Chapitre 14

Le capuchon d'un stylo dans la bouche, j'observais le paysage que m'offrait la fenêtre de ma chambre. Des arbres à perte de vue. C'était déprimant, tout comme le temps maussade qui régnait depuis plusieurs jours. La pluie tombait sans s'arrêter depuis ma dernière dispute avec Dray. Il s'était mit à pleuvoir peu après et nous n'avions pas revu le soleil depuis. J'en venais presque à me demander si le sorcier n'était pas à l'origine de toute cette grisaille. Je savais qu'il était assez puissant pour ça et il m'avait déjà raconté que son humeur pouvait parfois jouer sur la météo.

Je ne savais pas si c'était le cas en ce moment mais si le blond était coupable, il avait intérêt à changer de comportement rapidement. Il était hors de question que le bal se déroule sous la pluie juste parce que le prince estyrian était incapable de se contrôler.

J'avais besoin qu'il fasse beau ce soir-là, et pas uniquement parce qu'un bal sous la pluie ne mériterait pas d'exister. Le simple fait qu'il pleuve pendant la soirée pouvait foutre en l'air tout ce que j'avais prévu.

C'était tout simplement impensable.

Les jambes surélevées sur mon bureau, je me redressai pour me tourner vers Eva. Ma meilleure amie était allongée sur le sol, en train de mettre la dernière touche finale à sa robe de bal. Elle avait jeté son dévolu sur la robe courte et cousait des strass et des paillettes pour la rendre étincelante. Tirant la langue de concentration, elle se battait avec un pistolet à colle. Je la regardais faire en m'empêchant de rire. Je ne pouvais pas vraiment me moquer d'elle, puisque je ne ferais pas mieux. Mes yeux dérivèrent sur ma propre tenue, qui reposait fièrement sur un cintre, à côté de ma penderie. Un sourire étira mes lèvres en imaginant la syncope que feraient les invités en me voyant débarquer vêtue de la sorte à un bal scolaire. Je regrettais presque que le père de Dray ne soit pas là. Il nous aurait peut-être offert une crise cardiaque mortelle, nous débarrassant de sa présence pour de bon. Cette mascarade pourrait alors prendre fin et Dray monterait sur le trône.

Réduire l'intégralité de nos problèmes aux simples actes du roi d'Estyriam ne me paraissait vraiment pas exagéré. Tout était de sa faute, selon moi.

— Tu penses à la mort de qui ? m'interrogea Eva.

Sourcils froncés, je reposai les yeux sur elle. Elle avait laissé sa robe de côté et, le menton appuyé contre ses mains, elle me reluquait en se retenant manifestement de rire.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— T'avais ta tête de tueuse. Tu pensais à qui ?

Le simple fait qu'elle doive me poser la question concernant le destinataire de mes envies de meurtres n'était sans doute pas une bonne chose. Il y avait encore un an, je n'aurais jamais pensé tuer quelqu'un un jour. Aujourd'hui, ma propre meilleure amie avait besoin d'indications pour savoir qui je rêvais de tuer.

Je ne comprenais pas comment les choses avaient pu changer si vite. Ou plutôt, je le comprenais trop bien. Il ne m'avait pas fallu grand chose pour abandonner mon innocence.

— La seule personne sur ce continent que je ne pourrai jamais assassiner.

Je pouvais toujours essayer, mais ce n'était pas certain que je réussisse. Et puis, si je me faisais attraper, c'était moi qui déclencherait une guerre, cette fois. Je m'en passerai bien.

Comprenant de qui j'étais en train de parler, Eva grimaça, vraisemblablement d'accord avec moi.

— Concentre-toi sur les enfoirés qui sont à ta portée, philosopha ma meilleure amie. Le meurtrier de ton frère sera bien plus facile à descendre que le père de ton ex.

Je ne pouvais que lui donner raison. Il ne fallait pas que je perde de vue mon objectif. Le père de Dray n'était qu'une épine dans mon pied dont j'aurais tout le loisir de m'occuper lorsque je serai reine. Il me suffisait simplement de patienter un peu plus longtemps. Dans deux ans tout au plus, je pourrai me faire cette enflure. En attendant, je devais me concentrer sur le sorcier qui avait mit fin à la vie de Mike. Et il ne lui restait plus que deux jours à vivre, si tout se déroulait comme prévu.

Et tout se déroulerait comme prévu. Il était hors de question que j'échoue.

— Ne t'inquiète pas, lançai-je à Eva. C'est déjà prévu.

Un sourire carnassier étira ses lèvres. Elle semblait jubiler à l'idée que je passe bientôt à l'action. Cela se voyait à son regard, ainsi qu'à la manière dont elle se redressa afin de mieux écouter ce que j'avais à lui dire. Cette habitude, chez elle, me faisait toujours rire. Aujourd'hui, je ne lui fis pourtant aucun commentaire à ce sujet.

— Tu vas t'y prendre comment ? s'enquit-elle immédiatement.

Un vif intérêt brillait dans ses prunelles bleues. Elle attendait le plus de détails possible. Je le savais. Mais il était hors de question que je satisfasse sa curiosité. Lorsque je secouai la tête de droite à gauche pour lui faire part de ma réponse, une vraie déception peignit les traits de son visage.

— T'as pas le droit de garder ça pour toi !

— Je ne veux pas te mettre dans la merde si je me fais chopper, lui expliquai-je. Je suis l'héritière de Mermailya. Je ne risque rien, comparé à toi. Si tu en sais trop, ça pourra se retourner contre toi.

Mes arguments ne semblèrent pas lui plaire. Elle me fusilla du regard comme rarement elle le faisait et se leva en sautant presque sur place. Elle pointa un doigt qui se voulait menaçant dans ma direction.

— Mike était mon ami bien avant qu'on se connaisse, me cingla-t-elle. J'ai parfaitement le droit de savoir ce que tu vas faire à son putain d'assassin.

Je déglutis. Elle n'avait aucun besoin de me rappeler que, s'il n'y avait pas eu mon frère, on ne se serait jamais rencontré. C'était grâce à mon frère si notre amitié était née, et je ne l'oubliais pas. Je m'en souvenais très bien. Mais aujourd'hui, nous étions vraiment amies, et il était hors de question que je mette Eva dans la merde à cause de mes idées de vengeance. Il ne me restait plus qu'elle.

— J'ai déjà perdu mon frère. Il est hors de question que je te perde toi aussi. Je ne le supporterais pas.

Un éclair de tristesse barra ses prunelles devant mes paroles. Elle baissa son doigt et laissa retomber son bras le long de son corps en soupirant. La tête légèrement penchée sur le côté, elle soupira.

— T'as pas le droit d'utiliser mes sentiments contre moi, Mae.

Je haussai les épaules, me sentant à peine coupable d'utiliser notre amitié comme excuse pour ne rien lui dire. Bien sûr, je pensais ce que je venais de lui dire mais si cela pouvait en plus lui permettre de ne pas me poser plus de questions sur la manière dont j'allais agir pour me venger, c'était un plus. Je ne voulais vraiment pas lui faire prendre de risques. Je ne pouvais pas enterrer mon jumeau et ma meilleure amie la même année. Je ne m'en relèverais pas.

— Alors ne me pose pas de questions.

Eva me jaugea quelques secondes avant d'abdiquer. Elle retourna se coucha sur le sol et reprit le perfectionnement de sa robe. Je la regardai faire en masquant mon soulagement. Ma meilleure amie ne faisait cependant rien pour cacher sa déception. Une moue boudeuse sur le visage, elle appliquait ses paillettes en laissant de grands soupirs s'échapper de ses lèvres. J'en vins à me sentir coupable de l'éloigner de cette vengeance. Elle venait de me le dire. Mon frère avait été son ami avant moi. Elle était plus attachée à lui qu'à moi et c'était avec Mike qu'elle partageait le plus de souvenirs. Je n'étais qu'une pièce rapportée dans cette relation.

Je n'avais pas le droit de la priver de ses représailles comme je le faisais en essayant de la protéger. Et puis... j'avais besoin que quelqu'un détourne l'attention de Dray pendant le bal. Je n'allais pas pouvoir faire ce que j'avais prévu si j'avais le prince sur le dos toute la soirée.

Avec un soupir, je m'installai dans le fauteuil.

— Mais...

J'avais à peine commencé ma phrase qu'Eva leva vers moi des yeux pleins d'espoirs et de colère entremêlés. Deux sentiments qui ne faisaient jamais bon ménage.

— Oui ?

Sa voix aux accents angéliques m'aurait fait pouffer de rire si je n'avais pas été sur le point de lui demander de l'aide afin de tuer un homme. Je ne pouvais pas vraiment dire qu'elle avait l'air aussi innocente que sa voix ne le laissait croire.

— Il se pourrait que j'ai besoin d'aide pour me débarrasser d'un certain blond légèrement pot de colle sur les bords.

La déception qui s'afficha sur mon visage ne me fis ni chaud ni froid. Non, je n'avais pas besoin d'elle pour tuer cet enfoiré, même si je ne savais pas encore totalement comment m'y prendre. Il me fallait simplement un coup de pouce pour parvenir à m'éloigner en compagnie du meurtrier assez longtemps pour lui faire subir ce qu'il méritait.

— Qu'est-ce qui te fait croire que je vais réussir à occuper Dray assez longtemps ?

Je haussai un sourcil. Je savais qu'elle n'aurait aucun mal à le faire.

— Tu crois que je ne sais pas que tu es allé le voir il y a quelques jours, juste après que je t'ai raconté que je devais aller au bal avec lui ? Tu trouveras bien quoi lui raconter pendant dix minutes... Et si t'y prends bien... T'auras peut-être même le temps de me rejoindre dehors avant que je ne l'achève.

A la façon dont elle me fixa, je fus sûre d'une chose. Elle sera là pour me regarder ôter la vie au meurtrier de Mike. 

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