Chapitre 23
— Je comprendrai jamais rien aux hommes, déclarai-je.
La tête penchée en arrière sur le bord du canapé, j'observai le plafond en ruminant ce qu'il s'était passé avec Dray quelques heures plus tôt.
Sa dernière phrase avant que je ne parte tournait en boucle dans mes pensées, tout comme la photo qui constituait toujours son fond d'écran.
Me laisse pas tout seul, Principessa. J'ai besoin de toi.
Principessa, c'était le surnom qu'il me donnait lorsque nous sortions encore ensemble. Sa phrase ne pouvait s'adresser qu'à moi, mais pourquoi avait-il dit ça ? Et cette photo... n'importe qui pouvait la voir. Il suffisait de jeter un coup d'œil à son écran de verrouillage. Le comportement de Dray était vraiment incompréhensible.
— Les hommes sont des créatures étranges, confirma Eva.
Allongée sur mon lit, elle était arrivée dans mes appartements au moment même où je sortais de la chambre de Dray. J'avais été obligée de tout lui raconter puisqu'elle m'avait menacé d'aller voir Dray directement, et ce n'était pas vraiment quelque chose que je désirais.
La dernière chose qui devait arriver en ce moment, c'est que ma meilleure amie aille réveiller un Dray complètement bourré. Il ne manquerait plus que ça. Je ne savais pas lequel des deux pourrait faire le plus de conneries dans ses circonstances.
— Non mais sérieusement. A quoi ça l'avance de garder une photo de nous en fond d'écran ? m'exaspérai-je. Même moi, j'ai tout supprimé !
Dans la position où je me trouvais, je ne parvenais pas à voir la réaction d'Eva mais, à en juger par l'exclamation horrifiée qui s'échappa de ses lèvres, ce que je venais de dire ne lui plaisait pas. Je tournai la tête pour tenter de l'apercevoir, en vain. La seule chose que j'avais dans mon champ de vision était la couette sous laquelle elle se trouvait.
— Menteuse ! Je sais que t'as encore des clichés planqués dans ta chambre. Et certains de ses pulls au fond de ton armoire. Et les lettres d'amour nian nian qu'il t'envoyait.
— Ok ok c'est bon ! la coupai-je avant qu'elle n'en dise plus. J'ai saisis, pas besoin d'en rajouter.
D'un soupir, je me redressai sur le canapé. Je chassai les mèches de cheveux qui se trouvaient devant mon visage pour jeter un coup d'œil à Eva. Elle avait les yeux rivés sur son portable et ne faisait pas du tout attention à moi, préoccupée par je ne sais trop quoi. Elle parvenait tout de même à tenir la conversation avec moi, mais je grimaçai en me rendant compte qu'elle ne m'écoutait qu'à moitié.
— Tu pourrais au moins faire semblant de t'intéresser à ce que je dis, grondai-je.
Levant enfin les yeux de son téléphone, Eva se tourna vers moi. Elle prit appuie sur l'un de ses coudes pour se redresser en soupirant, comme si ce que je venais de dire était idiot.
— Je t'écoute, Maeve. Seulement, je lis le compte rendu de la police en même temps. Selon eux, Eryl se serait suicidé.
Je fronçai les sourcils, réprimant un sourire. Un suicide ? Pour que la police en arrive là, c'était qu'elle avait écarté la possibilité qu'une sirène soit dans le coup. Mais pourquoi ? La moitié de Mermailya avait une raison de l'assassiner. Mon frère. Je ne savais pas quels diplômes possédaient les agents sur l'enquête, mais ils devraient retourner en cours.
Enfin, ce n'était pas ça qui allait me déranger. J'étais bien contente que l'enquête soit déjà close. Je n'avais pas le temps de faire avec une enquête criminelle en ce moment. J'allais déjà devoir faire avec un Dray endeuillé et alcoolisé pour une durée indéterminée, alors avoir sur le dos les forces de l'ordre, ce n'était vraiment pas dans mes priorités.
— Ils disent pourquoi ? interrogeai-je ma meilleure amie.
Elle me fit signe d'attendre et continua sa lecture pendant de longues minutes pour éplucher en détail le rendu de l'autopsie. Je ne voulais même pas savoir comment elle était parvenue à mettre la main sur ce dossier qui devait pourtant être bien gardé. Avec un peu de chance, cela n'incluait pas de faveurs sexuelles.
Pendant qu'elle lisait, je me levai pour me diriger vers mon armoire. J'ôtai le tee-shirt que je portais et le troquai contre un pull noir qui se trouvait à portée de main. Ce ne fut que lorsque je l'enfilai que je remarquai qu'il appartenait auparavant à Dray. Encore un des nombreux vêtements dont il ne reverrait jamais la couleur, et que j'aurais dû jeter depuis bien longtemps. De la même façon que si elle pensait comme moi, Eva lorgnait sur mon haut en haussant un sourcil.
— Mais à part ça, tu as jeté et supprimé tout ce qui lui appartenait, commenta-t-elle.
Je roulai des yeux. D'accord, elle avait gagné. Elle n'avait pas besoin de me le rappeler. Je la fusillai du regard avant d'aller m'installer à côté d'elle et de lorgner sur l'écran de son portable sans même m'en cacher. Elle me jeta un coup d'œil de côté avant de ricaner et d'incliner l'écran de manière à ce que je puisse lire sans me démembrer les cervicales.
— Bon, tu trouves l'info que je t'ai demandé ou pas ?
Elle surligna un passage, que je m'empressai de lire.
— Aucun élément ne permet de suspecter que cet acte vient de la suggestion d'une sirène ? m'étonnai-je. Tu m'expliques comment ils pourraient le savoir, même si c'était le cas ?
Cette explication ne me convenait pas. Je n'avais jamais entendu dire que la police estyrianne possédait un moyen de déterminer la présence ou non de notre magie. Cela me paraissait tirer par les cheveux. Nos pouvoirs s'immiscaient dans le cerveau de notre victime sans y laisser la moindre trace.
Cela n'avait aucun sens.
— Heureusement qu'ils sont aussi doués pour trouver des meurtriers que leur prince ne l'est pour effacer la mémoire de sa petite amie, lâcha Eva.
Je fronçai les sourcils en me tournant vers elle, suspicieuse. Elle envoyait beaucoup de piques à Dray, aujourd'hui. Cela ne lui ressemblait pas vraiment. Alors que j'allais l'interroger, elle me devança.
— Tu trouves pas ça bizarre qu'ils classent aussi vite l'enquête alors que tout le monde sait que si une personne ici aurait pu le tuer, c'était toi ? Moi, je dis que c'est suspect.
— Ils peuvent pas m'accuser sans preuve, lui rappelai-je. Je suis la princesse de Mermailya. Me désigner comme la coupable alors qu'il n'y a aucun indice, ça reviendrait à redéclarer la guerre ouverte et crois-moi, c'est pas dans leurs intérêts.
Je marquai une pause, avant de reprendre.
— Sans compter que j'y suis pour rien.
Je n'en démordais pas. Ce n'était pas moi qui était à l'origine du saut dans le vide d'Eryl. A dix secondes près, j'aurais été la sirène de la situation, mais ce n'était pas le cas. J'avais prévu de découvrir qui avait copié mon plan, mais ce n'était pas dans mes projets pour le moment. Ca allait devoir attendre.
— A ce propos...
Un air grave sur le visage, Eva se redressa sur mon lit. Assise en tailleur, elle attendit que je fasse de même pour reprendre. Ne voyant pas où elle voulait en venir, je ne bougeai pas d'un poil et plaçai mes mains derrière mon crâne en l'observant. Elle soupira, avant de m'annoncer ce qu'elle voulait me dire.
— J'ai réfléchis et...
Elle se tut en me voyant faire les gros yeux. Elle secoua la tête, trouvant ma réaction exagérée, avant de reprendre en faisant la moue.
— Oui, ça m'arrive de réfléchir. Bref, je te disais donc. J'ai réfléchi à ce qu'il s'est passé et, au final, je crois que c'est vraiment tes ordres que cet imbécile à suivi quand il s'est jeté de la Tour.
Je me retins de lever les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'elle me racontait, encore ? On avait déjà eu cette conversation.
— J'ai pas terminé de lui donner mon ordre, lui rappelai-je. Ce n'est pas moi.
— Sauf que certaines sirènes n'ont pas besoin d'énoncer clairement les ordres pour que leurs victimes soient sous leur emprise.
Je la dévisageai, me demandant si elle était sérieuse dans ses propos. J'avais déjà entendu parler de cette histoire, mais rien ne prouvait qu'elle était réelle. Et si ma mère ne savait pas le faire, je ne le pouvais pas non plus.
— Ne raconte pas n'importe quoi, la cinglai-je. Si je savais faire ça, y'a longtemps qu'on serait au courant.
Je n'avais jamais réussi, je ne voyais pas pourquoi ça arriverait maintenant. Aux dernières nouvelles, la colère ne permettait pas de développer de nouveaux pouvoirs, ou de les fortifier. Ça ne fonctionnait comme ça qu'avec les sorciers, pas les sirènes.
— Tu connais la légende, Maeve. Une sirène peut envouter tous les hommes qu'elle désire sans prononcer le moindre mot si elle a le cœur brisé. Il suffit de penser à l'ordre pour que la victime s'exécute.
Je ne me cachai pas pour lui montrer que ce qu'elle disait était de la pure fantasy. Je ne pensais pas ma meilleure amie si imaginative. Cette académie la rendait bien trop imaginative à mon goût. Je fixai durement Eva afin qu'elle comprenne que je n'appréciais pas le sous entendu qui allait de paire avec son explication.
— J'ai pas le cœur brisé.
Poings serrés, je me redressai pour m'éloigner d'elle et allai m'asseoir ailleurs car je ne supportais pas de voir la lueur qui saillait dans ses prunelles. J'avais l'impression de lui faire pitié et je détestais ça. Je lui tournai le dos, préférant fixer l'extérieur de l'académie. Comme tous les jours, le ciel était nuageux et la brume qui recouvrait le sol m'empêchait de percevoir l'herbe et les fleurs de la cour. Cette vision ne m'aidait pas à me calmer.
Je donnerais n'importe quoi pour retourner dans mon palais.
— Tu peux me faire croire ce que tu veux, Maeve. Mais ta magie parle pour toi. Dray t'as brisé le cœur.
Je serrai les lèvres, inspirant profondément pour ne pas envoyer balader Eva. C'était ma meilleure amie et elle croyait bien faire. Je ne pouvais pas agir avec elle comme je le faisais avec ceux qui m'emmerdait. J'expirai avant de lui répondre, tout en fixant la lune qui montait doucement dans le ciel.
— C'est du passé, grognai-je. Il y a longtemps que je l'ai oublié.
Je n'avais pas besoin de regarder Eva pour savoir quel genre d'expression avait prit place sur son visage. Elle ne me croyait pas.
— Bien sûr. Et c'est pour ça que tu portes actuellement un pull lui appartenant et que tu as toujours son numéro enregistré dans ton portable.
— J'ai froid et ce pull est chaud. Ça n'a aucun rapport avec Dray.
Je me rendis compte en même temps que je la prononçais que ma phrase était un argument de piètre qualité. J'avais bien d'autres pulls, qui n'appartenaient pas à Dray et que j'aurais très bien pu mettre à la place de celui que je portais. Je ne fis pas à Eva l'honneur de lui montrer qu'elle avait raison et me contentai de fourrer mes mains dans mes poches.
— Et pour son numéro ? me demanda-t-elle.
Je fis la moue, sachant pertinemment que la réponse à cette question-là ne serait pas crédible non plus, mais je ne trouvai pas mieux.
— J'ai oublié de le supprimer.
Un profond soupir de dépit me parvint de mon lit, où se trouvait toujours Eva. J'entendis des bruits indescriptibles avant qu'elle n'ouvre la porte de ma chambre. Je me tournai vers elle sans comprendre ce qu'elle faisait. Un grand sourire sur les lèvres, elle héla quelqu'un dans la pièce commune.
— Hey, le rouquin. Ramène tes fesses par ici trente secondes.
Elle pivota ensuite vers moi avec une moue innocente qui ne lui allait pas du tout.
— On va tester ça tout de suite.
Un sorcier roux entra dans ma chambre peu de temps après, méfiant. Il y avait de quoi. Je le dévisageai, comprenant parfaitement ce qu'Eva voulait que je fasse. Avec un soupir et pour lui montrer qu'elle avait tort, je m'avançai vers l'estyrian d'un air ennuyé.
— Qu'est-ce que tu fous dans mes appartements ?
Je le vis déglutir, signe qu'il n'en menait pas large.
— J'attends Dray. Il était censé m'aider à faire mes devoirs.
Il baissa les yeux vers le sol, gêné. Il ne me donnait même pas l'air d'être majeur. Avec un grognement, je lui fis relever la tête. Dray dormait, et il était hors de question que ce môme le réveille pour faire ses devoirs. Je penchai la tête sur le côté en faisant la moue.
Ramasse tes affaires et barre-toi, lui ordonnai-je sans grand enthousiasme. T'auras pas de cours particuliers avec Dray aujourd'hui, alors dégage et en vitesse.
Je regardai le sorcier s'exécuter dans la seconde, bouche bée.
J'étais capable de donner des ordres sans même ouvrir la bouche.
Ce qui voulait dire que...
J'avais menti à Dray lorsque je lui avais promis que je n'étais pas à l'origine de la mort de son frère...
Et j'étais apparemment toujours amoureuse de lui.
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