Chapitre 1

La gorge nouée, Renjun contemple la foule autour de lui, cherchant des yeux une personne bien particulière. De nombreuses familles ont eu la même idée qu'eux, et si les parents n'ont pas l'autorisation de quitter le territoire, les enfants, eux, le peuvent. La situation est devenue bien trop dangereuse pour rester sur place, alors les mères de famille, qui ont vu leurs maris partir au combat, ont décidé d'envoyer leurs enfants loin de cette ville, dans un endroit où ils seront en sécurité.

Ce serait mentir de dire qu'il n'est pas terrifié, la peur peut se lire dans son regard. Ce n'est pas comme dans les films, tout simplement parce que ça n'en ai pas un. C'est bel et bien la réalité, la guerre à éclaté il y a un mois, sans que personne ne s'y attende. Le Japon a envahi les villes petit à petit, commençant par les villages, puis avançant en groupe jusqu'aux plus grandes métropoles. La ville de Shanghai a été entièrement détruite, les bâtiments sont tombés en morceaux, de nombreux habitants ont péri.

Les hommes ont été envoyés sur le front, les Chinois répliquaient, mais ça n'arrangeait en rien la situation, les bombes ont fini par exploser à Pékin il y a une semaine, et depuis, Renjun n'a pas vraiment fermé les yeux pour dormir. Il a même failli se faire tuer une fois, lorsqu'un incendie s'est propagée à une rue de la sienne. Il ne sait pas si son père est toujours vivant, si ses amis le sont, est-ce qu'il y a des blessés ? Est-ce que ses cousins sont en sécurité ?

Les gens se bousculent, ils essayent d'être en première ligne pour l'arrivée du train, parce que tout le monde ne pourra pas prendre le départ. Ce sont probablement les derniers trains qui partiront, chaque jour, les rails peuvent être assaillis, les Japonais tentent par tous les moyens de bloquer l'accès aux transports pour empêcher la population de partir, ils veulent les emprisonner pour mettre la pression sur le gouvernement.

Prendre le train dans ces conditions est dangereux, personne ne sait s'il arrivera à destination ou si on le retrouvera en cendres, des cadavres d'enfants à l'intérieur. Malheureusement, c'est la seule solution, le danger est trop présent à Pékin, ce n'est plus qu'une question d'heure avant que la ville soit entièrement prise. Qui sait ce que les soldats du Japon sont capables de leur faire.

Un garçon aux traits fins et aux yeux d'un bleu pur pousse les quelques passagers sur son chemin en criant le prénom de son ami pour le prévenir de sa présence. Renjun écarquille les yeux et échappe à la pression de son frère pour courir en direction du brun qui écarte les bras en grands pour le réceptionner.

— YangYang ! Mon dieu YangYang, je ne savais pas si tu étais toujours vivant, j'ai eu tellement peur, avoue Renjun en sentant les larmes lui monter aux yeux.

Son meilleur ami renifle en s'écartant pour observer le Chinois sous toutes les coutures, faisant attention aux moindres détails pour déceler un quelconque signe de violence sur son corps.

— Tu n'as pas été touché ? Tu vas bien ? Et tes frères ?

Renjun rit en voyant son ami dans cet état et le calme en lui caressant le dos lentement. Il sent soudainement une main attraper son poignet et se fait tirer en arrière. Il comprend bien vite en tournant la tête, que son grand frère est énervé. Ses sourcils sont froncés et un pli s'est formé sur son nez ; armé de son regard dur et noir, Kun jure en obligeant l'adolescent à le fixer dans les yeux.

— Renjun ! Quand vas-tu apprendre à obéir bon sang !

Le plus jeune s'extirpe de la poigne et fusille du regard l'aîné de la famille. Il prend la main de YangYang en contournant Kun et rejoint sa mère qui le dispute gentiment.

Le plus vieux se masse les tempes en essayant de trouver des bonnes raisons pour ne pas assassiner l'adolescent sur le champ. Deux bras entourent son corps et il soupire en rendant l'étreinte au garçon fraîchement arrivé.

— Xiaojun, je suis heureux de te voir.

Le vingtenaire sourit et ébouriffe les cheveux de son ami. En se décalant, celui-ci laisse apercevoir un Hendery timide, qui reste derrière son grand frère en ne bougeant pas d'un centimètre. Kun lui sert la main et se tourne vers Xiaojun.

— T'en as de la chance, au moins, tes frères t'écoutent, sont calmes et ne bravent pas les interdits. J'aurais bien aimé que ce soit la même chose de mon côté.

Xiaojun hoquète en grimaçant et frappe le bras de son vis-à-vis.

— Écouter ? Calme ? Huh, dois-je te rappeler que mon plus jeune frère s'appelle YangYang ? À-t-il l'air ne serait-ce qu'une seule seconde d'être obéissant et sage ?

Kun rigole en donnant raison à son meilleur ami, les deux n'ont pas vraiment été gâtés par la nature, l'un comme l'autre ont récolté des démons.

Si du côté de Xiaojun, Hendery est très tranquille, silencieux et plein de sagesse, étant toujours à l'écoute de son grand frère, c'est loin d'être la même chose pour YangYang. Il faut croire que lui et Renjun se sont bien trouvés. Ils ont le même caractère de merde, toujours à se plaindre, surexcités et impatients ; ils ne respectent jamais les règles imposées et n'en font qu'à leurs têtes même si ça implique se mettre en danger.

Leur caractère fonceur agacent au plus haut point les deux plus grands de leur famille respective qui ont eux aussi des cornes de béliers. Les disputes fréquentes sont souvent emplies de cris et d'insultes, car ni les deux de vingt ans, ni les deux de dix-sept ans, ne veulent perdre la bataille.

Heureusement, Kun peut compter sur Winwin qui l'aide à canaliser l'adolescent étant le second plus vieux de la famille. Pour se calmer, Kun utilise aussi le plus jeune, celui qu'il considère comme son bébé malgré seulement quatre années de différence entre eux. Chenle est comme un anti-douleur, un anti-stress et un anti-énervement. Étant le plus jeune, celui au rire de dauphin s'est fait chouchouter durant toute son enfance par Kun, il pleurait constamment si celui-ci ne le prenait pas dans les bras, ils sont extrêmement proches et même le temps qui avance ne les sépare pas le moins du monde.

Le seul plateau d'ombre dans cette famille de quatre enfants est tous les regards noirs que Kun et Renjun s'envoient chaque jour.

Les trois garçons encore sur place rejoignent toute la troupe en entendant le sifflet du train qui avance dans leur direction.

Hendery, Xiaojun et YangYang se reculent un peu pour laisser les quatre autres garçons dirent au revoir à leur mère qu'ils ne renverront pas avant un long moment.

En espérant qu'ils se revoient un jour.

— Vous ne faites pas de bêtises, vous ne vous disputez pas, et faites très attention à vos fréquentations. Je vous demanderais aussi d'être très gentils et respectueux envers Mr. Kyuhyun et la Marâtre Seulgi, ils acceptent de vous cacher et de vous héberger alors qu'ils peuvent avoir de gros problèmes si les soldats ennemis finissent par le savoir. Alors ça me paraît normal d'être très aimable et courtois avec eux, n'est-ce pas ? Fait remarquer Mme Qian en regardant un par un ses enfants qui secouent la tête de haut en bas.

Winwin est le premier à sauter dans les bras de sa mère pour lui dire au revoir. Il la serre fort dans ses bras tout en observant les visages abîmés des autres enfants qui sont dans la même situation qu'eux. Il se sent mieux en sachant qu'il n'est pas seul à devoir se séparer de la personne qu'il aime le plus au monde, même si ça peut paraître égoïste. Il n'aurait pas supporté vivre ça en solitaire.

— Tu fait très attention à toi Winnie, tu es le plus raisonnable des quatre, fait en sorte de calmer le jeu entre Renjun et Kun, ça me brise le cœur de les voir se battre à longueur de journées. Reste la tête sur les épaules et ne laisse jamais le doute t'envahir, tu es courageux et je suis très fière de tout ce que tu as fait pour notre famille. Je t'aime.

Winwin se retient de fondre en larmes devant tout le monde, mais il craquera probablement quand il sera seul, sans l'ombre d'un doute. Il a toujours été le plus sérieux et le moins à problèmes du quatuor, il a tout apprit de sa maman de qui il a toujours été extrêmement proche. Cette séparation risque d'être dure à supporter, mais il doit être fort et prendre soin de ses frères, surtout en voyant Chenle pleurer en expliquant qu'il veut rester auprès de sa mère. Le train arrive et Madame Qian embrasse une dernière fois tous ses enfants en étreignant son plus grand de nouveau.

— Tu es l'aîné, tu dois agir comme tel et les protéger. À partir de maintenant, c'est toi qui vas devoir les guider et prendre soin d'eux. Je te fais confiance Kun, tu es fort et courageux, mais ne soit pas trop strict avec Renjun, tu le connais, ce n'est encore qu'un enfant. Il ne se rend pas compte de ses paroles, ne le mets pas de côté.

Kun répond affirmativement avant de claquer un baiser sur la joue de sa mère et de saisir les mains de Chenle et de Renjun pour ne pas les perdre, tout en jetant un coup d'œil vers Winwin qui le suit en s'accrochant à sa veste.

Les portes s'ouvrent et la foule entre en trombe, tout le monde se fait bousculer et Kun doit jouer des coudes pour passer au travers et monter à l'intérieur du moyen de transport. Malheureusement, les doigts de Renjun quittent sa main délibérément et le plus vieux ne peut que continuer à avancer sans lui.

Il arrive à se précipiter vers l'une des tables et s'assoit, accompagné de Winwin et Chenle, pendant que d'autres passagers courent pour se trouver une place. Parce qu'une fois que toutes les places assises sont prises, tous les autres doivent descendre, c'est le règlement, personne ne passera le trajet debout.

Kun jure en sortant son téléphone portable et compose immédiatement le numéro de son frère qui bien évidemment, ne répond pas.

Bien évidemment, après tout, c'est Renjun, déjà qu'il le déteste, alors répondre au téléphone ? Très peu pour lui.

C'est finalement Winwin qui arrive à l'avoir et lui demande paniqué où il se trouve. En voyant l'expression de soulagement du plus maternelle, Kun soupire en comprenant que Renjun est sain et sauf dans ce train.

— Il est avec Xiaojun, Hendery et YangYang, dans un autre wagon, il va bien, explique Winwin en raccrochant. Ne t'énerve pas trop vite, il voulait simplement rester avec son meilleur ami, ça peut se comprendre après tout.

Kun secoue la tête de droite à gauche, énervé et le cœur battant à mille à l'heure. Même si son petit frère lui fait la misère, il n'en reste pas moins un membre de sa famille qu'il se doit de protéger. Savoir qu'il n'a encore une fois pas écouté les consignes le met en rage totale. Ne pas lui lâcher la main, était-ce trop demandé ?

Chenle ne parle pas, à vrai dire, il est trop préoccupé à dire au revoir à sa mère au travers de la vitre. Les joues trempées, il fait un signe de main et rit en voyant celle qui la mise au monde faire le clown pour lui remonter le moral. Au final, ce geste ne fait que le rendre plus triste et ses yeux le piquent encore plus lorsque le train se met en marche, s'éloignant de plus en plus de la gare qu'ils ne reverront peut-être plus jamais.

Winwin le prend dans ses bras et se balance d'avant en arrière pour le calmer, comme il le faisait quand ils étaient plus jeunes. Kun, pensif, observe quelque temps le paysage qui s'élève face à lui.

Le temps passe et personne ne parle. Les autres passagers semblent tous préoccupés, se demandant sûrement ce qu'il va se passer maintenant. Est-ce qu'ils seront en sécurité ? Et leur famille, le sera t-elle ? Quand la guerre va t-elle s'arrêter ? Et est-ce qu'ils arriveront à bon port avant que les Japonais ne s'en rendent compte ?

Ils ne sont pas les seuls à être partis, d'autres trains ont été mobilisés dans Pékin. Étant la capitale, c'est ici que tout commence, mais d'autres moyens seront mis à disposition pour permettre aux autres habitants des villes alentours de pouvoir échapper à cette guerre qui détruit tout sur son passage. Ce train fait escale à différents endroits, son terminus étant un aéroport qui quittera la Chine en direction des États-Unis où les enfants seront pris en charge par une association.

Si au départ, Kun et ses frères n'avaient aucunement l'intention de partir, le bombardement de la nuit dernière à tout changé ; les hurlements étaient encore plus forts, les bombes plus proches, les avions frôlaient le toit des maisons, les flammes s'emparaient des arbres et la terreur s'est réellement encré en eux.

Ils devaient partir.

Ils se seraient sûrement dirigés vers l'aéroport si Xiaojun ne l'avait pas appelé durant les bombardements pour lui expliquer que son oncle vivait dans un manoir au beau milieu d'une campagne isolée et qu'il avait accepté de les héberger jusqu'à ce que la guerre s'arrête. Lui, ses frères, mais aussi la famille de Kun.

Ils n'ont pas hésité une seule seconde, après tout, ils ne parlent pas un mot d'anglais, ils ne veulent pas quitter leur terre natale pour partir à l'inconnu sans leurs parents. Chez Monsieur Kyuhyun, non seulement ils seront protégés, mais ils pourront avoir des nouvelles par le biais des radios de la résistance qui leur font part de l'avancée des troupes grâce à un code que nul Japonais ne peut comprendre. À vrai dire, peut le peuvent, mais leur père leur a apprit dès le plus jeune âge. Il savait qu'avec les différents de l'époque, une guerre était inévitable, alors ils se sont préparés durant de nombreuses années.

Kun finit par se lasser du paysage et décide d'appeler Xiaojun. Après tout, ils vont se rendre chez quelqu'un qu'ils ne connaissent pas ; certes, il est heureux de pouvoir être à l'abri et de savoir que ses petits frères seront en sécurité, mais vivre chez un inconnu n'en est pas moins stressant.

Tout est allé si vite, il n'a pas eu le temps de suivre, il aimerait bien en savoir plus. Il n'a pas à être méfiant, après tout, si la mère de Xiaojun qui est très protectrice et maternelle avec eux les oblige à se rendre chez cet homme, c'est qu'il ne doit pas être dangereux, loin de là.

— Allô Kunie ? Un problème ? Demande le Chinois en répondant au téléphone.

— Je venais prendre un peu de vos nouvelles, le trajet se passe bien de votre côté ? C'est YangYang qui avait la radio alors on ne peut pas suivre les événements. Comme ça fait déjà quelques heures que nous sommes partis, je me suis dit qu'il valait mieux t'appeler pour que tu me rassures, explique Kun en riant.

Les deux se sont rencontrés au lycée, ils étaient nouveaux, ne connaissaient personne, et ils n'ont jamais été de grands bavards alors ils se retrouvaient souvent seuls en classe. Si ça ne posait pas de problèmes à Xiaojun qui avait l'habitude, Kun s'est senti très vite abandonné et n'a pas apprécié ça. Il a pourtant essayé de se faire des amis, mais rien à faire, ses camarades n'étaient que des pourritures hypocrites.

Enfin, sauf une personne. Xiaojun.

Kun a fait le premier pas alors que la moitié de l'année scolaire était déjà passée, et finalement, ils ne se sont plus quittés. Ils n'étaient plus seuls et ils en étaient plus qu'heureux, parce que c'est toujours mieux de sourire à deux, autant qu'il est mieux de pleurer dans les bras de quelqu'un que seul avec ses idées noires.

— Comme d'habitude, Hendery est silencieux. Les deux démons étaient très excités et ils ont écouté les informations au début du trajet. Ils ont fini par s'endormir. Étant donné qu'ils n'ont pas dormi cette nuit, c'est compréhensible et ça leur permettra de reprendre des forces. J'ai pris le relais depuis et il n'y a pas d'alerte pour l'instant, je sais qu'un deuxième train est en préparation pour récupérer d'autres enfants à Pékin, mais rien n'a vraiment bougé. Je te tiens au courant de l'avancée de la mission, mais je crois qu'on est bientôt arrivés à notre arrêt, encore quelques minutes et on y sera.

Winwin à la tête posée sur l'épaule de Kun et peut donc entendre la conversation. Ils essayent d'être discrets, car certains passagers peuvent être malveillants, être capable de décrypter les messages codés est un signe de rébellion ; s'il y a une attaque, quelqu'un sera capable de balancer qu'ils font partis de la résistance. Et si ça arrive, c'est la mise à mort assurée.

Heureusement, peu de personnes se trouvent autour d'eux, et les seuls qui le sont dorment profondément.

— Est-ce que tu pourrais me parler de la personne chez qui on va ? Me donner des informations, ce n'est pas que je n'ai pas confiance, mais je ne sais pas vraiment dans quoi je m'embarque, je n'ai pas le contrôle et tu sais très bien que ça me stresse !

Xiaojun imite son meilleur ami en riant, mais se calme en entendant Kun râler de façon mignonne. Le voir grogner et se plaindre est le point faible de Xiaojun, il fond complètement et ne peut que lui donner ce qu'il veut.

— Alors, le propriétaire du manoir s'appelle Monsieur Kyuhyun, c'est mon oncle, donc le frère de ma mère, mais il est bien plus vieux puisque quand sa petite sœur est née, il était déjà presque majeur. Ma mère dit qu'elle ne l'a jamais vraiment côtoyé, mais que le peu de fois où ils se sont vus, il a toujours été très gentil avec elle et lui racontait des histoires fantastiques pour l'occuper. Il est un peu fou, il travaille beaucoup et est tout le temps cloîtré dans son bureau, ah et il prétend avoir vécu dans un monde imaginaire quand il était plus jeune. Mes grands-parents ont essayé de lui faire voir un psychiatre, mais il a toujours refusé, prétextant que c'était la réalité. Il vit en réclusion depuis plus de trente ans avec la Marâtre Seulgi, une femme qui s'occupe de prendre soin du manoir et qui l'a toujours suivi dans ses aventures. Elle fait un peu peur et est stricte, mais dans le fond, c'est une bonne personne d'après ma mère. C'est elle qui viendra nous chercher à la gare, je n'en sais pas plus.

Kun hoche la tête en remerciant son ami puis raccroche pendant que Winwin sourit en voyant Chenle émerger de sa petite sieste improvisée. Il se racle ensuite la gorge pour parler, son sourire ne quittant pas ses lèvres.

— Comme dirait Alice, la plupart des gens bien sont fous. Tout va très bien se passer, j'en suis sûr.

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