Partie 2

Il ne fallut que moins d'une heure pour arriver à la maison. Chrysomallos connaissait un raccourci plutôt pratique. A l'entrée, il me reposa au sol, mais bien vite, je tombais. Mes jambes bien trop faibles et mon ventre bien trop vide.

— Tu vas devoir entrer seul Achille. Je ne peux pas te porter dans mes bras lorsque je pénétrerai chez moi. Ou bien, tu disparaîtrais. Avant que tu ne te fatigues à poser la question. Tu as failli disparaître la dernière fois, tu avais la chance d'être inconscient.

Je devais ramper, c'était la seule façon pour moi de me déplacer.

— Après toi, Achille.

Je n'avais que quelques mètres de distance à faire. Je le pourrais. Bien, je me mis à quatre pattes sans oublier de souffler un bon coup avant. Je pouvais le faire.

Je passais tout juste le pas de la porte que j'échouais sur mes fesses. Je fis un dernier effort pour me retourner face à celle-ci.

Je vis devant mes yeux la magie opérer. Chrysomallos passa le pas de la porte et peu à peu je vis sa robe disparaître pour laisser place à sa peau porcelaine. Ses bras et ses jambes ciselés, ses cheveux soyeux et éclatants, son torse aguicheur. Tout était comme dans mes souvenirs. Maus peut-être avait-il maigri un peu ? Après tout, je n'étais parti que quelques jours. Mais j'étais déjà faible avant de partir.

— Pff tu n'as vraiment aucune force, laisse-moi t'aider.

Il passa de nouveau un bras au creux de mes genoux et l'autre dans mon dos. Mais cette fois, il prit garde à ne pas effleurer mes plaies. Il me reconduisit dans ma chambre tandis que j'en profitais pour renifler à nouveau son odeur. Il sentait encore tellement bon même s'il avait dû passer un bon moment à l'extérieur. Il me posa délicatement dans le lit et je vis du désinfectant ainsi que des compresses posées non loin de là.

Il versa une bonne quantité d'alcool sur mes plaies avant d'en enlever avec une compresse à chaque fois. Ses gestes étaient lourds de reproches, je les sentais bien, même s'il ne me faisait pas mal du tout. Au contraire, il prenait soin de mon épiderme comme s'il s'agissait de la plus précieuse des pierres précieuses.

Quand il se leva après avoir fini, il rangea tout son matériel et revint vers moi. Et ce fut là que je remarquais sa nudité. Mince, je rougis à tel point que si j'en avais la force, je me serais caché sous les couvertures.

— Maintenant, je dois t'apprendre les bonnes manières hm ? C'est dommage toi qui méritais une récompense. N'oublie pas, si c'est trop éprouvant, réclame-moi la Toison d'Or et je disparaîtrai.

— O-oui. Mais je n'ai pas de f-force.

— Fais-moi confiance, Gamin. Mais d'abord la douche, hm.

En disant cela, il me porta de nouveau pour m'emmener cette fois, dans la salle de bain. Nous entrâmes à deux et l'eau coula sur nos deux corps. Chrysomallos moussa d'abord mon corps avant de passer au sien tout cela en me tenant d'une poigne serrée.

— Tiens-toi au mur. Et pas un bruit. Sinon je serais encore moins clément avec toi.

Je fis ce qu'il me demanda et me retournai face au mur. Je savais qu'il s'était assis au sol de par le bruit qu'avait causé sa collision ainsi que son souffle chaud qui s'était retrouvé au niveau de mes fesses.

— T-tu vas faire q-quoi ?

Comme seule réponse, je reçus une claque sur ma fesse gauche. Je retins mon cri en me souvenant que je ne devais pas émettre de son.

— Tu ne fais qu'aggraver ton cas, Achille. Fais attention à toi. Je ne voudrais pas avoir à trop abîmer ce si beau corps hm.

"Un beau corps" combien de fois m'avait-on déjà ainsi complimenté dans le but de pouvoir prendre du bon temps avec moi. Surtout lui il l'avait tellement fait que j'avais commencé à m'interdire de refuser puisque j'avais le malheur de lui dire non, il se transformait littéralement, comme le ciel de Californie à l'arrivée d'une de ces violentes tempêtes quotidiennes. Alors personne n'osait jamais lui dire non de peur d'avoir des représailles. Enfin, jusqu'à ce que ce quatuor ennemi ne l'atteigne, et qui, malgré tout ce liquide qui s'échappait de son corps, ne lui firent point plaisir mais au contraire, prirent plaisir à débarrasser la planète de ce microbe en une minute à peine. Puis une fois leur tâche accomplie, ils le laissèrent ainsi, le cadavre croupissant dans cette odeur nauséabonde.

J'avais tout vu, du haut de mes 20 ans, je les avais vus tuer de sang-froid ce bourreau, le mien. Puis ils étaient, devant mes yeux, partis parler de tout et de rien. Des cadeaux à offrir à leurs femmes et leurs enfants ou des farces à faire à leur confrère. Tout comme moi, je bouillonnais, les imaginant là tout de suite, se briser la nuque après une mauvaise chute à cause du trampoline de mon jardin et m'en allais, riant de leur faux-malheur tout en les observant se moquer de celui, réel, de mon camarade.

Nous sortîmes de la douche après nous être peu à peu défait de toutes saletés. Chrysomallos était à ce moment, encore un être dont la douceur égalait les nuages. Toujours, son odeur corporelle était des plus agréables, à un tel point que je voulus me fondre dans ces senteurs tropicales pour qu'elles me transportent au milieu de cette verdure et que même les racines jaillissent de mon imaginaire.

La lueur dans ses yeux se durcit aussi vite que nos mouvements étaient brusques. Je l'observais, assis sur le bord de la douche, se sécher désespérément vite avec sa serviette trop petite. Son usage devait exclusivement être prévu pour les cheveux puisqu'il m'avait laissé m'enrouler d'une serviette à la juste taille.

Son sculpteur ne l'avait décidément pas raté, un vrai homme qui répondait aux critères d'identification d'un fantasme international.

— Est-ce que tu es prêt, Gamin ? Déjà, étape numéro une, tu lèves tes yeux du sol. Quitte à faire tache comme un buffle dans un vignoble, laisse derrière toi le souvenir d'un homme capable non ? Vas-tu cesser de te comporter comme une mouture et être celui qui fait fondre tout ce qui se trouve autour de toi ? Ou vas-tu sans arrêt te plier à la volonté d'autrui, Achille ? C'est ton choix et celui de personne d'autre.

D'un geste rapide, je relevais la tête pour ancrer mes yeux dans les siens. Mais l'expression sérieuse que je lui avais prévue n'était pas présente, non. Ces yeux brillaient d'une malice que j'avais bien trop longtemps vu. Il me voulait autant qu'il le prétendait et il semblerait que mon corps soit du même avis.

— Alors, tu es prêt, Gamin ?

Sans pour autant me laisser le temps de me répondre, il m'attrapa comme les enfants, par les dessous de bras et me jeta sur son épaule.

— Je- Repose-moi par terre, je peux marcher.

— Et tu n'as pas à le faire. Maintenant cesse d'ainsi t'agiter pour ne pas aggraver ton cas, mauvais garçon. Ou alors tu n'auras pas ta récompense tant attendue.

Ces mots me firent brutalement rougir et j'étais content qu'il ne voit pas mes joues devenir pivoine. Il retourna dans la chambre, comme je l'avais prévu. Se dirigea vers le lit, comme je l'avais prévu. S'assit sur le lit, à partir de là, je perdis le compte des événements.

D'un geste habile, il avait réussi à me mettre sur le dos avant de m'emprisonner entre ses deux avant-bras. Dans la position où j'étais, je sentais son souffle s'échouer sur mon visage, surtout lorsqu'il approcha le sien du mien.

— Alors, tu crois que ce sera une vraie punition pour toi ou non ? me susurra-t-il, là, juste contre mon oreille.

Satisfait lorsque je frémis, il prit garde à effleurer chaque partie de mon corps en se relevant dans le but de trouver mes zones érogènes, sans doute. Moi-même je ne le sus que maintenant, mais, tout mon corps était en alerte, ivre de son contact, sensible à chacune de ses caresses.

Je ne sentis plus du tout sa personne sur moi puisqu'il était debout. Droit comme un pique alors que je pensais qu'il allait enfin passer aux choses sérieuses. Dire que j'étais déçu était, à l'heure actuelle, un euphémisme. Comme un toximane accro à sa drogue, j'étais déjà en manque de lui. Même si je ne voulais pas me l'avouer l'entièreté de mon corps me trahissait, se cambrant à son maximum pour espérer ne serait-ce qu'un peu d'attention.

— Bon, maintenant, joli garçon. Tu vas gentiment te préparer pour moi. Un conseil, fais-le vraiment bien. Je risque de ne pas être tendre avec toi. Tu as dix minutes, pas une seconde de plus.

Il tourna les talons en disant ceci, nullement intimidé par sa nudité apparente. Tandis que moi, je restais quelque peu interdit, figé le temps de quelques secondes. Mes yeux parcoururent la chambre à la recherche du nécessaire. Ils tombèrent tout naturellement sur un flacon de lubrifiant accompagné d'une lettre.

"Achille,

Mon petit prince, mon beau prince.

Je viens tout juste de lire ta lettre, c'était l'un des pires réveils que j'ai jamais connu, crois-moi.

Mais je sais que tu reviendras. Tu le feras toujours. Quand bien même je provoquais une mutinerie ou si je perdais une bataille, toujours tu me suivras comme mon ombre. Tout comme si c'était le cas pour toi, je te suivrais jusqu'à la Lune.

Je ne saurais expliquer ce besoin viscéral de me tenir à tes côtés chaque fois, mais depuis que mes yeux se sont posés sur ta personne, mon âme s'est liée à la tienne, pour l'éternité. Comme un pacte, une promesse plus puissante encore que la nuit de noces.

L'amour n'est pas le fruit d'une prescription médicale. Non, si ça avait été le cas, ne choisirions pas d'aimer la personne que nous devions aimer par praticité ?

"Nous sommes tous venus au monde tout à fait de la manière, or le joug que nous portons n'est pas pareil pour tout le monde" disait Dimtcho Debelianov, et j'ai une question pour toi, petit prince. La vie ne serait-elle pas ennuyeuse si ce joug que chacun porte se révélait être chaque fois une copie confirme de tous ceux qui existent déjà ?

Ah et ne culpabilise pas de ressentir cette passion, ce lien un million de fois plus fort qu'une simple attirance charnelle ou émotionnelle banale.

Je vais dorénavant poser ce clavier, que j'ai choisi d'utiliser pour ne pas noyer cette page de mes larmes de frustration.

PS : dans ce coffre, tu trouveras quelques jouets. Un prince se doit de se faire beau pour son amant, n'est-ce pas ? Alors munis-toi de ces divers objets, sers-toi de ces plugs, ces menottes, vêts-toi de ce qui t'intéresse le plus. Je te laisse tout loisir de me surprendre.

PS 2 : ne t'avise plus jamais d'ainsi disparaître. Ou je serai alors bien moins clément et compréhensif. Tu sais ce qu'on dit : "Le cafard. C'est la gaieté qui disparaît, l'énergie annulée, la vie sans espoir. Vivre pour souffrir." Et mon cafard à moi, c'est de te voir partir, vulnérable tout en me contentant de me morfondre dans ma douleur sans la capacité de faire quoi que ce soit. »

Ainsi, je ne pensais pas avoir tant de choix. Je fixais l'horloge murale, qui, contre toutes attentes affichait un compte à rebours. J'avais perdu la moitié du temps imparti pour lire cette lettre alors il ne me restait que cinq maigres minutes pour me préparer.

Un choix s'imposait à moi. Devrais-je me faire beau ou plutôt, correctement me préparer ? Mon côté aguicheur avait envie de provoquer Chrysomallos, de l'emmener à ses limites pour voir ce dont il était capable. Eh bien, ce côté avait gagné. Alors je me vêtis de la meilleure lingerie que je pus trouver. Un bleu profond qui apparemment s'accorderait bien avec ma carnation de peau.

Maman avait toujours privilégié cette couleur disant qu'elle mettait en valeur mon teint, me blanchissait et me donnait une mine radieuse. Alors elle était peu à peu devenue ma couleur favorite, celle que je privilégiais lorsqu'un choix se présentait à moi. Elle était devenue celle par défaut, mon point de sûreté, ma zone de confort.

Voyons aujourd'hui si elle disait vrai.

Bien, la porte claqua dans un bruit sourd laissant entre-entendre des bruits de pas. Exactement ce que j'avais calculé. J'avais tout juste eu le temps de me préparer, mais malheureusement pas en profondeur. Et ce n'était vraiment pas l'idéal.

— Alors, petit prince. Es-tu prêt pour ce qui t'attend ?

Un court silence gênant s'installa entre nous. Avant qu'il ne reprenne la parole qu'il n'avait en fait même pas délaissée. Il la monopolisait toujours mais lui imposait à elle-aussi ce silence qui s'était étendu jusqu'à moi. Il demeurait maître de la pièce quand bien même il se murait dans le mutisme. Parce que je ressentais quelque part, que je n'avais pas le pouvoir de m'accaparer ce temps de parole plat.

— Je vois que tu t'es fait tout beau pour moi. Juste pour moi, n'est-ce pas ? Mais allons donc, je t'ai laissé une lettre et je sais que tu l'as lue. En dix minutes, as-tu eu le temps de lire, te faire beau sans oublier d'assurer ton propre confort.

En deux pas à peine, il parvint devant moi et de deux de ses doigts, il souleva mon menton pour que son souffle atterrisse directement entre mes lèvres.

— Ou alors, quelle étape as-tu volontairement sauté ?

Il prononça ces quelques mots avec une désinvolture accablante. Il connaissait la réponse mais voulait que je m'humilie en les confirmant à voix haute.

Je le regardais avec des yeux expressifs en espérant que cela suffise mais lorsque je le vis tourner sa tête de droite à gauche, je sus que ce n'était finalement pas le cas.

— Non, non, non. Je veux te l'entendre dire de vive voix petit prince. Ou je le prendrai comme un non-consentement et dans ce cas je m'en irai. Il n'est pas trop tard pour faire marche arrière.

Il me tenait toujours par le menton et m'empêchait de ce fait de m'extirper de sa prise. Son regard transcendait dans le mien et ne commandait que mon entière soumission. Une lueur d'avertissement passa dans son regard. C'était mon ultime chance.

— J-je, Monsieur, j'ai préféré satisfaire vos beaux yeux avant de m'assurer un confort.

— Sache qu'ils sont satisfaits, mais est-ce que toi, tu le seras, Achille ? Ne vas-tu pas regretter ce choix purement esthétique ?

— N-non, vous êtes la seule personne qui compte ce soir.

Je ne m'attendis pas à ce que cette réplique ne s'échappe de mes lèvres. Chrysomallos non plus à en juger par ses iris dilatées.

D'où me sort cet élan de soumission ? Je n'avais certes jamais été le "top" dans une relation charnelle avec un autre homme. Mais je n'avais jamais été si prêt de lécher les bottes de quelqu'un.

— Il y a longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de passer du bon temps de cette manière avec quelqu'un. Je ne savais pas que j'avais une aura si dominante. Allons donc.

Il planait là une incompréhension que je ne parvenais pas à élucider. Mon esprit était submergé par un brouillard opaque. Mes idées n'étaient plus mienne et je ne me rendis plus compte de mes faits et gestes.

Je sentis cependant mes deux mains se poser à plat sur les draps frais de mon lit ainsi que mes genoux se presser contre le matelas et mes pieds s'ancrer dans le tapis moelleux au sol.

Mes yeux ne me servirent cependant plus lorsqu'un tissu foncé se noua autour de mes cheveux et je me retrouvais entravé par la paire de menottes que j'avais précédemment aperçu dans le coffre.

— J'espère que tu es prêt, si c'en devient trop n'oublie pas de prononcer le mot "vanille".

Seule l'air environnante entrait en contact avec ma peau qui se mit à frissonner au bout de quelques minutes. Je faillis me retourner quand je sentis un membre mouillé se poser juste contre mon entrée. Sous l'effet de surprise je n'avais pas pu retenir ce gémissement inopiné mais je sentis un rictus se former sur son visage et quelques gloussements qui m'envoyèrent des frissons à travers tout mon corps.

Il s'amusait visiblement à faire pénétrer sa langue dans mon antre de manière complètement aléatoire, et ce, durant quelques minutes avant que plus rien ne se passe. Ma frustration ne dura que quelques maigres secondes puisque mon vide se remplit par quelque chose de plus long et plus gros. Je me demandais si ce n'était pas déjà son engin.

— Non, c'est pas ma bite. Si ça avait été le cas, t'hésiterais pas, tu le saurais directement.

Je supposais alors que c'était sa phalange qui ouvrait le chemin. Sans tant de difficulté, il parvint à atteindre ce petit point sensible enfoui. Mes sens décuplés par la privation de la vue, je ne réussis que difficilement à masquer ces sons qui trahissaient mon état second.

— Putain, si je te fais perdre la tête comme ça juste avec mon doigt qu'est-ce que ça sera avec ma bite hein ? Je me pose la question. Petit prince, je te conseille de te tenir droit ou bien ta couronne tombera.

Il sembla aimer ainsi me prendre au dépourvu. Mais la surprise ne s'en finit point lorsque d'un habile coup de main, ses bras se retrouvèrent sous mes cuisses et mon dos, calé contre le mur dur et froid de la chambre. Mes mains étaient dorénavant bloquées dans une position inconfortable dans mon dos et ce bandeau me privait toujours de la vue.

Ma tête se cogna instantanément contre cette cloison ce qui me provoqua une brève douleur. Cette dernière s'atténua dès que le contact eu lieu entre ses douces lèvres dans mon cou. Par moment, il choyait tendrement ma peau, tandis que dans d'autres, lorsqu'il y mettait ses dents, je grinçais des miennes mais me contenait en sachant pertinemment que j'accepterais chacun de ses traitements sans jamais broncher.

A un coup de dent sur un endroit particulièrement sensible de ma clavicule, il se fraya un chemin entre mes chairs d'un simple coup de bassin et entama ce processus de possession entière de mon corps.

Cette chambre n'existait plus que comme intermédiaire de notre amour. Elle contenait tous nos secrets silencieusement avoués. Elle écoutait nos plaintes intimes sans jamais les dévoiler. Elle était témoin de cette puissance qui m'assiégeait, de cette soumission avec laquelle je m'étais vêtu, de ce désespoir perceptible dans nos mouvements.

De ce désespoir amoureux et de ces promesses d'éternité.

Ainsi, sonnèrent les accords de cette nuit mélodieuse, de l'harmonie de nos corps et de la liaison de nos âmes.

Je m'éveillais grâce aux rayons doucereux du soleil qui passaient au travers des volets mal fermés. Mon corps entier me faisait souffrir à cause des ébats de la veille, la chambre pouvait d'ailleurs en témoigner.

Comment avions-nous pu créer un bordel aussi monstrueux alors que seuls nos yeux s'exprimaient par le biais de nos corps ?

Je me redressais comme je pouvais, désormais soumis aux pics de douleur qui m'attaquaient aléatoirement. Mes yeux parcoururent la pièce dans le but de connaître l'étendue des dégâts.

— Ne bouge pas petit prince, j'ai bientôt fini.

Comme hypnotisé par le son de sa voix, mon corps, de son propre chef se tourna vers l'origine du bruit. Je ne le voyais presque plus, seules ses jambes nues dépassaient de cet immense chevalet.

I-il peint ? Depuis quand ?

— Je t'ai dit de ne pas bouger, petit prince. Je te conseille de m'obéir cette fois, ou tes reins en pâtiront. Alors, sois gentil, hm.

— Q-qu'est-ce que tu fais ? Je peux voir ? demandai-je en fronçant des sourcils à cause de ma voix si basse que c'en devenait difficile à entendre.

— Non, tu attends.

Je n'avais franchement pas la force de répliquer. Alors je m'installais à nouveau dans le lit. La tête sur l'oreiller, la chaleur matinale faisait que je dus placer une jambe au-dessus de ma couette. Je voulais me rendormir alors je calais tout simplement ma tête dans mon oreiller pour me cacher du soleil.

Je replongeais dans les bras ouverts de Morphée pour me reposer un peu plus. Bercé par les bruits de crayon sur le papier, je rejoignis sans peine les limbes du sommeil.

Mon esprit me rappelait sans cesse les événements de la veille. Je rougissais en tant que spectateur en me voyant si soumis à son autorité. Je m'étais pratiquement transformé en objet pour que Chrysomallos se serve de moi à sa guise.

Une lyre se fit entendre au loin, cet instrument éveillait en moi tant de choses. Mais surtout, il me rappelait Patrocle, mon ami d'enfance avec qui j'étais parti à la guerre mais qui n'avait, malheureusement, pas pu revenir à mes côtés. Il m'avait promis de veiller sur moi quand j'avais dû laisser sa dépouille aux charognards et chaque fois que j'entendais ce doux son, que ce soit dans le monde des morts ou celui des vivants, je savais qu'il se manifestait de sa présence.

Je suivis cette boule de lumière qui avait apparu juste à ma gauche et la suivis jusqu'à ce qu'elle ne fonde dans un amas lumineux bien plus gros.

— PATROCLE, TU ES LA !

Il me répondit sur le même ton joyeux mais lorsque mon corps voulut entrer avec le sien pour une accolade, je me retrouvais à embrasser le sol. Je me retournais et vis mon ami en train de rire à s'en faire mal au ventre. A la limite de se retrouver au sol, il se moquait ouvertement de moi.

— Putain, j'oublie toujours que t'es mort et qu'on ne pourra plus jamais se toucher.

Je ne savais pour quelle raison je ne pouvais que le voir et le sentir, mais pas le toucher, ni l'entendre me parler. Nos discussions tournaient chaque fois autour de choses sur lesquelles nous avions l'habitude de débattre apparemment que j'en venais régulièrement à me demander si ce n'était pas un simple mirage, une reconstitution de mon cerveau pour ne pas avoir à subir de choc et rester dans le déni.

Nous parlâmes de tout et de rien, rîmes aux éclats et ne vîmes pas le temps passer.

— Eh mais Patrocle, je t'ai pas dit ! J'ai rencontré mon âme sœur !

— C'est génial ! Je la connais ? Comment elle s'appelle ?

— Tu sautilles comme un p'tit garçon. Je vais te le dire mais c'est un secret, hm. C'est un garçon.

— OH PUTAIN ! cria-t-il d'une voix tellement forte que je dus mettre ma main sur sa bouche. Merde, pardon. Et ta mère ? Elle t'a rien dit ? Et Abigail ? Tu vas faire quoi d'elle ?

— Euh, elle sait pas. Je suis en mission pour trouver la Toison d'or, longue histoire. Mais cet homme, Chrysomallos, est mon âme sœur, j'en suis sûr et certain.

— Attends, comment il s'appelle tu as dit ? T'as pas dit Chrysomallos, n'est-ce pas ?

— Si, y'a un problème.

— Bon, Achille, je dois y aller. Mais ne t'approche surtout pas de cet homme, promets-le moi.

— Mais, dis moi pourquoi.

— J'peux pas t'le dire, j'ai pas le temps. A la prochaine, mon ami.

Après cette conversation des plus étranges, je me réveillai. Ces mots ne me quittèrent plus.

Pourquoi ne devrais-je plus l'approcher ? C'est absurde. Il avait toujours été un ange avec moi. Et depuis quand avait-il des obligations, il est mort.

Enfin bref, je me rassis bien plus soulagé que tout à l'heure au niveau des reins. Combien de temps m'étais-je endormi ?

J'attrapai une robe en coton accrochée à la porte et partis à la recherche de Chrysomallos. Mais cette toile m'intriguait, qu'avait-il dessiné ?

Lorsque je fus à sa hauteur, je fus surpris de ce que je vis. Il m'avait dessiné moi, mon corps endormi à moitié enveloppé dans les draps. Il n'avait pas tant que ça modifié la réalité mais je ressemblais réellement à un ange. Ma peau claire ne créait pratiquement pas de contraste avec le tissu qui protégeait le lit, tandis que mes cheveux étaient la seule touche de couleur apportée à ce tableau. Chaque relief avait été précisé avec soin, chaque ombre travaillée avec précision, chaque zone de lumière embellissait à sa manière.

Si beau, et si talentueux. Avait-il seulement des défauts ?

Mon estomac me rappela à la réalité. Mes pieds me menèrent d'eux-mêmes à cet endroit que j'avais rapidement mémorisé. La salle à manger.

A destination, je vis que la table était recouverte de mets plus raffinés les uns que les autres. Allant des pancakes aux viennoiseries, cela ne manquait pas de diversité. Je me léchais les lèvres à l'idée de pouvoir goûter à chacun de ces plats.

Je frottais mes mains entre elles avant de m'asseoir à la même place que la dernière fois. J'avais l'impression que la dernière fois où j'avais pu si bien manger datait d'il y a de plusieurs décennies.

— Attention !

Chrysomallos arriva avec deux verres de jus d'oranges fraîchement pressés, et ils ne passèrent pas loin du sol.

— Tu m'as fait peur, je te pensais encore en train de dormir.

— J'adore te surprendre. Tout ce que tu m'as préparé à l'air délicieux.

— Qui a dit que c'était pour toi ? T'es qu'un concubin, ma femme arrive bientôt.

— J-je QUOI ?

— Allez, allez, allez va te cacher dans le placard de la chambre.

C'était donc pour cela que Patrocle m'a demandé de rester loin de lui ?

Je me levais en vitesse de ma chaise et m'apprêtais à courir en vitesse de là où je venais. Mais je ne le fis pas quand j'entendis Chrysomallos au sol, en train de rire à s'en vomir ses tripes.

— Tu te fous de ma gueule, c'est ça ?

— Oui, et putain, qu'est-ce que c'est drôle. Si tu t'étais vu. Je te savais pas si con, Achille.

— C'toi qui es con. Tu m'as fait peur merde.

— Surveille ton langage, et c'était le but. Mange maintenant.

Là encore, je lui obéis. Je touchais à chacun des plats sous les yeux attendris de mon amant.

Si ça n'avait pas été mon amant, je serais sorti avec lui seulement pour ses talents culinaires.

Un michto de la cuisine, ça existe ?

Nous mangions en silence quand soudain, une chose me revint en tête.

— Chrysomallos ?

— Hm ? Dis-moi tout, petit prince.

— Pourquoi m'as-tu peint en train de dormir ?

Ses joues rougirent à ma question.

Il est mignon quand il devient timide.

— Fais gaffe à ce que tu penses. Hier soir tes pensées n'étaient pas vraiment les mêmes.

A sa remarque, je crachai le contenu de mon verre, sur moi...

— Comment tu sais ce que j'ai pensé.

— Je peux lire dans tes pensées. C'est un pouvoir entre les âmes sœurs, trésor.

— Arrête avec tes surnoms, tu me déstabilises... E-et pourquoi moi je peux pas lire dans tes pensées.

Je me mis à genoux à ses pieds, les mains jointes devant moi.

— Apprends-moi, Sensei.

— Putain Achille, arrête d'être con. Tu peux pas me demander ça si innocemment. Je vais me mettre à imaginer des choses, moi.

— Et moi donc ? J'ai l'air de quoi avec mon jus d'orange sur moi, hm ?

— D'un enfant tout sale que je vais devoir laver. Mange maintenant avant que je m'énerve et que je ne change nos programmes.

— Et tu as prévu quooiiii ?

— Tu le sauras que si tu te comportes comme un gentil garçon, Achille.

— Pffff, pas drôle toi.

— Mange.

Je mange juste parce que c'est bon, pas parce que c'est toi qui me le demande... Pensais-je en sachant pertinemment qu'il allait lire dans mes pensées.

Il leva ses deux yeux vers moi avant de hausser un sourcil en guise d'avertissement. J'entendais de là le bruit de ses claques sur mon postérieur.

A quoi pensais-je ? En plus il était capable de voir à quoi je pense...

Mais, vraiment, est-ce que j'aimerais être ainsi discipliné ?

Nous finîmes rapidement ce repas, enfin surtout moi. Je partis d'ailleurs sans débarrasser et fonçais directement dans la salle de bain pour prendre une douche. J'étais au garde à vous alors je devais régler ce petit problème. Je ne pensais pas ça possible après tous les orgasmes qu'il m'avait donné la veille.

Un fois fait, je retournai dans la cuisine avec l'intention de l'aider à finir de faire la vaisselle, mais à ma surprise tout était fait.

— ACHILLE, va mettre ce que je t'ai laissé sur ton lit. On sort, l'entendis-je me crier depuis une autre pièce.

Je ne répondis pas et m'exécutais.

Il m'avait choisi un habit particulièrement élégant. Un haut d'apparat bleu avec son pantalon droit blanc. Les tailles m'allaient parfaitement, j'étais surpris.

Une fois cela fait, je le rejoignis au salon, là où il m'attendait, vêtu seulement d'une serviette.

— Tu t'habilles pas ?

— Pour quoi faire ?

Je fronçais des sourcils. Un minimum de décence ne ferait de mal à personne, non ? Puis, je me souvins. Il ne peut pas sortir sous cette apparence.

— On va aller dans une clairière pas loin. Je vais essayer de t'apprendre à maîtriser tes pensées ! Ça m'étonne d'ailleurs que tu n'aies jamais appris à le faire, ça fait partie de l'éducation princier pourtant.

— Qu'est-ce que j'en sais moi, demande à ma mère.

— D'où te vient cette nonchalance ?

— Et si on y allait ? Il fait bientôt nuit.

Nous partîmes, tous les deux. J'avançais devant lui, de toutes façons, il me rattraperait. Mais en ne le voyant pas, je me retournai, inquiet.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Je comprends pas, pourquoi je me transforme pas...

— Bah, va juste te changer. J'ai pas envie de réfléchir là.

— Nan, je sors comme ça.

— Alors je viens pas avec toi.

— Pourquoi ? Tu es jaloux ptit prince ?

— Ça s'appelle la décence, Chrysomallos.

— Mais bien sûr.

Je pensais qu'il pouvait voir que je n'allais pas bouger alors il ne se gêna pas pour me prendre sur ces épaules et courir jusqu'à là où il souhaitait m'emmener.

D'abord je boudais, contrarié que les choses n'aillent pas en mon sens mais très vite, je me joins à ses éclats de rire. Perdus dans la nature, nous ressemblions non pas à deux personnes aux lourdes responsabilités, mais tout simplement à deux enfants qui profitent de la vie.

— Lâche-moi ! Je veux aussi sentir l'herbe sous mes pieds !

Il m'obéit presque puisque la seconde qui suivit ma demande, je me trouvais le nez dans l'herbe.

Ce fou m'avait jeté au sol, comme un déchet.

— C'est parce que t'en es un.

— Tu ne paies rien pour attendre toi.

— Il s'agirait de m'attraper d'abord, s'exclama-t-il en courant devant moi.

Je me levais et me lançais à sa suite. Mon mec était réellement en train de courir en caleçon ? Oui, et qu'est-ce que c'était drôle.

Bien vite, je le perdis de vue alors qu'on faisait la même taille. Quelle injustice. Je plissais des yeux comme un vieux pépé et le cherchais dans les environs.

Une minute.

Deux minutes

Trois minutes.

— Bouh !

Quel enfant, à agir ainsi je me demandais si je n'avais pas affaires à un enfant de 4 ans plutôt qu'au bel étalon qui m'avait fait grimpé au rideau la nuit dernière.

— Tu m'as fait peur, à force je vais finir par croire que tu m'aimes pas et que tu veux ma mort.

Nous rîmes encore et encore toi les deux avant de rentrer à la maison main dans la main. Lui, toujours en caleçon et moi, recouvert de terre et d'herbe. La douche serait une étape importante, très importante.

Alors qu'il mit la clef dans la serrure, j'étais contre lui, en train de l'embêter. J'étais fier de suffisamment le déconcentrer pour qu'il ne parvienne pas à ouvrir la porte.

— Rira bien celui qui rira le dernier.

Comme si je le regretterai...

— J'ai entendu, Achille.

Comme c'est dommage...

— Tu ne paies rien pour attendre.

J'attends que ça.

— Tu vas vite perdre ce sourire, fais-moi confiance.

J'ai ptet été trop loin.

— Le dernier à la douche est une poule mouillée ! m'exclama-je, cette fois à voix haute.

Sans trop de peine, je le devançais et traçais vers la salle de bain.

Mmmh, je suis tout habillé et lui uniquement en caleçon, j'ai perdu d'avance. Comment faire ?

Lorsque j'eus l'idée, je retirai rapidement mon pantalon et écartai les jambes de sorte à bloquer le passage. Ensuite lorsque Chrysomallos arriva, il m'observa d'un œil méfiant.

— Tu crois que c'est ce qui va m'empêcher de gagner ? Tu oublies une chose, je gagne toujours.

— Et qu'est ce que tu veux gagner ? Je suis pauvre moi, je n'ai que moi et je sais même pas faire à manger.

— Tu me suffiras amplement, trésor.

Après avoir prononcé cette phrase, il profita du fait que j'avais déjà ôté mon t-shirt et se baissa pour m'emmener avec lui dans la douche.

— Et voilà trésor, j'ai gagné !

Pourquoi ce putain de murmure me fait-il tant d'effet ?

— Le mur froid aussi va t'en faire de l'effet, c'est moi qui te le dis.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Ma colonne se cogna dans un geste doux-amer contre la baie vitrée de la douche. Mon corps se souvenant des assauts de la veille, il parvint sans mal à me tenir d'un bras et me maintenir dans la position souhaitée de l'autre.

Rectification : mon corps s'en souvenait peut-être mais n'était clairement pas prêt à réitérer cette expérience avec cette bête sauvage. Il était vraiment insatiable et sacrément bien monté. On ne pouvait pas ne pas le sentir passer. Im-po-ssi-ble.

Résultat : j'étais désormais en train de boîter comme jamais à chaque pas que je faisais sans oublier mes geignements insupportables à chaque mètre de progression. In-su-ppor-ta-ble.

A la fois je m'en voulais de l'avoir volontairement provoqué, d'un autre, je savais que dans longtemps, très longtemps, très très longtemps, ce seraient des moments que je chérirais de toute mon âme.

Mais pas maintenant, là je tenais juste à retourner baffer le moi du passé pour avoir été ainsi quant au futur de mon magnifique corps.

N'empêche que Chrysomallos se comportait avec moi de façon plus douce comme pour se faire pardonner sa rudesse précédente. Il cuisinait toujours aussi bien pour nous et ne m'occuper du rangement qu'une fois sur deux. Nous n'avions pas énormément de choses à faire.

Discuter, manger, dormir étaient tout ce que nous faisions dans nos vies, chaque jour nous suivions cette routine stricte pour ne pas avoir à sortir. J'avais demandé à ce que nous évitions de le faire afin de ne pas attirer l'attention sur nous. Celle de ma mère sur moi, mon échec et ma relation extra-conjugale.

De mes voyages dans le monde onirique, j'avais à quelques reprises croisé mon ami. Nous discutions de manière moins fluide qu'auparavant, comme si la mention de mon nouveau mode de vie avait dressé un mur entre nous. Patrocle évitait toujours soigneusement le sujet et j'en demeurais harassé. Était-il jaloux de mon couple ?

Après tout, je connaissais ses penchants pour la gent masculine et ses possibles envies d'affinité avec moi. Même si rien ne le trahissait, la façon qu'il avait de me regarder suffisait à émettre ces hypothèses. Une de ses dernières phrases resterait sans doute à jamais ancrer dans mon cerveau, révélant jour après jour de plus en plus de doutes dans mon esprit.

Achille, quoi que tu en penses, ce n'est pas quelqu'un pour toi. Tu mérites bien mieux que quelqu'un qui ne fera s'abattre que la foudre des cieux sur toi.

Mais lorsque j'avais voulu le questionner à ce sujet, il avait prétexté devoir s'en aller comme la fois précédente.

Rien que le voir me faisait chaud au cœur. Je me sentais si seul que la présence d'un ami ne m'était pas de refus. Chrysomallos était certes quelqu'un, mais je ne savais quasiment rien de lui, pouvais-je lui faire confiance ? Réellement ? Être complètement franc avec lui sans qu'aucune traîtrise ou qu'aucun jugement n'ait lieu ?

Ce jour-là, je dus penser à cette chose sans être suffisamment discret puisqu'il l'entendit.

— Achille, que dis-tu de sortir nous balader demain ?

— Je- et ma mère ?

— Je sais ce à quoi tu penses. Mais nous ne pouvons pas vivre éternellement de telle façon à ce que ta mère ne nous découvre pas. Cela reviendrait à nous faire manipuler, et j'en ai marre. Après cette sortie à la clairière, il ne s'est rien passé, non ? Alors de quoi as-tu peur.

— Mais, et si tu te retransformes ?

— Si c'était le cas, tu ne m'aimerais plus ? Pas la peine de parler, sors si tu réponse est négative.

Il attendit quelques secondes avant de continuer.

— Je m'en doutais. De toutes façons je comptais t'emmener dans les bois, marcher un peu, discuter et t'apprendre deux trois petites choses pour protéger tes pensées.

Je restais silencieux, ne sachant pas quoi dire. J'avais sans m'en rendre compte baissé mon regard pour l'ancrer au sol. De ses deux doigts, il le releva par le menton comme à son habitude et me communiqua sa réelle bienveillance par le biais de ses yeux.

— Eh, ne t'en fais pas. Je sais ce que je fais petit prince. Et puis, si tu veux vraiment pas on trouvera autre chose. Mais tu me fais confiance ?

— O-oui, d'accord.

Je n'avais rien à perdre, il avait raison, je ne pouvais pas laisser ma mère dicter ma vie. Je ne dois pas être uniquement l'ombre de moi-même parce qu'elle me le demandait.

— Allons-nous coucher, nous partirons à l'aube. Je veux te montrer le lever de soleil. Tu verras, Achille, c'est magnifique.

Ne sait-il pas que je l'avais déjà vu ? Que j'avais imaginé l'éveil de cet astre du jour comme la naissance de son sourire scintillant ? Où voulait-il en venir ?

Cette nuit-là, je le suppliai de dormir avec moi plutôt que de chacun avoir sa chambre comme les nuits précédentes. Il était toujours plus confortable de dormir dans ses bras, de sentir sa peau contre la mienne jusqu'au monde des songes, de me réveiller contre son corps chaud qui me protégeait du froid.

Je sentis une main dans mes cheveux perturber mon sommeil. J'ouvris un œil, puis l'autre avant de reconnaître le propriétaire de cette personne. Chrysomallos me couvait de son regard amoureux et me considérait comme un enfant.

— Il faut partir au plus vite, Achille. Le soleil se lève dans à peine une heure.

— Mmmh, veux pas me lever.

Voyant ma réticence à quitter le confort de mon lit, il me prit sur son épaule comme si j'étais a chose la plus légère et la plus maniable du monde.

— Ehhhh, c'est pas juste. T'es pas fairplay.

— Oui oui, bien sûr. Allez à la douche. Je vais me préparer.

Je pris alors ma douche de mon côté tandis qu'il se préparait du sien. J'aurais aimé que nous fassions tout ça à deux mais il était clair que nous ne sortirions jamais d'ici si ça avait été le cas.

Quand je fus tout propre, j'allais à ma chambre n'étant même pas surpris de voir une tenue toute prête sur mon lit. Ce n'était pas du tout mon style, il se rapprochait de ce qu'on pourrait appeler la vibe dark acadamia. Une chemise blanche avec un pull sans manche dans les tons bruns ainsi qu'un pantalon beige à bretelles et des chaussures noires. Tout cela, parfaitement à ma taille, je me serais inquiété dans le cas contraire.

— Tout te va aussi bien que je l'avais prévu, petit prince.

Je sursautai à l'entente de sa voix qui sonna de derrière mon dos. Lorsque je me retournais face à la porte, il s'y adossa comme si elle était sienne. Son charisme se démarquait dans sa façon de s'habiller en tout point semblable à ce que j'avais sur le dos. Les manches de sa chemise relevées à ses coudes révélaient les veines de ses avant-bras, la droiture de son corps proportionné possédait tout le monde du regard tandis que la finesse de son visage accentuée par les strass de part et d'autre de ses yeux ainsi que ces cheveux savamment bouclés faisaient de lui une créature échappée des mains du dieu de la perfection. Il était le dieu de la perfection.

— Main droite ou main gauche ?

— Qu'est-ce que c'est ?

— Un accessoire pour tes cheveux, petit prince. Tu devras le porter toute la journée, alors choisis bien !

— Hmmm, laisse-moi y réfléchir. Main gauche.

— Sûr ?

— A 100 %

— T'as d'la chance, tu as échappé aux oreilles Mickey, je suis déçu.

— T'en fais pas, je les porterai pour toi une prochaine fois.

— Bon, allons-y vraiment maintenant. Nous allons rater le soleil.

Il attrapa ma main gauche et me fit trottiner à sa suite. Néanmoins, il affichait toujours une mine boudeuse alors je le fis s'asseoir de force sur le canapé proche de la porte de sortie et me mis à califourchon sur ses cuisses. Il m'observait avec des yeux curieux tout en s'assurant de garder ses mains près de mes hanches en prévision d'une potentielle chute. Je me contentais de lui déposer un baiser sonore sur le nez avant de facilement m'échapper de sa prise et de m'en aller par la porte d'entrée.

Je ne me savais pas si joueur. Mais avec lui, je ne cessais de me découvrir des facettes aussi inattendues et farfelues les unes que les autres.

Au dehors, la nuit surplombait encore les horizons, nous rendant par moment aveugles et dans l'incapacité de voir plus loin que le bout de notre nez.

L'euphorie étant passé, nous nous tenions main dans la main en direction de cette forêt. J'adorais les forêts, depuis tout petit, elles me ressourçaient. Peut-être parce que ma mère était une Néréide et mon père un humain, ce qui avait peut-être donc muté l'aversion pour les eaux de ma mère pour une passion pour la terre et la nature.

Je voyais Chrysomallos jeter de temps à autres des regards inquiets en arrière mais je laissais passer chaque fois, mettant cela sur le fait qu'il était prudent. La série augmenta exponentiellement, il marchait la tête tournée en arrière presqu'en continue.

— Qu'y a-t-il derrière pour que toute ton attention y soit portée ?

— Je t'expliquerai plus tard, petit prince. Regarde, on arrive presque. Ce mont est le point le plus haut aux alentours, nous allons monter et tu verras le plus beau lever de soleil de ta vie.

Encore une fois, il évitait mes questions. Et encore une fois, j'acceptais de le laisser faire. J'espérais seulement qu'il saurait trouver le bon moment pour m'en faire part, puisque ma patience avait des limites.

Nous grimpâmes sans trop de difficulté. Ce n'était en réalité pas le point le plus haut que j'avais eu à atteindre et la pente était bien moins raide que celle sur laquelle se trouvait la Toison d'or. Une fois tout là-haut, je me sentis puissant, inatteignable. Je guettais les vallées mais je n'y voyais vraiment pas clair. J'observais d'un œil admiratif les nombreux villages en train de s'éveiller au rythme du soleil ainsi que de la Lune en train de céder sa place à son confrère.

En réalité, ces deux astres reflétaient notre amour, à nous deux. Aussi invraisemblable que puissant, aussi interdit que passionnel. Ces deux amours-là n'étaient pas autorisées à exister mais le faisaient contre le gré des lois de la nature, obéissant à celles, plus importantes encore. Les lois de l'âme.

— Viens là, on sera mieux ici.

Chrysomallos avait étendu derrière moi, une nappe suffisamment pour nous deux ainsi qu'un plaid pour nous protéger de la fraîcheur de la matinée. Déjà allongé dessus, ses bras ouverts étaient une invitation à m'y blottir. Sans perdre un instant, je copiais sa position, adoptant celle que j'avais dans le lit la veille et il passa le tissu sur nous, nous maintenant dans une position confortable.

— Tu sais, les gens habituels font des nuits à la belle étoile.

— Tu sais, on est pas les gens habituels ? Admire le ciel et clos ta gracieuse bouche, Achille.

Emerveillé par la beauté des cieux, je ne le quittais pas des yeux. Tout plein de nuances de rouge, de rose, d'orange, de bleu ainsi que de d'autres couleurs que je ne saurais nommer apparurent, décorant ce ciel comme une peinture d'aquarelle.

— Chrysomallos, c'est... c'est magnifique !

— Je sais, prononça-t-il d'une voix aérée.

Une voix si aérée qu'elle ne lui ressemblait pas.

— Dis tu vas bien ? demandai-je en me tournant vers lui. Pourquoi n'admires-tu pas le ciel ?

— Pourquoi se contenter d'un ciel alors que la galaxie est à portée de main, hm, petit prince ?

— Tu le fais exprès hm ? Quoi qu'il arrive, tu parviens à me déstabiliser avec une facilité déconcertante.

— Petit prince, ce n'est pas moi ça. Tu es juste incapable de résister à mon charme.

— Ta gueule et admire le ciel.

— Fais attention à ce que tu dis. Tu sais ce que je pense des grossièretés.

Frustré, je l'ignorai tout bonnement en focalisant mon entière attention sur la beauté des cieux. Je me concentrais sur cette vue qu'on ne voyait que rarement par deux fois dans une vie. J'étais allongé sur l'herbe, mon amant à mes côtés dans une atmosphère déchargée de toutes hostilités.

Je profitais de ce moment de béatitude difficilement reproductible et m'endormis presque dans ce cadre serein.

— Dors, petit prince, si tu en as besoin.

Alors je suivis ces mots et me plongeais dans le monde des songes alors que je ne venais de le quitter seulement quelques heures plus tôt.

Je traversais un couloir que je ne connaissais pas. Tout cela m'était inconnu. Le seul connu dans ce monde inconnu était ma mère. Ma mère se tenait droite, devant moi, avec les traits tirés et une mine sévère. Comme si elle s'apprêtait à durement me réprimander. Comme lorsque j'étais enfant.

En fait, il n'y avait pas seulement ma mère. Une autre femme se tenait à ses côtés. Son aspect spectral ne me facilitait pas l'étape de la reconnaissance. Ses cheveux blonds étaient devenus ternes, ses joues creusés, sa peau était si pale qu'elle devenait verdâtre par endroit, elle était également vêtue d'une robe déchiquetée, un haillon.

— Abigail, ton doux sourire... il s'est fané.

— Tout ça, c'est à cause de toi. Achille. Tu m'entends, TOUT EST DE TA FAUTE, répétèrent-elles en boucle.

Le son de leur voix m'insupportait, il sonnait comme un disque rouillé qu'on devrait jeter. Il imprégnait mes nerfs et mes neurones. Alors que je ne voulais que m'en débarrasser.

DE TA FAUTE

DE TA FAUTE

DE TA FAUTE...

Ces trois simples mots résonnaient dans ma tête. Inlassablement.

Est-ce réellement de ma faute ?

Est-ce réellement de ma faute ?

Est-ce réellement de ma faute ?

Ce questionnement résonnait dans ma tête. Inlassablement.

— Pourquoi n'as-tu pas simplement fait ce que tu devais faire, mon fils.

— Tu as déçu ta mère, Achille.

— TOUT EST DE TA FAUTE.

TOUT EST DE TA FAUTE

TOUT EST DE TA FAUTE

TOUT EST DE TA FAUTE

— J-je... Arrêtez, s'il vous plaît. Je vous en supplie, sortez de ma cervelle. J-je vais me rattraper. J-je vais réussir, je vous le promets.

— FOUTAISES, mon fils, tu n'es qu'un bon à rien.

— Mère, je vous en supplie. Arrêtez d'éviter d'utiliser mon prénom. S'il vous plaît.

— Mon unique fils, n'es-tu sans savoir qu'on utilise le prénom comme une marque de familiarité. J'aimerais avoir le moins d'affinités possibles avec toi.

— Mère, je vous en supplie. Pardonnez-moi, juste pour cette fois.

— Ne m'appelle plus ainsi. Jeune homme. Tu as trahi ta patrie à toi d'en payer le prix fort.

— Abigail, t-toi, tu p-peux m'aider, n'est-ce pas ?

— Achille, Achille, Achille, je t'ai toujours aimé du plus profond de mon cœur et regarde ce que tu m'as fait. Je suis morte par ta faute.

Par ta faute.

Par ta faute.

Par ta faute...

— J'avais confiance en toi et j'aurais jamais dû. J'ai fait une erreur et elle m'a été fatale. Tu es la pire erreur de ma vie !

Tu es une erreur.

Tu es une erreur.

Tu es une erreur...

A genoux sur le sol sale, je les suppliai de rester. De ne pas me laisser ainsi. Mais ces deux femmes, cruelles comme elles étaient, elles ôtaient enfin leur masque pour me montrer leur vrai visage. L'hypocrisie n'était jamais la bienvenue, mais ne pas savoir pouvait être parfois mieux.

Je les regardais d'un œil vide, ma mère me tournait le dos, prête à partir tandis qu'Abigail me fixait avec dédain.

— Abigail, venez, nous partons.

— Oui, mère. Je vous suis.

mère

mère

mère

Ce simple mot me fit l'effet d'un poignard dans l'estomac. Pourquoi avait-elle le droit de l'appeler ainsi et pas moi.

Mère m'avez-vous si vite remplacé ?

Je pleurais désormais à chaudes larmes. J'étais seul. Seul avec ce silence pesant. Seul avec cette voix qui ne cessait de me rappeler tout ce que j'avais perdu, en oubliant ce que j'avais gagné.

Tout. Est. De. Ma. Faute.

Ma faute d'avoir échoué.

Ma faute d'avoir aimé.

Ma faute d'avoir estimé pouvoir vivre ma vie.

Qu'on m'accorde, s'il vous plaît, le droit au sommeil éternel.

— Achille, merde. Réveille-toi. J'ai besoin que tu te réveilles. Je t'en prie, ouvre les yeux.

Qui me secouait comme ça. Pourquoi ne pouvait-on pas, une seule fois dans ma vie, exaucer un de mes souhaits à moi.

J'entrouvris difficilement les paupières, la luminosité du soleil qui ne m'avait pas attendu pour poursuivre son ascension. Il faisait désormais jour, mais je n'étais plus aveuglé, protégé par Chrysomallos qui, de sa tête, cachait les rayons lumineux.

Je me redressai difficilement en position assise. Je sentais mes joues mouillées de mes précédentes larmes. Je n'arrivais pas à m'enlever ces mots de la tête.

C'est ma faute. J'ai tué Abigail. Elle est morte à cause de moi.

— Tout est de ma faute, uniquement la mienne. Si seulement je n'avais jamais eu un cœur si sensible. Si j'avais été plus capable, elle ne serait pas morte.

Tout est de ma faute...

Tout est de ma faute...

Tout est de ma faute...

— Achille, explique-moi ce qu'il se passe. Pourquoi tu pleures ? Pourquoi tu répètes ça. Tu n'as strictement rien à te reprocher, petit prince. Je suis là, ne t'en fais pas. Il ne nous arrivera rien, dit Chrysomallos d'une voix douce et rassurante pour me calmer.

Mais il n'y parviendrait pas, il n'y arriverait pas parce que :

— TOUT EST DE MA FAUTE PUTAIN.

— Qu'est-ce qui est de ta faute ?

— C'est de ma faute, elles me l'ont dit...

— Achille, si tu parles de ta mère. Putain, cette femme est pourrie jusqu'à la moelle. TA MERE TE MANIPULE MERDE.

— ABIGAIL EST MORTE PAR MA FAUTE. JE L'AI VUE.

— Achille, regarde-moi dans les yeux. Elles ne sont jamais venues d'accord. Nous sommes là, tous les deux, en sécurité sur ce mont. Ecoute-moi bien, rien ne peut nous arriver. Alors on va commencer par se calmer.

— J-je, j'y arrive pas...

— Concentre toi uniquement sur le son de ma voix, petit prince. Répète après moi, tu es ici en sécurité. Calmement et fermement, convaincs-toi que tu es en sécurité. Il ne peut rien t'arriver là où nous sommes, tu comprends ?

— O-oui. Je suis en sécurité. Je suis en sécurité. Je suis en sécu-

— Continue, petit prince. Pourquoi t'arrêtes-tu ainsi ?

— J-je- De l'air. J'ai besoin d'air.

— Putain, merde. C'est plus grave que je ne le pensais. Petit prince, tu me fais confiance ?

Je n'arrivais à faire aucun son de ma bouche. Mes poumons refusaient tout entrée d'air.

Je vais mourir.

Je laissais les larmes couler le long de mes joues. Je suffoquais à la fois à cause du manque d'oxygène mais aussi de ce liquide lacrymal qui obstruait mes pores.

Mais, je n'avais pas peur. Je n'avais pas peur parce que je m'y étais fait. Je voulais mourir et quel meilleur endroit que les bras de mon amant.

Pardonne-moi, Chrysomallos. Je t'aime, je te le promets.

— Reste avec moi, mon cœur. J'ai besoin de toi. Ne résiste pas, m'ordonna-t-il en m'allongeant sur cette nappe. Garde les yeux ouverts. Ne les ferme sous aucun prétexte.

Tant bien que mal, il parvint à me placer de sorte à ce que je sois pile sous son corps. Sa tête, au niveau de la mienne, se rapprocha dangereusement de mon visage.

— Faites que ça fonctionne.

Il débuta une série de bouche-à-bouche. Bizarrement mes organes acceptèrent l'air qu'il me donnait.

Durant une dizaine de minutes, nous restâmes dans cette position. Durant une dizaine de minutes, je survivais grâce à son air. Au bout d'une dizaine de minutes, je pus enfin rester à nouveau normalement.

— Pourquoi ? Pourquoi as-tu fait ça. Pourquoi m'obliges-tu à rester alors que mon unique souhait est de m'en aller ? N'as-tu donc aucune compassion à mon égard, Chrysomallos ?

— Je ne sais pas ce qui s'est passé durant ton sommeil, mais Achille rien de tout ça n'est vrai. Tu n'es aucunement le fautif de cette chose, tu n'as rien fait. Abigail n'est pas morte, sinon ç'aurait fait le tour du royaume. Ta mère ne t'a jamais détesté. Tu es celui qui maintient le pont entre elle et le pouvoir. Sans toi, elle n'est rien. Tu comprends ?

— Sans moi, elle n'est rien ?

— Sans toi, elle n'est rien, mon amour. Maintenant sèche-tes larmes et reprends enfin ta place. Promets-moi de ne plus jamais te laisser embobiner ainsi. Tu es fort, petit prince. Mais tu as le droit de demander de l'aide, et s'il le faut, je serai ton chevalier servant. Chaque fois que tu en auras besoin, appelle et je serai là dans la minute. Veux-tu rentrer à la maison te ressourcer ? A la base j'avais prévu de passer la journée à l'extérieur avec toi, mais avec ta crise, tu dois être fatigué, non ?

— Je me sens déjà un peu mieux. Et si on allait se promener dans les bois. Cet ancrage que j'ai avec la nature m'aide tous les jours. Je suis sûr que me reconnecter avec elle m'aidera.

— Bien. Tu es prêt à partir maintenant ?

— Oui, allons-y.

Nous rangeâmes les affaires à deux avant de nous en aller. Je voulais porter le sac mais Chrysomallos refusait catégoriquement. D'après lui, j'aurais d'autres occasions mais aujourd'hui j'avais le droit de vagabonder sans limite, à ma guise sans aucune entrave.

Achille, tu vas découvrir ce qu'est la véritable liberté.

La liberté, une bulle hors du temps. Une bulle dans laquelle rien n'avait d'importance, si ce n'était toi. Une bulle dans laquelle aucune règle n'existait, si ce n'était les tiennes.

Et dans cette autre vie, je voudrais faire ce que je n'avais jamais pu faire à cause de mes obligations princières. Je voudrais boire des chocolats chauds sans devoir faire attention à ne pas en mettre partout, me faire des moustaches de cacao et me repeindre le nez de crème fouettée. Je voudrais danser avec les fleurs et chanter avec les oiseaux sans me faire appeler la princesse. Je voudrais me promener avec l'être aimé sans être épié. Je voulais faire tellement de choses que je n'en faisais rien.

Était-ce ça la vie, la vraie ?

Oui, et je te la ferai vivre tous les jours si tel est ton souhait, petit prince.

Oh ? Cette voix. Je l'entendais dans ma tête, mais ce n'était pas la mienne.

Ce n'est que moi, petit prince. Ne t'en fais pas.

Chrysomallos, est-ce toi ?

C'est bien moi, petit prince. Trouve-moi.

N'es-tu pas derrière moi ?

Je me retournai, personne. Mmmh, où avait-il déserté ?

Je cherchais partout dans les environs mais il n'y avait personne.

Réfléchis à comment faire, petit prince. Tu as la solution à portée de main.

Je tapais des pieds dans l'herbe tout en réfléchissant à ce que j'allais dire. Quand soudain j'eus une idée. Il me suffisait de :

— CHRYSOMALLOS, J'AI BESOIN DE TOI, criais-je en formant un mégaphone avec mes deux mains.

— Bah voilà quand tu veux. Je savais bien que tu étais un minimum capable de te servir de tes trois neurones.

— Mais- EH REVIENS PAR LA TOI QUE JE T'ATTRAPE.

S'en suivit la énième course poursuite qui s'acheva en excuses et bisous de ma part car Chrysomallos était bien trop rapide pour moi. En gentleman, il les accepta sans trop d'effort de ma part et nous nous mîmes à nous promener dans cette forêt main dans la main.

— Et si tu me parlais un peu plus de toi ? C'est vrai quoi, tu as l'air de tout savoir sur moi mais je ne sais rien de toi. C'est injuste.

— Que veux-tu savoir au juste ?

— Qui es-tu réellement Chrysomallos ? Qui caches-tu sous cette peau de bête ? Mais euh arrête de rire, je suis parfaitement sérieux.

— Alors, que veux-tu savoir au juste ? répéta-t-il.

— Hmm, tout ? T'es né quand ?

— Le 22 mai.

Une conversation plus dense que la Terre durant laquelle j'appris tout plein de choses anima nos lèvres. Notamment que de son vrai nom Pâris, il était l'un des princes les plus convoités de son époque. Si ce n'était le plus convoité. Une pointe de jalousie me prit lorsqu'il prononça ces mots mais la tristesse emporta ce combat déséquilibré lorsqu'il me conta le reste.

Il était un enfant miracle, que sa mère la reine eut bien du mal à accoucher. Il grandit dans un cadre si strict que s'en devenait étouffant pour le pauvre garçon. De cette façon, il apprit tout plein de choses, trop de choses. Notamment à contrôler ses pensées. Il m'aida à maîtriser la technique et comme un chef, je réussis d'un simple essai.

On lui avait aussi offert un cœur de pierre qui condamne chaque personne éprouvant pour lui un sentiment plus fort que de l'amitié, si ce n'était un amour familial, connaîtra une fin semblable à une peine de cœur. Une mort brève qui n'en était pas moins douloureuse. On entendait au loin sonner le glas de la Faucheuse qui calmement parvenait à l'agonisant pour doucement lui priver de cette vitalité qu'elle avait tant chérie.

A son grand dam, Daphné, une nymphe si proche d'Athéna qu'elles en étaient devenues à se considérer comme des sœurs, connut ce triste sort. La déesse, terrassée par le chagrin décida de punir Pâris, ce pauvre prince innocent et le condamna à être Chrysomallos pour le restant de ses jours.

— Pourquoi ne suis-je pas mort alors ?

— Parce que je suis tombé amoureux en premier, petit prince.

J'étais pourtant persuadé que l'amour m'avait attaqué au moment où nos regards s'étaient croisés, se mélangeant à la haine avant de prendre le dessus sur celle-ci.

— C-comment c'est possible ? Je- j'ai eu comme un coup de foudre pour toi.

— Je le sais, c'est tout. Rentrons maintenant petit prince. Nous sommes restés longtemps dehors.

— Pourquoi continues-tu de m'appeler ainsi ? Après tout, ne sommes-nous donc pas tous les deux princes ?

— Non, moi, je suis un roi déchu. Et de jour en jour, je m'accroche à tes ailes blanches pour espérer avoir le droit d'atteindre la surface.

— Nous volerons bien plus haut que le septième ciel ensemble, si tel est ton souhait, grand roi.

Riant d'un timide rire, je ne pus m'empêcher de le rejoindre dans son euphorie. Mais craignant tout de même qu'il fasse nuit, nous rentrâmes gaiement à la maison. Cette fois, je n'accordais pas d'attention particulière à la nature. Nous nous regardions mutuellement en tentant de découvrir les secrets de l'Univers dans les yeux de l'autre.

A quelques centaines de mètres de la maison, des torrents de pluie se mirent à nous tomber sur la tête; nous trempant tous les deux jusqu'aux os. Tels deux gamins, nous courûmes au milieu des flaques jusqu'à enfin arriver dans la demeure chauffée.

— Bon, eh bien. Nous sommes bons pour la douche nous, petit prince. Que dis-tu de regarder un film avec un gros verre de chocolat chaud sous un plaid ?

— Avec beaucoup de crème fouettée ?

— Toute la crème fouettée que tu voudras très cher.

— Hmm, je dis oui. Mais la douche avant !

Après cette douche chaude, nous nous mîmes en robe de chambre et pendant que Chrysomallos préparait notre collation, je choisissais un film. Mes yeux zieutaient l'écran à la recherche d'un film qui les intéresserait. Avais-je envie de rire ? De pleurer ? D'avoir peur ?

Serait-ce une excuse valable pour me blottir dans ses bras ? Serrer ces biceps entre mes dix doigts, tellement fort que j'y laisserais mes empreintes ? Cacher mon visage dans son cou quand bien même je n'avais pas si peur ?

Mon choix se porta sur un film d'horreur de renom : Conjuring.

Maintenant j'attendais, mais comme si nous avions été dotés d'une horloge connectée, il apparut à mes côtés, deux tasses fumantes dans les mains.

— Alors ? Qu'as-tu choisi ?

Il tourna rapidement la tête vers l'écran.

— Oh, je l'ai vu une bonne dizaine de fois. Il est pas mal du tout.

Si les premières minutes du film me paraissaient totalement anodine, ce ne fut pas le cas de la suite. En effet, des éléments surnaturels commencèrent à arriver et, même si je n'avais pas réellement peur, je m'enfonçais davantage dans le canapé. J'avais besoin d'un contact, même un simple effleurement suffisait mais son toucher me manquait déjà.

Je saisis la télécommande pour mettre le film sur pause, Chrysomallos fixait mes mouvements d'un regard incrédule. Je me mis finalement face à lui, les bras croisés sur la poitrine.

— Je suis fatigué, je veux aller dormir.

— Tu sais, d'ici j'entends ton cœur battre la chamade et puis tes pensées pécheresses étaient si bruyantes tout à l'heure. Si tu veux qu'on couche ensemble tu n'as qu'à le dire clairement. C'est un besoin totalement anodin, tu sais ?

— Bien. Alors toi dans moi. Ça te semble clairement énoncé, Chrysomallos ?

— C'est bien, petit prince. Je suis fier de toi.

Il se leva du canapé d'un bond et m'attrapa par les hanches pour sceller nos lèvres ensemble. D'un même geste, il me souleva et me mit sur le canapé. Il défit ma ceinture et je sentis un courant d'air frais parcourir mon ventre.

— Installe-toi comme tu le souhaites, je vais chercher le lubrifiant et des préservatifs, je reviens.

M'installer comme je le souhaite ?

En enlevant mon peignoir, j'eus une idée. Je me saisis de la ceinture en laine de la robe et la passa sur mes yeux, me privant moi-même de ce sens primordial. Je ne savais pas exactement comment m'installer, alors, je me mis juste sur la pointe des pieds, adossé au canapé. Et je respirais un bon coup en sachant très bien qu'il allait débouler d'une seconde à l'autre. Enfin, débouler était un verbe bien trop rustre pour lui, cet homme respirait la grâce.

— Je suis là, petit prince. A quoi tu penses ?

— Tu ne peux pas voir ? Ça doit être parce que je ne pense à rien.

— Pendant que je te prépare, j'aimerais que tu réfléchisses et que tu me dises jusqu'à quel point tu m'aimes ou plutôt, tu penses m'aimer.

A quel point je pense l'aimer ?

Comme pour me déconcentrer, il entra un doigt humide en moi. Ce geste me provoqua mille et un frissons et je devais en plus de cela réfléchir.

A quel point je pense l'aimer ?

Quelle question difficile.

Et si je n'avais pas à y réfléchir ? Et si je laissais les mots sortir seuls comme des êtres indépendants ?

— Je t'aime bien au-delà du permis et en deçà des monts et des nuages. Je t'aime d'un amour qui fait perdre haleine, d'une passion ardente à la température plus élevée encore que les enfers. Et toi ?

Putain, c'est bien pire que je ne le pensais.

Je pouvais entendre ses pensées alors que lui non ? Que voulait-il dire par c'est bien pire ? L'amour n'était-elle une bonne chose ? Alors que j'allais m'enfoncer dans mes incessantes réflexions, il ajouta un doigt à côté du premier tout en me donnant sa réponse.

— Eh bien, je voudrais que la nuit devienne éternelle pour en atteindre le bout avec toi. J'irais chercher la Lune pour que ce souhait égoïste se réalise. Parce que je n'ai pas besoin du soleil. Je t'ai toi, et tu m'es bien plus vital que lui. Voilà à quel point je t'aime. Et cet amour n'est pas près de s'éteindre, petit prince.

Après sa réponse, sa si belle réponse, il me posséda tout entier d'un coup de rein.

Je t'aime d'un amour éternel.

Me fit-il passer par la pensée.

Je t'aime d'un amour inconditionnel.

Me répéta-t-il, son front contre le mien en me faisant l'amour.

Je t'aime d'un amour bien plus que passionnel.

Acheva-t-il d'un ultime coup de rein.

Je t'aime pour mille et une raisons.

Nous continuâmes de nous embrasser et nous nous endormîmes sur ce sofa, tous les deux exténués.

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