🍁❇ Chapitre 14- PDV de Paul ❇
Déjà une semaine que tous les jours, les mêmes interrogations revenaient me hanter : « allait-elle bien ? Où était-elle ? Comment réagirait-elle quand elle comprendrait que ses dons n'étaient pas aussi courant qu'elle le pensait ? »
J'avais beau avoir fait tout ce que je pouvais pour elle, je ne pouvais m'empêcher de me dire que j'avais failli ! Faillis à la mission qui m'avait été confiée il y a près de sept ans.
Robin n'avait pas reparu depuis trois semaines et il valait mieux pour lui qu'il ne réaparaisse pas de sitôt. Après tout, il était la cause de tout ce chamboulement.
Au village, les habitants avaient repris leurs petites habitudes comme si aucun incident ne s'était produit. Il avait flotté un air morose durant les deux premiers jours, puis chacun avaient comme occulté tout ça, alors qu'un membre de leur communauté avait été banni. Cela me semblait totalement aberrant. Des rires fusèrent d'une boutique comme pour confirmer mes pensées.
J'essayais de me reconcentrer sur ma pièce d'argile, pour lui donner une forme la plus épurée et régulière possible, mais mes pensées me rattrapaient sans cesse. Je repensais à Théodora qui n'était pas sortie de chez elle pendant un jour complet ; le lendemain elle avait repris ses activités avec moins d'entrain qu'à l'accoutumé, les yeux bouffis et rougis d'avoir trop pleuré. Ses enfants ne riaient plus et ne parlaient que lorsque l'utilité était réelle. Leur peine était un crève-cœur et je ne pouvais que la comprendre, car je la ressentais autant qu'eux.

Je les épaulais de mon mieux, reprenant dès que j'en avais l'opportunité les activités de Séléna, tantôt le marché, tantôt le troupeau, tantôt la traite... J'avais aussi respecté ma promesse en allant vérifier que les chevaux étaient en sécurité sur le Mont Maitora. Personne n'avait eu l'idée d'y monter et j'en étais soulagé.
J'avais d'ailleurs espéré revoir Flinna, mais elle n'était jamais reparue sur le plateau verdoyant. J'espérais de fait, qu'elle ait pu s'en sortir sans encombre, voire qu'elle ait pu retrouver Séléna sur le chemin. Après tout, leur connexion était exceptionnelle et intense.
En revanche, pour Liliane, la disparition de Séléna avait été un coup brutal et sa santé se dégradait de jour en jour. Je relevais une énième fois, les yeux de mon travail de poterie et aperçu justement Liliane qui se dirigeait vers sa demeure. Elle peinait à marcher, la respiration sifflante et ses jambes semblaient ne plus vouloir la porter.
Comme pour confirmer mes pensées, ses jambes se dérobèrent sous elle et elle s'écroula devant mes yeux. Je me levais précipitamment pour lui porter secours. En m'approchant, je la vis inerte au sol, la respiration saccadée et pâle comme un linge. Je lui relevais doucement la tête et elle ouvrit les yeux, semblant se demander ce qu'elle faisait là, allongée par terre.
Je l'aidais à se redresser assise, puis la portais jusqu'à chez elle. Je la reposais précautionneusement sur ses jambes en la soutenant, et l'emmenais jusqu'à son lit.
Une fois installée, j'allais lui cherchais de l'eau.
- Paul ! m'appela-t-elle faiblement
- Tenez, buvez un peu Liliane, lui répondis-je en lui tendant le verre
- Merci beaucoup... Croyez-vous qu'elle va bien ? Reprit-elle après un silence. Elle prit deux gorgées et murmura : Ma petite me manque tant...
- Je l'espère... Avez-vous besoin d'autre chose ?
- Je suis vieille Paul... Et on ne peut rien contre la vieillesse, mais si tu veux bien m'apporter le pot de crème, celui sur la commode... Au moins ça me soulagera. C'est Séléna qui me l'a offert avant de partir... Elle avait toujours une pensée pour moi. Elle est comme ma petite fille et je sais que jamais je ne la reverrais, probablement jamais.
Elle se badigeonna les jambes de crème et se recoucha, lasse. Des larmes dévalaient ses joues creuses et ternes. Je lui pris la main et la serrais jusqu'à ce qu'elle s'endorme.
- Elle me manque à moi aussi... murmurais-je avant de lui lâcher la main.
Je me redressais, tout enquilosé d'être resté immobile durant ces longues minutes. Je regardais une dernière fois Liliane avant de partir. Ému je me promis qu'une fois la dette remboursée [quelle dette ? je sais plus...], je partirais à sa recherche. Je commencerai par prendre la direction d'Elésian pour enquêter sur la route qu'elle avait prise avec Renso.
Je rentrais à l'atelier pour finaliser les huit pièces d'argiles pour le marché demain, la dernière poterie étant totalement inutilisable. Une fois fini, je me dirigeai vers ma forge et passais devant l'étable où Séléna passait une grande partie de son temps.
Je me souvenais de la première fois où je l'avais vu là, assise à traire le troupeau, les yeux dans le vague. Je l'avais imaginé tellement différente avant de la connaître, elle ressemblait à toutes les jeunes adolescentes de son âge. J'avais tout d'abord pensé qu'elle était orpheline et qu'on me demandais de m'occuper d'elle, mais non. Théodora était bien sa mère biologique, elle lui ressemblait comme deux gouttes d'eau : mêmes cheveux châtains aux reflets cuivrés, qui étaient désormais parsemés de fils argentés, les mêmes yeux noisettes que sa fille. Seul sa silhouette était plus épaisse et plus petite que celle de Séléna.
A cette époque, je voyais cette dernière seulement comme une mission, je venais seulement de terminer ma formation. J'étais l'un des plus doué de ma session et ma spécialité, la forge, me permettait de me faire adopter facilement et rapidement par n'importe quel village. J'étais tombé sous le charme de la région et surtout... Séléna était finalement vite devenue comme une petite sœur pour moi. Par conséquent, cette mission n'en était plus vraiment une depuis longtemps.
La communauté m'avait affirmée qu'elle était extrêmement importante et que sa simple existence la mettait en danger, par rapport à je ne sais quels conflits géopolitiques. Ensuite, j'avais compris que si la Lune Bleue avait, un jour, connaissance de son existence, ils la rechercheraient afin d'obtenir un moyen de pression vis-à-vis de la communauté des mages de l'Etoile Blanche. Elle représentait un enjeu que je ne comprenais pas entièrement, mais je savais qu'il était vital pour elle que je prévienne ma communauté au plus vite. Il me faudrait y retourner dès que possible.
Je ne connaissais rien de son histoire quand j'avais été catapulté dans sa vie. J'avais bien sûr mené mon enquête au village, mine de rien. Tout ce que j'avais obtenu c'est que son père était parti depuis de nombreuses années et que son beau-père venait de décéder dans un accident, laissant derrière lui quatre enfants en bas âge : les demi-frères et sœurs de Séléna.
Séléna avait alors pris sur elle pour porter son rôle de grande sœur au mieux, se substituant parfois au rôle de son beau-père afin d'aider sa mère à subvenir à leur besoin. J'avais alors cherché à mieux connaître son père biologique, mais Théodora s'était refermé chaque fois que j'avais évoqué son souvenir, une ombre de tristesse venant alors assombrir son regard.
J'avais finalement réussi à obtenir sa description par Liliane : il était grand, mince, les yeux bleu océan. Il était arrivé un jour d'automne au village, blessé et était resté panser ses plaies jusqu'à la guérison. Pour finalement y rester près de 7 ans. Puis, il était parti un matin pour la capitale et n'en était jamais revenu. En recoupant tous les morceaux du puzzle j'en étais arrivé à la conclusion que ma mission devait être directement en lien avec son père et qu'il devait détenir un rôle d'importance dans notre monde. Par contre, j'expliquais difficilement qu'il ait laissé sa famille derrière lui, dont une enfant de six ans. Bref...
Il était déjà tard dans la nuit, j'avais pu terminer l'épée qui m'avait été commandée la semaine passée au village voisin. Après avoir emballé les pièces de poteries et l'épée, je levais enfin mes yeux cernés vers l'extérieur. La nuit entrait à flot par l'ouverture de la porte et je décidais de prendre un peu l'air. Je sorti admirer le clair de lune, naturellement maintenant, je pris le chemin vers Maitora. Je comprenais de plus en plus, ce qui avait poussé Séléna à s'y rendre si souvent. Le lieu avait quelque chose d'apaisant et nous plongeais malgré nous dans une sérénité absolue. Une fois bien ressourcé, je rentrais dormir quelques heures.
Je me levais aux aurores. J'avais dormi à peine quelques heures, mais j'avais appris à tenir avec bien moins. Je me rappelais avec une acuité particulière, les enseignements que j'avais reçu à la communauté : la première règle était de savoir être alerte en toute situation. Un flot de souvenirs de cette époque effleurèrent ma conscience, ma ramenant à ma vie d'avant.
La première fois que j'étais arrivé dans l'enceinte du monastère je devais avoir douze ans. Dans ma cession, j'avais immédiatement sympathisé avec Renso, nous avions le même âge et nous étions totalement complémentaire : il était plus technique et robuste que moi, mais je compensais par une agilité et une tactique sans faille. Ce qui avait fait de nous une équipe quasiment invincible.
Renso excellait particulièrement au maniement des armes, là où mon habileté dans le travail des métaux m'avait valu l'admiration de mes professeurs. J'avais un côté créatif qui m'avait rapidement dirigé dans l'art de la forge. Nous avions convenu tacitement de nous entraider : Renso m'enseignait en dehors des horaires habituels ses bottes et affinait mes compétences en combat, ce qui finalement avait porté ses fruits et j'avais terminé troisième du classement final.
De mon côté, je le formais aux techniques pointues de la forge, savoir quand le métal est à la bonne température pour le modelage ou pour le renforcer. Il s'était imprégné de toutes les techniques de bases et était capable de réaliser des œuvres fines avec talent.
Nous avions été inséparables durant les sept années qui suivirent, seule la mission avait mis une fin brutalement à notre partenariat. J'avais eu l'envie de le mettre dans la confidence, mais nous avions été formés à ce que les directives de nos missions primes sur toute forme d'amitié. J'avais donc coupé tout lien, sans déroger à mes principes et n'avait plus donné de nouvelles, jusqu'à il y a une semaine.
Je me rendais compte que j'avais eu une chance folle de retrouver Renso dans cette auberge. Je n'avais eu aucun doute quant à confier Séléna à mon compagnon d'enfance, je lui avais déjà confié ma propre vie plus qu'il n'était possible de compter durant nos missions communes et je la savais en sécurité à ses côtés.
Je secouais doucement la tête, chassant ces souvenirs émouvants et attrapais le baluchon préparé cette nuit. Je pris la direction du marché, comme Séléna il y a tout juste une semaine. La route était peu fréquentée, et j'étais seul à cette heure.
Au bout d'une demi-heure, je fus surpris d'entendre les sabots d'un cheval et me tendis dans l'attente, sur le qui-vive. Habituellement, seuls les villageois et de rares voyageurs pouvaient emprunter cet itinéraire, et aucun des deux n'avait les moyens de posséder un cheval. Ça ne pouvait donc être qu'un noble ou un voleur et étrangement je n'avais envie de rencontrer ni l'un ni l'autre.
Les bruits de fer martelant le sol s'approchaient dangereusement et je décidais de dégager ma lame de son fourreau, prêt à me défendre. La pointe à peine sortie, surgit un bel étalon blanc de derrière le virage, il était majestueusement harnaché. Aucun doute quant au propriétaire de l'animal. Sans même lever la tête, l'écusson du baron s'étalait en couleur doré sur la couverture couvrant les flans de son destrier.
Une colère sourde enfla soudainement en moi et je levais les yeux vers Robin, qui m'observait comme dérouté de me trouver sur son chemin. Il semblait chercher quelqu'un du regard, mais trop dépassé par mes émotions j'effaçais cette impression de mon esprit.
- Paul, c'est bien ça ? Osa-t-il prononcer comme étonné.
Comme la petite goutte d'eau qui fait déborder le pot, je sentis mon sang bouillir et ma langue ne fit qu'un tour dans ma bouche, avant que j'éructe :
- Tu n'as donc aucune honte ? Envoyer Séléna en exil ne t'a pas suffit ? Tu as maintenant besoin de te pavaner devant moi comme si de rien n'était ? Aboyais-je littéralement. Tu me DEGOUTES! Tu ne méritais pas une once de la confiance qu'elle ait pu un jour t'accorder. HORS DE MA VUE, où je peux t'assurer que tu goutteras à ma lame.
Son cheval, affolé par mes cris, se cabra en manquant de désarçonner Robin. Ce dernier mit finalement pied à terre, les mains levées en signe d'apaisement.
Loin d'avoir l'effet escompté, son comportement me fit perdre les pédales et je passais directement à l'attaque.

Robin esquiva au dernier moment et dégaina son épée afin de parer le prochain coup qui ne manqua pas de venir. Après quelques enchaînements de bottes et quelques éraflures, Robin para une dernière offensive et reprenant son souffle se stoppa net :
- Oh là ! Stop, doucement ! Je n'ai pas l'intention de te blesser et je ne comprends rien à ce que tu me dis ! Où est Séléna ? C'est quoi cette histoire d'exil... reprit-il blemissant soudainement lorsque le sens de ce mot atteignit sa conscience. Quoi ? Ses yeux parcouraient les environs comme pour se rassurer, ne voulant pas accepter l'inévitable. Son air apeuré me mit le doute et souffla momentanément ma colère.
- Je ne comprends pas... Je viens seulement de rentrer d'une missive qui à duré trois semaines... Je ne suis même pas rentré avant de venir... Non... C'est impossible... Racontes moi ! Dis moi tout ce que tu sais ! Dit-il avec une autorité naturelle à un homme de son rang.
- Bien essayé, dis-je fronçant les sourcils, agacé par son air perdu, qui m'empêchait de déverser sur lui toute ma rancœur. Tu vas me dire que ton père a exilé Séléna depuis une semaine sans que tu n'en saches rien, grinçais-je dans un rire jaune. A d'autre ! Maintenant dégages avant que je ne décide de réellement t'occire ! Et je me fous bien de ton rang et de tes relations. Saches que pour moi tu es responsable de tout ce désastre. Sans toi, elle serait tranquillement chez elle, saine et sauve à l'heure qu'il est.
Et ma mission n'aurais pas tourné à l'échec ne pus-je m'empêcher de penser.
Robin, plus muet que jamais, était devenu livide et ne semblait plus savoir s'il devait paniquer ou se révolter... Il semblait comme tétanisé par mes révélations. Peut-être était-il effectivement ignorant de l'affaire, mais honnêtement, à l'heure qu'il était, je me fichais bien qu'il se sente mal. Cela me plaisait même énormément, qu'il puisse partager ma douleur.
Il sembla soudain reprendre ses esprits et sans un mot de plus, remonta sur sa monture. Je vis dans ses yeux une détermination farouche et j'aurais pu plaindre la personne qui en était l'origine si seulement ce n'était pas un homme si exécrable.
Il fit volter son cheval et partit au triple galop dans la direction opposée à la mienne.
Mes épaules se détendirent et je me rendis compte que je serrais toujours mon arme à tel point que mes phalanges étaient blanches. Je repositionnais ma lame à ma ceinture et repris le chemin du marché.
Cette rencontre m'avait permis de déterminer la suite de ma route : dans une semaine, je fermerai mon atelier et retournerai à la communauté. Il était essentiel que je les avertisse que Séléna n'était désormais plus sous ma protection, que ses dons avaient commencé à se dévoiler et qu'ils se révélaient particulièrement puissants. Je me promettais aussi d'en découvrir plus sur l'histoire de son père, si l'on me le permettait. Je ne doutais pas que nos chemins se recroiseraient plus tôt que prévu.
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bonsoir à tous!
merci pour votre patience... je sais que parfois c'est un peu long, car maintenant je fais relire mes chapitres par une amie et lectrice très assidue. Ce qui augmente forcément le temps d'attente, mais je considère que lire un chapitre avec un minimum de fautes et donc de confort vaut le temps d'attendre.
Pour revenir à l'histoire, j'espère que ce nouveau point de vue aura pu vous éclairer sur l'histoire de notre demoiselle. Et puis, revoir quelques personnages du début est plutot plaisant vous ne trouvez pas?
A votre avis que va faire Robin?
Y aurait-il un point de vue que vous aimeriez avoir? j'ai déjà eu quelques suggestions en privé mais hésitez pas... cette histoire est aussi vivante grace à vous!
Trêves de bavardages je vous souhaite une belle soirée et bon courage à tous ceux qui passent des examens... et ceux qui travaillent durant l'été.
bisous mes petits mages
A très vite.
Camille

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