Chapitre 17
Je ne parvenais pas à détacher mon regard du sorcier qui se tenait devant moi. Ce n'était pas la première fois que je le voyais depuis notre arrivée, mais jamais je ne l'avais aperçu se comportait de cette façon. Il riait avec ses potes comme si de rien n'était. Comme s'il n'avait pas tué mon frère quelques mois plus tôt. Il semblait n'avoir jamais été aussi heureux, et ça me rendait folle.
J'avais conscience que Dray m'observait, mais c'était plus fort que moi. Je ne pouvais pas détourner mes yeux de cet enfoiré. C'était un meurtrier. Il mériterait de croupir en prison jusqu'à la fin de sa vie. Dans les cachots mermailyains. Dans la cellule la plus lugubre que nous ayons. La plus humide. Au fin fond de l'océan. Celle que nous réservions aux plus grands criminels qui traversaient ou vivaient dans notre royaume.
Cette cellule irait très bien à l'individu que j'avais en face de moi. Je la trouvais même encore un peu trop confortable. Il aurait fallu y ajouter des tas de poissons en décomposition.
Mais il ne serait jamais emprisonné dans ce cachot. Parce que les meurtres commit pendant la guerre ne sont pas considérés comme tels. Tous ceux qui avaient tué lors de la bataille, que ce soit des estyrians ou des mermailyainnes, ne seraient pas poursuivis pour leurs crimes. Ce qui voulait dire que le sorcier en face de moi non plus. Mais ce n'était pas cela qui allait m'empêcher d'agir. Je ne pouvais peut-être pas le foutre en taule, mais malheureusement pour lui, ce que j'avais prévu de lui faire subir le ferait très vite regretter de ne pas pouvoir finir aux cachots.
Il n'y avait rien de plus dangereux qu'une sirène revancharde.
J'allais très vite lui faire regretter ses actes.
D'ici quelques heures, il verrait sa vie défiler devant ses yeux.
Une paume se referma sur mon poing serré, et me sortit de mes pensées. Réprimant un sursaut pour ne pas montrer ma surprise, je levai les yeux vers Dray. Les pupilles pleines d'inquiétude, il me fixait pour s'assurer que tout allait bien. Je me noyai un instant dans ses prunelles grises, savourant la sensation de sa peau sur la mienne, chose que n'était pas arrivée depuis un an et demi. Le rire de l'homme que je désirais plus que tout tuer résonna dans la hall de l'école et m'arracha à ses pensées dangereuses. Je retirai la main de Dray de la mienne et le fusillai du regard.
— Je peux savoir ce qui te prends ? grondai-je.
Il n'avait pas le droit d'agir comme ça après ce qu'il m'avait fait. Même s'il essayait manifestement de me consoler. Il devait forcément savoir qui était la personne que je fusillais du regard et ce qu'elle avait fait. Il m'avait regardé pleurer sur le corps de mon frère. Il savait et c'était pour cela qu'il m'avait pris la main. Mais je ne l'aurais jamais laissé faire si je n'avais eu aucun souvenir de notre relation. Et j'étais censée ne plus en avoir.
La lueur triste qui passa dans ses prunelles ne parvint pas à chasser la colère qui enflait en moi comme une bombe prête à exploser.
— Désolé. Je sais ce qu'à fait Eryl à ton frère.
Ne voulant pas m'aventurer sur ce terrain-là avec lui, je fis la sourde oreille. Il était totalement hors de question que je parle de mon frère avec lui. Ils se détestaient, tous les deux. A tous les coups, Dray risquait de dire une connerie et de m'énerver davantage. Ce n'était pas le moment que ma colère prenne le dessus sur ma raison.
J'avais quelque chose de bien plus important à faire ce soir que de me prendre la tête avec mon ancien petit copain.
D'un soupir, je me tournai vers l'entrée de la salle de bal. D'ici, je ne pouvais voir de quelle manière avait été aménagé le réfectoire pour l'occasion, et j'étais certaine que c'était mieux ainsi. J'avais refusé de m'occuper de la décoration parce que je n'avais pas que ça à faire, mais je le regrettais presque. Du peu que j'avais vu dans les couloirs, c'était immonde. Je pouvais cependant apercevoir l'orchestre, et c'était tant mieux puisque c'était cela que je voulais. Je leur fis un signe de la main, et leur meneur hocha la tête. La musique s'arrêta, et le directeur de l'école s'éclaircit la voix pour prononcer un bref discours que je n'écoutai pas. Je me fichais totalement des paroles de cet homme.
L'intégralité des élèves qui n'étaient pas encore entrés dans la pièce s'y précipitèrent tandis que Dray et moi restions à l'extérieur.
Mentalement, je me préparais à devoir danser avec lui. C'était quelque chose que nous n'avions jamais fais, même lorsque nous étions ensemble. J'appréhendais, et le voir s'agiter sur place à côté de moi n'arrangeait rien.
— Arrête de trépigner comme ça, m'agaçai-je. C'est énervant.
Il se retint de me faire remarquer que j'étais déjà énervée lorsqu'il a commencé à agir de cette façon. Il s'immobilisa simplement, mais je pouvais voir ses mains trembler. C'était moi qui le mettait dans cet état ? Il fallait qu'il se calme. Je n'avais pas vraiment envie qu'il me fasse une crise d'angoisse devant tout le monde. A son âge, il devrait savoir gérer ses émotions.
Dixit la fille qui enchaîne les envies de meurtres et celles de crier de frustration depuis qu'elle est arrivée dans cette école...
Pour ma défense, Dray avait un an de plus que moi.
Le directeur termina son discours et l'orchestre reprit son morceau. Le sang-mêlé nous fit signe d'avancer dans la pièce afin que nous ouvrions le bal.
Dray resta sur place, sans bouger, pendant que je m'avançais d'un pas. Lorsque je me rendis compte qu'il ne me suivait pas, je me tournai vers lui en posant mes poings sur les hanches avec une moue contrariée.
— Magne-toi. Plus vite on s'y colle, plus vite je serai débarassée de toi.
Et de toutes les tentations que tu représentes, terminai-je pour moi-même.
Avec un soupir, Dray me donna raison et s'avança. Il me tendit la main, que je fixai comme si elle allait me mordre.
— Hors de question.
Il pensait vraiment que j'allais entrer dans la salle de bal à son bras, comme si nous nous entendions bien ou que les relations entre nos peuples étaient au beau fixe ? Il rêvait. Il n'était même pas envisageable que je ne fasse ne serait-ce qu'effleurer sa main en-dehors de la danse forcée que nous étions forcés de partager.
Dray soupira.
— Comment tu veux qu'on donne l'impression de s'entendre si tu refuses qu'on entre en se tenant la main ?
Parfois, je me demandais si son cerveau fonctionnait normalement. Entrer en étant aussi proche ne ferait que créer des rumeurs dont je me passerais bien et n'arrangerait pas les relations entre nos royaumes.
— Parce qu'entrer main dans la main ça va arranger les choses, peut-être ? Je crois pas, non.
Je repris ma marche et, bien qu'il ne soit pas d'accord avec moi, il m'emboita le pas.
Le silence dans la salle de bal à notre arrivée n'était troublé que par la musique qui y était jouée. Tous les regards étaient rivés sur nous. Cela me mettait presque mal à l'aise, alors que j'avais l'habitude d'attirer l'attention. Cette entrée m'associait aux estyrians, et je ne supportais pas ça. Je captai le regard d'Eva, qui me fit un petit signe d'encouragement avant de pouffer de rire lorsque je roulai des yeux en gonflant mes joues pour lui montrer mon agacement. Les sirènes à ses côtés rigolèrent également. Je m'arrêtai au centre de l'espace délimité comme la piste de danse en réprimant un bâillement. Encore une fois, je ne tentais pas de regarder la décoration. Le peu que j'avais dans mon champ de vision me suffisait largement à vouloir tout reprendre à zéro.
Dray s'arrêta en face de moi, réduisant considérablement mon champ de vision. Je ne voyais maintenant plus que son torse. Je pouvais deviner ses muscles à travers sa chemise presque trop petite. Je déglutis en tentant de faire comme si de rien n'était et remontai les yeux vers son visage. Je n'étais pas certaine que ce soit une très bonne idée. Ses pupilles grises étaient fixées sur moi en un mélange de regret et d'amour que je supportais mal de voir en lui.
Il n'avait pas le droit de me regarder de cette façon. C'était lui qui avait prit cette décision. Je lui interdisais de le regretter, maintenant. Il avait eu le choix alors qu'il ne me l'avait pas laissé, alors qu'il assume sa connerie.
Il se foutait de moi.
Je le fusillai du regard, espérant faire disparaître ses sentiments de ses pupilles. Il n'avait pas le droit de ressentir ça.
Lentement, il approcha ses mains de moi. Il en posa une sur ma hanche, provoquant des frissons le long de ma colonne vertébrale. Je me crispai en fermant les yeux, essayant de faire abstraction de ce que me provoquait cette proximité. Je rouvris les paupières et posai mes prunelles sur le visage de Dray. Il semblait tout aussi troublé que moi par ce rapprochement. Il entrelaça ses doigts au mien de sa main libre, faisant accélérer les battements de mon cœur.
Pitié, que cette danse se termine rapidement.
Je gardai le silence tout le long de cette valse, les mains tremblantes. Je sentais sans cesse le regard de Dray sur moi, l'observant parfois ouvrir la bouche comme s'il s'apprêtait à me parler. Il se ravisait pourtant à chaque fois.
— Maeve ? trouva-t-il enfin le courage de prendre la parole.
Je l'ignorai totalement, préférant me concentrer sur la danse. Je la connaissais par cœur, mais je prétendais que ce n'était pas le cas pour avoir une excuse afin de ne pas parler. Cela ne servait à rien. Dray était parfaitement au courant que je connaissais la chorégraphie sur le bout des doigts. C'était moi qui lui avait appris à la danser.
— Maeve, répéta-t-il.
Je claquai ma langue contre mon palais, dépitée par son insistance.
— Soit tu la boucles, soit je te marche sur les pieds avec mes talons aiguilles.
Il me fixa un instant en silence, avant de soupirer. Il ne pouvait se permettre de me faire remarquer que je savais danser. Il n'était pas censé être au courant. Je ne savais pas ce qu'il voulait me dire, mais les contes de fées débiles que ma nourrice me lisaient quand j'étais petite m'avaient appris une chose. Une conversation en plein milieu d'une danse n'était jamais de bonne augure.
C'était souvent à ce moment-là que le héros masculin disait quelque chose de débile qui mettait la princesse en colère.
Ma vie n'était pas un putain de conte de fées.
Je ne voulais pas vivre ça.
— T'es magnifique, lâcha-t-il alors.
Je trébuchai sur quelques pas, sonnée par cette déclaration. Je retrouvai l'équilibre et le fusillai du regard. Qu'est-ce qui lui prenait, de me dire ça ? Il était vraiment malade !
— Je sais.
Il n'ajouta rien, et moi non plus. Je ne lui retournai pas le compliment, bien que je n'en pensais pas moins. Il fallait qu'il comprenne que je ne voulais pas amorcer la moindre relation avec lui, même s'il semblait avoir du mal à se faire à l'idée.
De l'autre côté de la piste de danse, Eva ne cessait de me faire signe de la rejoindre rapidement. Je fronçai les sourcils, me demandant ce qu'elle me voulait. Dès que les dernières notes de la musique s'éteignirent, je m'éloignai de Dray comme si notre proximité m'avait brûlé. Tremblante, je me dirigeai à grands pas vers ma meilleure amie, qui soupira de soulagement en me voyant arriver vers elle. Je n'eus pas le temps de lui raconter ce que venait de me dire Dray qu'elle m'attrapa par le poignet pour m'emmener à l'écart de la foule.
— Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandai-je.
— Il se barre. Il est malade et retourne dans sa chambre sans attendre la fin du bal.
Je coulai un regard vers le coin des estyrians où, effectivement, le meurtrier de mon frère était en train de partir.
— On avance le plan, grondai-je. Occupe Dray.
Je m'éloignai sans ajouter quoi que ce soit.
Il était hors de question que je le laisse s'en tirer si facilement.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top