Chapitre 16 - Dray

Maeve était magnifique.

Je ne parvenais pas à détourner mes pupilles d'elle, bien qu'elle soit en train de me tuer de ses prunelles vertes. Elle détestait être dévisagée ainsi, mais je ne parvenais pas à m'en empêcher. C'était la première fois que je la voyais apprêtée pour un bal. J'avais entendu maintes rumeurs sur les tenues que portaient les sirènes pour se rendre à des soirées du genre. J'avais imaginé des dizaines de tenues dans lesquelles Maeve pourrait se présenter ce soir. J'étais loin du compte.

Connaissant la véritable personnalité de mon ancienne petite amie, je pensais qu'elle viendrait dans une robe de princesse, assez évasée et d'une couleur pastel. Je m'étais trompé. Plutôt que de faire honneur à la personne qu'elle était vraiment, elle avait décidé de se conformer à la réputation qui suivait les sirènes depuis des siècles.

Elle portait une robe noire avec une seule bretelle. Entièrement moulante, elle lui arrivait à peine à mi-cuisse. Une traine en tulle, noire tirant sur le rouge, partait de ses hanches jusqu'au sol. Une ceinture en diamant dont j'ignorais l'utilité marquait sa taille et ses talons gigantesques étaient plus que bruyants. Ce fut leur bruit sur le carrelage qui me fit revenir à la réalité.

Je clignai plusieurs fois des paupières, avant d'esquisser un pas de recul involontaire. Alors que plusieurs mètres nous séparaient auparavant, Maeve se trouvait maintenant juste sous mon nez. Son haleine mentholée s'écrasa sur mon visage lorsqu'elle ouvrit la bouche.

— Continue de me fixer comme ça et je t'ordonne de ne plus le faire.

Je compris sans aucun problème ce qu'elle entendait par-là. Vu ce qu'elle venait de faire à Celia, le sous-entendu était presque inutile.

Je ne parvenais même pas à savoir laquelle des deux était en tort dans cette dispute. C'était Celia qui avait commencé en s'énervant lorsque Blaze avait flirté avec Eva. Ma cousine n'aurait jamais dû réagir comme ça, mais Maeve aurait quand même pu se retenir de rire. Ce n'était pas vraiment malin de sa part. Celia n'aurait jamais dû faire mine d'attaquer Maeve. Je ne savais pas ce qui lui avait prit et j'avais été très clair. Si elle recommençait, elle retournerait chez elle. On ne pouvait pas se permettre de la laisser se balader à la Moonainst Academy si elle était capable de s'en prendre à la princesse du royaume voisin.

Celia était complétement folle. Si Maeve ne l'avait pas fait taire avant qu'elle ne termine son incantation, j'ai peur de savoir ce qu'il se serait passé ensuite. Nous étions ici pour faire revenir la paix. Pas pour tuer la princesse de Mermailya.

Même si j'étais certain que ça n'allait pas énormément déranger mon père.

— Désolé.

Jugeant la véracité de mes excuses, Maeve comprit très vite que je n'étais absolument pas désolé. J'avais quand même le droit de la regarder. Nous étions sortis ensemble pendant un an ! D'accord, elle ne s'en souvenait plus et c'était totalement de ma faute, mais quand même. Si je ne pouvais même plus la regarde, vivre ici avec elle allait être très compliqué.

Maeve secoua la tête, complètement dépitée, puis se dirigea vers les escaliers sans même m'attendre. J'accélèrai le pas pour la rattraper avant de me mettre à marcher à son niveau. Un silence gênant régnait entre nous. Je ne savais pas quoi dire. La dernière fois que nous nous étions adressés la parole, ça ne s'était pas très bien passé. Je ne saisissais toujours pas comment de simples excuses avaient pu tourner de cette façon. J'avais pris sur moi pour aller lui parler et crever l'abcès parce que je ne voulais pas que notre nouvelle relation soit mauvaise. Nous étions sortis ensemble. je ne supporterais pas qu'elle me haïsse, désormais. Notre ancien couple était la preuve même que nous pouvions nous entendre. Je ne voulais pas laisser ça partir en fumée.

Je tenais à elle.

Mais à chaque fois que je lui adressais la parole, nous finissions par nous prendre la tête.

Quand est-ce que les choses avaient pu aussi mal tourner ?

Deux étages plus bas, nous n'avions toujours pas prononcé un mot de plus alors que la musique provenant de la salle où avait lieu le bal nous provenait déjà. C'était le réfectoire qui avait subit des changements de décors pour accueillir la soirée. Je ne savais pas qui avait été chargé de s'occuper de la décoration mais, de toute évidence, ce n'était pas Maeve. Elle jaugeait tout ce qu'elle voyait en grimaçant alors que nous n'étions même pas encore arrivés.

— Quelque chose ne va pas ? lui demandai-je.

Elle ne prit pas la peine de répondre et observa avec dégoût un drapeau qui avait été accroché au mur et qui représentait les blasons de nos deux royaumes assemblés. Je m'arrêtai devant ce symbole, tout comme Maeve. A en juger par son regard, ce n'était pas pour la même raison que nous nous étions stoppés devant le fanion.

— Ton peuple ne sait vraiment pas organiser une fête, commenta -t-elle.

Je la dévisageai, sans comprendre ce qui lui faisait dire ça. Nos deux emblèmes étaient de taille égale sur l'étendard, ne laissant aucun indice sur la personne qui l'avait créé. Comment pouvait-elle déduire que c'était les miens qui avait préparé le bal juste à partir de ce que nous avions sous les yeux ?

— Comment tu sais que c'est mon peuple ?

— Le mien sait qu'on ne mélange pas du rouge et du vert.

J'examinai le symbole de la Moonainst Academy sans que le mélange des teintes ne me choque plus que ça. Je ne trouvais rien de très moche là-dedans. Ce n'était pas non plus extraordinaire, mais ce n'était pas l'horreur que prétendait Maeve.

— Ce sont les couleurs de Mermailya et Estriam. On ne peut pas les changer juste parce que tu trouves ça moche, commentai-je.

Je ne voulais même pas imaginer la tête de mon père si cela venait à se produire. Je notai dans un coin de ma tête de commencer à surveiller les drapeaux estyrians pour m'assurer qu'ils ne changeaient pas mystérieusement de teinte aux cours des prochaines semaines.

— Ça prouve que cette école n'est qu'une vaste plaisanterie.

Maeve ne me laissa pas le temps d'en ajouter une et se dirigea vers le réfectoire en fouillant dans son sac à main miniature. Elle en sortit son portable et, instinctivement, mes yeux dérivèrent sur son écran pour regarder ce qu'elle y faisait. Son fond d'écran me serra le cœur. Une photo d'elle et son frère. Je savais qu'il était mort durant l'unique bataille qui avait fait rage. J'avais aperçue Maeve pleurer sur son cadavre une fois que les sirènes eurent gagné. Je n'avais rien pu faire pour la consoler, si ce n'était ordonner le repli de mon peuple et disparaître de son champ de vision.

J'allais ouvrir la bouche pour lui présenter mes condoléances tardives lorsqu'elle me surprit en train de zieuter sur son téléphone. Elle verrouilla de nouveau l'écran en me fusillant du regard.

— Je ne te dérange pas trop ? Tu veux mon mot de passe, pendant que t'y es ?

Je failli lui dire que je le connaissais déjà. Si elle ne l'avait pas changé depuis la dernière fois que je l'avais vue, il s'agissait de sa date de naissance, et donc également de celle de son frère. Une sécurité exceptionnelle pour le portable de l'héritière d'un trône. J'espérais donc qu'elle l'avait modifié. Si elle avait des infos sur des affaires d'état à l'intérieur, garder un mot de passe aussi simplet dans une académie de ce genre était dangereux. Il suffisait qu'on le lui vole pour que son royaume soit en danger.

— Désolé.

Devant mes deuxièmes excuses de la journée, Maeve roula des yeux.

— Tu ne sais dire que ça ? Désolé par-ci, désolé par-là. Il va falloir que tu enrichisses ton vocabulaire, prince de pacotille.

Je marquai un seconde d'arrêt en entendant la façon dont elle venait de m'appeler. Prince de pacotille... C'était le surnom qu'elle me donnait un peu avant que l'on se mette ensemble. Un surnom que je détestais à l'époque... et qui me paraissait plus qu'étrange en ce moment. Pourquoi m'appelait-elle comme ça ? Qu'est-ce que... qu'est-ce qui lui était passé par la tête pour me nommer de cette façon. Des souvenirs commençaient-ils à lui revenir ? Non. C'était impossible. Mon sortilège bloquait l'intégralité de sa mémoire me concernant. C'était totalement impensable.

Mon cœur se mit à battre la chamade et, plusieurs pas devant moi, Maeve s'arrêta et se tourna vers moi en fronçant les sourcils.

— On va être en retard. Qu'est-ce que tu fous ?

Les poings posés sur les hanches, elle claqua du pied sur le sol pour me faire signe de me dépêcher.. Elle n'avait absolument aucune envie d'arriver à l'heure, cela se voyait sur son visage, mais elle ne laissait pas ses envies dicter sa conduite. Du doigt, elle me montra son poignet et tapota plusieurs fois dessus, me faisant comprendre que je devais me hâter.

Paupières fermées, je pris une profonde inspiration avant de la rejoindre.

Je me faisais des idées. Ce surnom n'était qu'une coïncidence. Je lui avais effacé la mémoire. Je savais ce que j'avais fait et je connaissais la portée de mes pouvoirs. Sa mémoire ne reviendrait que si je le désirais et que j'annulais mon sortilège. Ce que je ne comptais pas faire.

Je me repris rapidement et allai la rejoindre. Elle accueillit mon retour avec un soupir et reprit son chemin jusque devant les portes du réfectoire. La salle semblait pleine à craquer, mais certains élèves attendaient devant la pièce pour discuter avec leurs amis avant d'aller retrouver leur cavalière et de devoir passer la soirée avec. D'un seul coup d'œil dans la pièce de bal, je remarquai que la plupart des sirènes n'avaient pas suivi les règles et étaient venues à la soirée avec leurs copines plutôt qu'avec un cavalier. Puisqu'il y avait plus de filles que de garçons dans cette école, ça ne m'étonnait pas vraiment, mais je n'étais pas particulièrement ravi que les mermailyainnes n'en fassent qu'à leur tête. S'il y avait des conditions à ce bal, ce n'était pas pour rien. A première vue, je n'apercevais même pas de couple mixte comme Maeve et moi. Les sirènes étaient venues entre sirènes, et les sorciers avec des sorcières.

Ce bal n'était pour le moment pas une grande réussite.

L'un des professeurs, qui était également le pseudo directeur de l'académie, s'approcha dès qu'il se rendit compte que Maeve et moi étions arrivés. C'était l'un des miens, mais il faisait également partie du peuple de Maeve. Il s'agissait de l'un des rares sang-mêlés vivant sur notre continent, et c'était pour cela qu'il avait été désigné pour diriger cette école. Car il était neutre.

C'était, en y réfléchissant bien, le seul sang-mêlé que je connaissais. Je n'en avais jamais vu d'autres. Le peu de couple qui se formait entre nos deux peuples fuyaient pour ne pas se faire insulter pour avoir fréquenté l'ennemi. Je doutais que l'homme qui se trouve en face de moi ait été accepté par nos deux peuples, et je sus que ce n'était pas le cas lorsque Maeve le fusilla du regard.

— Génial. Voilà l'erreur de la nature.

Feignant de ne pas avoir entendu la sirène, le directeur me tendit la main. Je la lui serrai et il fit de même avec Maeve, qui l'ignora.

— Chez nous, c'est une révérence, grinça-t-elle. Passons, je suppose qu'on est censés ouvrir le bal ?

Maeve lui ayant enlevé les mots de la bouche, le directeur se contenta de hocher la tête. Il échangea ensuite quelques banalités avec moi, Maeve ne lui adressant pas un mot de plus, avant de s'éloigner. Je lança une oeillade à mon ancienne petite amie. Danser avec elle ? Cela supposait de me retrouver avec sa poitrine collée à mon torse. Je ne savais pas comment j'allais tenir. Mais je ne pouvais pas déroger à cette exigence. Je me doutais que nous allions devoir ouvrir le bal depuis que mon père m'avait annoncé qu'il allait avoir lieu. C'était toujours comme ça, chez nous. La famille royale ouvrait la soirée en dansant.

Alors que j'allais lui parler, je vis Maeve serrer les poings en fixant une personne au loin. Je compris sa réaction dès lors que je reconnus le sorcier qu'elle fixait de cette façon.

Le meurtrier de son frère. Il rigolait comme si de rien n'était avec son groupe d'amis, inconscient du regard incendiaire que lui lançait mon ancienne petite amie. La manière dont elle le fixait me donna froid dans le dos. Seule de la haine pure brillait dans ses prunelles.

Je commençais presque à avoir peur. Mais pas pour Maeve. Pour le sorcier qu'elle regardait de cette façon.

Car c'était mon demi-frère. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top