Chapitre 10
Les jours passèrent et une routine ennuyeuse s'installa à la Moonainst Academy. On se levait, on prenait notre petit-déjeuner et on enchaînait avec quatre heures de cours. Le midi, on mangeait et de nouveau quatre heures de cours. C'était la même chose tous les jours, et j'en avais déjà marre. Si j'avais arrêté d'aller à l'école publique depuis des années afin de prendre des cours au palais, ce n'était pas pour y revenir quatre ans plus tard. Surtout si cela incluait de devoir supporter des estyrians et mon ancien petit ami à longueur de journée.
Heureusement, nous avions deux jours de repos, et je ne comptais pas toucher à mes cours jusqu'à leur reprise, à la fin du week-end. J'avais bien d'autres choses à faire, comme rattraper le retard que j'avais pris dans mes tâches de princesse au cours de la semaine. J'allais en avoir pour un moment.
Je faisais de mon mieux pour éviter Dray au maximum, mais il me donnait l'impression de faire totalement l'inverse. Plus j'essayais de ne pas le croiser, plus je le voyais. Je ne savais même pas comment il faisait pour toujours deviner où je me trouvais, mais ça ne faisais que m'énerver. Il pensait déjà m'avoir effacé la mémoire. Qu'est-ce qu'il cherchait, en se comportant de la sorte ? J'avais d'abord essayé de travailler dans certaines des pièces communes du manoir, avant de laisser tomber l'affaire. Je n'arrivais pas à me concentrer lorsque je sentais le regard constant de Dray sur moi, alors j'avais décidé d'aller m'enfermer dans ma chambre. Au moins, j'étais tranquille, même si cela ne me permettait pas de m'assurer que ce premier jour de week-end se passait sans encombre.
Il ne me restait qu'à espérer que tout se passera bien.
La main sur le front, je lisais l'un des rapports de notre garde frontalière. Un banc de sirènes, nos cousines aquatiques, avait été aperçu en train de nager près de nos côtés. Je ne comprenais pas pourquoi et me demandais si la garde qui les avait vues n'avait pas hallucinée. Les sirènes détestaient venir dans nos eaux. Elles les trouvaient trop chaudes et impures. La dernière fois que l'une de leurs écailles avaient étés aperçues aux abords de Mermailya, je n'étais encore qu'une enfant.
Sur une feuille à part, je notai d'en discuter avec ma mère lorsque je l'appellerai, en fin de journée. La présence de sirènes aquatiques dans le coin était rarement une bonne chose. Nous étions peut-être de la même espèce, mais ça ne voulait pas dire que toutes nos conversations étaient amicales.
Je laissai de côté ce rapport pour en éplucher plusieurs autres, dont aucun ne me parut inquiétant. J'allais passer à la prochaine étape lorsque mon portable sonna. J'eus envie de laisser mon interlocuteur tomber sur ma messagerie, avant de me raviser en voyant le nom qui était affiché sur l'écran. Je décrochai dans la seconde.
— Enfin, lançai-je, impatiente. Cela fait des jours que j'attends des nouvelles de ta part.
La personne qui se trouvait à l'autre bout du fil ne sembla pas intimidée par mon éclat de voix. Je comprenais mieux pourquoi elle travaillait pour ma mère.
— Les renseignements ne s'obtiennent pas en un claquement de doigts, Votre Altesse. J'ai besoin de temps pour les réunir et vérifier leurs véracité.
J'activai le haut-parleur le temps de m'étirer. J'étais assise depuis longtemps et je commençais à le sentir dans mes muscles. Je me levai, récupérai mon téléphone pour pouvoir continuer cette conversation.
— Je suis certaine que tu ne mets pas presque cinq jours à chopper des renseignements lorsque c'est ma mère qui te les demande, rétorquai-je.
La reine de Mermailya ne devait patienter que quelques heures pour obtenir tout ce qu'elle voulait. Je trouvais ce favoritisme légèrement agaçant.
— Votre mère avait besoin de moi et trouver des détails sur une prétendue fiancée pour le prince estyrian n'est pas dans nos priorités. Pourquoi désirez-vous posséder cette information, d'ailleurs ? Ce n'est pas dans vos habitudes de vous intéresser aux affaires politiques du royaume voisin.
Je serrai les lèvres. Je me doutais très bien que le petit poisson de ma mère ne me donnerait pas les informations que je voulais sans m'interroger sur mes motivations avant. Comme il n'était pas question que je lui dise la vérité, j'avais déjà préparé ma réponse.
— Si le prince ennemi se marie, je pense que ce serait pas mal d'être au courant et de savoir avec qui.
Ma réponse paraissait tellement logique que je n'avais aucun doute sur le fait qu'elle ne soulèverait pas de questions supplémentaires. L'espionne de ma mère murmura son assentiment avant d'enfin me fournir les renseignements que je lui avais demandés.
— La fille avec laquelle vous avez aperçu le prince n'est pas sa fiancée. Il s'agit de sa cousine. Elle doit se marier avec le fils cadet du roi de Termyt d'ici la fin de l'année. D'après les informations que je suis parvenue à récupérer, elle devrait déjà être en chemin pour rencontrer son fiancé. Cependant, il a annulé sa venue au dernier moment.
Je hochai la tête bien que mon interlocutrice ne puisse pas me voir, et un soupir de soulagement failli m'échapper. Cette sorcière parlait donc de son mariage avec un étranger, lors de la conversation que j'avais surprise, et non avec Dray. Un poids dont j'ignorais jusque là l'existence quitta ma poitrine à l'idée qu'il n'allait pas se marier aussi rapidement après notre rupture.
Je savais que cela allait arriver un jour. Mais j'étais bien déterminée à être la première de nous deux à le faire. Ma mère devait d'ailleurs sans doute déjà être à la recherche du meilleur parti pour une alliance.
— Très bien, merci.
— Voulez-vous en savoir plus ? Je peux continuer les investigations.
Si c'était pour attendre de nouveau des jours entiers pour avoir les renseignements, ce n'était pas vraiment la peine. J'aurais mes réponses bien plus rapidement en m'en occupant moi-même et, maintenant que je savais qu'elle n'était pas la future épouse de Dray, je me fichais totalement de qui elle pouvait être. Son existence ne m'intéressait plus le moins du monde.
— Ça ira. Si j'ai besoin d'autre chose, je te recontacterai.
Je lui laissai le temps de me saluer avant de raccrocher. Satisfaite des informations qu'elle était parvenue à récupérer, je jetai mon portable sur mon lit en souriant. J'allais saisir cette occasion pour faire une pause dans mes activités et aller faire un tour de l'école pour vérifier que tout se passait bien lorsque quelqu'un frappa à la porte de ma chambre. Sourcils froncés, je la regardai comme si cela pouvait m'aider à savoir qui se trouvait derrière. Je n'avais pas beaucoup d'hypothèses, puisque la porte des appartements était fermée à clé et que seuls Dray et moi les possédions. Il ne pouvait donc s'agir que de lui. Qu'est-ce qu'il me voulait, encore ? Alors que j'allais faire semblant de ne pas être là, mon téléphone sonna de nouveau. Je roulai des yeux, la sonnerie annonçant ma présence à Dray.
— Maeve, tu pourrais m'ouvrir ?
Et le laisser entrer dans ma chambre pour me retrouver seule avec lui en devant prétendre que nous ne soyons jamais sortis ensemble ? Il rêvait.
— Va voir dans l'océan si j'y suis et noie-toi.
Ce n'était sans doute pas la réponse à laquelle il s'attendait puisque j'entendis un léger cri de consternation parvenir de la pièce commune. Je réprimai un rire et m'affalai sur mon lit pour récupérer mon portable. J'eus de suite un mauvais pressentiment lorsque je vis le nom de ma mère s'afficher sur l'écran.
— Maman ? l'interpellai-je. On ne devait pas s'appeler après dîner ?
Je n'apprécias pas vraiment l'idée qu'elle m'appelle en avant. Cela n'augurait jamais rien de bon.
— Tu pourrais au moins prendre la peine de me saluer, Maeve.
Allongée sur mon lit, je fixais le plafond en secouant la tête. Comme si ça l'embêtait que je ne lui dise pas bonjour. La majorité de nos conversations se déroulaient sans cette politesse, et ça ne l'avait jamais dérangée avant cela.
— Bonjour, ma très chère mère. Comment te portes-tu aujourd'hui ?
Ma voix montant dans les aiguës n'avait rien de naturelle et je pouvais deviner ma mère lever les yeux au ciel ou montrer un autre signe de dépit derrière son portable.
— D'accord, très bien. Je suppose que tu souhaites savoir pourquoi je te contacte aussi tôt dans la journée ?
— Exactement.
M'attendant à ne pas apprécier ce qu'elle allait me dire, je me redressai sur mon lit. Assise en tailleur, j'attendis la mauvaise nouvelle sans grande impatience. Le fait que ma mère prenne autant de temps à partager sa nouvelle ne me rendait pas plus confiante. La reine Mermailya ne cherchait jamais ses mots avant de parler. Encore moins lorsqu'elle s'adressait à moi.
— A moins que tu m'annonces que je vais bientôt avoir une petite soeur, je ne vois pas pourquoi tu mets autant de temps à me parler.
Le silence s'allongea, et je commençai à croire que j'avais vu juste.
— T'es quand même pas enceinte, rassure-moi ?
Le rire qui résonna à l'autre bout du fil me rassura immédiatement. Les perles soient louées, je n'allais pas devenir grande sœur. J'étais beaucoup trop vieille pour l'être.
— Ne soit pas stupide, Maeve.
— Je t'aurais demandé de l'abandonner, ripostai-je.
— Je le sais bien.
Un silence s'installa le temps de quelques secondes avant que ma mère ne se décide enfin à m'avouer la raison de son appel.
— Je viens d'avoir une discussion assez longue et mouvementée avec le roi d'Estyriam.
Aussitôt, je commençai à lister toutes les conneries que j'avais faites récemment et qui pourraient me valoir un coup de fil avec ma génitrice juste après qu'elle ait parlé avec le père de Dray. Le professeur de potions que j'avais envoyé balader en début de semaine était-il allé se plaindre ? Je ne voyais que cela.
— Je ne veux entendre aucun reproche, grinçai-je. Il voulait nous faire toucher des excréments de chèvre à mains nues ! Je n'allais quand même pas laisser passer ça !
Au bruit étrange que j'entendis du côté de ma mère, je compris que ce n'était pas de ça qu'elle voulait me parler. Je pinçai mes lèvres l'une contre l'autre en faisant la moue.
— C'était pas de ça que tu voulais me parler, c'est ça ?
— Non, mais on en reparlera.
Au moins, l'enseignant n'était pas allé se plaindre.
Derrière la porte de ma chambre, j'entendis Dray toquer une nouvelle fois pour que je lui donne l'autorisation d'entrer. Il était vraiment collant, aujourd'hui. Je ne savais pas ce qui lui prenait depuis qu'il était levé, mais j'espérais qu'il n'allait pas se comporter de la sorte tous les week-end. Je n'allais pas le supporter. Je trouvais déjà assez dur de le côtoyer en faisant comme si de rien n'était, alors s'il se mettait à me coller, je n'allais pas survivre à ses six mois.
Déjà qu'il m'avait proposé des cours particuliers...
Je soupirai et éloignai mon portable de mon visage pour lui répondre.
— Je suis occupée, Dray. Laisse-moi tranquille !
Je reposai mon téléphone contre mon oreille en soufflant.
— Un vrai pot de colle, ce type.
Au moment où ma mère se racla la gorge, je fronçai les sourcils. Elle ne faisait jamais ça, et me reprenait à chaque fois qu'elle m'apercevait en train de le faire.
— C'est en partie à son propos que je t'appelle.
Les couleurs disparurent de mon visage dans la seconde. Elle savait ? Non. C'était impossible qu'elle soit au courant de ce qu'il s'était passé entre le prince estyrian et moi. Elle ne pouvait pas vouloir me parler de ça. Le sujet de sa conversation devait être totalement différent. Sentant les battements de mon cœur commencer à s'accélérer à l'idée de ce dont ma mère voulait m'entretenir, je bloquai ma respiration pendant trois secondes avant d'inspirer profondément.
Je me faisais des idées, ma mère ne pouvait pas savoir. Elle désirait forcément me parler d'autre chose.
— Maeve, tu es toujours là ?
— Bien sûr, maman. Alors, qu'est-ce que le prince estyrian a à voir avec notre conversation ?
— Comme tu le sais, nous prévoyons un bal de rentrée, la semaine prochaine. Cela sera une bonne occasion de créer plus de liens et de mélanger nos peuples. J'ai entendu dire que ce n'était pas un franc succès pour le moment.
C'était le moins que l'on puisse dire. En une semaine, je n'avais pas vu une seule mermailyainne parler avec un estyrian sans y être obligée, et inversement. Il était normal que cela ait du mal à se mettre en place au début, mais je ne pensais pas vraiment qu'un bal allait changer ça. Surtout que, à bien y réfléchir, il y avait environ trois cents filles pour cent mecs. Il y allait forcément avoir un problème quelque part.
— Oui, je me souviens. On en avait parlé rapidement avant de conclure que c'était une idée stupide puisque jamais une mermailyainne n'inviterait un estyrian sans idées derrière la tête.
Et il ne faisait aucune doute que si une sirène invitait un sorcier simplement pour le mettre dans son lit à la fin de la soirée, des problèmes en découleraient.
— Je le sais bien mais le roi Fergus trouve que c'est une bonne idée, alors nous allons organiser ce bal. Nous ferons l'annonce dans la soirée pour que tout le monde ait le temps de se trouver une tenue, et le bal aura lieu samedi prochain.
Ce n'était pas la mauvaise nouvelle à quoi je m'attendais. Je n'aurai qu'à y aller avec Eva et le tour serait joué. J'avais pourtant l'impression que ce n'était pas terminé. Ma mère n'avait pas l'air de m'avoir tout dit.
— D'accord. Un bal de rentrée samedi prochain. Quoi d'autre ?
— C'est là que ça se complique.
J'attendis la suite, et compris de suite que c'était pour cela qu'elle me parlait de Dray tout à l'heure.
— C'est hors de question.
Mes poings se serrèrent et j'entendis l'air navré dans la voix de ma mère quand elle me confirma ce que j'avais deviné seule.
— Tu dois obligatoirement choisir Dray comme cavalier pour ce bal.
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