Ce fut trop rapide pour que je sache vraiment comment j'avais fait.

Leïla m'expliqua peu après que j'avais tout simplement transféré de l'énergie. Leila, c'est la femme mystérieuse de mes rêves. Enfin, elle va bientôt perdre son mystère.

Quoiqu'il en est, ce fut une expérience extraordinairement déroutante. Pendant de longues secondes, j'eus accès aux pensées de Corentin. C'était même plus que ses pensées, c'était ses émotions, mais aussi ses sensations, peut-être même des pensées inconscientes.

Ce vendredi, nous nous étions retrouvés à l'arrêt de tram, pour aller à la bibliothèque et avancer sur le projet d'anglais. Sur le chemin, il m'avait confié les problèmes qu'il rencontrait en ce moment avec Eléa. Pour faire simple, il était d'une jalousie maladive, et Eléa était un peu trop innocente. Selon lui, un des amis d'Eléa lui tournait autour, elle ne s'en rendait pas compte, elle tenait à cet ami, et ça rendait Corentin malade de les voir ensemble. Je ne savais pas trop pourquoi il me racontait tout ça, mais les gens s'étaient toujours confiés à moi ouvertement. Je devais inspirer confiance... Enfin, je lui conseillais alors de faire confiance à Eléa, lui faisant remarquer qu'ils n'étaient pas ensemble depuis deux ans pour rien. Et que, même si Eléa ne voulait pas l'admettre, les mises en garde de Corentin étaient forcément présentes dans sa tête maintenant.
Enfin, ce n'est pas le sujet dont je veux te parler. Toujours est-il qu'il me laissait sous-entendre que ce n'était pas le seul problème qu'il y avait dans sa relation en ce moment. Nous arrivions donc à la bibliothèque dans une ambiance assez lourde. On s'installait à une table, il était assez tôt et il n'y avait pas beaucoup de monde dans la bibliothèque. On devait faire une recherche sur le cinéma britannique, et le travail était assez conséquent. Mais ni l'un ni l'autre n'avions la tête à ça! On passa alors la première heure à s'amuser ensemble en regardant des bandes-annonces de films britanniques, à l'humour bien connu. Puis, on tomba sur une longue séquence romantique, trop romantique même. J'étais plutôt gênée, et quand je tournais la tête, prête à faire une blague pour briser l'atmosphère qui régnait, mes yeux rencontraient un tout autre Corentin. Il me regardait très bizarrement. Après quelques longues secondes, il bougea lentement sa main pour la poser sur mon genou.
À l'époque, je ne connaissais pas ce regard. Je l'ai reconnu plus tard dans les yeux d'Alex. Mais je savais déjà qu'il n'aurait pas dû me regarder ainsi. Je me levais, prétextant aller chercher un livre sur une étagère. Il me suivait. Pendant que je cherchais le livre dont on avait parlé avant, il restait là à me regarder. Quand je trouvais le livre, et me retournais pour rejoindre la table, il me retenait par la main. Je ne comprenais vraiment pas à quoi il jouait, je ne pensais qu'à une chose, ou plutôt qu'à une personne : Eléa. Quand il se rapprochait dangereusement, je me reculais en lui demandant : « Corentin, à quoi tu joues ? ».

Et j'eus la meilleure des réponses : à l'instant où il attrapait ma deuxième main, la scène changea. Je me vis, de ses yeux à lui. J'avais les joues rouges, l'air embarrassé, et un regard assez particulier. Mais je me trouvais très belle, très attirante. Dans mes yeux, où j'essayais il y a quelques secondes de transmettre de l'indignation, je percevais au contraire une lueur de provocation. Je sentais la douceur de ma propre main, c'était très étrange. Surtout, je ressentais à la fois du désir, et une honte refoulée, dissimulée par un aveuglement colérique. J'apprenais que l'ami d'Eléa dont Corentin m'avait parlé avait tenté de l'embrasser. J'apprenais qu'ils ne se parlaient plus depuis hier soir, car il s'était emporté contre elle. Je comprenais, enfin, que Corentin n'était pas vraiment lui-même, et que c'était toujours un garçon. Tout cela en quelques secondes. Je brisai alors le lien en retirant ma main. Il resta hébété, comme perdu dans ses pensées. Moi, je ne réfléchissais pas ; je le dépassais, ramassais rapidement mes affaires et sortais de la bibliothèque.

Ce fut le dernier jour que Cléo passa dans cette dimension. Quand je revins, plus tard, ce n'était plus Cléo tu l'auras compris, mais une toute autre personne. Car ce soir la, Leila me donna la clé pour la rejoindre.