Chapitre 25
— C'est hors de question, maman.
Faisant les cent pas dans ma chambre depuis plusieurs minutes, je me demandais comment ma mère avait eu une idée pareille. Elle était complètement malade. Un bras sur la poitrine et l'autre tenant mon portable à proximité de mon oreille, je serrai les poings.
Elle ne pouvait pas me demander de faire ça. C'était impossible. Comment pouvait-elle penser une seule seconde que j'allais accepter ?
Je l'entendis soupirer à l'autre bout du fil. Ses talons claquaient sur le sol, signe qu'elle faisait actuellement la même chose que moi. Ce n'était pas ma mère pour rien.
— Maeve...
— Non, n'essaie même pas de m'amadouer, la coupai-je. C'est pas à moi de faire ça.
Mes prunelles se posèrent sur la photo de Mike qui se trouvait sur ma table de cheveux, et des larmes s'agglutinèrent aux coins de mes yeux. Ma mère rêvait si elle croyait que j'allais faire ce qu'elle venait de me demander. Cette tâche revenait à mon frère. Pas à moi. C'était lui l'aîné. Il était né trois minutes avant moi. Et il n'y avait que l'aîné de la famille royale qui devait accomplir ce que ma mère attendait maintenant de moi.
— C'est toi l'aînée, maintenant.
Ses paroles me serrèrent le cœur. Non, je ne serai jamais l'aînée. C'était Mike... Les larmes dévalèrent mes joues sans que je ne les contrôle suite aux mots de ma mère. Je n'étais pas encore prête à me faire à l'évidence, et je ne le serai sans doute jamais. Sans même tenter d'essuyer mes joues humides, je me laissai tomber sur mon lit, ma tête entre mes mains.
— Tu peux pas me demander de faire ça...
Je réprimai de mon mieux mes sanglots pour que la reine de Mermailya ne se rende pas compte de ce que ses propos provoquaient chez moi. C'était peut-être ma mère mais, même devant elle, il était hors de question que je montre la moindre faiblesse. La future reine de notre royaume ne pouvait se permettre de paraître aussi fragile, même devant l'occupante actuelle du trône.
Je savais déjà très bien que mon refus et ma voix tremblante donnaient une mauvaise image de moi, alors je ne pouvais pas en rajouter. Je clignai rapidement des paupières pour en chasser les larmes qui s'y trouvaient toujours, heureuse d'avoir cette conversation par téléphone. Je n'aurais pas tenu le coup si ma mère avait été devant moi.
— Ça me fait autant de mal qu'à toi de ne pas voir ton frère effectuer ce rituel, mais nous n'avons pas le choix, Maeve. Quelqu'un doit le faire... et ça ne peut pas être ton frère.
Je soufflai, sachant pertinemment qu'elle disait vrai. Il y avait des choses que je ne pouvais pas déléguer. Ce que ma mère voulait que je fasse en faisait partie.
— Pourquoi tu ne le fais pas toi ? lui demandai-je. C'est la même chose.
A la façon dont elle claqua sa langue contre son palais, je pouvais la deviner secouer la tête, comme si ma suggestion était idiote. Je le trouvais pourtant totalement cohérente. Ma mère était l'aînée de la famille royale, en un sens.
— Parce que je l'ai déjà fais.
Elle laissa planer le silence un instant, avant de reprendre. Alors que j'étais en train de pleurer silencieusement, la voix de ma mère ne laissait pas deviner le moindre sentiment. J'avais encore du boulot pour adopter son impassibilité.
— C'est censé être un argument convaincant ?
J'essuyais rapidement les larmes qui dévalaient encore mes joues et m'approchai d'un paquet de mouchoir pour arrêter de renifler toutes les deux secondes. Ma mère me laissa faire avant de répondre.
— Oui, puisque ce rituel a pour but de déterminer si tu peux accéder au trône ou non, et que je suis déjà reine.
Tout cela, je le savais malheureusement déjà. Je ne cherchais que des excuses pour me dédouaner de cette corvée qui ne devrait pas être la mienne.
— C'était à Mike de le faire... bougonnai-je tout de même.
Je m'attendais à tout, sauf à l'éclat de voix de ma mère. J'entendis un objet se briser à l'autre bout du fil et la voix de ma mère claqua dans l'air comme une menace.
— Maintenant ça suffit, Maeve ! Ton frère est mort, alors arrête de t'apitoyer sur ton sort parce que ses obligations te reviennent ! Je sais que c'est dur. Ça l'est pour moi aussi. Mais tu ne peux pas continuer à refuser la moindre tâche incombant à l'héritier sous prétexte que c'était à ton frère de l'effectuer. C'est toi l'héritière, désormais, et tu vas devoir faire avec. Mike ne reviendra pas.
Je restai figée devant les paroles de ma mère. Je savais tout ce qu'elle venait de me dire. J'en étais consciente. Elle n'était pas obligée de me remettre les pendules à l'heure de cette façon. Je déglutis, ne sachant pas quoi lui répondre.
— Nos cousines des mers du Nord arriveront à la fin de la semaine. Je veux que tu sois là à leur arrivée.
Résignée, je hochai la tête, bien qu'elle ne puisse pas me voir. Cette conversation ne servait à rien. Je devais prendre la place de mon frère pour cette cérémonie, ainsi que pour toutes celles qui suivraient, jusqu'à ce que je laisse mon trône à mes descendants.
— D'accord.
— Envoie un message à la couturière dans deux jours maximum pour lui annoncer la couleur que tu désires pour ta robe. Choisis bien.
La couleur de la tenue que j'allais porter ne m'intéressait pas le moins du monde. Je pourrais tout aussi bien mettre du vert, du orange ou du rose fluo que je n'en aurais rien eu à faire.
— Je suis désolée.
Là, ma mère raccrocha sans me laisser le temps d'ajouter quoi que ce soit. Je regardai l'écran d'appel s'éteindre, la vision rendue floue pour les larmes qui prenaient la fin de cette discussion comme une invitation à dévaler mes joues. Encore une fois, je les essuyai avant de jeter mon portable à l'autre bout de mon lit et me lever. En vain, je cherchai de quoi m'hydrater ou me nourrir dans ma chambre.
Sans même vérifier si j'étais présentable ou non, j'enfilai une veste et sortis de la pièce pour aller me servir dans le mini frigo de la pièce commune. Tête baissée vers le sol, je fis comme si je n'avais pas vu Dray, confortablement installé dans un canapé en train de regarder la télévision.
— Salut, me lança-t-il.
Je l'ignorai, m'agenouillant devant le frigo pour attraper de quoi noyer mon chagrin. Ce n'était pas de la nourriture qui allait m'aider à oublier que je ne reverrais jamais mon frère, mais ça pouvait toujours m'aider. A condition que je rentre toujours dans mes vêtements lorsque j'aurai fini de me goinfrer.
— Maeve ?
Je levai les yeux au ciel sans quitter du regard l'intérieur du réfrigérateur. Ce n'était vraiment pas le moment qu'il se montre pot de colle avec moi. Je voulais simplement être seule. Je reniflai, comme si cela allait m'aider à chasser les sanglots qui menaçaient de revenir, et attrapai une bouteille de soda ainsi qu'une part de gâteau au chocolat. Le tout dans les mains, je m'apprêtais à retourner dans ma chambre en faisant comme si de rien n'était lorsque Dray mit la télévision en pause. Sans même lui jeter un regard, je sus qu'il se dirigeait vers moi. Son ombre entra bientôt dans mon champ de vision et il m'empêcha de retourner m'enterrer dans mon lit en me bloquant le chemin. Je soufflai, avant d'enfin lever les yeux vers lui. Ce que je pris pour de l'inquiètude brillait au fond de ses prunelles. Voir cela me sidéra. Il venait de perdre son frère et je lui avais avoué être à l'origine de son décès, alors pourquoi est-ce qu'il paraissait encore s'inquiéter pour moi ?
N'étant pas d'humeur à m'interroger sur son comportement étrange, j'entrepris de le contourner sans lui adresser la parole, mais il ne me laissa pas faire. Délicatement, il attrapa mon poignet pour que je ne fasse pas tomber ce que je tenais.
— Qu'est-ce que tu me veux ? grognai-je.
Malgré mes efforts, je ne parvins pas à donner à ma voix son accent hautain habituel. Dray fronça les sourcils, sans pour autant me lâcher. Mon timbre plus tremblant qu'énervé ne m'aidait pas vraiment à me débarrasser de lui.
— Il y a un problème ?
Et comme toujours, il se rendait compte que quelque chose n'allait pas en un délai bien trop rapide à mon goût. Je gardai le silence. Il était hors de question que je lui explique ce qu'il m'arrivait. Je ne comptais même pas en parler à Eva, alors il pouvait toujours attendre pour que je lui dise.
— Oui. Toi. Au milieu du chemin, en train de m'empêcher de retourner dans ma chambre, cinglai-je. Alors lâche-moi.
Il ne parut pas songer une seule seconde à me laisser tranquille, comme je venais de le lui demander. A la place, il attrapa de sa main libre la part de gâteau que je tenais et la posa sur la table basse, avant de faire de même avec ma bouteille. Je le laissai agir, ne comprenant pas ce qu'il essayait de faire et ne tentant même pas de le comprendre. Je n'avais pas envie de me disputer avec lui maintenant, même si je désirais encore moins lui parler.
Ma mère venait de me balancer en pleine gueule que je devais arrêter de m'apitoyer sur mon sort et accepter la mort de mon frère. Je ne supporterais pas de devoir, le même soir, parvenir à l'évidence que j'avais également perdu Dray. Ce qui risquait d'arriver si je lui parlais alors que j'étais au bord du gouffre.
Je me retenais de sauter depuis tellement longtemps que je ne savais même pas comment je pouvais réussir à tenir.
— Tu mens, asséna Dray.
Je n'eus même pas l'énergie de lever les yeux au ciel. Je me contentai de le fixer sans rien dire. Bien sûr qu'il savait que je ne lui disais pas la vérité. Il avait une capacité à détecter mes mensonges impressionnante, hormis lorsque je prétendais que son sortilège d'amnésie avait fonctionné. Je ne comprenais d'ailleurs même comment c'était possible pour lui de voir l'un mais pas l'autre.
— Peut-être et alors ? En quoi ça te regarde ? Sérieusement, Dray. Occupe-toi de tes affaires.
— Je peux peut-être t'aider.
Je secouai la tête. Non, il ne le pouvait pas.
— C'est rien de grave, alors ne joue pas au prince charmant.
— Arrête. T'aurais jamais avoué m'avoir menti si ce n'était pas si grave que ça, rétorqua-t-il.
Sans lui faire remarquer qu'il ne devrait pas être au courant de cela, je donnai un coup sec vers le bas pour qu'il lâche mon poignet.
— Je veux juste que tu me foutes la paix...
J'aurais dû rester dans ma chambre à me déshydrater lentement plutôt que de venir dans cette pièce. Dray ne se préoccupa toujours pas de ma demande. De sa main libre, il posa sa paume sur ma joue, un sourire triste aux lèvres. Je me crispai sous la caresse de sa peau contre la mienne, déglutissant. Je devrais lui dire d'aller se faire voir. Lui dire que s'il me touchait encore une fois, il n'aurait jamais de descendance. A la place, les larmes que je refoulais depuis de si longues minutes se mirent à dévaler mes joues, donnant raison à Dray. Du bout du pouce, il les essuya, avant de m'attirer dans ses bras. Je restai immobile une seconde, en sachant pas comment je devais réagir à cette étreinte. La logique voudrait que je l'envoie balader, mais je ne trouvai pas la force de le faire. J'inspirai profondément son parfum, les bras le long du corps.
— Tu peux me parler, si tu veux, lança-t-il.
Je secouai la tête, prenant conscience qu'il était temps que j'arrête mes conneries. Dray était mon ex. Je n'étais même pas censée me souvenir de notre relation.
Ce n'était pas parce que mon frère était mort que je pouvais me laisser aller comme ça.
Les deux mains sur le torse de Dray, je m'éloignai de lui en reniflant. Sans prononcer un seul mot, je récupérai ma boisson et ma pâtisserie avant d'aller m'enfermer dans ma chambre. Je me laissai allai contre la porte, glissant jusqu'au sol avant d'éclater en sanglots.
Je n'allais pas pouvoir tenir comme ça encore longtemps.
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