Chapitre 8 - Dray
— J'en reviens pas qu'elle ait osé faire un scandale dès le premier jour. Non mais sérieusement ? Ça n'a jamais dérangé personne de travailler avec des excréments de chèvre, alors pourquoi elle fait sa princesse ?
— Sûrement parce que s'en est une ?
Je rigolai avant de détacher mon regard du manuel que j'étais en train de lire pour le poser sur les deux estyrians qui se trouvaient à côté de moi. J'étais venu les rejoindre dès la fin de mon dernier cours de la journée afin de décompresser un peu. J'étais trop vieux pour aller à l'école, et cela se ressentait dans le mal de crâne qui ne me lâchait pas depuis le milieu de l'après-midi. Les cris de mes deux amis n'arrangeait pas les choses.
— Princesse ou pas, elle a juste à se la fermer et à obéir aux règles. C'est quoi son problème ?
J'avais beaucoup de réponses à cette question. La plus évidente était que cette étape de la préparation était une humiliation pour les sirènes, puisqu'elles étaient obligées de toucher de la crotte à main nue. Il n'y avait pas de gants dans la pièce et, si j'avais été à la place de Maeve, j'aurais sans doute fait la même chose qu'elle.
Je dévisageai la sorcière qui se plaignait du comportement de Maeve depuis maintenant plusieurs minutes. Celia. L'une des magiciennes les plus puissantes de mon peuple... mais aussi l'une des plus insupportables. A vrai dire, je la supportais rarement mais comme c'était ma cousine, je n'avais pas vraiment le choix. Je ne pouvais pas lui dire d'aller voir ailleurs simplement parce qu'elle me tapait sur les nerfs.
Voyant que je ne lui répondais pas, Celia se tourna vers moi et planta ses prunelles brunes dans les miennes.
— Et pourquoi tu l'as laissé faire, Dray ? Si tu cèdes déjà à tous ses caprices, ça ne va pas arranger les choses. Cette pétasse se croit déjà tout permis. Évite d'en rajouter.
Je soupirai. Celia ne supportait pas Maeve, bien qu'elles ne se soient jamais vues ni adressé la parole. Et pour cause. Ma cousine avait été la première à se rendre compte que quelque chose clochait, lorsque j'avais commencé à sortir avec la princesse mermailyainne. Elle trouvait bizarre que je m'éclipse aussi souvent et avait rapidement compris que mes excuses étaient bidon, surtout lorsque j'avais prétendu devoir passer l'après-midi avec mon père alors qu'elle l'avait croisé dans les couloirs peu de temps après. J'avais été obligé de tout lui dire, et elle n'avait pas franchement apprécié. Depuis, Celia haïssait la sirène et ne faisait rien pour le cacher.
— Je te trouve plutôt mal placée pour parler, Celia, répondit mon meilleur ami à ma place. T'es toujours la première à gueuler quand tu dois toucher des trucs qui puent.
Un sourire étira mes lèvres lorsque je vis l'air outrée de Celia. Elle lui adressa son majeur avant de se lever du sofa sur lequel elle était installée. Elle récupéra ses affaires et quitta la pièce commune de mes appartements d'un pas énervé. Elle avait à peine refermé la porte derrière elle que mon meilleur ami explosa de rire.
— Toujours aussi susceptible.
— Vas-y mollo, Blaze. J'ai pas envie qu'elle aille se plaindre à mon père.
Malgré ma remontrance, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure que j'appréciais particulièrement la façon dont il avait répondu à ma cousine. Je ne pouvais pas me permettre d'agir comme lui, alors j'adorais le voir faire à ma place. Blaze haussa les épaules, puis se pencha de nouveau sur son manuel de sortilège afin de continuer ses devoirs.
— C'est pas de ma faute si elle crache dans le dos des gens sans s'assurer avant qu'elle ne fait pas la même chose, lança-t-il.
Je ne pouvais pas dire le contraire. Celia n'agissait de la sorte que parce qu'il s'agissait de Maeve. Si n'importe quelle autre sirène s'était comportée comme Maeve, ma cousine n'en aurait rien dit. Elle y aurait peut-être fait allusion, mais rien de plus.
— Tu sais très bien pourquoi elle fait ça, répondis-je.
— Ouais, je sais. Elle descend Maeve dès qu'elle en a l'occasion. A croire que ça va t'aider à oublier tes sentiments pour elle.
Je le fusillai du regard en jetant un coup d'œil en direction de la chambre de la princesse. Pourvu qu'elle n'ait rien entendu... Blaze comprit vite ma réaction en s'excusant d'un regard avant de retourner à ses devoirs. Lui aussi était au courant, mais pas parce qu'il m'avait surpris ou trouvé mon comportement bizarre. Je le lui avais dit parce que je ne me voyais pas garder quelque chose de ce genre pour moi et le cacher à tout le monde, surtout à mon meilleur ami. Il avait été le premier au courant lorsque je lui avais effacé la mémoire. Il savait vraiment tout du début à la fin.
— Je te serais reconnaissant d'être un peu plus discret.
Puisque Maeve n'avait pas réagit lorsque Celia avait commencé à la critiquer, je ne pensais pas qu'elle puisse saisir nos paroles, mais je ne tenais pas à prendre le risque.
— Pourquoi on bosse dans le salon, alors ? me demanda mon meilleur ami. On serait mieux dans ta chambre.
— A moins que l'un de nous ne fasse ses devoirs par terre, on a pas assez de place.
Blaze me dévisagea en haussant un sourcil, avant de se désigner de haut en bas d'un geste de la main.
— Parce que t'as l'impression que ça me dérange ?
Je pouffai de rire. Il s'était installé sur le tapis, juste devant l'un des canapés. Assis en tailleur sur le sol, il y semblait bien trop à l'aise. Effectivement, ce n'était pas lui qui allait se plaindre de devoir travailler sur la moquette de ma chambre.
— Je disais surtout ça pour Celia.
Je ne lui aurais pas laissé mon bureau et elle n'aurait pas voulu travailler comme le faisait actuellement Blaze donc nous n'avions pas vraiment eu le choix. Ma chambre était peut-être immense, mais il n'y avait qu'un seul bureau et qu'une seule chaise. Ce n'était pas vraiment pratique pour travailler à plusieurs. Maeve ne devait pas avoir pensé à ça lorsqu'elle avait organisé le plan de nos suites. Ou alors, elle l'avait fait exprès. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi elle aurait eu intérêt à faire ça, mais c'était possible aussi.
— Celia est une emmerdeuse, gronda Blaze. Je ne comprends même pas pourquoi ton père l'a laissé venir.
Je n'en savais rien non plus, mais à vrai dire, je ne saisissais pas grand-chose des actes de mon paternel. La plupart du temps, ses agissements m'échappaient totalement. Après tout, c'était à cause de lui que nous étions ici aujourd'hui.
— En plus, elle n'était pas censée partir dans un royaume voisin pour se marier avec l'un de ses princes ? s'étonna Blaze.
Comme toutes les filles de sang royal, Celia n'était pas destinée à rester à Estyriam. A sa majorité au plus tard, elle devra quitter le royaume pour aller contracter un mariage d'intérêt qui nous sera profitable. Et Celia sera majeure dans deux semaines. Normalement, elle ne devrait même plus être à Estyriam.
— Le prince à qui elle a été promise à demander à ce qu'elle arrive plus tard. Des affaires de dernières minutes à régler, apparemment.
Ce qui n'était en général jamais bon, surtout à deux mois du mariage. Celia refusait d'aborder le sujet, mais je voyais très bien qu'elle n'était pas sereine face à cette situation. Par conséquent, elle était encore plus insupportable que d'habitude.
Blaze, qui pourtant n'appartenait pas à la royauté et n'avait rien affaire avec, grimaça et comprit que cela n'augurait rien de bon.
— J'ai l'impression que nous tenons la première membre de ta famille à faillir à son devoir.
Ce qui n'était pas vraiment pour me plaire. Même si c'était un membre de ma famille, j'attendais impatiemment qu'elle parte. Je ne la supportais vraiment pas et quelque chose me disait que ça n'allait pas s'arranger.
— En parlant de mariage... commença Blaze.
Je fronçai les sourcils et attendit qu'il continue sa phrase. Je n'appréciais pas vraiment quand il se mettait à parler de cette façon. Je posai mon manuel sur la canapé pendant qu'un air narquois étirait les traits du visage de mon meilleur ami. D'un geste de la main, il désigna la chambre de Maeve.
— Tu vas faire quoi, avec elle ?
— Où est-ce que tu veux en venir ?
Il n'y avait absolument rien à faire avec Maeve. Elle m'avait oublié, et c'était très bien comme ça. Elle ne risquait plus le courroux de mon père s'il apprenait que l'on sortait ensemble et n'était plus partagée entre ses sentiments pour moi et son peuple. Même si cela me faisait un mal de chien de m'adresser à elle comme s'il s'agissait d'une pure inconnue, c'était mieux comme ça. Je ne comprenais pas ce que Blaze attendait.
— Tu comptes continuer à faire comme si de rien n'était ou tenter de nouveau ta chance ?
C'était donc là qu'il voulait en venir. Pourtant, la question ne se posait même pas. Nous étions sortis ensemble une fois. L'occasion ne se représenterait pas et même si c'était le cas, je ne la saisirais sûrement pas. Nos royaumes étaient vraiment ennemis, maintenant. Nous ne pouvions plus nous le permettre.
Je mis si longtemps à répondre que Blaze sut ce que j'allais dire avant même que je n'ouvre la bouche. Il soupira de manière exagérée avant de secouer la tête, dépité.
— C'est quoi ton excuse, cette fois ?
— J'ai vraiment besoin de m'expliquer ? m'étonnai-je.
La porte de la chambre de Maeve s'ouvrit avant que Blaze ne me réponde. Mon regard se porta automatiquement sur la sirène, qui sortit de sa suite en réprimant un bâillement. Ses cheveux étaient attachés en un chignon à moitié défait qui partait légèrement en vrille mais qui faillit m'arracher un sourire. Je la trouvais beaucoup plus belle quand elle n'en faisait pas des tonnes pour être parfaite. A mon humble avis, son sweat trois fois trop large pour elle et son short lui allaient bien mieux que les tenues sophistiquées qu'elle m'était d'habitude.
La sirène regarda dans la pièce avant que son regard ne se pose sur moi. De là où elle était, elle ne pouvait pas voir Blaze qui, en plus, s'était couché sur le sol dès qu'elle était arrivée.
— Je savais que ton peuple était timbré, mais de là à converser tout seul depuis dix minutes, ça me dépasse.
Brusquement, Blaze se redressa en criant, sûrement pour faire peur à Maeve. Celle-ci l'examinant de haut en bas en haussant un sourcil. Elle le jaugea quelques instants avant de lever les yeux au ciel.
— Ah OK. Je comprends mieux.
Elle quitta l'embrasure de sa chambre pour se diriger vers le frigo sans plus nous porter d'attention. Je l'observai prendre une bouteille de soda et de la nourriture avant de retourner d'où elle venait. Juste avant de refermer la porte, elle se tourna vers moi.
— Parlez moins fort ou allez ailleurs. Vous me dérangez.
Elle s'enferma de nouveau. Il ne fallait pas plus de deux secondes à Blaze pour attraper un coussin sur le canapé et me le jeter en pleine tête.
— T'as une touche, s'extasia-t-il. Elle a fait que de te fixer.
— Dis pas n'importe quoi.
Mon regard dériva pourtant vers la pièce où venait de disparaître mon ancienne petite amie. Je n'avais rien remarqué mais... Si Blaze avait raison ? J'examinai la porte comme si elle pouvait me donner la réponse que je souhaitais. Je l'aurais tout de même remarqué si Maeve m'avait observé. Je ne l'avais pas quitté une seule fois du regard.
— Je ne te mens pas, Dray. Je t'assure que je l'ai vue te reluquer. Tu lui fais de l'effet, en uniforme.
Je roulai des yeux en lui renvoyant le coussin qu'il m'avait jeté dans la figure. J'étais horrible, avec cet uniforme. Je ne savais si c'était également Maeve qui s'en était occupé, mais si c'était le cas, elle n'avait fait absolument aucun effort pour nous habiller convenablement. Même les garçons de son peuple ne ressemblaient pas à grand-chose, vêtue de la sorte.
— La ferme, Blaze.
Il se mit à sourire d'une façon qui annonçait clairement qu'il venait d'avoir une idée que je jugeai tout de suite mauvaise, même sans l'avoir écouté auparavant. Ce genre de moue chez mon meilleur ami n'était jamais en bonne augure.
— Il n'y a qu'une seule façon pour toi d'en être certain. Passer du temps avec elle.
— C'est hors de question.
Comme si je n'avais que ça à faire de passer du temps avec celle qui me brisait le cœur sans le savoir à chaque fois que je l'apercevais. Je tenais à conserver le minimum de cœur qu'il me restait avant de le voir complètement parti en cendre.
— Fais un effort, Dray.
Blaze commença à ramasser l'intégralité de ses affaires pour les fourrer dans son sac sans prendre la peine de les ranger correctement. Je grimaçai en entendant certaines feuilles se froisser. Il fallait vraiment qu'il apprenne à faire plus attention à ses affaires. Il se leva du sol en s'étirant, puis attrapa son cartable.
— Tu peux pas rester dans cette situation jusqu'à ta mort, mec. Tente de renouer avec elle ou oublie-là. Naturellement ou grâce à un sort, mais fais quelque chose. J'en ai marre de te voir faire la tronche à chaque fois que tu la croise. Elle est tombée amoureuse de toi une fois. Elle le refera, mais uniquement si tu fais des efforts. Ou si tu le souhaites.
Sur ses sages paroles, il se dirigea vers la sortie qu'avait emprunté Celia un peu plus tôt. Je le regardai partir en réfléchissant à ses propos. Je ne pouvais pas me permettre de penser comme lui. J'avais des obligations. J'étais le prince héritier.
Mais ça ne m'avait jamais dérangé avant...
Sans savoir ce qu'il me prenait d'agir ainsi, je me levai et allai frapper à la porte de la chambre appartenant à Maeve. Je patienter jusqu'à ce qu'elle vienne m'ouvrir. Quand elle m'aperçut, elle fronça les sourcils.
— Je peux t'aider ?
Je restai silencieux un instant, sans savoir quoi lui dire. Il fallait que je trouve une excuse, et vite... Mes mots franchirent mes lèvres avant même que je ne les retienne.
— J'ai vu que tu avais du mal en potions, ce matin. Si tu veux, je peux t'aider.
Des leçons de soutien ? Mais qu'est-ce qu'il me prenait ? C'était la pire façon d'aborder une femme, surtout quand elle avait autant d'ego que Maeve ! Celle-ci me dévisagea, l'air de ne pas être du tout emballée par cette idée.
— Des cours de rattrapage dès le premier jour ? Tu sais comment amener la diplomatie, plaisanta-t-elle.
Je n'étais pas vraiment certain que c'était une plaisanterie. Elle paraissait plutôt sérieuse. Je commençai aussitôt à croire que j'avais fait une bêtise en lui proposant ça.
— T'es la princesse de Mermailya, tentai-je de me rattraper. Tu ne voudrais quand même pas que de simples sorciers aient des meilleures notes que toi ?
— Et bien sûr, tu veux m'aider à humilier ton peuple.
Je haussai les épaules. Humilier n'était pas vraiment le mot que j'aurais employé pour décrire mes arguments, mais si cela pouvait l'aider à ne pas trop se vexer, je n'allais pas la contredire.
— Si l'envie me prend de te faire perdre ton temps, je te ferai signe.
Sans rien me laisser ajouter de plus, elle me claqua la porte au nez.
C'était vraiment pas gagné.
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