Chapitre 36
Ce fut lorsque je vis les yeux de Dray s'écarquiller de surprise et d'incompréhension que je sus que je venais de dire une connerie. Et que celle-ci, je ne pourrais pas la justifier. Ce n'était pas la première gaffe que je fais depuis qu'il m'avait rejointe. Je ne faisais que ça. Les mots sortaient de ma bouche avant que je ne réfléchisse à leur sens, puis je devais me creuser les méninges pour trouver une explication. Jusque-là, je réussissais à me débrouiller mais maintenant, cela me paraissait compromis.
Je n'allais jamais pouvoir trouver un mensonge assez convaincant. Je venais de l'appeler Principe. Le surnom que je lui donnais lorsque nous sortions ensemble et que, par conséquent, j'étais censée avoir oublié. Comment j'allais pouvoir me sortir de cette situation sans devoir tout lui avouer ? Je n'en avais aucune idée. Je venais sûrement de faire la plus grosse gaffe de ma vie. Qu'est-ce qui m'avait prit de lui balancer ce surnom ? Lorsque nous étions ensemble, jamais je ne l'avais appelé comme ça pendant une dispute. Alors pourquoi maintenant ?
Je ne comprenais pas le destin que me réservait Ursala, mais si elle voulait que je devienne complètement timbrée avant de monter sur le trône, elle allait avoir ce qu'elle voulait.
Je me repris le plus rapidement possible pour tenter de donner le change, mais Dray paraissait tellement sous le choc que j'avais du mal à rester impassible. Le mélange de sentiments que je lisais actuellement dans ses prunelles le faisait paraître si fragile que j'avais envie d'aller le prendre dans mes bras. Mais je ne pouvais pas faire ça et j'avais l'impression qu'après cette conversation, je le pourrai encore moins.
— Comment tu m'as appelé ? me demanda-t-il.
Je restai silencieuse. Je ne pouvais pas lui mentir. A quoi ça servirait ? Je ne pourrais jamais lui faire croire qu'il avait mal entendu. Ca lui arrivait d'être idiot, mais jamais à ce point. Il n'y avait aucune ressemblance entre Principe et Dray. Je ne savais pas comment j'allais me sortir de cette merde, mais j'allais galéré.
— Maeve, comment tu connais ce surnom ?
J'envisageai un instant ce lui demander s'il voulait entendre la vérité ou non, avant de me raviser. Ce n'était pas vraiment le moment de faire de l'humour. Le sorcier ne semblait pas vraiment d'humeur à rire. Je me demandais bien pourquoi...
Je cherchai rapidement une réponse qui n'impliquait pas de tout lui dévoiler mais dû me rendre à l'évidence. Il n'y en avait pas. Je soupirai, trouvant soudain le sol bien plus intéressant que le blond. Je redoutais déjà ce que j'allais lui dire. Parce qu'il était temps que cette comédie se termine et qu'il n'y ait plus de secrets entre nous. Et aussi parce que je n'avais plus le choix. Je savais que je n'aurais jamais dû venir ici....
Je pris une profonde inspiration, sans oser poser mes prunelles sur l'estyrian. Si je le regardais, j'allais me dégonfler. J'allais soit lui sortir une connerie, soit partir sans rien lui dire. Dans les deux cas, je ne ferais que remettre cette discussion à plus tard. Je n'étais pas vraiment certaine que ce soit une bonne idée. Voyant que je mettais du temps à lui répondre, Dray recula d'un pas.
— Non...
Avait-il comprit tout seul ? Lorsque je relevai les yeux sur lui, les siens étaient pleins de larmes. Je en savais pas ce qu'il s'était passé dans son crâne pour qu'il en vienne à cette conclusion seulement à cause de mon silence, mais cela ne servait plus à rien de lui mentir. Il avait saisit tout seul ce que je lui cachait.
— Je n'ai rien oublié, murmurai-je en soutenant son regard.
Le visage livide, Dray me fixa sans réagir. Immobile, il se contenta de cligner plusieurs fois des paupières, comme déconnecté de la réalité. Je voulais faire un pas vers lui, mais cela semblait le réveiller. Il recula pour que je ne l'approche pas, ce qui me fit l'effet d'un coup de poignard en plein cœur. Je déglutis, fermant les paupières si fort que des points blancs valsèrent dans mon champ de vision. Quand je les rouvris, Dray n'avait pas bougé. Il continuait de me fixer sans dire un seul mot.
Je n'avais jamais connu silence plus pesant. Rapidement, je me sentis obligée de parler, ne supportant pas la gênance qui s'était installée.
— Ton sort n'a pas marché. Je me souviens de tout dans les moindres détails et depuis le début.
Des larmes se mirent à dévaler mes joues sans que je ne me rende compte que je pleurais. Pourquoi ne parlait-il pas ? La lueur brisée qui s'alluma dans les prunelles de mon ancien petit copain me donna l'impression de perdre ce qu'il restait de mon organe vital. Les mains tremblantes, je n'essayai pas de m'avancer vers lui. Je ne voulais pas qu'il recule une nouvelle fois.
Les secondes s'écoulèrent et Dray resta silencieux.
— Dis quelque chose...
Sans surprise, toute la tendresse ou l'amour que ressentait Dray à mon égard avait disparu de son regard. Je n'y voyais plus que le poids culpabilisant de la colère, de l'incompréhension et de la tristesse. Trois sentiments que je m'en voulais de causer chez lui.
— Tu comptes me fixer en silence toute la journée ou tu vas finir par m'expliquer ? gronda-t-il.
L'air quitta mes poumons lorsque j'entendis le ton de sa voix. Jamais il n'avait paru si énervé. Même lorsqu'il m'avait surprit en train d'essayer de tuer son frère, il ne m'avait jamais parlé sur ce ton. L'expression venimeuse de sa voix
— Ecoute. Je sais que tu dois être énervé mais...
— Enervé ? me coupa-t-il. Maeve, ça fait un an et demi que tu me mens !
Une moue que je pensais discrète peignit les traits de mon visage.
— Techniquement, ça ne fais que deux semaines qu'on se reparle donc... murmurai-je.
Je ne pensais pas avoir parlé assez fort pour qu'il puisse m'entendre, mais à en voir son visage furieux, je sus qu j'aurais mieux fais de me taire. Il n'appréciait pas ma contradiction, apparemment.
— Alors c'est ça, ton excuse ? s'énerva-t-il. Tu te fous de moi ? On ne se parlait pas, donc tu ne me mentais pas ? J'espère que c'est une blague.
— Pas du tout ! Je ne voulais pas dire ça ! Je...
Exaspérée par mon manque de tact, je me passai une main dans les cheveux en levant les yeux au ciel; J'étais en train d'empirer les choses, même si je voyais mal comment les choses pouvaient être pires. Dray me détestait, maintenant. C'était évident. Il faudrait vraiment que je sois idiote pour parvenir à envenimer la situation.
Quelque chose me disait que j'étais parfaitement capable de le faire.
Le sorcier soupira, comme s'il se rendait compte que cela n'avait pas été une partie de plaisir pour moi de garder ce secret tout ce temps. Ou pas.
— Pourquoi tu m'as caché ça, Maeve ? Ça t'amuse de me prendre pour un con depuis si longtemps ? C'est ta façon de me punir pour ce que j'ai fais ?
Ma bouche s'entrouvrit sous le poids de ce reproche. Il était sérieux ?
— Quoi ? Non ! J'ai envie de te dire la vérité depuis que tu t'es foiré ! Tu crois que c'était facile pour moi de faire comme si on ne se connaissait pas alors que le moindre de nos moments passés ensemble est gravé dans ma mémoire ? Non, ça ne l'est pas.
Je débitai ses paroles tellement vite que je dû faire une pause pour reprendre mon souffle. Dray, pensant que j'avais terminé, ouvrit la bouche pour me répondre. Je ne lui laissai pas le temps de parler. Lorsque je continuai ma tirade, ma voix était prise par l'émotion. Cette conversation me faisait revivre mentalement tout ce temps où j'ai été obligé de ne rien montrer de ce que je ressentais. De nouvelles larmes naquirent dans le coin de mes yeux. Je ne fis rien pour les empêcher de se dévoiler.
J'étais brisée.
Dray le savait.
Et il s'en fichait.
— Je me doute bien que ça n'a pas dû être facile pour toi non plus, Dray. Mais tu n'as pas le droit d'être en colère contre moi.
Il tenta de le couper la parole, mais je ne le laissai pas faire. Cela faisait des mois que j'avais envie de lui dire ce que je pensais de sa manière de me protéger, alors je n'allais pas m'arrêter en si bon chemin. Il devait comprendre qu'il n'était pas le seul à avoir souffert, dans cette histoire.
— Non ! T'as pas le droit de m'en vouloir de te l'avoir caché !. J'ai fais exactement ce que tu voulais ! J'ai coupé les ponts avec toi ! Tu voulais qu'on arrête de se voir ? J'ai simplement suivi ton souhait ! C'est trop facile de me le reprocher alors que c'est toi qui a lancé tout ça. En me taisant, j'ai juste accepté le fait que tu voulais que je m'oublie. Tu voulais me protéger et c'est pour ça que je ne t'ai rien dis. Tu peux pas me reprocher mes actes alors que tu as fais pire que moi. Tu as voulu m'effacer la mémoire, putain ! Tout ça parce que tu me crois incapable de faire la part des choses.
Il savait très bien que j'avais raison. Il ne pouvait le nier. J'étais la sirène la plus puissante du continent, juste derrière ma mère. Je n'avais pas besoin d'être protégée. Dans ses prunelles, je vis son ego masculin se battre un instant avec la raison. Quand il croisa les bras sur sa poitrine, je sus qu'il allait dire quelque chose de stupide.
Après tout, son père lui avait apprit à ne jamais pardonner. Et il écoutait toujours son père, quand bien même c'était un enfoiré.
— Admettons. Pourquoi t'es pas venu tout me dire à la fin de la guerre ?
Je le dévisageai, à la limite de le fusiller du regard. Il était sérieux ? Comment pouvait-il sérieusement me poser cette question ?
— J'espère que tu te fiches de moi. Tu crois vraiment que je n'avais que ça en tête à ce moment-là ? Mon frère venait de mourir ! J'avais perdu mon jumeau et hérité du titre de princesse héritière au même moment ! J'avais autre chose en tête que de venir te dire la vérité ! Mais ça, tu le sais très bien. Tu crois que je ne t'ai pas vu quand tu m'observais pleurer sur le cadavre de mon frère, juste avant que tu ne donnes l'ordre à ton peuple de battre en retraite ? J'étais trop préoccupée à être brisée pour penser à renouer avec toi. Si tu l'avais voulu, tu serais venu me voir. Ne serait-ce que pour me demander si je vais bien au lieu de me regarder mourir de chagrin sur le cadavre de mon jumeau. Tué par ton frère.
Il ne se laissa pas démonter par mes reproches.
— Ne me remets pas la faute dessus, Maeve. Tu m'as menti.
Je savais qu'il détestait le mensonge, mais cette conversation tournait en rond et nous brisait tous les deux un peu plus. J'étais la seule qui tentait d'arranger les choses. Dray se contentait d'émettre des contre arguments destiné à réduire le peu d'estime qu'il me restait.
— Vouloir me faire croire qu'on ne se connaissait pas en me faisant perdre la mémoire est aussi un mensonge, Dray. C'est toi qui a commencé.
Encore une fois, j'avais raison. Dray ne l'admettrait pas, je le savais très bien. Au mieux, il attendrait que je quitte la Moonainst Academy pour regretter ses paroles et il se maudira à vie de s'être comporté de la sorte avec moi. Mes soupçons se confirmèrent quand je le vis cligner rapidement des paupières pour sécher ses larmes.
— Ça n'a rien à voir.
Je haussai un sourcil. Personnellement, je ne voyais pas la différence.
— Ah oui ? Et en quoi ?
Le silence s'éternisa sans que Dray ne fasse mine de me répondre. Parce qu'il ne le ferait pas. Il n'avait aucun argument à avancer. Je me mis à rire jaune, avant de secouer la tête.
— J'étais déjà en morceaux. Je n'aurais jamais pensé que ça serait toi qui me briserait.
Je tournai les talons, prête à partir. Comme je m'y attendais, Dray ne tenta pas de m'arrêter. Je m'éloignai, laissant les larmes dévaler mes joues sans tenter de les retenir.
Encore une fois, j'avais eu raison. Cette conversation s'était très mal terminée.
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