Chapitre 19
— Maeve ! Éloigne-toi de lui tout de suite !
Immobile, je fixais le meurtrier de mon frère sans esquisser le moindre geste de recul. Une lueur d'espoir germait dans son regard à l'entente de la voix de son prince, comme s'il allait pouvoir me convaincre de refuser à me vengeance ou survivre au sang qui s'échappait de la blessure causée par mes ongles. Il se trompait. Ce n'était pas parce que Dray venait d'arriver que j'allais le laisser s'en sortir comme si de rien n'était.
Qu'est-ce que Dray foutait là ? Comment est-ce que j'avais pu ne pas l'entendre ouvrir la porte pour nous rejoindre ? Je me foutais totalement de la réponse à toutes ses questions. Ce qui me dérangeait, c'était qu'il était là où il ne le devait pas. Dix secondes. C'était le temps supplémentaire qu'il m'aurait fallut pour finir de donner mon ordre et accomplir ma vengeance.
— Dray ! Viens m'aider ! Elle est complétement fo...
— Oh mais ferme-là ! lançai-je. On t'as rien demandé.
Obligé de m'obéir, il resta silencieux, se contentant de jeter à Dray un regard apeuré.
Je ne me salissais pas les mains. Je laissais les autres le faire à ma place et maintenant, il était clair que j'allais avoir du mal à m'approcher du sorcier. J'aurais déjà de la chance si Dray me laissait toujours côtoyer les membres de son peuple.
— Maeve. Ne m'oblige pas à me répéter.
Sa voix était sourde et dure comme je ne l'avais jamais entendu. Je lui lançai un regard par-dessus mon épaule, haussant les sourcils. Il se tenait à quelques mètres de moi seulement, ses cheveux blonds ébouriffés par le vent lui retombaient devant le visage à chaque fois que la brise cessait mais ses yeux ne se départissaient pas de la colère qui y logeait.
— Occupe-toi de tes affaires, cinglai-je.
Ma remarque ne lui plut pas et il me fusilla davantage du regard. Il rompit les mètres qui nous séparait jusqu'à se retrouver juste en face de moi. Il lorgna un coup d'œil vers le sorcier toujours à genoux sur le sol et devint livide en voyant l'état dans lequel il se trouvait. La fureur qui habita son regard lorsqu'il se tourna de nouveau vers moi me laissa de marbre.
— Non mais ça va pas ? Qu'est-ce qui te prend ?
Les bras croisés sur la poitrine, je ne me démontai pas face à sa colère parfaitement visible.
— Rien qui ne te regarde.
Sa mâchoire sembla se décrocher face à ma réponse. Il cligna plusieurs fois des paupières, sans rien dire, avant de s'agenouiller devant la sorcier toujours incapable de bouger. Il psalmodia une incantation étrange qui stoppa immédiatement l'hémorragie, referma la blessure et fit disparaître toute trace de ce que je lui avais fait subir.
Une moue déçue étira les traits de mon visage lorsque mon œuvre disparue de cette manière. Dray se releva ensuite, planté face à moi comme un épouvantail énervé.
— Libère-le de tes pouvoirs, m'ordonna-t-il.
Je lui donnai l'impression de réfléchir durant quelques secondes avant de secouer la tête.
— Occupe-toi de tes affaires.
— Il fait partie de mon peuple.
— Il a tué mon frère, rétorquai-je.
Il garda le silence quelques secondes, se demandant quoi répondre à cela. Je l'attendais au tournant, tout en réfléchissant à la manière dont j'allais devoir procéder désormais. Il fallait que je me débarrasse de Dray, mais je ne me faisais pas d'illusions. Il ne me laisserait jamais seule avec le sorcier maintenant qu'il savait ce que je voulais lui faire et ce que j'avais été capable de lui infliger en seulement quelques minutes.
Dray me fixa en silence et la colère fut bientôt remplacée par un sentiment que je détestais plus que tout apercevoir à mon égard. De la pitié.
— Ecoute, Maeve. Je sais que ça ne doit pas être facile mais...
— Non, le coupai-je. Tu ne sais absolument rien.
Je me tournai vers l'estyrian toujours à genoux sur le sol. Je le jaugeai. Ses prunelles étaient toujours remplis de terreur, comme s'il avait peur que je le tue alors même que Dray se trouvait juste à côté.
Je pourrais le faire. Je pourrais très bien lui ordonner de se tuer là maintnenant et Dray ne pourrait rien faire contre cela. Absolument rien ne m'empêchait de le faire. Dray pourrait essayer, mais il suffisait que je sois plus rapide que lui pour qu'il soit trop tard. Pourtant, je détournai le regard en soupirant.
— Dégage et oublie tout ce qu'il vient de se passer. T'as quitté le bal parce que tu ne te sentais pas bien et tu es allé te coucher.
Les yeux dans le vague, l'assassin se leva et partit en direction de l'école sans rien dire, se contentant de m'obéir au doigt et à l'œil. Je le regardai faire sans parvenir à maîtriser les larmes qui s'amoncellaient dans mes yeux.
J'avais échoué.
Je n'avais qu'une seule putain de chose à faire dans cette école, et je n'étais même pas capable de l'accomplir jusqu'au bout. C'était sans doute ma seule et unique chance de rendre hommage à mon frère, et je m'étais foiré. Il était en train de partir comme si de rien n'était après tout ce qu'il avait fait, tout ça parce que je n'étais capable de rien.
Je suis vraiment désolée, Mike.
Les mains tremblantes, j'attendis que l'estyrian soit assez éloigné pour tourner le dos à Dray et me dirigeai moi aussi vers les portes d'entrée de l'école.
Je n'avais plus rien à faire dehors, et je n'étais plus d'humeur à faire la fête. Il fallait que j'aille avertir ma mère de mon échec. Je savais déjà qu'elle serait déçue.
Dray m'attrapa le poignet alors que je n'avais pas fait deux pas pour que je n'aille pas plus loin.
— Tu ne crois quand même pas que je vais te laisser partir comme ça après ce que tu viens de faire ?
J'inspirai profondément pour garder mon calme avant de me tourner vers lui. Dès l'instant où il remarqua les larmes accumulées dans mes yeux, son visage s'adoucit. Sa poigne sur ma peau se desserra légèrement.
— Je vais pas le suivre, alors lâche-moi.
Je maudis ma voix tremblante presque autant que ma relation avec Dray. Si je n'avais vraiment aucun souvenir de notre relation, sa présence ne m'aurait pas empêchée d'aller au bout. J'aurais été obligée de changer mes plans, mais j'aurais vengé mon frère tout de même.
Je n'étais vraiment bonne à rien.
— Tu sais ce que tu t'apprêtais à faire, là ? s'enquit-il.
J'en avais en effet une idée assez claire.
— Tuer le fils du roi.
Je fronçai les sourcils, laissant par la même occasion mes larmes dévaler mes joues. Le fils du roi ? Qu'est-ce qu'il racontait ? Il était fils unique.
— Le mec que t'allais tuer, c'est Eryl, mon demi-frère. Tu allais causer un putain d'incident diplomatique.
L'entendre jurer alors qu'il ne le faisait jamais ne me choqua même pas. Même le fait qu'il ne m'ait jamais parlé de son demi-frère me passa par-dessus la tête. Il y avait quelque chose qui m'énervait bien plus, en ce moment.
— Et qu'est-ce que j'en ai à foutre ? crachai-je.
Mon énervement ne parvenait pas à chasser le sentiment d'échec dans ma voix. Je m'en voulais déjà, alors que cela ne faisait que quelques secondes que j'avais laissé partir le dénommé Eryl. Peut-être que si je me dépêchais, je pourrais le rattraper et finir le travail ? Pour cela, il faudrait déjà que je parvienne à me débarrasser de Dray.
— Quand il a tué mon frère, il n'en avait rien à battre qu'il s'agisse d'un membre de la famille royale !
— C'était la guerre ! le défendit Dray.
Cela ne m'étonnait même pas qu'il prenne sa défense. S'il s'agissait vraiment de son frère, il allait faire son possible pour me faire oublier ma rancoeur et me convaincre de laisser tomber. S'il pensait que cela allait fonctionner...
— Ça ne lui donne pas tous les droits ! Si c'était ton père qui avait été tué, cette discussion n'aurait même pas lieu ! Son assassin serait déjà mort !
Il ne pouvait pas me contredire, parce qu'il savait que j'avais raison. La mort du roi aurait accentué la guerre, alors pourquoi la mort d'un prince devait-elle rester impunie ?
— Ce n'est pas la même chose... tenta Dray.
— Ah oui ? Pourquoi ? Parce qu'un mermailyain vaut moins qu'un estyrian ?
Dray secoua la tête et se passa la main dans les cheveux, dépassé par la tournure que prenait cette conversation.
— J'ai jamais dis ça.
— Ah oui ? Pourtant c'est l'impression que tu donnes.
Bras croisés sur la poitrine, j'essayais de garder mon calme, mais c'était peine perdue. S'il n'arrêtait pas très vite de prendre la défense de son frère, j'allais péter un câble, et ça ne sera pas beau à voir.
— Maeve, je...
Il soupira, se passant encore la main dans les cheveux. Cette conversation ne menait à rien. Je tournai les talons, prête à partir.
— Je ne sais pas pourquoi tu me colles autant, mais laisse-moi tranquille, Dray. Sérieusement. Tu pourras me dire tout ce que tu veux, tu ne me feras pas changer d'avis. Ton frère est un putain d'assassin, et je ne compte pas le laisser s'en sortir.
Je commençai à m'éloigner, l'esprit embrumé par tout ce qui s'y bousculait actuellement. La colère, l'échec. Ses sentiments me rendaient folle et incapable de réflechir. Combien de temps me faudrait-il pour rejoindre le dortoir des estyrians ? Je n'en avais aucune idée. Il était même probable que je ne parvienne pas à trouver dans quelle chambre il dormait. Non. C'était décidément une mauvaise idée. Il fallait que je trouve un autre moyen de mettre fin à sa vie, mais plus tard. Pour le moment, j'étais bien trop énervée pour réfléchir. Il fallait que je m'éloigne de Dray, et vite.
— Tu ne peux pas faire ça !
— Pourquoi ? Tu vas m'en empêcher ? l'interrogeai-je sans me retourner.
— Je ne veux pas que tu devienne une meurtrière !
Je m'arrêtai net.
— C'est déjà trop tard, lançai-je d'une voix sourde.
Se rendait-il compte qu'il se comportait comme si nous étions ensemble ou amis ? J'en doutais ou alors, il s'en fichait. Des sanglots naquirent une nouvelle fois dans mes yeux et je ne fis rien pour les arrêter. Je continuai de marcher, pressée de m'éloigner de lui.
— Je m'inquiète pour toi ! s'écria-t-il.
Je fis volte-face, les joues baignées de larmes.
— Pourquoi ?! On ne se connait même pas !
Dis-le moi. Dis-moi tout pour qu'on arrête ce jeu stupide qui nous fait autant de mal à l'un qu'à l'autre. Dis-moi la vérité.
Il se passa la main dans les cheveux en faisant les cent pas. J'attendais sa réponse le cœur battant, rempli d'un espoir qui s'échappa à la seconde même où il ouvrit la bouche.
— Tu me rappelles quelqu'un.
Je sentis mon coeur s'effriter devant ses paroles. Je lui rappelais quelqu'un ? C'était une blague ? Pendant un instant, je crus qu'il parlait de moi, mais c'était impossible. Il m'avait oublié. C'était aussi simple que cela.
— Une fille. Belle, intelligente, drôle. La plus gentille fille que je n'ai jamais connu. Elle arrivait à voir au-delà de la carapace que je me suis forgée, bien plus que mes meilleurs amis. Elle était parfaite. Une vraie perle.
Je déglutis. Il pensait vraiment que c'était le moment de me dire ça ? D'accord, je n'étais plus censée me souvenir de quoi que ce soit, mais il y avait des limites. Sentant mon cœur se briser encore un peu plus, je pris sur moi pour ne pas lui montrer que ses paroles m'atteignaient.
— A t'entendre, je pourrais croire que tu étais amoureux d'elle, soufflai-je.
Il hocha la tête, m'achevant par la même occasion.
— C'est le cas. J'étais amoureux d'elle et je le suis toujours. Crois-moi. Je suis complètement tombé sous son charme. Je suis tombé amoureux d'elle et ça ne changera jamais. Elle m'a volé mon cœur et est partie en oubliant de me le rendre.
Je venais de laisser partir le meurtrier de mon frère et il ne trouvait rien de mieux à faire que de me faire comprendre que je n'étais plus rien pour lui ? Cette soirée était maudite. J'allais m'effondrer devant lui et ne jamais me relever.
Redoutant déjà la réponse, je lui posai une question qui allait sans doute terminer de me briser le cœur.
— Qu'est-ce qui lui est arrivée ?
Tant de tristesse et la douleur habitait son regard que je sus ce qu'il allait répondre avant même qu'il n'ouvre la bouche.
— Je l'ai obligé à m'oublier.
Mes jambes se dérobèrent sous moi et je réussis à rester debout par un miracle que je n'expliquais pas. Il parlait de moi. Les battements de mon cœur accélèrent tellement que je crus qu'il allait finir par exploser. Pourquoi faisait-il allusion à notre relation ? Pourquoi me disait-il ça ?
Je dus prendre sur moi pour ne rien laisser paraître de la tempête qui faisait rage en moi.
— C'est pas très gentil, lui fis-je remarquer.
Il haussa les épaules de manière désinvolte, mais je lisais en lui comme dans un livre ouvert. Ça le touchait bien plus qu'il voulait me le faire croire.
— J'ai fais ça pour elle.
Je me mis à rire jaune, sans le vouloir.
— C'est bizarre. Il n'y a que les mecs pour penser de cette manière.
Il fallait vraiment que je m'éloigne cette fois. Autrement, j'allais finir par dire quelque chose que je regrettais.
— J'espère au moins que tu n'as pas fais ça pour rien, lançai-je en m'éloignant.
Parce que moi, je n'en étais toujours pas persuadée.
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