Tome III - Chapitre troisième


_ Je te l'ai déjà dit, Kara. Elle n'est pas là.

Kara déboule dans le dortoir en piétinant le sol. Tobias la suit de près. Je me redresse et repousse la couverture. J'enfile mes chaussures rapidement et ma veste. Mon collier est sorti de sa cachette pendant la nuit. Je me détourne de tous et profite de mon éloignement pour le remettre à sa place et enfiler ma veste.

_ Qu'est-ce que tu fous ici, Kasey ?, vocifère Kara.

Elle est redevenue ce qu'elle était, après mon passage à tabac. Dommage ! J'aurais dû taper plus fort, je pense ! Oh mais que j'y pense ! Je peux maintenant ! J'ai les bras pour !

_ Je vais bien et toi, Kara ?

Kara écarquille les yeux et s'avance méchamment vers lui mais Tobias lui barre la route rapidement.

_ Dégage, Tobias !

_ Regarde autour de toi, elle n'est pas là.

Elle lance un regard circulaire et s'arrête sur moi.

_ Qui es-tu, toi ?

_ Un nomade. On lui a proposé de dormir ici pour la nuit. Il va partir avec eux pour Osgor.

Kara vocifère dans sa barbe avant de crier qu'elle ne veut plus nous voir ici avant de faire voler la terre dans son sillage.

_ Préparez-vous. On part dans trente minutes.

*

L'astre du jour vient à peine de se lever sur Atorn. L'air matinal me revigore après l'apparition de Kara. Tobias et moi sommes déjà sortis du tunnel. Les autres ne devraient pas tarder.

_ Je suis désolé, avoue Tobias. À dire vrai, elle t'en veut encore de lui avoir refait une beauté.

_ C'est bien. Je m'en fiche totalement de ce qu'elle pense. Tout le monde sait qu'elle n'est pas la chef, que ça devrait être toi à sa place.

_ Oui, mais j'ai préféré le côté militaire. Je ne suis pas bon pour la paperasse, tu devrais le savoir !, rigole-t-il.

_ Tu te souviens lorsque la marchandise de Denis est arrivée ? Et que t'as pas su s'il disait vrai avec ses faux papiers ?, me rappelé-je en souriant.

_ N'empêche, ça reste une légende le fait que la ville d'Arunaïm fabrique des pantalons en soie d'Ilgare ! Ça vaut une fortune et lui, il me l'a vendu à 5 bons payants la pièce ! C'est un idiot !

_ Et personne ne sait comment Ilgare produit sa soie. C'est un secret défense !, ajouté-je. Arunaïm n'a jamais fait de soie. Ils ne portent presque pas de vêtements, en plus !

_ Et encore si on peut appeler ça des vêtements ! C'est fait de feuilles et de branches d'arbres ! Et ce n'est pas confortable, en plus de ça !, confie mon ami.

_ T'as déjà porté un de leur vêtement ?, demandé-je choquée.

Tobias ? En jupe faite de feuilles ? Je n'y crois pas !

_ Fallait bien tester la marchandise !

Tobias a l'air gêné, qui plus est ! J'éclate de rire en voyant qu'il vire au cramoisi. Mais bientôt, il se joint à moi.

_ Les îles du Sud sont impressionnantes, à ce qu'il paraît.

On entend les autres monter et on arrête doucement de rire. Tobias me fait un petit signe de tête et je vois Jera sortir en premier.

_ Tobias, Kara est... Spéciale !

_ Ouais, elle a dit que Nam était... Enfin, même si c'est quelques fois exagéré, je suis plutôt d'accord avec elle, finit Martin.

Un froid se jette sur notre petite troupe.

_ Dépêchez-vous. On n'a pas toute la journée, ordonne Kasey en se dirigeant vers la forêt pour aller chercher le side-car.

Ce dernier, caché sous plusieurs branches et feuillages, cache bien son jeu. Sous ses airs de tas de ferraille, un beau moteur s'y cache. Je l'ai déjà vu à l'œuvre. Kasey l'enlève de sa cachette et le dirige vers l'entrée de Faniath. Il me le tend pour que je le tienne. Je le démarre et monte dessus.

_ Tu fais quoi ?, me demande Kasey.

_ Je démarre.

_ Tu sais la conduire ?, continue-t-il.

_ Oui. Tu crois que je ne sais rien parce que je suis un nomade ?

Kasey a l'air abasourdie et commence à tirer la gueule. Vas-y, déteste-moi !

_ Bon, on y va ?, dis-je en mettant le casque.

Hemming monte dans le side-car et Jera passe derrière moi. Le reste monte sur le dos de Furie. Tobias s'approche de moi et me tape sur le casque.

_ Plein Est, dans cette direction !, dit-il en pointant du doigt la direction opposée du soleil. Toujours tout droit ! Bonne chance !

Je fais oui de la tête et fait avancer la moto. Furie s'élance derrière moi et j'accélère plein pot, en baissant la visière de mon casque. La moto ne fait aucun bruit, c'est ce que j'ai aimé la première fois que je l'ai conduite avec Tobias. Nous filons à près de 70 kilomètres/heure. On ne dirait pas comme ça mais Furie a de grandes enjambées. Qui dirait que, avec sa taille de chiot, il peut développer une telle agilité ?

Je sens un regard peser sur moi. Sûrement celui d'Hemming ou Jera qui prient pour que je ne plante pas la moto. Je tourne la tête mais remarque que c'est Kasey qui me fixe depuis quelques secondes. Je reviens de suite sur la route et me reconcentre en essayant d'oublier les yeux insistants de Kasey sur moi. Je suis un mec, maintenant. Faut que je fasse encore plus attention. C'est un peu difficile mais je finis par y arriver lorsque je remarque que Furie me double.

Je tourne plus la poignée vers moi et monte à 80 kilomètres/heure. Furie me regarde et jappe pour ensuite accélérer. Je monte à près de 100 kilomètres/heure et vois qu'il suit toujours. Je rigole en sentant les bras de Jera se serrer plus autour de ma taille. Hemming se tient à l'avant du side-car pour parer toute éventualité. Et je ris encore plus.

*

Une heure plus tard, nous sommes toujours en route pour Osgor, sur un désert de sable. Les grains frappent mon casque mais je peux toujours garder les yeux ouverts, contrairement aux autres. Seul Furie peut faire de même.

Ce dernier freine des quatre fers. Plusieurs rochers sont tout autour de nous. Je freine aussi et retire mon casque pour savoir ce que Furie a senti. Il jette son regard partout.

_ Furie, qu'est-ce qu'il y a ?, demande Hemming en tapotant le côté de son chien.

Furie baisse la tête et renifle le sable mélangé à la terre. J'éteins le moteur de la moto et demande à Jera de descendre de l'engin. Tout le monde s'exécute et je pose la moto contre un rocher. Furie s'avance encore plus, dépassant les grosses pierres sur le côté droit. Il s'agite davantage quand il s'approche d'un espace dépourvu de roches.

Soudain, il lève la tête et nous regarde avec un air pressé. Il aboie et part se cacher derrière un des rochers. Hemming le fait redevenir petit et le prend pour se poster derrière avec lui. On se regarde tous sans comprendre ce qu'il se passe.

Et puis la terre et le sable commencent à se mouvoir comme si des milliers de serpents voyageaient en dessous. Un vrombissement retentit dans le néant du désert. Nous reculons tous de quelques pas pour éviter de perdre l'équilibre. Puis un silence, aussi long que stressant.

Et le sol s'effondre en plein milieu de la plaine pour se creuser, comme une coupe. Des fracas incessants tremblent dans nos oreilles, puis une détonation, et la coupe remonte en laissant une bosse, parfaitement ronde grandir en son centre. De la poussière partout. Nous nous sommes tous cachés derrière les rochers pour nous protéger des effluves de sables.

Ne pouvant pas nous retourner, on scrute tous l'ombre formant une boule gigantesque accompagnée de quatre barres sur les côtés. Des moteurs s'allument et la chaleur augmente en un instant. L'ombre s'éloigne de nous et bientôt, la masse qui vient de s'échapper du ventre de la terre passe au-dessus de nos têtes.

Un vaisseau aux parois grises anthracites et muni de quatre ailes sur les côtés s'envole vers le Sud d'Atorn.

Et de suite après, encore des moteurs qui s'allument et un autre vaisseau qui sort de la fissure du désert, identique au précédent et qui prend le chemin du Sud. Nous attendons encore un instant pour sortir de notre cachette. Je regarde autour de moi les réactions des autres et je retrouve la même partout. L'incrédulité, d'abord. Puis, la peur.

_ D'où ils sortent ça ?

_ Je n'en sais rien. Mais depuis l'arrivée des terriens, nous n'avons plus jamais vu d'objets volants de cette sorte. C'est la première fois depuis près de quatre siècles !

Je respire faiblement et tente de me retourner pour voir la cicatrice que les vaisseaux ont laissée. Je passe doucement la tête et pose mes mains sur le rocher pour voir l'étendue des dégâts. Et mon souffle est totalement coupé.

Une crevasse de plusieurs centaines de mètres révélant des débris, des carcasses de vaisseaux et des chemins escarpés partout. Je me lève complètement et admire le chaos fait en même pas deux minutes par ces vaisseaux sortis de nulle part. Je me décale et m'approche du bord du trou.

Je m'abaisse pour frotter une plaque de fer et vois inscrit quelque chose dessus.

Vaisseau T-41

T ? Terre ? Alors la légende était vraie...

_ Mesdames et messieurs, bienvenue au cimetière des envahisseurs.

Une tombe pour les terriens qui n'ont pas pu atteindre la zone d'échange d'Acropolis. Jera et moi descendons en faisant attention où nous mettons les pieds afin de traverser la zone plus rapidement. De toute façon, la moto ne servira à rien là-dedans et faire le tour nous prendrait trop de temps.

_ Récupérez toutes vos affaires, on va couper par le cratère, déclare Jera.

Nous nous activons et traversons le cimetière dans le plus grand des silences.

Des os, des crânes, des structures métalliques, des tissus, des plaques de fer. Voilà principalement ce que nous trouvons dans ce trou énorme. Et au milieu, des passerelles à moitié brisées, des caisses éventrées, et des outils de travail.

_ Ils sont passés en-dessous pour réparer les vaisseaux, ajoute Masana.

_ L'Armée.

_ Ils n'en ont jamais eu, alors ils ont décidé de tout remettre en marche pour avoir une longueur d'avance.

Quelques minutes plus tard, nous atteignons enfin le centre du cratère. Soudain, Kasey s'arrête.

_ Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?, dis-je.

_ Ne faites plus de bruits, arrêtez-vous !

On obtempère et nous regardons tous autour de nous.

_ Qu'est-ce qu'il y a ?, dit Masana doucement.

_ Taisez-vous et écoutez !

Je tends l'oreille et perçois de petits cliquetis venant de derrière. Des bruits de métaux qui s'entrechoquent et de terre remuée. Je tente de bouger seulement la tête pour voir sur les côtés. A droite, rien. Je tourne vers la gauche et, au fond, une bête recouverte de métal, sans yeux, avec deux défenses droites, longues et pointues, cherche désespérément quelque chose entre les débris grâce à ses naseaux et à ses pattes articulées. Une trace rouge représentant un « A » attire mon regard sur la carapace de l'Empâleur.

On est mal barrés...

Je regarde Jera qui m'interroge en silence et je lui fais un signe. Ma main droite vers le ciel, les doigts collés entre eux, puis mon index qui vient frapper ma paume. Kasey fait les gros yeux et Hemming commence à prier et enfermant le museau de Furie, tout petit dans ses bras, l'air apeuré. Je m'accroupis et saisis une pierre sans faire de bruit. J'en profite pour regarder combien d'Empâleurs il y a derrière nous. J'en compte six et deux autres qui sortent de terre devant nous. Je saisis une pierre assez grosse pour pouvoir faire un maximum de bruit quand je l'enverrai aussi loin que possible de notre groupe. Je me redresse, avec les cliquetis qui grandissent dans nos dos.

Sur ma gauche, un autre Empâleur sort d'un tunnel et commence à renifler le sol, s'approchant dangereusement de nous. Je n'ai pas une seconde à perdre. Je me retourne pour voir où je peux envoyer la pierre.

Un tas de ferraille assez gros pour ne pas le rater est sur le flanc du cratère. Je remets mon corps d'homme droit et place toute ma force dans mon bras pour pivoter le haut du corps et mon bassin et finalement lancer la pierre.

Elle s'envole sur plusieurs mètres avant de s'écraser contre le point le plus bas du tas de métal. Un son cristallin perçant engouffre toute la zone dans une vibration insupportable. Tous les Empâleurs hurlent et se précipitent vers le choc.

Je me retourne et l'Empâleur devant nous fonce sans le savoir sur Martin. Ce dernier s'écarte mais la bête lui griffe la cuisse. Martin étouffe un cri et l'Empâleur continue sa route sans même s'en apercevoir. Masana se précipite vers son petit-ami pour le relever. Je fais de même et regarde un moment le groupe des créatures s'exciter sur le tas de ferraille en le frappant avec leurs défenses. Tellement le bruit est assourdissant, nous n'entendons pas Hemming hurler aux autres de courir. Nous le voyons seulement s'éloigner. Et nous l'imitons tous.

Martin nous dit que ça va et recommence à courir du mieux qu'il peut. Je ne renonce pas et lui agrippe encore plus le bras pour le faire accélérer. Bientôt, nous sommes tous au bord du cratère lorsque les fracas de métaux cessent. Nous avons une longueur d'avance mais continuons de courir.

Seulement, Martin pousse un cri et les Empâleurs se retournent vers nous.

_ Ils nous ont repérés !, crie Jera.

_ Faut les distraire !

Kasey sort son arme et tire vers des carcasses de vaisseaux. Le bruit est encore plus assourdissant qu'avant et certains des Empâleurs se laissent distraire. Jera tire aussi mais je ne peux pas voir le résultat de sa tentative.

Nous revenons enfin sur la plaine et courrons plus vite que la seconde précédente. Martin est au ralenti avec Masana et horriblement à découvert.

_ Passe-moi une arme !

Kasey me lance son deuxième flingue et je m'arrête pour passer derrière le couple.

_ Courrez !

Je vise le premier Empâleur que je vois et le touche d'une seule balle pour l'achever. Je dois être précise, je n'ai pas beaucoup de balle et les autres devraient déjà rappliquer vu le boucan que nous faisons.

Jera en touche deux et j'en atteins un autre juste au-dessus d'une de ses défenses. Il s'écroule près de moi, me forçant à reculer.

Les autres sont toujours en train de s'acharner sur l'un des vaisseaux, d'après le bruit qui remonte des parois du cratère.

_ On bouge !, scande Jera à mon attention.

Je me retourne et cours vers Martin pour l'aider à avancer. Hemming relâche Furie et tape deux fois dans ses mains. Le chien fonce sur nous et laisse Martin monter sur son dos, avec Masana. Nous continuons de courir. Jera et moi, nous retournant souvent pour surveiller nos arrières.

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