Chapitre 13

— J'ai besoin de toutes les infos que tu pourras trouver sur ce sorcier.

Assise à mon bureau, je réfléchissais depuis plusieurs minutes à la meilleure façon de venger mon frère. Je n'avais pour le moment qu'une vague idée de la manière dont j'allais agir, il fallait donc que je me hâte de préparer un plan millimétré et de trouver le moment propice pour agir.

Dans l'idéal, personne ne devrait se douter que c'était une sirène qui avait fait le coup. Il faudrait que j'arrive à faire passer sa mort pour un accident, au moins aux yeux des estyrians. Les sirènes comprendraient bien vite que je n'étais pas innocente dans ce pseudo drame, mais il ne fallait pas que les sorciers puissent faire le lien. Cela compliquait considérablement les choses, mais ce n'était pas pour autant que j'allais me décourager. J'avais promis à mon frère de le venger et je comptais bien tenir cette promesse.

— Très bien, répondit l'espionne de ma mère à travers mon téléphone. Vous avez son nom ?

Je levai les yeux au ciel. Si j'avais cette information, je n'aurais pas besoin de faire appel à l'un des petits poissons de ma mère. Je pourrais me débrouiller toute seule. Il était peut-être dans ma classe, mais les professeurs ne faisaient jamais l'appel, alors c'était difficile d'entendre son prénom au détour d'une conversation.

— Ça fait partie de ton taff, de le trouver, grinçai-je.

Le soupir que poussa l'espionne ne m'échappa pas. Je le comprenais. Si elle n'avait absolument aucune information sur l'individu, elle ne pourrait pas trouver d'informations à son sujet. J'aurais simplement préféré qu'elle apprenne à masquer son ressentit. A travers mon portable, je devrais être incapable de comprendre qu'elle n'était pas emballée par ce que je venais de lui demander de faire.

— Je sais simplement à quoi il ressemble, continuai-je.

Je lui transmis toutes les données que j'avais sur cet individu. Sa taille, la couleur de ses cheveux, de sa peau, de ses yeux et même son âge approximatif. De toute manière, pour se trouver à l'académie et avoir participé à l'unique bataille qui avait eu lieu, il était forcément majeur depuis peu de temps. Un ou deux ans, tout au plus. Une fois que j'eus mit l'espionne au courant de tout ce que je savais, je raccrochai en lui annonçant qu'il me fallait l'intégralité des réponses avant le soir du bal. Ce délai n'étant pas négociable. J'allais passer à l'action ce soir-là, alors il fallait que je sache tout ce qui était possible avant cette date. S'il avait des allergies, cela pourrait rendre les choses plus faciles. C'était Dray et moi qui devions choisir le menu pour la soirée. Il me suffirait de prévoir quelques amuses-gueules avec cet aliment pour le tuer.

Je secouai la tête en raccrochant avec l'espionne. L'allergie était trop prévisible. Et surtout pas assez douloureux. Je devais trouver autre chose. Une immensité d'options s'ouvrait à moi quant à ma vengeance. Le problème était que la plupart donnerait de suite une indication sur la nature du meurtrier. Les sirènes avaient leurs propres méthodes de torture et c'était bien entendu à toutes ses façons de tuer que je pensais en premier lorsque je prévoyais ma vengeance.

J'allais devoir innover.

Je n'étais pas vraiment douée dans ce domaine. Ce serait bien plus facile si je pouvais simplement lui arracher le cœur. Mais cela reviendrait à déclencher de nouveau une guerre, alors je devrais me passer de cette solution. Ça ne m'arrangeait pas vraiment. J'aurais adoré plonger ma main dans la poitrine de cet enfoiré et voir la peur envahir ses yeux lorsqu'il comprendrait que s'en était fini de lui. J'étais presque déçue de devoir me passer de cette solution. Il ne faisait pourtant aucun doute que j'allais trouver quelque chose d'aussi douloureux pour satisfaire l'esprit de mon frère. Mon jumeau serait capable de m'en vouloir s'il trouvait que je n'avais pas assez torturé son meurtrier.

Je m'étirai en réprimant un bâillement. La journée de cours n'avait même pas encore commencé que j'avais déjà envie d'aller me recoucher. D'autant plus que les matières que j'avais ce matin étaient franchement chiantes. Potions pendant deux heures, puis ce qui s'apparentait à un cours de séduction. L'enseignante nous aidait apparemment à utiliser nos charmes de la meilleure manière possible. Je trouvais ça complétement stupide, mais on ne m'avait pas vraiment laissé le choix concernant cette matière. Même si toutes les sirènes de notre âge savaient se servir au mieux de leurs attributs, cela faisait partie des cours obligatoires. Je ne comprenais pas pourquoi et ma mère ne m'en avait pas dit plus, alors je m'étais contenté de recruter une professeur et de placer cette abomination dans nos emplois du temps.

Autrement dit, j'allais grandement me faire chier. Eva devait penser comme moi et devait déjà être en train de chercher une façon de faire passer le temps plus rapidement.

Dans mon miroir, je vérifiai rapidement l'état de mon uniforme avant d'attraper mon sac de cours. Même si les professeurs ne vérifiaient jamais que tous les élèves étaient présents puisqu'ils s'en fichaient complètement, j'étais obligée d'y aller. Mon absence se ferait remarquer dans la seconde.

Les inconvénients d'être une princesse.

Je me brossai rapidement les cheveux et sortis de la pièce. Je fermais la porte à clé derrière moi lorsque celle de Dray s'ouvrit dans mon dos. Aussitôt, mes doigts se crispèrent contre la poignée. Je n'avais pas oublié ce qu'il m'avait dit hier. La pilule ne passait pas, même si j'étais bien consciente que je n'avais pas le droit d'être énervée contre lui à cause de ça. C'était irrationnel de ma part de lui en vouloir pour avoir simplement dit la vérité, mais je n'y pouvais rien.

Prenant sur moi pour ne pas le fusiller du regard, je rangeai la clé dans mon sac et me dirigeai vers l'entrée de la pièce commune. Je sentais le regard de Dray sur ma nuque sans discontinuer jusqu'à ce que je me retrouve devant la porte. Là, il se dépêcha de me rejoindre et m'empêcha de sortir. Je le dévisageai, lasse de la conversation qui allait suivre. Je le connaissais par cœur. Il allait s'excuser pour ce qu'il m'avait dit.

— Qu'est-ce que tu me veux ? soufflai-je. Je vais être en retard.

Il haussa un sourcil, sachant très bien que je me fichais d'arriver à l'heure en cours ou non. Ce n'était qu'un prétexte parce que je n'avais pas envie de lui parler. J'avais autre chose à faire en ce moment que de m'occuper de mon ancien petit copain incapable de se comporter comme s'il ne s'était rie passé avec nous.

J'arrivais très bien à faire semblant de n'être jamais sortie avec lui. Pourquoi lui n'y arrivait-il pas ? C'était sa décision, après tout. Il l'avait choisie. Il devrait y parvenir bien mieux que moi.

— J'en ai pas pour longtemps.

Je le dévisageai. Il se trouvait si près de moi que son parfum me parvenait sans aucune difficulté, réveillant en moi des souvenirs que j'étais censée avoir oubliés. Je déglutis avant de m'éloigner de lui, ne supportant pas cet afflux de souvenirs.

Nos moments dans la maison abandonnée. Notre première rencontre. Notre premier baiser. Tout m'était revenu en pleine face juste à cause de son eau de toilette. Je me faisais honte de réagir de la sorte. Pourquoi étais-je aussi faible ? Moi qui me vantait d'être la plus forte de la famille...

Je lui tournai le dos pour me reprendre, fermant les yeux si fort que des points blancs valsèrent dans mon champ de vision. Après avoir pris une profonde inspiration, je croisai les bras sur ma poitrine et me tournai de nouveau vers lui, l'air hautain comme je savais si bien le faire. Drau n'osa même pas me poser de question sur mon comportement.

— Tu as trente secondes.

Il ne cacha pas sa surprise à l'entente du délai si court que je lui laissais pour m'adresser la parole. Cependant, je ne voulais pas l'entendre plus longtemps. Je savais que je ne parviendrais pas à garder mon fidèle air de peste très longtemps, alors il fallait que je coupe court à cette conversation le plus vite possible. Et surtout, que je me vaccine contre ses cheveux blonds en bataille et ses pupilles grises pour lesquels je craquais toujours.

Trente secondes, c'était largement suffisant pour qu'il me sorte son discours d'excuse à la noix et que je l'envoie balader.

— D'accord. Alors, hum, je voulais... je voulais te dire que j'étais désolé pour ce que je t'ai dis hier. Je n'aurais pas dû te parler comme ça. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je... j'avais passé une mauvaise journée et je me suis défoulée sur toi. Désolé.

Je la jaugeai un instant. Une mauvaise journée, hein ? C'était minable, comme excuse. Il aurait pu trouver beaucoup mieux.

— Moi aussi, je passe des journées de merde. Tu ne me vois pas envoyer chier la terre entière pour autant.

Ce n'était pas totalement vrai puisque, quand mon frère a été tué, il suffisait d'un seul mot de travers pour que je m'en prenne à n'importe qui. Les employés du palais me détestaient, à cette époque. Ils me haïssaient sans doute toujours.

Dray n'avait pourtant pas ce genre d'excuse pour se comporter de la sorte. Il me dévisagea, étonné.

— Je viens de m'excuser. Qu'est-ce que tu veux que je fasse de plus ?

J'avais bien une idée en tête. Je voulais qu'il m'avoue tout ce qu'il m'avait fait, rien que pour le plaisir d'observer son visage se décomposer quand il comprendrait que je jouais la comédie depuis le début. Je n'avais pourtant pas trop d'espoir. Je savais qu'il ne le ferait jamais de lui-même. Même si je le forçais, je doutais fortement qu'il ait un jour le courage de m'annoncer ce qu'il avait fait. A moins que je ne lui dise que son sortilège n'avait pas marcher, il continuerait de faire comme si de rien n'était indéfiniment.

Dray était un putain de lâche.

Sur ce point-là, il ressemblait beaucoup à son père. Et ce n'était vraiment pas un compliment.

Énervée qu'il puisse penser que simplement s'excuser suffisait alors qu'il me connaissait assez pour savoir que ce n'était pas le cas, je le toisai méchamment. J'agissais comme une enfant, mais je n'en avais absolument rien à faire. Je n'avais pas de temps à perdre avec lui.

— Parce que tu crois que j'attends quelque chose de toi ? m'exclamai-je. Tes excuses, je m'en fous, Dray. Tes paroles m'auraient peut-être touchée si on était amis, mais on ne l'est absolument pas. On est rien l'un pour l'autre, si ce n'est deux héritiers obligés de se supporter parce que ton père a déclenché une putain de guerre qu'il était certain de perdre. Alors je t'en prie. Insulte-moi ou comporte toi comme une merde avec moi si ça te fais plaisir de te défouler sur moi. Mais ce n'est pas la peine de venir me voir pour t'excuser lorsque tu te rends compte qu'il suffit d'un mot de ma part à ma mère pour relancer la guerre. Si tu veux te comporter comme un enfoiré, assume jusqu'au bout. Si t'en est capable.

Ses mots me brulèrent la gorge. Je n'en pensais pas un seul. Je ne désirais absolument pas qu'il se défoule sur moi quand il en avait envie, parce que je savais très bien que je ne le supporterais pas. J'étais bien assez en miettes sans qu'il ne doive en rajouter et je n'avais plus mon frère pour me ramasser à la petite cuillère.

Heureusement pour moi, je savais que Dray ne ferait rien de ce que je venais de lui dire. Je le voyais à la lueur qui traversa ses paupières. Un mélange de tristesse dont je n'essayais même pas de comprendre la provenance me prouvait que ce que je venais de lui dire le touchait. Il n'appréciait pas la nouvelle image que j'avais de lui.

Tant mieux. Peut-être que s'il pensait que je le détestais, il me laisserait tranquille.

— Maeve, je...

Je ne lui laissai pas le temps de finir sa phrase. Je m'avançai vers lui, ce qui le fit taire. Le poussant pour le dégager de devant la porte, je sortis de nos appartements sans me retourner et sans rien ajouter à cette conversation. Je n'avais aucune idée de ce qu'il allait me dire, et je ne voulais pas l'entendre. Il était temps que je me concentre sur ce qui était vraiment important pour moi.

Et Dray ne l'était pas. Il me faisait perdre du temps, ce que je ne pouvais actuellement pas me permettre.

J'étais venue ici uniquement par devoir et pour venger mon frère.

C'était la seule chose qui me permettait de tenir. De me lever tous les matins.

L'idée de pouvoir faire la peau à l'enfoiré de sorcier qui m'avait enlevé la personne la plus importante de ma vie.

Je n'avais que jusqu'à samedi pour mettre au point le meurtre idéal.

Dray n'était qu'une diversion indésirable. C'était du moins ce dont j'essayais de me persuader.

L'amour ne faisait pas partie de mon programme de la semaine, ni même des six prochains mois.
Et Dray non plus.

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