Chapitre 22
Assise dans le canapé de la salle commune, je réprimai un bâillement. J'avais eu beaucoup de mal à m'endormir et, même si je ne m'étais pas levée avant midi, j'étais toujours épuisée. Je n'aurais pas dit non à quelques heures de sommeil supplémentaires, mais je ne pouvais pas me le permettre. Comme le week-end dernier, je devais rattraper mon retard sur toutes les affaires d'état dont je ne m'étais pas occupée pendant la semaine et dont je n'avais pas eu le temps d'en prendre connaissance hier. Il fallait donc que je m'occupe de tout aujourd'hui, sans compter que j'avais des devoirs également.
Moi qui pensais que les cours allaient être annulés suite à la mort d'Eryl, je me trompais lourdement. Le directeur avait annoncé ce matin que rien n'allait changer et que les autorités, qui étaient venues pendant que je dormais, avaient conclus à un suicide. Je trouvais ça étrange, étant donné le nombre de sirènes ici qui auraient pu vouloir le tuer. Sans compter que Dray savait très bien que son frère ne s'était pas jeté volontairement du haut de la tour.
Je ne comprenais pas comment les forces de l'ordre estyriannes en étaient venues à cette conclusion, mais il était certain que je n'allais pas m'en plaindre. Cela m'évitait des désagréments, puisque j'aurais sans doute été la première interrogée.
Il faudrait tout de même que je demande à Dray pourquoi il n'avait pas parlé de ce que j'avais prévu de faire à son frère. Je ne comprenais pas pourquoi il aurait gardé le secret, ça ne l'avançait à rien.
Avec un soupir, je regardai les feuilles qui étaient éparpillées devant moi. Je n'avais pas fait grand-chose depuis que j'étais levée. Il allait falloir que j'accélère si je ne voulais pas accumuler trop de retard. J'attrapai la télécommande de la télévision pour changer de chaîne avant d'attraper le rapport budgétaire que j'étais censé valider ou non pour le mois prochain. Ma mère était déjà passé dessus, ce que je devais faire n'était qu'une relecture pour m'assurer que tout était en ordre, cela ne devrait donc pas me prendre trop de temps. Je remontai mes genoux contre ma poitrine et commençai ma lecture. Il ne me restait plus que deux pages à examiner quand la porte des appartements s'ouvrit. Délaissant la paperasse, je jetai une oeillade par-dessus mon épaule, apercevant Dray rentrer avec un air las.
Je l'examinai un instant. A en juger par son visage, il n'avait pas beaucoup dormi. Ses traits étaient tirés et ses cernes très prononcées. Il avait vraiment une sale tête. Je me contentai de le saluer d'un hochement de tête avant de retourner à mes affaires de princesses.
Je n'avais pas lu deux lignes qu'il me dérangeait de nouveau.
— Maeve ?
— Hmmm ?
Je ne levai pas les yeux de mes feuilles, prétextant être très occupée. Ce que j'étais, tout compte fait.
— On peut se parler ?
Je reposai les feuilles contre mes genoux en réprimant un soupir. Si c'était encore pour m'accuser de la mort de son frère, ce n'était vraiment pas nécessaire.
— Je suis occupée. Cela ne peut pas attendre ?
Puisqu'il s'installa à côté de moi sur le canapé, j'en déduisis que non. Avec une grimace, j'attrapai les feuilles qui se trouvaient à proximité de lui pour qu'il ne les froissent ou ne les lisent pas. Les affaires de mon royaume ne le regardaient en rien. Je posai le tout face retournée sur la table basse avant de pivoter vers lui.
— Je t'écoute. Qu'est-ce que tu me veux ?
S'il parut surpris par la vitesse avec laquelle j'acceptai cette conversation, il ne le montra qu'un court instant. Plusieurs secondes, il resta silencieux, comme s'il cherchait ses mots. Il finit par souffler et planta ses prunelles dans les miennes.
— Merci.
Je fronçai les sourcils, la bouche légèrement entrouverte. Il me remerciait ? Mais je n'avais absolument rien fait ! En plus, j'avais failli tuer son frère moins de vingt-quatre heures auparavant. Ses remerciements n'avaient aucun sens. Voyant mon étonnement et mon incompréhension, Dray pouffa de rire.
Cela ne m'aida pas à comprendre. Comment pouvait-il rire alors que son frère était mort la veille ? J'en avais été incapable pendant des mois ! Je dévisageai Dray, attendant qu'il finisse par s'expliquer. Il garda cependant le silence.
— T'es tellement bizarre que je ne sais même pas par quoi commencer, commentai-je.
Il sourit, toujours silencieux. J'observai son visage, totalement dépassée par son comportement. C'était perdre son frère qui l'avait rendu bizarre à ce point ? Ce manège dura encore quelques secondes avant que je ne fasse la moue et que je tape mes paumes contre mes cuisses.
— Génial. C'était un plaisir de discuter avec toi.
Je me relevai, récupérai mes feuilles de papiers et m'apprêtait à me diriger vers ma chambre quand Dray se redressa et posa sa main sur mon épaule pour m'empêcher d'aller plus loin. Je me crispai à ce contact qui me rappelait l'époque où tout allait bien dans ma vie et m'éloignai pour qu'il me lâche. Comprenant que je ne voulais pas qu'il me touche, il me laissa faire, l'air tout de même légèrement peiné.
— Merci de ne pas avoir tué Eryl devant moi hier.
Je restai un instant surprise, sans prononcer le moindre mot. C'était la première fois qu'on me remerciait pour quelque chose d'aussi bizarre. Bien sûr que je n'allais pas assassiner son frère devant lui. Je n'avais même pas prévu de faire le sale boulot moi-même ! Je n'arrivais pas à saisir le but de ses excuses. Ce n'était tout de même pas un simple prétexte pour me parler ? Non. Cela n'aurait aucun intérêt. Pourquoi voudrait-il me parler ? Et pourquoi aurait-il besoin d'une excuse pour le faire ? Surtout aussi pourrie. Je me faisais simplement des idées.
Nonchalamment, je haussai les épaules.
— Parce que tu m'aurais laissé faire, peut-être ? J'en doute.
— J'aurais surtout pas eu le temps de faire quoi que ce soit. Si t'avais vraiment voulu le tuer, je n'aurais pas pu t'en empêcher.
Je serrai les poings. Comment ça, si j'avais vraiment voulu le tuer ? Je rêvais de sa mort depuis des mois. Bien sûr que je désirais l'assassiner. En plus, il aurait largement eu le temps de faire quelque chose. C'était un sorcier de sang royal. D'un claquement de doigt, il aurait pu me décapiter.
Son explication était pourrie.
Surtout que mes pouvoirs ne fonctionnaient pas sur lui.
— Ça reste à prouver.
Il fronça les sourcils, surprit. Il se mit ensuite à sourire.
— Je te proposerais bien d'essayer, mais ça serait dommage qu'il y ait un autre mort.
Je le jugeai de haut en bas, me demandant s'il était sérieux. Qu'est-ce que... En le voyant aussi instable sur ses jambes, je compris pourquoi il me paraissait bizarre. J'aurais dû y penser avant. Chacun gérait son deuil d'une manière différente et apparemment, Dray avait choisi l'alcool. Comment j'avais fais pour ne pas le sentir avant ?
— T'es bourré ? m'exclamai-je.
Il fit la moue en haussant les épaules. Dépitée, je secouai la tête. Bourré en plein milieu d'une école au beau milieu de l'après-midi. Je ne m'y attendais pas, à celle-là. Je ne voulais même pas savoir comment il avait réussi à se procurer autant de boissons alcoolisées.
— T'as dormi, au moins ?
Un énorme bâillement me répondit. Je ne savais même pas comment il pouvait ouvrir aussi grand la bouche. Son haleine me frappa cependant de plein fouet et je fus capable de lister tout ce qu'il avait ingurgité dans les dernières heures. Je soupirai. Je devrais retourner dans ma chambre et faire comme si je n'avais rien vu, mais je ne me voyais pas le laisser seul dans cet état. Avec un soupir, je reposai mes papiers sur la table et posai mes deux mains sur ses épaules. Sous son regard surpris, je lui fit faire un demi-tour sur lui-même avant de le pousser vers sa chambre.
— Qu'est-ce que tu fais ? bougonna-t-il.
Il trébucha dans la table basse et manqua de sa manger le tapis. Je le rattrapai avant qu'il ne se casse le menton en roulant des yeux.
— Je t'évite de faire des conneries.
Il tenta de tourner la tête dans ma direction, mais je lui administrai une petite tape à l'arrière du crâne pour qu'il regarde devant lui.
— Tu marches déjà pas droit, alors regarde où tu vas. Je décline toute responsabilité si tu te pètes une jambe.
Il bougonna quelque chose que je ne compris pas mais se laisser traîner jusqu'à sa chambre. Il ouvrit la porte avec difficulté, ayant apparemment oublié comment faire entrer une clé dans une serrure avant de s'arrêter sur le seuil. Je fis de même, découvrant cet endroit pour la première fois. Nos deux chambres étaient semblables, à l'exception que celle de Dray était moins bien rangée. Des vêtements traînaient sur le sol et une liasse de papier qui faisait au moins le triple de la mienne trônait sur son bureau. Je n'étais pas la seule à être en retard sur mes dossiers.
— Allez, sorcier à la noix. Bouge ton cul dans ton lit.
— Mais j'ai pas sommeil ! s'écria-t-il.
Je haussai un sourcil. S'il croyait que c'était ça qui allait m'empêcher de le coucher comme un gosse de trois ans, il se trompait. Les mains désormais entre ses omoplates, je le poussai en direction de son lit. Il butta contre le meuble et s'effondra comme une masse sur son matelas. Il s'enroula dans sa couette avec un grognement étrange et rampa jusqu'à son oreiller sans plus me porter d'attention. Je le regardai faire en me pinçant l'arrêt du nez, me demandant comment l'alcool pouvait le rendre à ce point... enfantin. Un léger sourire étira pourtant mes lèvres devant cette vision de lui. Je restai un instant à l'observer de la sorte comme une idiote, avant que son portable ne me sorte de mes pensées. Puisqu'il était tombé par terre dans la bataille de Dray contre son lit, je le ramassai par terre pour le poser sur sa table de chevet, rejetant l'appel qu'il était en train de recevoir. Il commençait à ronfler, ce qui voulait dire qu'il s'était déjà endormi. Il était hors de question que qui que ce soit le réveil maintenant. J'allais mettre son téléphone sur le mode silencieux quand mes yeux tombèrent sur son fond d'écran.
Des larmes me montèrent immédiatement aux yeux.
C'était une photo de nous deux. L'une des dernières que l'on avait prise. Un immense sourire ornait mes lèvres et mes yeux brillaient de joie pendant que Dray était en train de déposer un baiser sur ma tempe.
J'avais exactement la même cachée dans un tiroir à double fond dans ma chambre.
C'était sans doute ma photo préférée parmi toutes celles que nous avions prises. Nous paraissions si heureux...
D'un geste rageur, j'essuyai mes larmes et tournai les talons pour quitter cette pièce. Sans jeter un regard à Dray, je me dirigeai vers la sortie. Au moment où je fermai la porte, je l'entendis marmonner.
— Me laisse pas tout seul, Principessa. J'ai besoin de toi.
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