26. Chez Eulalie

Cela faisait à présent plus d'une heure que Meghidir expliquait son art à Eléonore, qui s'était découvert une passion pour la fabrication d'armes. Caspian, qui connaissait déjà tous ses secrets, s'était absenté, prétextant un détail à régler pour le banquet. Le nain, ravi de s'être trouvé une écoute attentive, avait à peine remarqué la disparition de son souverain.

- Et c'est ainsi que l'on colle les dorures sur l'épée ! conclut théâtralement Meghidir.

- C'est fantastique ! s'exclama Eléonore, des étoiles plein les yeux.

C'est cet instant que choisit le Roi pour entrer dans l'échoppe. Meghidir haussa un sourcil en remarquant le sourire malicieux de Caspian. Celui-ci mijotait quelque chose !

- Meghidir, mon ami, je suis navré de t'arracher à ta future recrue, mais il nous reste beaucoup de choses à voir !

- Bien sûr, bien sûr, maugréa le nain. Mademoiselle, vous revenez quand vous voulez !

- Avec grand plaisir, Meghidir, rit la jeune fille.

Les deux amis quittèrent le forgeron en le saluant de la main, et le jeune roi offrit son bras à Eléonore. 

- Ou allons-nous Caspian maintenant ?

- Nous allons rendre visite à des amis de longue date ! Tu les as déjà rencontré me semble-t-il.

- Ah bon ? Je te suis dans ce cas.

Sur le chemin, Eléonore repensa rapidement si elle n'avait pas offensé des animaux et failli mourir. La réponse fut rapide : non. Hormis Tavros, elle n'avait eu aucun problème particulier. Elle souffla, elle pouvait donc aller saluer sereinement les amis de Caspian. Ils marchèrent pendant une dizaine de minute, les habitants du village saluant respectivement leur Roi. Ils dévisageaient Eléonore, qui ne savait si elle devait leur sourire ou au contraire, mal les regarder. 

Caspian s'arrêta soudainement, coupant Eléonore dans son hésitation intérieure. Oh, elle voyait à présent qui étaient les amis de Caspian. Le nain, et le blaireau.

- Trompillon et Chasseur de Truffes ! Vous voilà ! 

Caspian s'avança rapidement vers les deux compères et ils commencèrent à discuter gaiement. Eléonore resta un peu en retrait, ne sachant  pas trop quoi faire. 

- Venez, jeune fille, ne soyez pas timide !

Le blaireau - Chasseur de Truffes- lui semblait avenant et beaucoup plus calme. Elle obéit, et commença avec celui-ci, Trompillon et Caspian une conversation faite de banalités. Tout en discutant, ils marchaient vers des boutiques remplis de fruits et de légumes et autres mets inconnus. 

- Êtes-vous prête pour ce soir ? lui demanda Chasseur de Truffes en mettant une patte sur son bras, lui intimant de ralentir pendant que les deux comparses avançaient, salués par des enfants. 

- Oh oui, je le crois ! C'est le premier bal auquel j'assiste, vous savez, alors je suis un peu stressée mais rien de bien inquiétant.

- J'espère que vous avez bien répété vos pas, car je suis persuadé que vous allez beaucoup danser ce soir, déclara en souriant le blaireau.

- Ah, vous pensez ? Eléonore n'avait que très peu réfléchi à cette éventualité. Bien sûr elle allait danser, mais c'est à dire beaucoup danser ? Elle ne maîtrisait que très peu la valse alors une ou deux danses avec plaisir, bien entendu, cela allait de soi, mais toute la nuit ?  On était mal partis, ça allait être un fiasco. 

- Bien sûr. Caspian ouvrira le bal, et à mon avis vous serez conviée à l'ouvrir avec lui. 

Eléonore fit un signe de tête en souriant à l'animal. Elle y avait pensé en effet, mais cela la rendait un peu nerveuse ; voir tous ces visages qui seront tournés vers le souverain, et par extension vers elle. Elle avait intérêt à être vraiment magnifique, histoire d'être inoubliable. Cela l'amusa grandement, oui, il fallait qu'elle soit la plus belle ce soir.

- C'est ici que nos chemins se séparent, coupa Caspian dans la réflexion intérieure de la jeune femme. 

- On se voit ce soir, de toute manière, je dois aller voir le boulanger, il avait promis de me concocter une viennoiserie avec des fruits des champs, dit Trompillon.

Tous se firent un signe de la main, et les deux compères partirent. 

- Eléonore ? J'ai une dernière chose à te montrer. 

- Je te suis ! Fit-elle en dévoilant un sourire en coin.

Ils déambulèrent une nouvelle fois dans les nombreuses rues. Au dessus d'eux, entre chaque maison, étaient accrochées des guirlandes de fleurs aux couleurs vives. Tout le monde semblait heureux. De délicieuses odeurs parvenaient à Eléonore de sucré et de salé, qu'elle ne pouvait identifier. 

Caspian quant à lui, ne sachant pas trop pourquoi, se sentait un peu nerveux. Pourtant, il était Roi, étant habitué à beaucoup de pression, ce genre de sentiment ne devrait pas avoir lieu en présence de son amie, mais il ne pouvait s'en empêcher. Il avait décidé de lui préparer une petite surprise pour ce soir. Il savait que chez elle, elle ne devait pas se rendre à beaucoup de bals. Ils arrivèrent enfin à bon port. La boutique d'Eulalie. 

- "Chez Eulalie, la bonne parole  et de bons conseils vous seront toujours apportés", lut consciencieusement Caspian à Éléonore. 

- Qu'est-ce que c'est comme boutique ? 

En effet on on ne voyait rien sur la vitrine, hormis un canapé accompagné d'un lustre en cristal. Un mannequin était posé là, vêtu d'un couvre chef qui ressemblait à une couronne en tissu. Sur le canapé, un chat dormait, et devant celui-ci, une petite table se trouvait là, avec une assiette de gâteaux, qui ressemblaient aux cookies qu'elle connaissait. Cela pouvait être tout et n'importe quoi. 

- Entre. C'est pour toi, fit Caspian en posant délicatement sa main dans le dos d'Eléonore, la faisant avancer en premier. 

La jeune fille entra donc, et fut émerveillée dès l'instant où elle posa un pied dans la boutique d'Eulalie. À l'intérieur, tout était différent de la vitrine. C'était une boutique de robes. Des dizaines de mannequins habillés de robes étaient placés ça et là, faisant comme une horde d'honneur. Les robes étaient toutes plus belles les unes que les autres, de toutes couleurs, toutes formes, tous corsages... Elle avait des étoiles dans les yeux. Eléonore passa de robe en robe et fit tout le tour de la boutique plusieurs fois, pour être sûre qu'elle ne rêvait pas. Depuis toute petite, elle voulait un jour pouvoir entrer dans un magasin de ce genre et repartir avec une robe dans laquelle elle pouvait se pavaner. Minute. Elle fit le rapprochement. Elle avait complètement oublié le point important d'un bal : elle devait porter une robe. Robe pour laquelle elle n'avait aucun moyen de payer. Elle se retourna vers Caspian. Caspian qui semblait avoir bloqué son regard sur elle. Il l'observait fixement, sans bouger. Éléonore lui sourit puis se rapprocha de lui. 

- Ouh, ouh, Caspian ? Ça va ? dit-elle en passant sa main devant son visage. 

Il réagit enfin, clignant des yeux et en regardant d'un air observateur Eléonore. Il ne s'était pas rendu compte qu'elle était à côté de lui. Le seul souvenir qu'il avait était la jeune fille qui courait comme une enfant d'un mannequin à un autre. Il s'était laissé attendrir par ce spectacle, et en avait oublié l'objectif principal de leur venue.

- Oui, oui, je... pensais. Tu en as fait beaucoup pour Narnia, et en retour, et je voulais t'offrir ta robe pour ce soir. Prends celle que tu veux. Vois ça comme un cadeau diplomatique, termina-t-il en riant pour alléger l'atmosphère

Eléonore fut décontenancée. Que venait-il de dire ? Elle n'y croyait pas.

- Je ne peux pas accepter Caspian, je n'ai pas fait tout ça dans le but de recevoir quelque chose en retour. Je n'ai pas de quoi te rembourser. 

- Je te l'offre. Sincèrement. Tu n'as pas besoin de me rembourser. Et puis, ce n'est pas comme si ça allait faire un trou dans mon trésor personnel, rit-il.

Eléonore restait bouche bée et ne savait comment le remercier. Elle se doutait bien que le pouvoir d'achat, la valeur de l'argent ici devait être tout à fait différente d'en France. Elle était très touchée par l'action de son ami. Alors pour le remercier, comme elle ne savait pas le dire avec des mots suffisamment forts, elle le fit avec des gestes : elle le prit dans ses bras en murmurant un Merci.

C'est après ce mot que choisit Eulalie pour faire son entrée. C'était une humaine. Le premier détail qui la frappa  était le fait qu'elle était grande, mais vraiment, vraiment grande. Eléonore qui atteignait déjà un bon mètre soixante quinze,  se faisait dépasser d'au moins une bonne tête par Caspian, qui lui-même se faisait dépasser par Eulalie d'au moins deux bonnes têtes. 
Elle possédait de longs cheveux bruns avec deux tresses blanches de chaque côté de son visage. Ses yeux étaient d'un gris profond  et elle avait des oreilles légèrement pointues, qui étaient semblables à des dessins d'elfes qu'Eléonore avait vu dans certains livres. Ses vêtements étaient très colorés et plutôt extravagants comparés aux habits que la jeune fille voyait quotidiennement. Vêtue d'une grande tunique rouille avec un corset noir par dessus, un pantalon large en toile blanc écru et de bottes noires, elle semblait tout droit sorti d'un magazine. Elle était très belle, c'était indéniable et respirait une assurance qui en était presque intimidante. 

- Eulalie, vous voilà ! Fit Caspian avec entrain. 

- Votre Majesté, répondit solennellement celle-ci en baissant la tête.

- Je vous amène comme convenu Eléonore, pour ce soir. Je suis navré de vous  la présenter si tardivement, mais nous étions occupés.

- Je vous en prie, il n'y a pas de souci. Je vais voir ce que je peux faire, mais je suis persuadée qu'on pourra en faire quelque chose de fabuleux.

- Comme toujours, vous avez des doigts de fée, conclut Caspian. Il se tourna vers Eléonore : "Ma chère, je me dois de vous laisser, j'ai des affaires de souverain à régler. Je vous laisse entre de bonnes mains, ne vous faites pas de bile."

Il l'attrapa par le bras et en se rapprochant de l'entrée, il lui dit tout bas : "on se retrouve ce soir, je viendrais te chercher devant ta chambre si ça te convient". 

Eléonore hocha la tête en souriant, puis il sortit du magasin en adressant un salut de la main à Eulalie. Celle-ci fixait à présent Eléonore de haut en bas.

- Je vais prendre tes mesures, ma poule, bouge pas, dit la femme. 

Eléonore haussa un sourcil, surprise par le changement soudain de ton et d'attitude de la couturière. Elle lui sembla tout à coup beaucoup plus moderne et détendue. 
Elle déroula un mètre et se mit à mesurer sa hauteur, puis sa largeur, sa poitrine, ses hanches, ses bras, laissant échapper un soupir ou un marmonnement de temps à autre. Eulalie était très concentrée et fronçait les sourcils. Soudainement, elle rangea le mètre et alla dans la réserve en intimant à Eléonore de ne pas bouger. Elle entendit des soupirs, des "OH" et des "AH" plusieurs fois qui lui fit penser que la couturière avait trouvé ce qu'elle cherchait.

- Dis-moi Eléonore, y a-t-il une couleur que tu n'apprécies pas ? 

- Non, pas que je -

- Très bien, coupa Eulalie, tu seras en vert. Ça s'accordera parfaitement avec Cas-, avec tes cheveux, tes yeux, tout ce que tu veux.

- D'accord, super. 

- J'ai un modèle déjà présent avec cette couleur, mais il est trop basique, trop simple pour toi... il faut quelque chose de plus chic, plus... 

Eulalie s'éloigna encore vers la réserve en farfouillant à droite à gauche dans des boîtes, dans des bocaux, sur les étagères. 

- J'ai trouvé ! s'écria finalement la grande femme en s'avançant joyeusement vers la jeune fille, les bras plein de tissus et différentes breloques pour l'instant inconnus de Eléonore. 

Eulalie posa tout sur une table et révéla à Eléonore son idée. Elle lui montra tout d'abord la robe sur laquelle elle allait travailler. Une robe longue, vert sapin, qui semblait satinée. Elle ne possédait aucun motif, et avait un col carré. Les manches étaient évasées sur la fin, et ressemblaient à une robe qu'Eléonore avait déjà portée. Elle adorait ce type de manches, elle avait l'impression de passer pour un vieux mage qui avait dissimulé tous ses livres de magie dans ses manches.

- Bien. Tu vois donc la base. Le tissu est joli mais notre Roi m'a demandé quelque chose de festif, d'original, et puis pour le reste, et bien, j'ai carte blanche. Donc, fit-elle en attrapant des sortes de petits tissus fleuris qui ressemblaient à de la dentelle, ce que tu vois là te servira pour ceinturer la robe à ta taille et ajouter un détail. Je vais l'ajouter sur le col, les manches, et sur le bas de ta robe. Ça va être fantastique ! 

- Je ne m'y connais pas trop en couture, mais en tout cas, tout ça m'a l'air en effet très joli. Mais vous... Enfin, ça ne va pas être trop long à réaliser ? Pour ce soir ? Vous devez avoir beaucoup de travail ?

- Jeune fille, as-tu lu ce qu'il y a écrit sur la devanture de ma boutique ?

- Heu... que chez Eulalie, une bonne parole et un bon conseil sera toujours apporté ? 

- Et tu sais ce que ça signifie ? 

- Non je ne vois pas...

Eulalie soupira. Ah, décidément les jeunes ne comprenaient plus rien aux sous-entendus.

- Cela signifie que je suis une professionnelle dans mon domaine, et que ta robe sera prête pour ce soir. Bon,  d'ordinaire, mes clientes sont plus loquaces que toi, c'est pour ça que je suis réputée pour apprendre les meilleurs potins de la ville. Mais revenons à nos moutons. Je t'apporte de bons conseils en te présentant une seule robe, et ce sera la bonne. Et tu me vendras inconsciemment comme la révélation des meilleurs doigts de fée qui existe ici bas. Enfin, c'est quelque chose du genre. Maintenant j'en ai fini avec toi ! Tu peux partir.

- Je... heu, merci beaucoup Eulalie. Je vous verrais ce soir ?

- Mais bien entendu, ma poule je ne vais pas rater ça ! Beaucoup de mes créations seront portées ce soir. Et puis, ta robe va être merveilleuse, je ne peux pas louper l'exposition de mon talent ! 

Eléonore remercia encore une fois Eulalie, puis se sauva. Le jour commençait à décliner, et de loin, le château commençait doucement à s'illuminer de centaines de petites lumières dorées. Des rires arrivaient aux oreilles de la jeune fille, et elle se dépêcha de rentrer au château où elle prit une douche bien fraîche. Quand elle sortit, ignorant comment et quand sa robe arriverait, elle revêtit une sorte de long peignoir et s'assit sur son lit. Et attendit. 

Au bout d'une vingtaine de minutes où elle eut le temps de se coiffer (c'est à dire brosser ses cheveux et et les laisser retomber), et de se balader sur la terrasse privative, on toqua à sa porte. Eléonore ouvrit la porte, et une servante se trouvait là, alourdie par une lourde et longue pochette noire. Sur le côté, il y avait un petit mot :

" Mets là délicatement, et attache tes cheveux pour libérer ton visage, 

Garance est là pour t'aider " 

Alors Eléonore se laissa chouchouter par la dénommée Garance. Désormais, tout reposait sur elle.


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Oui, ça fait des mois que j'ai quitté le navire, I know...

Mais voici un chapitre beaucoup plus long pour compenser (un petit peu) toute cette absence ! 

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