Chapitre 7

— Il va sans dire que l'élément le plus important dans la fabrication de cette potion est la pierre d'ambre minutieusement râpé en poussière très fine. Sans cela, le philtre sera granuleux et, en plus d'avoir un goût infâme, ses effets seront grandement diminués. Ce n'est pas la seule étape que vous devez réaliser à la perfection. Pour obtenir la potion la plus...

Je réprimai un bâillement et cessai complètement d'écouter le cours barbant du professeur. Pourquoi est-ce que j'avais eu la bonne idée de choisir la conception des potions comme matière commune aux sirènes et aux sorciers ? Je n'avais jamais entendu de leçon aussi ennuyeuse. Même mes cours de politiques étrangères d'il y avait plusieurs années étaient moins chiants. Je n'aurais jamais cru penser ça un jour.

A côté de moi, sans discrétion, Eva dormait. La tête posée entre ses deux bras, elle s'était endormie quelques minutes seulement après le début du cours. Notre enseignant s'en était très vite rendu compte mais, Eva étant la fille de l'une des conseillères les plus importantes de Mermailya et ma meilleure amie, il ne lui avait fait aucun reproche et la laissait terminer sa nuit.

Ce premier jour de cours était totalement inutile. Cette école avait pour but de rapprocher nos deux peuples et pourtant, je ne voyais que les estyrians d'un côté, et mon peuple de l'autre. Nous ne nous étions absolument pas mélangés, et j'étais certaine qu'il en était de même pour toutes les autres classes. S'il se passait la même chose tous les jours, cette académie n'allait pas servir à grand chose.

— Pour le prochain exercice, à savoir la réalisation de la potion dont je vous parle depuis le début du cours, je vous demanderai de vous mettre en duo avec un autre élève de cette classe. Cela vous permettra de réaliser cette substance plus rapidement.

D'un coup de coude, je réveillai Eva. Ma meilleure amie releva la tête en clignant exagérément des paupières en relevant la tête, ne se retenant pas pour bailler.

— C'est l'heure de manger ? s'enquit-elle.

Sa voix porta un peu trop fort et le professeur l'entendit. Il lui jeta un regard noir sans pour autant lui faire le moindre reproche et alla s'installer à son propre bureau en attendant que nous formions des binome. Eva se redressa complètement en s'étirant, puis regarda autour de nous. Quand elle vit que personne n'était debout, elle fronça les sourcils.

— Pourquoi tu m'as réveillé alors que c'est pas encore le moment de manger ?

Elle me fit sa mine de chien battu, m'arrachant un ricanement. Elle allait être déçue en apprenant qu'il restait encore une heure et demi avant que le réfectoire n'ouvre.

— Parce qu'apparemment, on est censé mijoter une potion magique qui soigne les petits bobos, genre coupures causées par des ronces ou des écorchures.

Nous nous fixâmes quelques secondes en silence avant d'éclater de rire. Les sorciers avaient vraiment inventé des philtres pour tout et rien. Une potion qui soigne les os cassés, je ne cracherais pas dessus. Mais personne n'avait besoin de magie pour guérir d'une minuscule coupure. En quelques jours, c'était cicatrisé et on n'en parlait plus.

— Ses sorciers, soupira Eva.

Passant un bras par-dessus l'accoudoir de sa chaise, elle se retourna pour regarder ce qu'il se passait derrière nous. Ses yeux examinèrent la salle un instant avant de se poser sur ce qu'elle était visiblement en train de chercher. Ses traits exprimèrent aussitôt un immense dégoût.

— Je touche pas ce truc. C'est mort.

Sans comprendre de quoi elle était en train de me parler, je pivotai dans la direction qu'elle observait. Je compris aussi de quoi elle me parlait. Le professeur, par magie, avait placé tous les ingrédients nécessaires à la confection de la potion dans un coin de la pièce pour nous faciliter les choses. Outre la fameuse pierre d'ambre dont l'enseignant n'avait cessé de nous rabâcher les oreilles, nous allions aussi devoir utiliser des plantes dont l'odeur paraissait très incommodante, ainsi que ce qui ressemblait à des... excréments. Je retins un haut-le-cœur en découvrant cela.

C'était hors de question que ma personne entre en contact avec ses crottes de chèvres.

— Pas un seul de mes doigts parfaitement manucurés ne frôlera ce machin.

Non loin de moi, le professeur se racla la gorge, attirant ainsi mon attention.

— Vous n'avez pas le choix. Cela fait partie intégrante de la recette.

Le sourire qu'il essayait vaguement de retenir le trahissait. Il adorait l'idée de me voir pateauger dans la merde. Je le soupçonnais même d'avoir fait exprès de choisir cette recette. Les estyrians pouvaient utiliser leurs pouvoirs pour ne pas avoir à toucher les excréments, ce qui n'était pas le cas de mon peuple. Les sorciers partaient avec une longueur d'avance et l'enseignant appréciait bien trop cela à mon goût.

Quelle idée j'avais eu en choisissant un estyrian comme professeur de potion ? J'aurais dû me douter qu'il saisirait l'occasion pour dénigrer mon peuple. Et moi au passage. Il devait jubiler de savoir que j'allais sans doute toucher des excréments. Il se trompait s'il pensait que j'allais lui obéir sur ce point.

Jamais personne ne me verra faire une chose pareille.

D'un rapide coup d'œil alentour, je remarquai que tous les membres de mon royaume attendaient ma décision. Si j'acceptais, ils s'exécuteraient sans protester même si l'idée ne leur plairait pas davantage. Si je refusais, aucun d'eux ne toucherait à quoi que ce soit jusqu'à ce que le professeur trouve une alternative.

Le bon déroulement de la fin de ce cours dépendait totalement de moi, et je n'allais faire aucun effort pour arranger les choses. Le professeur désirait humilier les mermailyainnes ? Pas de soucis, mais je n'allais pas le laisser agir de la sorte.

J'allais ouvrir la bouche afin d'annoncer à l'enseignant que les sirènes ne participeraient pas à son cours tant qu'il ne trouverait pas une alternative à ses excréments lorsque quelqu'un s'arrêta à côté de moi. Je n'eus pas besoin de tourner la tête pour savoir qu'il s'agissait de Dray. L'enseignant baissa légèrement la tête pour saluer son prince et le parfum ambré du sorcier m'assaillit les narines dès qu'il se plaça à ma gauche.

— Y a-t-il un problème ? s'enquit mon ancien petit ami.

Je m'adossai à la table qui se trouvait derrière moi et croisai mes bras sur ma poitrine, attendant la réponse de l'enseignant. J'étais curieuse de voir comment est-ce qu'il allait tourner les choses.

— Rien d'important, Votre Altesse. Je rappelais simplement au mermailyainnes qu'elles doivent participer aux cours au même titre que vous.

Je haussa un sourcil. C'était grossièrement résumé. Je jetai un coup d'œil au prince estyrian. Dray fit la même chose envers moi au même moment et nous nous fixâmes un instant avant qu'il ne détourne le regard.

— Qu'est-ce qui leur pose problème ?

J'attirai son attention sur moi en me raclant la gorge.

— Je suis à côté de toi, au cas où tu l'aurais pas remarqué. Si t'as quelque chose à me demander, fais-le directement au lieu de passer par ce truc.

Je désignai le professeur d'un geste de la tête pour montrer que c'était lui que je qualifiais de truc. Ce dernier sembla le prendre mal mais n'eut le temps de rien ajouter puisque Dray le devança. Il se tourna vers moi et, dans mon dos, j'entendis Eva pouffer de rire.

— Je suppose que vous êtes récalcitrante à cause de certains ingrédients.

Au moins, à défaut de faire semblant de ne jamais être sortie avec moi, il ne prétendait pas de ne pas être au courant du dégoût de mon peuple pour tout ce qui était moche. Je hochai la tête, attendant de voir comme il allait prendre les choses en main. Il devait bien se douter qu'avant qu'il n'arrive, j'allais refuser catégoriquement de toucher aux excréments. Qu'allait-il proposer pour pallier à ça ?

— T'es au courant que vous devez vous plier aux règles ? me demanda-t-il.

— C'est pas de ma faute si vous avez besoin de la magie au moindre petit bobo, rétorquai-je. Ni si vous êtes obligés de mettre de la merde dans vos potions. Vous faites comme vous voulez mais nous, on ne touche pas à ça.

Je soutins le regard de Dray sans sourciller, pendant que je pouvais deviner les sillages de son cerveau tourner à cent à l'heure pour tenter de trouver une solution pour que cette première journée de cours ne tourne pas court aussi rapidement. Je ne ferais aucun effort. L'enseignant voulait nous humilier, je n'avais aucun doute là-dessus. Je n'allais donc pas céder si facilement.

Dans l'autre côté de la pièce, je voyais les estyrians s'agacer par mon comportement, mais je n'en avais absolument rien à faire. Si les rôles avaient été inversés, peut-être qu'ils n'auraient pas réagit comme nous, mais je n'en avais rien à faire.

L'égo des sirènes était bien trop développé pour que nous nous abaissions à toucher des excréments.

Dray se tourna vers le professeur et redressa le menton, comme pour se donner plus d'autorité.

— On va faire des binômes avec un membre de nos deux peuples pour régler le problème mais, à l'avenir, évitez les philtres qui demandent des ingrédients du genre. Les memailyainnes n'ont pas de pouvoirs leur permettant de ne pas entrer en contact avec les composants similaires.

La remontrance ne plaisait visiblement pas au professeur, qui serra les lèvres en acquiesçant. Je vis sa pomme d'adam remonter dans sa gorge avant qu'il n'ordonne à la classe de former des duos mélangeant nos deux royaumes. Des cris de protestations s'élevèrent du côté des sorciers pendant que je faisais signe aux filles de mon peuple d'obéir. Toutes souriaient. Elles savaient que je venais de gagner le premier désaccord de cette école, et toutes étaient ravies que l'on mène au score. Même si j'étais persuadée que nous serions sûrement les seules à compter les points. Je lançai une oeillade victorieuse à Eva, qui me montra l'écran de son portable. Le tableau des scores. Je rigolai, puis ma meilleure amie partie à la recherche d'un sorcier qui manipulerait les excréments à sa place.

Je suivis son exemple en faisant la moue. J'avais autant envie de participer à l'élaboration de cette potion que de faire équipe avec un sorcier, mais j'appréciais le compromis proposé par Dray. Celui-ci se tourna d'ailleurs vers moi en tentant de masquer un sourire. Il me désigna la table où il s'était installé depuis le début de l'heure.

— On se met ensemble ?

Le double sens de sa phrase ne m'échappa pas. Je pris sur moi pour ne pas réagir. Je me méprenais totalement sur l'intention à donner à ses paroles. Je secouai imperceptiblement la tête pour chasser cette idée de ma tête en fit mine de réfléchir.

— Et pourquoi je ferais ça ? Je pourrais me trouver un meilleur pion.

Un sourire étira ses lèvres, et il se dirigea vers sa table.

— Parce que je suis le meilleur élève de cette classe quand il s'agit de fabriquer des potions.

Il alla s'installer à sa table et chuchota quelques mots à l'adresse de celui qui s'était assis à ses côtés pour ce cours. Son camarade ne parut pas heureux de devoir changer de place, mais il ramassa ses affaires et alla trouver une sirène avec laquelle concocter le philtre. Je le vis se diriger vers Eva. Celle-ci le dévisagea de haut en bas avant de se détourner pour chercher un autre sorcier. Je la regardai faire en rigolant avant de me diriger vers Dray. Il savait comment me convaincre. Je ne supporterais pas d'échouer pour la première potion de l'année. Mes affaires dans les mains, je les déposai à la droite de Dray sans faire attention aux ingrédients qu'il avait déjà réunis sur la table. Il les décala d'un air outré.

— Fais gaffe ! Tu ne voudrais quand même pas que ton portable finisse dans de l'excrément de chèvre.

Une grimace de pur dégoût peignit mon visage. Si cela arrivait un jour, je ne prendrais même pas le peine de le récupérer. Je m'en acheterai un autre dans la seconde.

Je m'arrangeai pour poser toutes mes affaires à distance respectable des ingrédient et posai mes fesses sur la chaise qui se trouvait derrière moi en soupirant. Je rassemblai tous mes cheveux dans une main pour les attacher rapidement, tout en sentant le poids d'un regard incessant sur moi. Je fis mine de ne pas remarquer que Dray me fixait et ouvrit mon manuel de potion à la bonne page. En lisant les instructions, je soupirai.

— Ouais, flemme.

— T'as pas vraiment le choix.

Il poussa plusieurs ingrédients dans ma direction et m'indiqua comment je devais m'y prendre pour les découper ou les écraser.

— Je sais que les sirènes n'ont pas la réputation d'être très intelligentes, mais je suis capable d'écraser de l'herbe sans avoir besoin d'un manuel d'instruction détaillé, le cinglai-je.

J'attrapai les pousses de persils, le bocal dans lequel je devais les écraser ainsi que le morceau de bois au bout arrondi avec lequel je devais assassiner cette plante. Je commençai à la broyer avec ennui, ne trouvant vraiment rien d'amusant à cet exercice. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi j'avais décidé de faire du cours de potion une leçon commune entre nos deux peuples. C'était sans doute la décision la plus stupide de ma vie.

— Tu pourrais au moins faire semblant d'apprécier être ici, commenta Dray.

— Pourquoi ? Pour satisfaire l'égo de ceux qui ont lancé la guerre ? Je préfère faire la gueule.

Je lui donnai l'herbe de que venais d'écrabouiller et attrapai ce qui constituait la prochaine étape de la concoction de cette potion. Couper en fines lamelles un légume visqueux dont j'ignorais l'existence jusqu'à aujourd'hui. Je détestai immédiatement la sensation de la texture sous mes doigts Dray s'en rendit compte. Je l'entendis rire et lui lançai un regard meurtrier. Il était bien plus avancé que moi dans la recette et en étant presque à l'étape des excréments. Il exécutait tout d'un simple claquement de doigt. Ce n'était pas franchement très équitable.

— Tu trouves ça drôle ?

Il hocha la tête.

— Assez oui. Tu sais que ce légume ne va pas te manger ?

Je dévisageai la verdure comme si elle allait me sauter dessus. Je n'en étais pas franchement convaincue par ce qu'il venait de me dire.

— J'attends d'en avoir la preuve.

Prenant sur moi, je commençai à découper cette chose non identifiée. Au bout de seulement trois lamelles, Dray secoua la tête.

— Pas comme ça.

Il s'approcha de moi et, sans une once d'hésitation, posa ses mains sur les miennes. Mon souffle se coupa dans ma poitrine à ce contact et je déglutis en regardant sa paume épouser l'angle de mes mains pour me montrer comment couper correctement ce truc. En silence, il accompagna mes gestes durant plusieurs secondes avant de me laisser faire toute seule. Quand il s'éloigna pour reprendre ses tâches, je vis que ses joues avaient prises une adorable teinte rouge. Je failli ricaner, jusqu'à ce que je me rende compte que je devais l'être tout autant que lui, vu la façon dont j'avais soudainement chaud.

Mon regard se porta alors sur l'autre côté de la pièce, où se trouvait un enfoiré. L'assassin de mon frère. Sentant mon regard sur lui, il se tourna dans ma direction et me gratifia d'un sourire narquois. Mes poings se serrèrent contre la lame.

Il ne sourira plus très longtemps. 

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