairement, ils étaient tombés sous son charme sans même qu'elle n'ait quoi que ce soit à faire pour provoquer ce sentiment. Lorsque je me tournai vers elle, elle les aguichait en enroulant une mèche de cheveux autour de son index.
— Je crois que je viens de trouver mon dessert.
Je lorgnai de nouveau sur les sorciers, tentant de deviner duquel elle me parlait. A mes yeux, ils n'étaient pas vraiment beaux, mais mes goûts en matière d'hommes étaient drastiquement différents de ceux d'Eva. Par exemple, elle trouvait Dray moche, ce qui n'était absolument pas mon cas.
— Le rouquin, m'apprit-elle. C'est le plus mignon et, en plus, les roux sont vachement plus faciles à ensorceler que les autres.
— Sans aucun doute un effet de leur couleur de cheveux.
— Assurément.
Nous nous jetâmes un regard amusé avant de commencer à manger. Je dévorai tranquillement mon plat, à la recherche des élèves que je voulais voir avant d'aller me coucher. Je préférais largement leur parler maintenant plutôt que de devoir aller dans les dortoirs après le dîner pour les chercher. Les sirènes seraient bien plus faciles à trouver ici. Lorsque je repérai l'une des chargées de classe, je lui fis signe de me rejoindre. Elle délaissai son assiette pour venir s'asseoir à la chaise libre qui se trouvait juste en face de moi. Très rapidement, je l'interrogeai sur le déroulement de la journée, le comportement des professeurs et des estyrians qui avaient suivis les cours en même temps qu'elle. Rien dans ce qu'elle me raconta ne m'alarma et je la laissai rejoindre ses amies pour manger. Je fis de même avec deux autres sirènes et allais en interpeller une troisième lorsqu'Eva m'en empêcha.
— On est en train de manger. Tu peux pas faire ça plus tard ? J'arrive pas à me concentrer sur mon poulet avec tes interrogatoires.
Même si je ne comprenais pas comment je pouvais la déranger dans son repas, je décidai d'attendre un peu avant de continuer. Il ne me restait plus que deux sirènes à questionner, cela pouvait attendre le dessert.
Satisfaite, Eva recommença à manger. Je fis de même et n'avait avalé que quelques bouchées lorsqu'un membre de mon peuple s'installa sur la chaise toujours vide. Sourcils froncés, je levai les yeux vers le nouveau venu. Il s'agissait de l'un des quatre individus masculins que j'avais choisis pour faire partie des étudiants représentants mon peuple. C'était un blond aux yeux bruns que je connaissais malgré moi. Celui avec lequel je m'entendais le moins bien, mais que je n'avais pas vraiment le choix de supporter puisqu'il était ami avec Eva. Ce n'était pourtant pas cela qui me rendait sympathique envers lui.
— Salut les filles, nous salua-t-il.
Je haussai un sourcil devant sa manière de s'adresser à moi. Pensait-il être dispensé de suivre l'étiquette parce que nous ne nous trouvions pas au château ? Si c'était le cas, j'allais me faire un plaisir de le remettre à sa place.
— Va voir ailleurs, Ziel, grogna Eva. On est en train de manger.
Elle ne leva même pas les yeux de son assiette pour lui répondre et continua à se goinfrer. Je pouffai de rire devant l'air ahuri de Ziel. Voyant qu'il ne parvenait pas à attirer l'attention de ma meilleure amie, il se pencha vers moi dans l'espoir de ne pas se faire rejeter.
— Comment ça va, Principessa ?
Je le dévisageai durement. Il n'y avait qu'une seule personne qui avait le droit de m'appeler ainsi. Cela faisait un an et demi qu'elle ne l'avait pas fait, et ce n'était sûrement pas Ziel. Lentement, je reposai mes couverts sur la table et posai mes coudes dessus, avant de placer mon menton entre mes mains. Je penchai légèrement la tête sur le côté, attendant que Ziel comprenne ce que j'attendais de lui.
Seul Dray pouvait m'appeler de cette façon, et il n'y avait pas beaucoup plus de monde qui avait le droit de me parler aussi familièrement que ce qu'il venait de faire. Je pouvais compter sur les doigts d'une main le nombre de personnes qui avaient le droit de me tutoyer. Il allait sans dire que Ziel n'en faisait pas partie.
— Tu ne vas pas me dire que toi aussi tu refuses de me parler parce que t'es en train de manger ? se plaignit-il.
— Ziel. Aurais-tu oublié qui je suis ? l'interrogeai-je.
Il fronça les sourcils, ne comprenant pas le sens de ma question.
— Bien sûr que non. Tu es la princesse de Mermailya.
— Alors je peux savoir en quel honneur tu te permets de me parler de la sorte ? Il me semble que tu côtoie la royauté depuis assez longtemps pour savoir de quelle manière tu dois t'adresser à ta princesse.
Il parut abasourdi par ma manière de m'adresser à lui. Autour de nous, les conversations se tarissaient afin de pouvoir écouter la nôtre. Eva s'amusait de ce qu'elle entendait et ne s'en cachait pas.
— Je croyais que... commença Ziel.
Je lui coupai la parole d'un simple geste de la main. Il devint livide et étonnement silencieux.
— Que puisque que nous ne sommes plus au palais, tu pouvais te comporter comme si j'étais une élève normale ? Hé bien je suis désolée de te décevoir, mais ce n'est absolument pas le cas. D'ici deux ans, je deviendra reine alors comporte-toi comme si je l'étais déjà, parce que je ne te laisserai pas me parler de la sorte encore longtemps.
Son visage perdit le peu de couleurs qu'il lui restait. Il déglutit puis se leva de sa chaise sans demander son reste. Sans même savoir s'il avait mangé ou non, je le regardai quitter le réfectoire sans me départir de mon air supérieur. Les sirènes qui avaient observées notre discussion retournèrent à leurs assiettes et je fis de même.
— T'es méchante avec lui, lança Eva.
Je la trouvais plutôt culottée de dire ça.
— Ce qui ne te dérange pas tant que ça, puisque tu rigoles à chaque fois. Pourquoi t'es amie avec lui, d'ailleurs ? Il est insupportable.
— Sa mère est amie avec la mienne. J'ai pas vraiment eu le choix.
Ma mère avait des amis qui avaient des enfants mais ce n'était pas pour cela que je m'entendais bien avec. Cet argument ne tenait pas vraiment, mais je terminai mon assiette sans rien répondre. Lorsque j'eus terminé de manger, je me levai pour aller dans les dortoirs parler aux chargées de classe que je n'avais pas encore vu. Eva me suivit. Mon regard se porta malgré moi sur Dray au moment où je repoussai ma chaise contre la table. Une autre sorcière, blonde cette fois, était pendue à son bras comme une prostituée. Je serrai les poings sans le vouloir. Eva s'en rendit compte sans le moindre problème. Elle se pencha vers moi, souriante.
— Alors, toujours pas jalouse ?
Je lui donnai une tape à l'arrière du crâne en secouant la tête. Il n'était pas question que je fasse ce plaisir à Dray.
— Pourquoi je serais jalouse ? Après tout, je ne me souviens de rien.
Eva rigola, avant de passer un bras autour de mes épaules.
— Voilà une excellente manière de penser.
Dommage que je ne pense absolument pas ce que je venais de dire.
Réprimant un soupir, je me laissai entraîner par Eva, avec qui je sortis du réfectoire. Nous nous dirigeâmes vers le dortoir des mermailyainnes sans prêter attention à ce qui nous entourait jusqu'à ce que je croise la sorcière brune que j'avais vue avec Dray au début du repas. Je n'avais pas prévu d'écouter sa conversation avec ses amies jusqu'à ce que j'entende le prénom de Dray.
— Mon mariage a été repoussé. Heureusement, le père de Dray s'occupe de tout.
Je masquai au mieux ma réaction, surtout lorsqu'elle se tourna vers moi à cause du bruit de mes talons sur le sol. Je n'appréciais absolument pas entendre les mots Dray et mariage dans la même phrase. Il n'était tout de même pas fiancé ? Je sentis ma poitrine se serrer à cette idée. Rapidement, j'attrapai mon portable et envoyai un message à l'un des petits poissons de ma mère. Si mon ex allait se marier, ses espions trouveraient l'information. Et rapidement.
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