Chapitre 6
Je sortis de la salle des professeurs en m'étirant. Cette réunion avait été interminable. Je ne comprenais même pas comment nous avions pu mettre deux heures à régler les derniers détails du bon fonctionnement de l'académie. Il restait juste à faire la liste des classes. Je n'aurais jamais imaginé que cela puisse être aussi long. Les bras au-dessus de la tête, j'avançais dans les couloirs d'un pas joyeux. J'avais réussi à faire exactement ce que je voulais avec les différentes classes qui commenceraient le lendemain. J'avais inclus les élèves que je voulais avec moi et dégager les autres dans différents niveaux un peu plus bas que leur grade. Je n'avais échoué qu'avec un seul étudiant. Dray. J'avais beau argumenté en disant que les héritiers ne pouvaient pas se trouver dans la même classe, que cela serait trop bizarre, mais je n'avais pas eu le dernier mot.
Je me retrouvais donc dans la même classe que mon ex petit copain qui ne savait pas que je me souvenais de l'intégralité de notre relation.
J'avais déjà hâte que cette mascarade se termine.
Je n'en revenais toujours pas qu'il m'ait écouté chanter, tout à l'heure. Même sans le vouloir, j'aurais très bien pu l'hypnotiser. Il suffisait qu'il soit redevenu sensible à ma magie depuis le fameux jour où il avait essayé de m'effacer la mémoire pour que je puisse faire ce que je voulais de lui. Je pourrais même l'obliger à avouer à nos deux royaumes ce qu'il m'avait fait, si l'envie m'en prenait. Il ne pourrait rien faire contre ça...
Bien sûr, je n'avais absolument pas prévu de faire une chose pareille. Mais il était tout de même complètement fou de prendre un risque pareil. Qu'est-ce qui lui avait pris ?
Réprimant un soupir, je redressai les épaules et m'aventurai dans le couloir menant à l'internat des membres de mon peuple. Il fallait que je m'assure que toutes mes consignes avaient été respectées et il fallait aussi que je vérifie que tout le monde était bien arrivé et installé. De longues minutes, voire des heures, d'ennuis allaient s'abattre sur moi.
Le bruit de mes talons sur le sol annonça mon arrivée à toutes les sirènes qui se trouvaient dans la pièce commune de l'internat. D'un même geste, celles qui étaient debout m'offrirent une révérence pendant que les autres se levaient pour en faire de même. Je chassai ses banalités d'un geste de la main et observai la pièce. Capable de contenir les deux cent membres de mon peuple qui allaient étudier ici, c'était auparavant une ancienne salle de bal que j'avais fait réaménager pour l'occasion. Il y avait dorénavant plusieurs cheminées, une bonne centaine de sofas et de fauteuils, autant de tables basses, un lustre incrusté de diamants, une immense télévision pour que le plus de monde puisse la regarder sans problème et même un micro pour que les filles puissent chanter si elles le voulaient. Les sirènes étaient friandes de soirées karaoké, et il n'y avait rien de mieux que de les accompagner d'un bon micro et de la possibilité d'envouter toute une école.
Comme si je n'étais pas là, les sirènes retournèrent à leurs occupations, ce que j'appréciais. Je n'avais aucune envie de me faire assaillir dès mon arrivée par deux cent tentatrices qui avaient besoin de se plaindre.
Du coin de l'œil, je trouvai les quatre seuls individus de types masculins que j'avais autorisé à venir ici. Ils étaient rassemblés ensemble à l'autre bout de la pièce, avachis sur l'un des canapés comme si le monde leur appartenait. Sans doute étaient-ils fiers d'être les seuls hommes à avoir été choisis. S'ils savaient qu'ils n'étaient là que parce que ma mère m'avait obligé à ne pas choisir que des filles et qu'elle m'avait ordonné de mettre au moins quatre hommes sur ma liste, ils feraient sans doute moins les malins. Je les délaissai afin de chercher la personne que j'étais venue voir en me rendant dans cette partie de la Moonsainst Academy. J'avais certes des devoirs à accomplir, mais pas avant d'avoir conversé avec ma seule amie. Je la repérai à proximité d'une des cheminées, debout sur une table basse en train de se prendre en photo avec son portable. Vu son comportement, elle ne m'avait pas vue, ni entendue arriver. J'avançai vers elle en faisant exagérément plus de bruit avec mes chaussures et, lorsque je vis que cela ne suffisait pas, je me raclai la gorge.
— Il me semble que quand la future reine s'approche de toi, tu dois l'accueillir comme il se doit.
Eva leva les yeux de son portable et les posa sur moi. Ses lèvres s'élargirent en un sourire quand elle m'aperçut et elle sauta de la table pour me rejoindre.
— Maeve !
Elle ne se tordit pas la cheville en touchant le sol malgré ses escarpins hauts de dix centimètres et me prit immédiatement dans ses bras. Je la laissai faire quelques secondes avant de m'éloigner. Elle ne se départit pas de son sourire, m'attrapa par le bras et m'entraîna à l'écart.
—J'ai cru que tu ne viendrais jamais rendre visite à la plèbe, me lança-t-elle.
Je roulai des yeux, même si cela ne seyait pas vraiment à mon statut dans la classe sociale.
— Je trouve toujours du temps pour frayer avec les paysans, souris-je.
Elle ne se vexa pas mais me donna un léger coup de poing dans l'épaule pour faire semblant d'être peinée par mes paroles. Je rigolai et allai m'installer sur un fauteuil qui se trouvait assez à l'écart des autres sirènes pour qu'elles ne puissent pas nous entendre.
— La paysanne t'emmerde, rétorqua Eva.
Je haussai un sourcil. Je n'avais pas l'habitude que l'on me parle de cette façon. Chez Eva, c'était quelque chose de normal mais par moment, cela parvenait encore à me surprendre. Mon amie s'installa sur le siège qui se trouvait en face de moi. Sa jupe rouge se fendit dans les couleurs du meuble pendant qu'elle rejetait la tête en arrière en regardant par la fenêtre en soupirant.
— La vue est dégueulasse, se plaignit-elle.
Je ne pouvais pas lui donner tort. Il n'y avait que des arbres à regarder, et la plupart avaient perdu leurs feuilles à l'approche de l'hiver. La brume matinale qui refusait de s'évaporer ne rendait pas le tableau beaucoup plus joyeux. J'avais l'impression d'observer une forêt hantée. Je détestais cela.
— Malheureusement, ça ne faisait pas partie des choses que je pouvais changer. Si on m'avait laissé le choix, j'aurais fait construire cette école sur la plage.
— On aurait pu noyer les estyrians.
— C'était le but.
Nous restâmes sérieuses environ deux secondes avant d'éclater de rire. Je me repris rapidement en me raclant la gorge et attendit qu'Eva cesse de s'imaginer en train de noyer tous les sorciers un par un pour reprendre cette conversation.
— T'as été voir ta chambre ? lui demandai-je.
Elle hocha la tête pour me montrer que c'était le cas, puis sortit son portable de sa poche pour m'en montrer plusieurs photos. Satisfaite par ce que je voyais, je me laissai aller dans mon siège. Les architectes semblaient avoir suivi mes consignes au pied de la lettre. C'était tant mieux pour eux. je n'allais pas avoir besoin des les punir pour m'avoir désobéi... bien que l'idée de remonter les bretelles des ouvriers estyrians ne m'aurait dérangé le moins du monde.
Lorsqu'Eva quitta l'application où se rangeaient les photos qu'elle prenait, j'entrevis son fond d'écran. Mon cœur se serra à la vision d'un cliché où nous figurions toutes les deux avec mon frère. J'avais la même en version imprimée, mais je ne parvenais plus à la regarder depuis longtemps. Je détournai rapidement le regard pour qu'Eva ne se doute de rien et observai l'assemblée de sirènes en train de bavarder et de s'amuser, certaines heureuses d'avoir été choisies pendant que d'autres n'étaient là que pour voir au bout de combien de temps arriverait le premier incident.
Eva remarqua de suite mon changement de comportement et verrouilla son portable, qu'elle plaça entre sa jupe et son collant pour ne pas avoir à le tenir.
— Tu vas t'y prendre comment ?
Je lançai une oeillade interrogatrice à ma meilleure amie, ne comprenant pas ce qu'elle voulait dire par-là. Elle devrait se montrer encore moins précise, de temps en temps.
— De quoi tu parles ?
— Du meurtrier de ton frère. Comment tu vas faire pour le tuer ?
Je la dévisageai, ne comprenant pas comment elle pouvait savoir ce que j'avais en tête. Je n'en avais parlé à personne ! Que ma mère soit au courant, c'était une chose. Qu'Eva l'ait deviné alors que je ne l'avait pas vue depuis plusieurs semaines et qu'elle n'était au courant de rien, s'en était une autre. Je n'étais tout de même pas si prévisible ? J'espérais que non parce que dans le cas contraire, cela voudrait dire que d'autres personnes pourraient avoir deviné ce que j'avais l'intention de faire. Et franchement, je m'en passerais bien.
— On se connait depuis que ma mère est au service de la tienne, expliqua-t-elle comme si elle lisait dans mes pensées. Je suis parfaitement capable de reconnaître ton air lorsque tu veux tuer quelqu'un, et il n'y a que deux personnes ici que tu pourrais avoir envie d'assassiner. Puisque tu es amoureuse de l'une d'elle, il n'y a plus qu'une seule solution possible.
Je serrai les dents, et pas uniquement à cause de l'allusion à Dray. Il suffisait donc de me connaitre suffisamment pour savoir que je n'étais pas ici uniquement pour étudier et pour des questions de diplomatie, je n'allais pas faire long feu. Surtout si Eva s'amusait à le crier sur tous les toits comme elle venait de le faire. Du regard, je vérifiai que personne ne l'avait entendu avant de la fusiller de mes yeux bleus.
— Soit encore moins discrète, la prochaine fois, grondai-je.
Son visage s'étira en une moue vexée qui ne paraissait pas le moins du monde sincère. La discrétion n'était pas vraiment son point fort. Certains jours, je me demandais comment nous pouvions être amies, toutes les deux, mais je ne me voyais pas arrêter de lui parler uniquement parce qu'elle ne savait pas se montrer discrète.
— Personne ne nous écoute, dédramatisa-t-elle. Et puis même si c'était le cas, personne ici n'oserait te dénoncer, Maeve. Tu crois vraiment qu'une sirène irait raconter à un estyrian que t'as prévu de tuer l'un d'entre eux ?
Je roulai des yeux devant son argumentation. Certes, personne n'irait me dénoncer, mais ce n'était tout de même pas une raison pour le crier sous tous les toits. Si la moitié des élèves de l'école était au courant de ce que j'avais prévu de faire, garder le secret s'avérerait bien plus compliqué.
— Ce n'est pas une raison, Eva. Parle moins fort ou tais-toi.
Il leva les mains en l'air en signe d'innocence, sourire aux lèvres. A la façon dont elle me regardait, je savais qu'elle attendait une réponse. Elle voulait savoir comment j'allais m'occuper du cas de l'assassin de mon frère. Je ne le savais pas encore, mais une chose était sûre. Il allait souffrir.
— Et avec tu sais qui ?
Je fronçai les sourcils un instant avant de comprendre de qui elle était en train de me parler. Outre Dray et moi, il n'y avait qu'une seule autre personne au courant de notre relation. Eva. Elle m'aidait à m'échapper du palais lorsque j'allais retrouver le prince estyrian durant nos rendez-vous secrets. Elle avait été mon alibi pendant tout le temps qu'avait duré notre couple.
Une grimace peignit les traits de mon visage et je n'eus pas besoin d'en dire plus pour qu'Eva comprenne.
— Il y a un lit inoccupé, dans ma chambre. Tu n'as qu'à venir dormir avec moi, me proposa-t-elle.
Je ne mis pas très longtemps à me décider. Je ne voulais pas croiser Dray à longueur de journée, en cours et dans nos appartements, mais je ne pouvais pas me permettre de dormir ailleurs. Cette école avait été créée pour faire revenir la paix. Refuser de partager ma suite avec Dray serait très mal vu.
— Si j'avais été quelqu'un de normal, je t'aurais dit oui, lançai-je.
— Tu seras toujours la bienvenue si tu changes d'avis, me promit-elle.
Elle se leva ensuite en s'étirant, puis me jeta un regard impatient.
— Tu viens ? J'ai la dalle !
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