Chapitre 1
Un an et demi plus tard
Penchée au-dessus d'une table de la bibliothèque royale, je terminais de lire l'intégralité des dossiers dont ma mère m'avait donné la charge et que je devais terminer de traiter aujourd'hui. Elle était tellement débordée en ce moment qu'elle m'avait demandé de m'occuper de tout ce qui concernait la Moonainst Academy. J'avais accepté avec plaisir, contente qu'elle me donne des responsabilités. Dans quelques années, je prendrai sa place sur le trône. Il était temps que je commence à me comporter comme la princesse que j'étais. D'un coup d'œil à l'horloge qui se trouvait accrochée au mur en face de moi, je vérifiai l'heure. Il me restait cinq minutes avant de devoir rejoindre ma génitrice dans la cour du palais.
Aujourd'hui avait lieu la cérémonie d'inauguration de la Moonainst Academy. Sans doute l'idée la plus stupide qui avait germé dans l'esprit des dirigeant depuis la création de cette terre. J'en comprenais l'intérêt, mais je trouvais cette conception idiote. Jamais la paix n'était née d'une bande d'adolescents.
Un an auparavant, une guerre avait failli éclater entre les deux royaumes qui constituaient notre continent.
Mermailya. Là où vivaient les sirènes, dont je faisais partie. Considérées comme des tentatrices maléfiques par nos voisins, nos voix avaient le pouvoir d'ensorceler n'importe qui.
Estyriam, peuplés par des sorciers. Arrogants pour la plupart, leur vie tournait autour de leurs petits tours de passe-passe. Ils étaient incapables de vivre sans.
Alors que la paix avait toujours été quelque chose de fragile entre Mermailya et Estyriam, les choses avaient commencé à s'empirer il y avait un peu plus d'un an et demi. Le roi estyrian avait soudainement décidé de nous interdire l'accès aux sources thermales thérapeutiques qui se trouvaient à une vingtaine de minutes de la frontière. Sans donner d'explications, le souverain voisin avait fait arrêter tous mes sujets qui s'y rendait pour profiter des vertus de l'eau. Cela n'avait pas plus à ma mère, et les choses ont commencé à dégénérer. Mermailya avait bloqué l'accès à tous les ports de la côte en représailles et à récupérer ce qu'il se trouvait sur les navires.
Durant six mois, la situation a continué à s'empirer, jusqu'au jour fatidique où ma mère, la reine Ariel de Mermailya, avait déclaré la guerre. Elle avait réuni son conseil et annoncé que si le roi d'Estyriam ne faisait pas très vite un effort de diplomatie, nous rayerions son royaume de la carte. Une première bataille avait éclaté, faisant beaucoup de morts, dont mon frère, le prince Mike.
Quelques jours plus tard, après que son armée ait manqué de se faire décimée par notre peuple, le roi estyrian demandait à nous rencontrer pour signer un traité de paix.
Aujourd'hui, la principale clause de ce traité allait entrer en vigueur. L'ouverture d'une académie accueillant des élèves de nos deux peuples pour fonder des relations pacifiques à l'échelle de la jeunesse, qui se répercuteront sur l'avenir. Chaque étudiant avait été choisi selon des critères spécifiques, dont le premier était le plus important. La capacité à rester calme en toute circonstance et à ne pas créer d'incident diplomatique.
C'était stupide.
Je ne comprenais pas comment Moonainst pouvait changer quelque chose. Ce n'était pas en faisant cohabiter quatre cent étudiants que ma mère allait commencer à s'entendre avec le roi Estyrian ou que les aînés de nos populations cesseraient de blasphémer sur le peuple étranger. Ou que cela ferait revenir les nombreux combattants qui avaient perdus la vie lors de ce conflit.
Mais c'était le souhait des deux familles royales, alors je m'y conformais. Cela me permettait d'avoir des responsabilités et connaître autre chose que la vie au palais car, bien entendu, j'avais été la première sélectionnée pour entrer dans cette nouvelle école. J'étais la princesse de Mermailya, et j'avais encore l'âge d'aller à l'école. Il était donc normal que je prenne part à ce que je considérais comme une expérience.
Plus le temps passait, et plus j'avais le pressentiment que c'était une mauvaise idée. Et pas seulement parce que je ne voulais pas y aller. Tant de choses pouvaient mal tourner que je ne parvenais pas à en faire une liste.
La cloche du palais sonna neuf heures du matin, me tirant de mes songes. Rapidement, je terminai ma relecture du dossier pour m'assurer qu'il était conforme aux demandes de ma mère. Je le refermai, le plaçai en haut de la pile et fit signe à une employée qui se trouvait non loin de moi. Elle me rejoignit en laissant tomber ce qu'elle était en train de faire et attendit mes instructions.
— Apportez ça dans le bureau de ma mère assez rapidement, ordonnai-je.
Elle attrapa les pochettes en hochant la tête et disparut dans le couloirs quelques secondes plus tard. Je me redressai en m'étirant, le dos rendu douloureux par ma posture courbée depuis de nombreuses minutes. Je fis consciencieusement craquer chacun des os de ma colonne vertébrale afin de me détendre et récupérai mes affaires. D'un pas rapide, je sortis de la bibliothèque pour aller retrouver ma mère. La ponctualité n'était pas mon point fort, mais aujourd'hui était un des nombreux jours où je ne pouvais me permettre d'être en retard. Ne pas arriver à l'heure à l'inauguration de l'académie ferait très mauvaise impression. Les estyrian pourraient même aller jusqu'à le considérer comme un manque de respect envers le traité. Je me hâtai de descendre les nombreuses marches menant au hall d'entrée. Aussitôt, deux servantes virent à ma rencontre, les bras chargés de mes affaires. Je ne m'arrêtai pas, continuant mon chemin, pendant qu'elles m'aidaient à terminer de me préparer. L'une d'elle me passa une veste, que j'enfilai sans ralentir, pendant que l'autre installait ma couronne sur le haut de mon crâne. Elles s'éloignèrent sans demander leurs restes dès qu'elles eurent terminé et j'arrivai devant la porte d'entrée du palais. Elle s'ouvrit sans que je n'ai rien à faire et j'inspirai l'air extérieur avec joie. La limousine royale était déjà prête et ma mère, accompagnée de sa plus fidèle conseillère, m'attendait devant l'habitacle. Quand elle m'aperçut, elle me fit signe de me presser. Je m'exécutai en la détaillant.
Sa robe était splendide. Rouge, un poil provocante sans en faire trop, ouverte jusqu'à mi-cuisse sur le côté gauche malgré sa jupe de style princesse, j'adorais la manière dont elle s'était préparée. Ce n'était pas une tenue appropriée pour l'inauguration d'une école, mais ma mère s'en fichait bien. Si j'avais su de quelle manière elle comptait se vêtir, j'aurais porté une autre tenue. J'étais persuadée de faire tâche, à côté d'elle, mais je n'avais pas le temps d'aller me changer.
— Maeve, m'accueillit la reine. Presque en retard.
Je lui retournai un sourire en m'arrêtant devant elle.
— Et pourtant, je suis tout de même à l'heure. C'est un talent rare que peu de personnes maîtrisent.
Avec un hochement de tête amusé, ma mère vint m'embrasser le haut du crâne. Sa conseillère, elle, me fit une révérence pendant que l'un des domestiques nous ouvrait la porte de la voiture.
— Tenue très approprié, Maeve, m'accorda ma mère. Classe et élégante. J'aime beaucoup.
Je la remerciai d'un geste de la tête et montai dans la limousine. Je m'installai au fond de la banquette pendant que ma mère s'asseyait sur celle d'en face. Sa conseillère prit place à ses côtés et me tendit une pile de documents. Je les attrapai en fronçant les sourcils, avant de les détailler. Je les reconnus assez vite, et posai sur la politicienne un regard consterné. C'était le règlement intérieur de Moonainst Academy, que j'avais écrit moi-même.
— Vous devez le signer, m'apprit-il.
— Je l'ai rédigé en intégralité, lui rappelai-je.
J'étais sans doute l'étudiante la mieux placée pour en connaître le contenu. Je ne voyais aucun intérêt d'apposer mon sceau sur cet exemplaire.
— Je le sais bien, mais le roi d'Estyriam a insisté.
Mon regard se fit de suite plus dur, et ma réaction n'échappa pas à ma mère. Bien que compréhensive sur certains points, elle me fit le gros yeux.
— Masque tes sentiments, Maeve. Je déteste ce roi autant que toi, mais nous ne devons rien montrer en public.
— Je le sais, mère. Il ne se rendra compte de rien.
J'étais très douée pour cacher mes sentiments et même si je haïssais cet homme au plus haut point, rien dans mon comportement aujourd'hui ne lui donnera l'occasion de s'en rendre compte. La conseillère me tendit un stylo afin que je signe les papiers pendant que je ravalai ma colère.
Le roi Fergus d'Estyriam.
Qu'est-ce que ça pouvait lui faire, que je signe le règlement intérieur ? Ce n'était pas comme s'il allait se rendre souvent à l'académie.
C'était à cause de lui que tout avait commencé. Il était à l'origine de tous les problèmes du continent depuis un an et demi. S'il s'était abstenu de nous priver des sources thermales sans raisons valables, rien ne serait arrivé. Moonainst n'existerait pas, mon frère serait toujours vivant et son fils n'aurait pas joué au con avec notre relation.
Je rendis à la conseillère le règlement signé en baissant les épaules. Je tentais de faire bonne figure mais, s'il y avait bien une chose que je ne parvenais pas à laisser derrière moi, c'était la mort de mon frère. Je ne parvenais pas à passer outre son décès. Parce que j'avais été à ses côtés, à ce moment-là, et que je n'avais pas été capable de le protéger.
Mermailya avait perdu son prince cadet, ce jour-là, mais moi, j'avais perdu une moitié de moi. Mon frère jumeau. Je ne parvenais même plus à marcher dans le couloir qui menait à sa chambre sans m'effondrer, ou à regarder son trône sans qu'un poignard ne me brise le cœur. Sa mort m'avait rendue faible, m'avait mise à genoux, et je ne parvenais pas à me relever. Je savais que c'était également le cas pour ma mère, même si elle ne montrait aucun signe de faiblesse. Elle était meilleure que moi à ce jeu-là.
Je redressai les épaules et observai le paysage extérieur. Les tours du manoir qui avait été réaménagé pour accueillir l'académie m'apparaissaient déjà, signe que nous n'étions plus très loin. Le reste du bâtiment était encore invisible, caché par la forêt qui l'entourait. Il ne nous fallait cependant plus que quelques minutes avant d'arriver sur les lieux, je me préparais donc mentalement à la cérémonie qui allait arriver. Elle ne serait pas très longue. Ma mère et le roi ferait un discours, puis le prince Dray et moi allions devoir couper le ruban d'inauguration du manoir. Après, je serais libre de partir si je le voulais, ce que je ne manquerais pas de faire. Il n'était pas question que je reste là-bas plus que nécessaire.
Dray... Je ne l'avais pas revu depuis le jour où la seule et unique bataille entre nos peuples avait éclatée. Il avait eu raison. Nous nous étions battus ensemble, et j'avais gagné. Il devait sans doute être persuadé que c'était grâce au sortilège qu'il m'avait lancé que j'avais réussi à sortir gagnante de notre affrontement. S'il savait que cela n'avait pas fonctionné et que je ne l'avais battu que parce que j'avais fais appel à ma colère contre lui pour passer outre notre ancienne relation...
— Maeve ?
Clignant plusieurs fois des paupières pour me reconnecter à l'instant présent, je me tournai vers ma mère. Je sentis de l'humidité sur mes jours et comprit immédiatement pourquoi ma mère me regardait de cette façon. Précipitamment, je sortis un mouchoir de mon sac à main et tamponnai mon visage avec pour essuyer les larmes qui s'étaient mises à couler à la pensée des deux hommes qui avaient le plus compté pour moi.
— Désolée.
Je pris une profonde inspiration afin de me calmer et plaquai un sourire de circonstance sur mon visage. Ma mère m'observa faire sans dire un mot, mais j'entrevis une lueur de chagrin emplir ses prunelles durant un instant. Elle disparu aussi vite qu'elle était arrivée, si bien que je crus avoir rêvé.
— Je sais ce que tu dois être en train de penser, lança-t-elle. En acceptant le traité, nous renonçons à venger ton frère. Cependant, nous ne pouvions pas laisser passer l'opportunité d'une trêve.
— Je le sais, mère, la rassurai-je.
Il était certain que j'aurais préféré faire regretter publiquement ses actes au meurtrier de mon frère, mais nous ne pouvions pas demander vengeance pour une seule personne alors qu'une centaine de nos sujets étaient morts ce jour-là.
Je ne laissai pourtant pas tomber l'idée de le venger.
Parce que je connaissais l'assassin.
Que je l'avais vu tuer mon frère d'un sortilège.
Et qu'il avait été mystérieusement accepté à Moonainst il y a trois jours, après qu'un estyrian ait mystérieusement renoncé à sa place au sein de l'académie.
Un sourire étira mes lèvres lorsque la limousine entra dans l'enceinte de l'académie.
Nous n'étions peut-être pas des sirènes vivant dans l'océan comme nos cousines du sud, mais nous avions un point commun avec elle.
La rancune.
Ainsi que notre chant mortel.
Et j'étais une très bonne chanteuse.
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