Chapitre 2
Trois coups sont frappés à la porte.
- Entrez.
Le grincement de la porte attire mon regard. Devant moi, le corps menu et vieilli d'Iori entre dans ma chambre.
- Salut ma grande.
Je soupire et repose ma tête sur mes avant-bras, eux-mêmes posés sur la coiffeuse.
- Il est mal en point. C'est pire qu'avant.
Les pieds de la chaise voisine grince. Iori s'installe à côté de moi et passe sa main plusieurs fois dans mon dos.
- Je sais.
- C'est de ma faute. C'est injuste. Pourquoi? Pourquoi moi et pas lui?
Je me redresse et me regarde dans le miroir. Mon visage, toujours aussi jeune. Celui de Kasey, totalement démoli par la maladie.
- Pourquoi moi, je ne vieillis pas ? Pourquoi c'est lui qui prend tout? Il ne mérite pas ça.
- Parce que c'est toi que l'on devait sauver. C'est toi qui a eu le rituel du sang, c'est Kasey qui a supplié Kara de le faire. Et elle ne le regrette toujours pas, ce qui est bizarre.
- Va savoir pourquoi, toi aussi. Elle ne m'a toujours rien demandé en retour, c'est louche.
- C'est parce que c'est pas toi qui lui a demandé, cette faveur. C'est Kasey.
Ma tête commence à tourner. Je ferme les yeux et regarde Iori.
- Et est-ce qu'elle lui a demandé quelque chose?
- Non.
- Parce qu'elle l'aime bien, lui, pas moi.
Je m'écarte de la coiffeuse et me dirige vers le bandeau de fenêtre.
De ma chambre, j'ai une vue imprenable sur la grande avenue de Vawari. La ville a été la première à être construite après la guerre de Connors qu'on a appelé le Blue Struggle. Et elle est encore plus belle que dans le passé, d'après ce que Tobias m'a dit.
- Kara ne t'a plus cherché de noises depuis la fin de la guerre, me répète Iori en s'approchant de la fenêtre. On dirait presque que vos engueulades te manquent.
- Eh bien...
Je lève les yeux vers Iori et nous éclatons de rire. Elle me presse le cou pour m'approcher d'elle et m'embrasser sur le front.
- Demain, on part à quelle heure ?, demandé-je.
- On ne part pas demain, on part dans vingt minutes.
Nous nous retournons comme une seule personne vers Gio qui rentre dans la pièce.
- Comment ça ?
Gio s'approche de nous en se frottant les mains.
- Le juge et sa cour ont avancé l'assemblée à demain matin au lieu de demain soir. Nous devons partir maintenant pour nous reposer et être à l'heure demain.
- Le juge a précisé pourquoi ?, redemande Iori, surprise.
- Non, il a seulement dit que de nouveaux éléments sont arrivés. Surtout te concernant, Nam. Après tout, l'assemblée de demain repose sur toi mais là... Apparemment, c'est du lourd.
Au fond de moi, une lueur d'espoir s'illumine mais je n'ose y toucher de peur qu'elle ne s'efface trop rapidement. Mais si c'est que je pense, demain sera une très longue journée.
*
Osgor, deux heures plus tard.
Nous descendons enfin de la voiture. J'ai mal aux fesses à cause du fait d'être restée assise tout ce temps.
- Nous devons aller voir Dilopmée. Apparemment, on nous a réservé un gros truc pour qu'on puisse se détendre avant demain.
- Mais c'est qu'il déploie les grands moyens pour ses invités, répond Iori totalement excitée.
- Ou alors c'est qu'il a quelque chose à se faire pardonner, dis-je en les dépassant.
Je rentre dans la cuve d'Osgor pour rejoindre la troisième maison et descends les escaliers menant à la ville caverneuse. Les marches disparaissent et réapparaissent sous mes bottes comme les rayons du soleil qui vont et viennent pour nous réchauffer. Une fois en bas, je ne fais même plus attention à l'architecture de la ville, ni à l'ouverture au bout de la galerie, donnant l'impression d'être à l'intérieur d'une bouche prête à se refermer sur nous pour toujours.
Je me dirige vers la boutique de Dilopmée. La vieille femme continue de tenir malgré les années. Mais je ne pense pas qu'elle en ait encore pour très longtemps.
Ses cheveux gris ornent sa tête et elle me toise d'un regard aiguisé.
- Ils arrivent, ils sont plus lents que moi.
- Surtout plus vieux, me répond-elle en descendant de son pupitre.
Les gardes qui surveillent la boutique ne nous scrutent pas directement, comme s'ils n'étaient pas du tout là. C'est perturbant.
Dilopmée arrive vers moi. Elle est très petite, comme si elle perdait des centimètres chaque année. Maintenant, elle m'arrive à la taille, comme tous les nains qui gardent les immeubles ici.
- T'as toujours pas vieilli, murmure-t-elle doucement.
- Et toi, t'as toujours pas passé l'arme à gauche.
Elle me sourit franchement et me fait un clin d'œil.
À la fin du Blue Struggle, pendant près de trois semaines, Osgor était en fête. Des lumières multicolores partout sur les immeubles, des guirlandes qui zigzaguaient au-dessus de nos têtes quand on marchait dans la rue. Kasey qui me tenait la main pour m'aider à marcher. Kasey...
- On est là ! C'est bon !
Derrière moi, la voix de Gio couvre mes souvenirs. Dilopmée pousse un soupir et nous tourne le dos pour aller chercher la clé de nos appartements provisoires.
- 105 pour vous, dit-elle en tendant la clé au couple. Et 106, pour toi. Le premier immeuble à droite de la bouche. Bonne nuit et à demain.
Dilopmée s'éloigne et nous laisse partir sans dire un mot de plus. Je vais voler la clé entre mes doigts et dépasse Gio et Iori.
- Je vais me coucher. Vous allez faire quoi?
- Dîner au restaurant. On ira se coucher plus tard.
- Et dire que c'est toi la plus jeune, rit Iori.
- Seulement à l'extérieur, Iori. Seulement à l'extérieur.
Je les embrasse de loin et court pour rejoindre l'immeuble dans lequel je vais dormir pour la nuit. Une fois à l'entrée, je remarque l'absence du nain. Personne. Il doit sûrement être en pause. J'appuie sur le bouton du monte-charge et attends pour aller au dixième étage.
Demain. Demain, l'assemblée est censée parler des dernières ressources utilisées par Acropolis et la redistribution. Et aussi, le problème des derniers riches et de leur replacement après le redressement. Mais pourquoi la décaler plus tôt ? J'ai ma petite idée mais c'est impossible. J'ai espéré cette lueur d'espoir depuis tellement longtemps que si l'on me disait que c'était enfin vrai, j'aurais dû mal à le croire.
Finalement, on ne le saura que demain.
Une fois au dixième étage, je soulève les grilles et sors dans le couloir pour rejoindre l'appartement numéro 6. J'insère la clé à l'intérieur de la serrure et force la porte à s'ouvrir. Quand je la referme derrière moi, j'entends des bruits de pas accourir vers moi. Je me retourne et me retrouve plaquée de plein fouet contre la porte par deux personnes.
- Wow, doucement ! Je vous ai tant manqué que ça ?
Je rigole quand je regarde la longue chevelure brune qui me chatouille le nez et les yeux noisettes de l'homme qui nous encercle.
- Bonjour maman !
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