Chapitre 37 - Eva
Assise sur le muret extérieur de la Moonainst Academy, j'attendais que Maeve arrive. C'était aujourd'hui qu'elle devait revenir en cours et il était bien évidemment exclu que je ne sois pas dehors pour l'accueillir. Je savais à quel point le rituel des Perles avait été éprouvant pour elle, alors il était hors de question que je la laisse revenir toute seule, même si j'allais être en retard en cours. D'autant plus qu'elle allait sans aucun doute être acclamée par notre peuple et que ça n'allait pas vraiment arranger son état d'esprit. Je connaissais ma meilleure amie assez bien pour savoir qu'avoir réussi le test ne l'avait pas réconfortée. Elle était encore persuadée que c'était à Mike d'y participer et de devenir roi. Avoir l'aval de notre déesse l'avait sans doute soulagée, mais pas assez pour qu'elle arrête de culpabiliser. Elle avait l'impression de voler la place de Mike, et je pouvais la comprendre.
Balançant les jambes dans le vide, je levai les yeux vers le ciel nuageux. Le temps était vraiment morose depuis le jour du rituel. Je me demandais bien ce qu'il se passait puisque nous n'étions pas encore à la saison des pluies. Pourtant, il pleuvait tous les jours. L'accalmie qui durait en ce moment même était la première depuis trois jours. Elle faisait vraiment du bien au moral, même si le ciel était toujours aussi nuageux.
Au moins, je pouvais mettre le nez dehors sans prendre une douche.
Je m'étirai avant de jeter un coup d'œil à ma montre. Maeve devrait déjà être arrivée. Elle avait dix minutes de retard. Elle n'était pas ravie de devoir revenir en cours, mais ce n'était pas son genre de ne pas se montrer ponctuelle. A ce rythme-là, j'allais finir par louper tout notre cours de potion. Ça ne me dérangeait pas vraiment, mais je devais m'assurer que le prof ne profitait pas de l'absence de Maeve pour se comporter comme un salaud. Puisque je n'étais pas là pour le surveiller, je supposai qu'il allait en profiter.
— Qu'est-ce que tu fous, Maeve ? grondai-je.
Je n'avais pas eu de nouvelles d'elle depuis que j'avais quitté sa chambre en pleine nuit, juste après le rituel. Nous ne nous parlions pas forcément tous les jours, alors je ne m'en étais pas inquiétée jusqu'ici. Pourtant, son retard commençait à me faire croire que j'aurais dû prendre de ses nouvelles. Est-ce qu'il s'était passé quelque chose depuis la dernière fois que je lui avais parlé ? Je me mordis la lèvre inférieure, en proie à plusieurs hypothèses dont aucune ne me plaisait.
J'envisageais de l'appeler lorsque du bruit dans mon dos détourna mon attention. Je me retournai, sourcils froncés. Tout le monde était censé être en cours. Je ne devrais pas pouvoir avoir de compagnie. Je découvris alors le meilleur ami de Dray. Debout devant la porte de l'école, il fixait l'entrée de la cour comme s'il attendait quelque chose, ou quelqu'un.
— T'as rien à faire ici, grondai-je.
Je me détournai aussitôt de lui. Je n'avais pas que ça à faire de parler avec un sorcier, même s'il était canon. J'aimerais bien pouvoir attendre ma meilleure amie seule. C'était plus pratique pour parler toute seule sans passer pour une folle.
— Toi non plus, rétorqua-t-il.
Sans comprendre que je venais indirectement de lui demander de dégager, il s'avança vers moi et s'installa à mes côtés sur le muret de pierre. Je lui lançai un regard en biais, sans comprendre à quoi il jouait. Qu'est-ce qu'il me voulait, encore ?
— Je suis là en tant qu'émissaire royal, prétendis-je.
Il n'avait pas besoin de savoir que j'attendais simplement Maeve. Et puis, d'un côté, je l'étais vraiment.
— Ouais, moi aussi.
Attisant ma curiosité, je me tournai vivement vers Blaze. Il continuait de fixer la route qui menait à la Moonainst Academy sans m'accorder le moindre regard, me donnant ainsi l'impression qu'il attendait Maeve. Il ne pouvait pas attendre Dray. Le prince estyrian était déjà à l'académie. Je l'avais vu prendre son petit-déj, tout à l'heure. Blaze attendait donc vraiment Maeve. Pourquoi ferait-il ça ? Je ne l'avais jamais vu adresser la parole à la sirène, mais il venait lui tendre une embuscade sans raison apparente ? Soit il me prenait pour une conne, soit j'avais loupé un épisode. Connaissant Blaze, je penchais pour la première option.
— Je suis presque certaine que la future reine de Mermailya n'a pas besoin d'être accueillie par un estyrian. Surtout si le sorcier en question, c'est toi.
Pour la première fois depuis qu'il était arrivé, Blaze daigna me regarder. Ses pupilles me fixèrent pendant de longues secondes avant qu'il ne hausse un sourcil. A en juger par son expression narquoise, il allait me sortir une connerie.
— Qui te dis que c'est Maeve que je suis venu voir ?
Je le dévisageai sans comprendre ce qu'il entendait par-là. S'il n'attendait pas Maeve, qu'est-ce qu'il foutait dehors ? Il n'avait aucune autre raison d'être là. Je le vis sourire devant mon incompréhension, ce qui me donna envie de le frapper. Pourquoi tous les sorciers avaient-ils ce besoin étrange d'être chiant ? Je n'en connaissais pas un seul qui était supportable. Et il y en avait deux cents dans cette école.
— Accouche ou dégage, Blaze. J'ai autre chose à faire de la matinée.
— Comme attendre Maeve alors qu'elle ne revient pas à l'école aujourd'hui ?
Pourquoi disait-il ça ? Le palais m'avait appelée hier pour me prévenir qu'elle rentrait ce matin. Je décidai de ne pas faire attention à ses propos. Blaze était un abruti et il n'avait aucun moyen de savoir si Maeve rentrait maintenant ou dans trois semaines. Et puis, pourquoi serait-il au courant, et pas moi ? Il n'y avait pas moyen que cela arrive.
— Mon emploi du temps ne te regarde pas.
— Etant donné que t'es censée être en cours, si.
C'était l'hôpital qui se foutait de la charité.
— Toi aussi, lui fis-je remarquer.
Je ne savais pas ce qu'il s'apprêtait à me dire, mais il s'arrêta avant que le moindre mot ne franchisse ses lèvres, comme s'il ne s'attendait pas à cette réponse. Il fit la moue, cherchant sûrement la répartie parfaite. Qu'il ne trouva pas.
— D'accord. Un point pour toi.
Il ne fit pourtant pas mine de vouloir s'en aller. Il resta assis à mes côtés, les jambes dans le vide. Il arrêta de fixer la route comme un psychopathe pour commencer à m'observer. Je ne savais pas vraiment si c'était mieux.
— Arrête de me reluquer comme ça.
— T'es canon, s'expliqua-t-il.
Je levai les yeux au ciel. Je n'avais pas franchement besoin qu'on me le dise. Je le savais déjà.
— Plus ou moins que Celia ?
Une lueur passa dans son regard, avant qu'il ne me tire la langue comme s'il avait trois ans.
— Tu le sais très bien.
— Tu l'as invitée au bal.
— Parce que t'aurais accepté si je t'avais invitée ? rétorqua-t-il.
Je ne me donnai même pas la peine de réfléchir. Il le savait très bien. Je l'aurais envoyé chier avant même qu'il ne finisse sa phrase, s'il avait osé me demander de l'accompagner. Et il savait très bien pourquoi.
— Alors, continua-t-il en voyant que je ne répondais pas. Qu'est-ce que tu fais ici ?
— Si je te dis de t'occuper de tes affaires, tu le feras ? m'enquis-je.
Son sourire canaille m'apprit que non avant même qu'il ne prononce le moindre mot. Apparemment, j'allais être obligée d'écouter ce qu'il avait à me dire même si je n'en avais aucune envie. Au moins, ça fera peut-être passer le temps en attendant que Maeve revienne. Après un rapide coup d'œil à ma montre, je vis qu'elle avait maintenant trente minutes de retard. Ça ne lui ressemblait vraiment pas.
— Non. Parce qu'il faut que je te parle.
Je soupirai. Cette discussion me suffisait déjà largement. Je ne voyais pas l'intérêt de l'allonger mais je savais très bien que Blaze ne me laisserait pas tranquille tant que je n'aurais pas écouté ce qu'il avait à me dire. Je le connaissais assez bien pour ça.
— Et si Maeve ou Dray nous voit ?
— Dray est en cours et Maeve n'est même pas à l'académie. Et puis, ils sont bien trop occupés à se détester et à avoir des secrets l'un pour l'autre pour faire attention à nous.
J'ouvris la bouche pour lui répondre, avant de la refermer sans rien dire. Avoir des secrets l'un pour l'autre ? Qu'est-ce qu'il voulait dire par-là ? Il n'était pas censé savoir que Maeve cachait des choses à Dray. Personne ne le savait, à part moi.
Sans me laisser le temps de réfléchir au sens de ses paroles, le sorcier reprit.
— Est-ce que t'étais au courant que Dray n'avait pas réussi à effacer la mémoire de Maeve ?
Son visage perdit son expression narquoise au profit d'un air sérieux que je lui avais rarement vu. Mes joues perdirent leurs couleurs et j'entrouvris la bouche, sous le choc. Non... il ne pouvait pas être au courant... C'était impossible...
— Comment tu...
Je ne terminais pas ma question. Le regard meurtrier que me lança Blaze me dissuada de terminer. Aussitôt, les pièces du puzzle s'imbriquèrent dans mon cerveau. Les regards meurtriers que me lançait Dray depuis des jours, ses cernes, ses yeux rouges, le silence de Maeve, son retard. Elle lui avait tout dit. Je ne savais pas pourquoi ni comment, mais je ne voyais que ça.
Blaze sut que j'étais au courant de tout sans que je n'ai besoin de lui dire. Le simple fait que je ne lui demande pas de quoi il parlait était déjà une réponse. Manifestement énervé, il se releva d'un bond avant de se placer face à moi, des éclairs au fond de ses prunelles.
— Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ?
Je haussai un sourcil à l'entente de cette interrogation. Etait-il sérieux ? C'était sans doute l'une des questions les plus stupides que j'avais entendue depuis un moment. Et pourtant, je passais presque l'intégralité de mes journées avec Ziel.
— Parce que ce n'était pas à moi de le faire ? Parce que ça ne te regardait pas ? Parce que t'aurais été incapable de le garder pour toi ? Parce que...
— OK OK j'ai compris ! s'exclama-t-il en levant les mains en l'air. Mais t'aurais quand même pu me le dire.
— En quel honneur j'aurais fait ça ? rétorquai-je.
Il sourit, puis posa ses mains de part en d'autres de mes cuisses, sur le muret. Je le regardai faire en comprenant sans problème ce qu'il avait dans le crâne. Je secouai la tête pour lui montrer que c'était hors de question, et le repoussai d'un pied sur le torse.
— Hors de question, grondai-je.
Je sautai au pied du muret et m'éloignai de Blaze, les poings sur les hanches.
— Combien de fois va falloir que je te le répète, Don Juan ? On est plus ensemble, alors arrête tes conneries.
— Il n'appartient qu'à toi de changer ça.
Je levai les yeux au ciel, mettant une distance de sécurité appréciable avec lui. Je n'aimais pas, mais alors pas du tout le sujet de conversation sur lequel il dérivait. Oui, nous étions sortie ensemble à une époque. A peu près la même période que celle où Maeve et Dray étaient ensemble. Je n'avais jamais mis ma meilleure amie au courant, et je tenais à ce que ça ne change pas. J'avais rompu avec Blaze quelques jours avant que Dray ne tente d'effacer la mémoire à Maeve et gardais ce secret bien caché depuis. Je ne savais pas si Blaze avait mit le blond au courant et je m'en fichais totalement. En ce qui me concernait, cette relation appartenait au passé et je préférais ne plus en parler. Surtout quand je voyais de quelle manière dérivait la rupture de Maeve et Dray.
— Ça suffit, Blaze. On est pas là pour parler de nous.
— Pour ça, faudrait qu'il y ait encore un nous, me contredit-il.
— Justement, il n'y en a pas. Pourquoi Maeve à tout dit à Dray ?
D'un geste de la tête, il me désigna l'entrée de la cour, où une limousine était en train d'arriver.
— Tu demanderas à ta meilleure amie. Moi, je voulais juste savoir si t'étais au courant ou pas.
Il tourna les talons, me laissant seule et agacée dehors. Ce type était vraiment insupportable, quand il s'y mettait. Je me tournai ensuite vers la voiture, et attendit que Maeve en descende. Quand elle émergea du véhicule avec des lunettes de soleil sur les yeux alors qu'il faisait presque nuit dehors tant il y avait de nuages, je compris que notre discussion allait être longue.
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