Chapitre 21
Assise sur le rebord extérieur de la fenêtre de ma chambre, je laissais mes jambes se balancer dans le vide en inspirant l'air frais de la nuit. Le regard rivé vers le ciel étoilé, j'appréciais ce moment de calme et de solitude après la soirée plus que mouvementée que je venais de passer.
Tout s'était déroulé beaucoup trop vite, et je me demandais encore comment est-ce que j'avais pu laisser s'enfuir Eryl. Je n'aurais jamais dû me montrer si faible. Malgré la présence de Dray, j'aurais dû donner mon ordre et patienter jusqu'à demain, lorsque le sorcier n'aurait eu d'autres choix que de se jeter du haut de la tour contre son gré, grâce à mes pouvoirs.
Je n'aurais jamais dû laisser la présence de Dray contrecarrer mes plans.
J'aurais dû le regarder perdre son frère comme le sien a assassiné Mike devant mes yeux.
Mais ce n'était que partie remise. J'allais finir par accomplir ma vengeance et la prochaine fois, même Dray ne parviendrait pas à m'en empêcher.
Un sourire étira mes lèvres à cette idée.
Oui.
La prochaine fois.
En équilibre précaire sur le rebord de ma fenêtre, je m'étirai et roulai des épaules comme un chat au sortir de la sieste. Si je ne voulais pas tomber malade, il allait falloir que je rentre. Il pleuvait des cordes et il était maintenant dix heures passées. A cette époque de l'année, ce n'était pas vraiment le moment de traîner dehors, ou à sa fenêtre, en robe de bal. Je ne voulais pourtant pas quitter mon perchoir. J'aimais bien me trouver là et, même si ce n'était pas aussi merveilleux que la Tour d'Astronomie dans mon palais, c'était toujours mieux que rien.
Mon portable sonna, m'arrachant à mes songes. Sachant qu'il n'y avait que deux personnes pour m'appeler à une heure pareille un soir de bal, j'ôtai mon portable de mon décolleté et après avoir vérifié rapidement le nom qui s'affichait, je décrochai.
— Tu t'ennuies déjà de moi ? plaisantai-je.
Eva, à ma grande surprise, ne rigola pas. Je ne lui avais pas encore raconté mon échec, alors elle n'avait aucune raison de réagir si froidement.
— Je croyais que tu voulais attendre, bougonna-t-elle. T'abuses. Je voulais assister à son saut de l'ange.
Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas de quoi elle parlait.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Eryl. Tu m'avais dit que tu lui ordonnerais de sauter demain. T'aurais pu me prévenir que tu avançais à ce soir.
A sa voix, j'entendais qu'elle faisait la gueule. Je secouai la tête, bien qu'elle ne puisse pas me voir faire, encore plus perdue qu'avant. Je n'avais absolument rien fait. De quoi est-ce qu'elle me parlait ?
— J'ai pas réussi, lui annonçai-je, amère. Dray est arrivé avant.
Une exclamation de surprise me parvint de l'autre bout du téléphone, ainsi que le bruit de quelque chose que l'on mettait sur le micro pour couper le son. J'entendis Eva parler quelques secondes, trop loin du téléphone pour que je puisse comprendre ses mots, avant qu'elle ne reprenne l'appel.
— Il vient de se jeter de la Tour. A dix heures pétantes.
Mon cœur se mit à battre un peu plus rapidement alors que je croyais comprendre ce qu'elle essayait de me dire. Mais c'était impossible. Je n'avais pas eu le temps de finir de donner mon ordre. Dray nous avait interrompue avant...
— T'es sûre de toi ? lui demandai-je.
Je pouvais presque l'entendre lever les yeux au ciel.
— Bien sûr. Je t'aurais pas appelée, si j'avais des doutes. Je suis devant son cadavre. Il est monté en haut de la Tour avant de faire un vol plané mortel. A moins qu'il n'essayait d'apprendre à voler, tes pouvoirs ont forcément eut un effet sur lui.
Je restai silencieuse un long instant. Normalement, mes pouvoirs n'auraient dû avoir aucun effet sur le sorcier. Je n'avais même pas terminé ma phrase. Je ne comprenais pas comment cela était possible. Qu'est-ce que j'avais eu le temps de lui dire, avant que Dray ne nous interrompe ? Je ne m'en souvenais pas vraiment, mais j'étais certaine de lui avoir dit d'aller se coucher. Au moins deux fois. Ça n'avait aucune putain de sens.
— Cela ne peut pas être moi, Eva. J'en suis certaine.
Il n'y avait donc que deux possibilités. Il n'avait retenu que la moitié de mes ordres, ou quelqu'un d'autre s'était occupé de son cas avant moi, en lui donnant la quasi-totalité de ce que je m'apprêtais à lui faire subir.
Suspicieuse, je lançai un regard en biais à mon portable.
— C'est toi ? interrogeai-je ma meilleure amie.
Si c'était elle qui m'avait privé de ma vengeance, j'allais la tuer.
— Non mais ça va pas ? s'exclama-t-elle. Tu crois vraiment que je t'aurais appelé pour t'engueuler si c'était moi ? T'es conne ou quoi ?
Passant sur son langage, je dus admettre qu'elle avait raison. Il faudrait qu'elle soit stupide pour agir comme ça, surtout qu'il était dix heures passés de seulement dix minutes. Elle m'avait sûrement appelé à la seconde où elle avait eu connaissance de l'information.
J'oscillais entre joie et énervement. Eryl était mort, mais ce n'était probablement pas moi qui était à l'origine de son décès. Je en savais pas comment prendre la nouvelle.
— D'ailleurs, je ne te remercie pas, lançai-je. Comment est-ce que t'as pu perdre Dray si rapidement ? Dix secondes de plus et cet enfoiré se serait jeté demain matin, pas ce soir.
— Il fait trente centimètres de plus que moi. C'est pas facile d'attirer son attention.
Je roulai des yeux au moment où la porte des appartements s'ouvrit avec tant de fracas que les murs tremblèrent. Je fis la moue, devinant sans mal ce qui allait suivre.
— Je te laisse, un Dray sauvage et fou furieux vient d'apparaître dans le salon, et quelque chose me dit que je vais m'en prendre plein la gueule.
— Bonne chance.
Je venais à peine de raccrocher que la porte s'ouvrit avec un boucan qui me fit grimacer. Balançant toujours mes jambes dans le vide, je ne me donnai pas la peine de me tourner vers Dray.
— On t'as pas appris à frapper avant d'entrer, dans ton palais ? m'enquis-je. C'est très malpoli.
Sans fermer la porte derrière lui, je l'entendis avancer de quelques pas. Ma tentative d'humour, si l'on pouvait l'appeler comme ça, ne le détendait apparemment pas. Je savais très bien pourquoi il était là. Je n'étais pas stupide. La question que je me posais, c'était combien de temps il avait mit avant de venir me voir. Pas longtemps, sans doute. Sinon, il ne serait pas déjà là.
— C'est toi ?
Quatorze secondes. Il avait tenu quatorze secondes avant de me poser la question. C'était sans doute trop, à en croire son ton pressé.
— Je suis moi, effectivement. Autre chose ?
Il n'apprécia pas ma manière de lui répondre et claqua la porte dans son dos. Je lui jetai un regard en biais par-dessus mon épaule, un sourcil haussé. Ses traits étaient déformés par la colère, ainsi que par le chagrin. J'avais l'impression de voir le reflet de celle que j'étais les jours suivants la mort de Mike. Il n'allait pas falloir le faire chier de la semaine.
Heureusement pour moi, la semaine finissait demain.
— T'as fini de péter le mobilier ? J'aimerais bien garder ma porte en état de fonctionner.
— Arrête de détourner la conversation, gronda-t-il.
Il paraissait vraiment avoir perdu son sens de l'humour. Avec un soupir, je décidai de ne plus jouer avec lui. Il venait de perdre son frère. Lorsque j'avais été à sa place, j'avais fais emprisonner des gens pour moins que ça. Certains n'étaient même pas encore sortis des cachots.
D'un geste moins maîtrisé que je ne l'aurais voulu, je pivotai sur moi-même pour rentrer à l'intérieur de ma chambre. Mes talons claquèrent contre le rebord de ma fenêtre et me déséquilibrèrent. Je les fusillai du regard pour cet affront avant de les jeter à l'autre bout de la pièce d'un coup de pied. Je posai mes paumes sur le rebord intérieur et dévisageai Dray.
— Bon. Qu'est-ce que tu me veux ?
Je le savais très bien mais, s'il ne me le disait pas de vive voix, il irait se faire voir. Je n'étais pas censée être au courant qu'Eryl était mort. Essayant de réprimer le sourire qui menaçait d'étirer mes lèvres, je penchai légèrement la tête sur le côté, attendant que Dray prenne la parole.
S'il fut surprit par la manière dont j'abdiquai, il ne le laissa pas paraître.
— C'est toi qui a tué mon frère ?
Il ne me posait pas la question. Il m'accusait. Cela ne me plaisait qu'à moitié. D'accord, il m'avait surprise en train d'ordonner à Eryl de se suicider, mais il avait été là quand je lui avais demandé d'oublier la conversation que nous venions d'avoir. A aucun moment, je ne lui avais suggéré d'aller se jeter de la Tour. Je n'avais pas eu le temps.
— Je serais presque fière que tu me penses capable de le retrouver et de lui ordonner de se tuer en moins d'un quart d'heure.
Il continua de me fixer, attendant une vraie réponse. Je soupirai.
— Non. C'est pas moi.
Je me levai du rebord de ma fenêtre, des frissons pleins les bras à cause de la fraîcheur qui était maintenant insupportable. Je refermai cet accès sur l'extérieur avant de me tourner de nouveau vers lui. Il ne paraissait absolument pas me croire. Les poings posés sur les hanches, je pris sur moi pour ne pas l'envoyer balader.
— Pourquoi tu me poses la question alors que pour toi, je suis déjà coupable ?
Le fait qu'il me croit coupable, alors que moi-même je n'en étais pas certaine, me peina. Oui, j'avais failli le tuer tout à l'heure, mais quel intérêt j'aurais à mentir maintenant ? Dray savait que je voulais tuer son frère. Mentir était inutile.
— Parce que la coïncidence qu'il meurt juste après que je t'ai empêché de le tuer serait trop belle.
Je levai les yeux au ciel, me retenant de l'envoyer balader. Il venait m'accuser de meurtre dans ma chambre et avait le culot de ne pas me croire. Il méritait la castration pour cet affront.
— Je sais même pas où est sa chambre ! m'énervai-je. Il aurait fallut que j'ai une chance de malade pour réussir à la trouver aussi vite et lui donner l'ordre. Et je ne suis pas si chanceuse.
Attendant qu'il trouve un contre argument, je balayai ma chambre du regard pour vérifier que rien de compromettant s'y trouvait. Dray ne faisait pas attention à ce qui se trouvait autour de lui, trop occupé à me fusiller du regard, mais je ne voulais pas prendre de risques. J'avais encore certaines affaires lui appartenant, et j'aimerais bien qu'il ne tombe pas dessus... J'aurais du mal à lui expliquer leur présence et, même s'il était énervé, je savais qu'il s'en rendrait compte.
Je faillis écarquiller les yeux en remarquant l'un de ces pulls bien en évidence sur mon lit. Celui que je mettais pour dormir. Je détournai vite mon attention du vêtement pour que Dray ne remarque rien, toujours dans l'attente d'un contre-argument, qui ne vint jamais.
— C'est bon ? T'as fini de m'accuser d'un truc dont je ne suis pas coupable ?
Je n'avais aucune certitude que je n'y étais pour rien, mais je n'allais pas en avertir Dray. Si j'étais sûre de moi, ça ne m'aurait pas posé problème de lui dire. Mais je ne voulais pas qu'il me hurle dessus alors que j'étais peut-être innocente.
— T'étais sur le point de le tuer y'a trente minutes et maintenant il est mort. La coïncidence est trop belle.
Je laissai mes bras tomber le long de mon corps dans un soupir exaspéré.
— Putain, Dray. Si c'était moi, je te l'aurais dit. A quoi est-ce que ça me servirait de te mentir alors que t'es au courant que je veux le buter ?
Il entrouvrit la bouche, cherchant quelque chose à me répondre, mais je ne lui laissai pas le temps de le faire.
— Oui, je veux buter ton frère. Je ne vais pas te le cacher, puisque tu le sais déjà. Oui, ça ne me fait ni chaud ni froid qu'il soit mort mais non, je n'y suis pour rien. L'ordre que je lui avais donné c'est annulé quand tu m'as interrompue. Donc je ne sais pas qui lui a donné un ordre identique à celui que j'avais prévu de lui suggérer, mais ce n'est pas moi.
J'insistai bien sur ses derniers mots pour les ancrer dans son crâne. Je ne savais même pas pourquoi je me battais autant pour qu'il me croit. Cela ne changerait absolument rien à ma vie qu'il me pense coupable ou non, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me défendre. Je ne voulais pas qu'il me prenne pour une meurtrière alors que je n'avais rien fait. Je tenais à ma réputation. Et peut-être un peu à l'image qu'il avait de moi...
La colère sembla quitter le visage de Dray, qui laissa retomber ses épaules en soupirant. Quand il posa de nouveau son regard sur moi, ses yeux étaient emplis de larmes qu'il se retenait de laisser couler. Le voir dans cet état me pesa sur le cœur et un instant, je me surpris à être heureuse de ne pas avoir tué son frère. S'il l'avait été à cause de moi, je me serais sentie coupable.
Je secouai la tête pour chasser ses pensées de mon esprit. Non ! Son frère était un putain d'enfoiré ! Je n'avais pas le droit de réfléchir de cette façon ! Je comprenais ce que ressentais Dray, mais il n'était pas question que je le plaigne. Eryl méritait ce qui lui était arrivé.
— Tu me promets que ce n'est pas toi ? me demanda-t-il.
Je le dévisageai. Une promesse ? Il pensait qu'on avait encore huit ans ? Surtout que la dernière qu'il m'avait faite, il ne l'avait pas tenue. Le ton de sa voix me poussa à lui dire oui, alors que je n'en étais même pas certaine.
— C'est pas moi, assénai-je une dernière fois.
Ce n'était pas vraiment une promesse, mais il devra s'en contenter. Il n'aura droit à rien de plus.
Avec un soupir, il se passa la main dans les cheveux et commença à faire les cent pas dans la pièce. Je l'observai faire, priant pour que son regard ne se pose pas sur mon lit.
Le voir ainsi m'attrista tout de même. Son frère était peut-être un enfoiré, mais Dray semblait l'apprécier. Bien qu'il ne m'ait jamais parlé de lui pendant notre relation. Je m'approchai de lui afin de poser ma main sur son épaule. Il me regarda faire, l'air triste.
— Je suis désolée.
Il secoua la tête, roulant des yeux de façon peu convaincue.
— Je ne te crois pas. Tu le détestais.
Je haussai les épaules. Mes prunelles dérivèrent vers un cadre posé sur ma table de chevet, qui contenait une photo de Mike et moi. Il était posé face contre le meuble parce que je ne parvenais pas à regarder ce cliché sans pleurer.
C'était encore trop dur.
— Bien sûr que je ne pouvais pas le blairer, lançai-je sans aucune délicatesse. Il a tué Mike. Mais je sais ce que ça fais de perdre son frère.
Dray me reluqua quelques instants, avant qu'un mince sourire n'étire ses lèvres.
— On t'as déjà dis que t'étais pas douée pour réconforter les gens ?
— Qu'est-ce qui te fais croire que j'essaie de te réconforter ?
— Tu viens de me dire que t'étais désolée alors tu voulais le tuer.
Je soupesai son argument, avant de grimacer.
— Simplement de la gentillesse. Maintenant, dégage de ma chambre. J'ai des trucs à faire.
Il ricana légèrement.
— Tu prépares mon meurtre ? s'enquit-il.
Je fis mine de réfléchir, avant de lui désigner la porte.
— Me tente pas.
Après avoir levé les yeux au ciel, il se dirigea vers la sortie. Je l'observai faire, avant d'expirer tout l'air de mes poumons dès qu'il referma la porte derrière lui. J'allai fermer à clé derrière lui et me dirigeai vers mon lit, où j'enfilai mon pull de pyjama, ou plutôt le pull de Dray, sans prendre la peine d'enlever ma robe de bal. Sans me démaquiller non plus, j'allai me coucher.
La prochaine personne qui viendrait me déranger ce soir se prendrait ma main dans la figure avant d'avoir le temps de prononcer le moindre mot.
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