Chapitre 29

Allongée dans mon lit avec un triton, dont je ne me souvenais déjà plus le nom, j'observais la pluie tomber à travers la fenêtre de ma chambre. Recouverte de ma couette, je ne prêtais aucune attention à mon partenaire des dernières heures. Nu comme un ver, il s'amusait à glisser ses doigts sur mes épaules en bavardant tout seul, se fichant totalement du fait que je ne lui réponde pas. Il était bruyant, ce qui m'arrangeait. Ses bavardages incessants m'empêchaient de trop penser et cela ne pouvait que m'être bénéfique. Je voulais avoir l'esprit vide pour ça, rien de mieux qu'un imbécile qui parlait sans cesse pour rien dire. Pour le moment, je ne désirais pas rester seule avec la tempête qui soufflait dans ma boite crânienne. Même m'envoyer en l'air avec un membre de mon peuple ne parvenait pas à me faire oublier ce que Dray m'avait dit plus tôt.

Je secouai vivement la tête pour ne pas ressasser ses paroles et me tournait vers le triton, qui se mit à me sourire dès qu'il s'aperçut qu'il avait de nouveau mon attention. Toujours sans porter la moindre attention à ses paroles, je le jaugeai de haut en bas. La tête penchée vers moi, ses mèches blondes retombaient sur son front pendant que ses yeux bleus me scrutaient, une lueur de désir dans les yeux. J'avais oublié comment il s'appelait au moment même où il était entré dans ma chambre, bien que ce ne soit pas la première fois que je lui téléphone quand j'avais besoin de me changer les idées. Je n'étais pas douée pour les prénoms, encore moins lorsque je ne parlais pratiquement jamais à la personne en question.

— J'ai entendu dire qu'il y a eu un mort à la Moonainst Academy, la semaine dernière, me lança-t-il. C'est vrai ?

Une moue dégoûtée sur le visage, je tournai la tête vers la fenêtre sans lui répondre. J'observai les gouttes de pluie ruisseler sur le verre avec apaisement, appréciant ce spectacle. Il n'y avait que deux choses qui pouvaient me calmer quand j'étais triste. La pluie... et mon frère. Bien entendu, désormais, il ne m'en restait plus qu'une. Je soupirai devant ce constat. Je n'allais pas aller loin si je devais attendre qu'il pleuve pour ne plus déprimer. Surtout que c'était assez paradoxal.

— Princesse Maeve ?

Une oeillade meurtrière plus tard, le triton comprit que je ne voulais pas aborder le sujet et garda le silence sans insister.

— Quand je t'appelle, c'est parce que j'ai envie de coucher, pas de parler, grondai-je.

Je me redressai sur mon lit, gardant un bras sur ma poitrine pour que ma couette ne retombe pas sur mes jambes. Comprenant le message, il hocha la tête et descendit de mon lit avant de sauter dans ses vêtements. Il se rhabilla rapidement avant de se diriger vers la porte. A ce moment-là, elle s'ouvrit sur Eva. Celle-ci dévisagea l'homme avant que son regard ne se pose sur moi, puis elle leva les yeux au ciel. Elle s'écarta de l'entrée en croisant les bras sur sa poitrine, visiblement impatiente.

— Dégage, Roy, grinça-t-elle.

— C'est toujours un plaisir de te voir, Eva, rétorqua-t-il en passant devant elle.

Ma meilleure amie referma la porte et au regard qu'elle me lança, je vis de suite qu'elle ne validait pas mon comportement. Je me détournai donc d'elle, ne voulant pas avoir affaire à ses reproches, et entreprit d'enfiler des vêtements. Eva me laissa tout juste le temps de passer des sous-vêtements avant de prendre la parole.

— Je peux savoir ce que c'était que ça ?

Je haussai les épaules, tout en tentant d'enfiler un pantalon. L'entreprise étant assez risquée, je manquai de tomber.

— Pourquoi tu me poses la question alors que tu connais la réponse ?

Une fois entièrement habillée, je retournai m'asseoir sur mon lit et Eva ne mit pas longtemps à me rejoindre. Installée en tailleur à côté de moi, elle soutint mon regard en soufflant.

— Et pourquoi est-ce que tu as jugé bon de coucher avec cet imbécile maintenant ?

Jugé bon n'était pas vraiment le terme approprié pour qualifier la situation. J'avais appelé Roy sur un coup de tête parce que je ne supportais pas de rester seul. Je n'avais même pas prit le temps de ranger la photo de Dray et moi qui traînait encore par terre. Le regard tourné dans cette direction, Eva l'intercepta et avisa le bout de papier, face retournée vers le sol. Curieuse, elle se leva pour aller le récupérer. Lorsqu'elle s'aperçut de ce qui se trouvait sur la feuille, elle se tourna vers moi d'un air peiné.

— J'aurais dû m'en douter dès le départ.

Sans même faire semblant de ne pas savoir où se trouvait mon tiroir à double fond, Eva rangea la photo à l'intérieur. Je la regardai faire en haussant un sourcil.

— Est-ce qu'il y a au moins un secret que j'ai réussi à garder pour moi ? marmonnai-je.

Un léger sourire étira les lèvres de ma meilleure amie avant qu'elle ne revienne s'asseoir à côté de moi.

— Bien sûr que non. Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé depuis hier soir pour que tu aies besoin de coucher avec Roy alors que tu te plains sans cesse que c'est un mauvais coup ?

Ne voulant pas garder cette discussion pour moi, et sachant très bien qu'Eva ne me laisserait pas tranquille tant que je ne lui aurais pas tout expliqué, je lui relatai ma journée. Je commençai par l'arrivée du peuple de l'impératrice avec les propos d'Ariela sur Mike. Ma meilleure amie ne manqua pas d'exploser de rire en voyant de quelle façon Athéna avait puni sa fille. Vint ensuite ma conversation téléphonique avec Dray. Eva l'écouta sans m'interrompre et, au moment où je terminai, mes yeux étaient emplis de larmes que je m'empressai d'essuyer du revers de la main.

Il n'y avait pas à dire. Le sexe pour oublier, c'était vraiment une idée de merde. Ça ne marchait jamais.

Eva m'observa en silence, ce qui ne lui arrivait que très peu. Elle semblait chercher ses mots, ce qui était encore plus rare. Elle se contentait de balancer ce qu'elle pensait sans y mettre les formes, en temps normal. Je devais vraiment faire pitié pour qu'elle prenne le temps de réfléchir avant de parler. Ce n'était pas vraiment pour me rassurer.

— Tu devrais tout lui avouer, finit-elle par dire.

Les yeux écarquillés, je l'examinai longuement, ne comprenant pas sa suggestion. Avouer à Dray que je n'avais rien oublié ? Et puis quoi, encore ? C'était tout bonnement hors de question. Et pas seulement parce que j'appréhendais sa réaction le jour où il apprendrait que je jouais la comédie depuis le début.

— Alors que c'est lui qui a commencé en voulant m'effacer la mémoire ? m'exclamai-je. Même pas en rêve. C'est à lui de venir me voir.

— Ta fierté est très mal placée, Maeve. Dray pense que tu ne te souviens de rien ! Il ne va pas débarquer un beau matin en te disant que vous êtes sortis ensemble pendant des mois entiers mais que tu ne te souviens de rien parce qu'il t'as effacé la mémoire contre ton gré pour te protéger de son père.

Elle parla tellement vite qu'un moment, je cru que j'allais avoir besoin d'un traducteur pour comprendre ce qu'elle était en train de me dire. Elle recommença à parler aussitôt après avoir reprit son souffle.

— Sans compter que le roi estyrian préférerait voir son fils mort qu'amoureux de toi. Si tu ne lui dis rien, cette situation ne s'arrangera jamais.

— Qui te dis que j'ai envie qu'elle s'arrange ?

Au haussement de sourcil excessif de la sirène, je compris bien vite que je n'étais pas crédible deux secondes.

— Tu ne peux pas continuer comme ça, et lui non plus, gronda Eva.

— Tu e...

— Arrête. T'es au bord de gouffre depuis qu'il a fait de la merde en voulant t'effacer la mémoire et t'es à deux doigts de sauter dans le vide depuis que Mike est parti alors non, tu ne peux pas continuer comme ça. Tu fais peut-être semblant d'aller bien devant tout le monde. Tu peux continuer à jouer à la princesse hautaine si tu veux, mais tu ne me trompes pas. Ni ta mère, ni moi. On sait très bien que tu donnes l'illusion juste parce que tu es persuadée qu'en tant que princesse, tu n'as pas le droit d'aller mal. Mais c'est faux.

Je restai un instant bouche bée. C'était la première fois qu'Eva me parlait de cette façon. Aussi franchement. Je n'étais pas certaine d'aimer ça. Je ne pouvais pas lui dire que j'allais très bien pour contredire ses propos. Je me discréditais toute seule en ayant les larmes aux yeux depuis le début de sa tirade.

— Tu sais bien que ça ne changerait absolument rien que je règle la situation avec Dray, m'exaspérai-je. Le père de Dray ne me supporte toujours pas et nos royaumes s'entendent encore moins bien qu'avant. Crois-moi, ça nous fera plus de mal qu'autre chose de mettre les choses au clair.

Là-dessus, je voyais mal comment Eva pourrait me contredire. Elle y parvint néanmoins très bien.

— Je te rappelle que vous avez eu une relation cachée pendant des mois alors que vous vous trouviez dans deux royaumes différents. Là, vous vivez à trente mètres l'un de l'autre pour les six prochains mois. Explique-moi comment ça pourrait être pire ?

Je soupirai. La légende qui disait que les sirènes étaient des êtres stupides était minable. Ma meilleure amie pouvait se montrer très intelligente, quand elle le voulait.

— Je peux pas faire ça. Mike détestait Dray. Je peux pas lui faire ça.

Comment me montrer digne du trône si je sortais avec le mec que mon frère détestait plus que tout sur le continent ? Mike n'avait jamais su que je sortais avec Dray, et c'était mieux comme ça, même si j'avais horreur de lui cacher des choses. Je ne pouvais pas trahir la mémoire de mon jumeau en renouant avec une personne qu'il haïssait, bien que je n'ai compris ce qui causait cette rancoeur.

— Non mais tu te fous de ma gueule, Maeve ? s'écria Eva.

J'ouvris la bouche pour lui répondre, mais elle ne m'en laissa pas le temps.

— Arrête d'être le personnage secondaire de ta propre vie. Tu laisses des souvenirs guider tes choix. Oui, Mike ne supportait pas Dray. Mais ce n'est pas Dray qui l'a tué, et ton jumeau ne voudrait pas que tu sois malheureuse et seule jusqu'à ta mort à cause de la sienne.

Je la dévisageai sans même avoir le courage de donner une inflexion déterminée à ma voix. Je n'y parvenais pas. J'étais incapable de prétendre être forte. Parce qu'en ce moment même, je ne l'étais pas.

— Je t'ai toi, lançai-je.

Mais nous savions toutes les deux que ce n'était pas la même chose, et elle ne manqua pas de me le faire remarquer en haussant un sourcil.

— Il te rendait heureuse, Maeve. Mike le savait et c'est exactement pour ça que s'il était là, il te foutrait un coup de pied au cul pour que t'ailles voir Dray et que t'arranges les choses.

Assise sur mon lit, j'attrapai l'un des doudous qui trainait là depuis des mois. Une loutre en peluche qui souriait et qui tenait un cœur entre ses pattes avant. L'ultime cadeau de Mike avant qu'il ne meurt. Je plaquai l'objet contre ma poitrine, bien consciente que j'avais l'air d'une pauvre gamine au fond du trou.

— Et à quoi ça servirait ? marmonnai-je. C'est pas demain la veille que je vais pouvoir sortir avec lui. Aux dernières nouvelles, nos royaumes sont toujours incompatibles.

C'était déjà compliqué d'annoncer notre relation à nos parents avant la guerre mais maintenant, c'était devenu impossible. Cela ne pouvait finir que mal. Eva posa une main réconfortante sur mon épaule, avant de me prendre dans ses bras.

— Pour l'instant, oui. Mais quand vous serez couronné tous les deux, plus rien ne vous empêchera d'être ensemble.

Ouais. Si tout ne partait pas en couilles avant.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top