Tome III - Chapitre deuxième

Il me sourit et vient me prendre dans ses bras.

_ Je suis super content de te voir, murmure-t-il à mon oreille.

_ Comment ils vont ?

Il s'éloigne et nous nous asseyons chacun sur un matelas. A la lueur de la bougie, je me croirais presque dans Faniath mais le bruit du vent et le bruissement des feuilles me ramène constamment à la surface.

_ Bien. Ils sont en sécurité. On les a repêchés dans la forêt Nord, étant donné qu'on a fermé le puit. Explique-moi, s'il-te-plaît. Parce que des messages aussi courts ne sont d'aucune utilité pour tout comprendre.

_ Kasey m'a trahi...

_ Il m'a déjà tout raconté. Je veux parler de ton plan.

Tobias a été la première personne au courant, hors Jera, que je planifiais quelque chose dans mon coin. Et comme Gio me l'a si bien dit, j'aurai besoin de quelqu'un qui sache tout pour m'aider. Et Tobias est la seule personne que je sais être de taille pour la mission qui va suivre.

_ Je vais faire tomber mon père, mais ça tu le savais déjà. Lors de l'émission de Tiffany Houtch, toute la planète a vu que je suis engagée dans l'Armée.

_ Oui, d'ailleurs Kara n'a pas manqué à son devoir. Elle t'a traitée de tous les noms.

Je ris à cette remarque. Je la vois très bien faire ça, en plus. Le rouge qui lui monte aux joues, ses muscles qui se contractent et ses innombrables tresses qui voltigent autour de son visage alors qu'elle hurle à gorge déployée.

_ Ça ne m'étonne pas d'elle, dis-je en souriant. Bref, je n'ai parlé de ça à personne, tu seras la seule personne au courant d'exactement tout mon plan dans les moindres détails. D'abord, il faut que tu nous débarrasses des gardes en bas. Un kidnapping improvisé fera l'affaire. Il faut que l'on croit que Jera et moi nous sommes fait prendre en otage. Nous avons déjà fait croire à mon père que Kasey s'était fait enlevé.

_ Je vois. Tu as besoin de moi pour quoi, au juste ?

_ Tu as ce que je t'ai demandé ?

Il sourit et sors deux petites boites grises en fer blanc. L'une contient deux pastilles blanches.

_ Ça, ce sont les coupe-circuits. Et ça...

Il ouvre la deuxième boite et me montre plusieurs petits comprimés jaunes foncé.

_ Ce sont...

_ Oui, exactement. Berty a fini le prototype hier. Et il marche, mais il faudra que le premier essai se fasse avec lui.

_ Faut que je lui dise merci pour les languettes de survie. Je ne peux même pas compter combien de fois ces petits bouts verts m'ont sauvé la vie !

Nous nous sourions en essayant de parler le plus bas possible.

_ Que comptes-tu faire avec ça ?, me demande Tobias.

_ Il faut que j'aille là où toutes les opérations se font, mais incognito. Je suis pratiquement en deuxième position sur la liste des ennemis publics. Tu peux m'y emmener ?

_ Kasey a parlé d'y aller aussi. Ils vont rejoindre la milice. Tu partiras avec eux si les comprimés marchent.

_ Il faut qu'ils marchent. C'est ma seule chance ! Alors c'est comme ça que ça s'appelle ?

Je ne savais pas que les gens qui organisent le coup d'état avaient un nom à eux, c'est assez drôle.

_ Oui. Ils sont dans le canyon, à l'ouest. C'est un voyage de plusieurs heures à pieds. Mais Hemming a Furie et moi, j'ai les véhicules de la Garde. Vous pourrez gagner du temps avec ça.

J'acquiesce et soupire. Que c'est compliqué d'organiser tout ça !

_ Tu devras venir nous chercher en pleine nuit, pour pouvoir nous faire rentrer sans que personne ne nous voie. Jera n'est pas au courant pour les pilules alors il faudra que tu me laisses lui parler. Jera ira avec Kasey et les autres. Toi, tu me feras passer pour une prisonnière retrouvé hier plus loin à l'Est. Ses comprimés devront marcher à merveilles.

_ Ils ne vous trouveront pas.

J'expire un bon coup et le regarde dans les yeux. Tobias s'installe plus confortablement en plantant ses yeux dans les miens.

_ Nam, qu'est-ce que tu as prévu de faire ?

Je le regarde et me forte les mains.

_ J'ai fait tout ça pour me rapprocher de lui. Pour être à l'abri du danger quand ça viendra. Et dès que je serai avec lui, je le tuerai. Si je ne me trompe pas, vous allez préparer un assaut sur Acropolis ? (Il me fait oui de la tête). Je devrai partir avant vous, pour le prévenir. Il va sûrement envoyer des avis de recherches et des troupes pour nous retrouver, Kasey, Jera et moi. Il voudra m'avoir avec lui.

Tobias fronce les sourcils.

_ Encore une fois je t'en demande trop.

_ Pourquoi tu dis ça ?

Quand je lui apprends tout ce que je sais sur les ogives et la boite, il comprend de suite.

_ Nam, tu ne peux pas...

_ C'est là que tu vas rentrer en jeu, aussi...

Alors qu'il semble devenir fou, je lui explique la fin de mon plan. Ses yeux se révulsent quand je finis de parler.

_ C'est de la folie. Jamais je ne te laisserai là-bas !

_ Et pourtant tu vas le faire.

Tobias se prend la tête entre les mains.

_ Nam... T'es comme ma fille... Tu ne peux pas me demander ça...

_ Et pourtant, il va le falloir, Tobias. Même si c'est horrible.

Il laisse tomber sa tête en avant. Pour le calmer et le rassurer, je lui caresse son crâne rasé de près. Il saisit mes doigts et les serrent contre sa bouche.

Ça fait mal, je sais. Mais il faut se faire violence pour parvenir à ses fins.

*

Deux heures plus tard, après que nous nous soyons mis d'accord Tobias et moi, il revient avec dix hommes à lui. Cinq passent par en dessous, quatre par le toit. Jera est remonté pour nous rejoindre en haut.

Des bruits de pas, des coups secs, des cris de surprise puis plus rien. Les hommes de Tobias reviennent et nous disent que la voix est libre.

_ On y va !, nous dit Tobias.

Nous récupérons les affaires et nous nous éloignons le plus rapidement possible de la tour. Nous partons vers l'Ouest où un autre groupe de trois hommes de la Garde nous attendent.

_ Gio et Iori ? Tu as des nouvelles ?, dis-je m'adressant à Jera.

_ Oui. Ils sont partis plus au Sud pour chercher de l'aide.

_ Il faut que je te dise, Jera. Je ne reste pas.

Jera me regarde tandis que nous continuons de courir vers l'Ouest.

_ Comment ça ?

_ Je dois repartir. Tu ne dois pas savoir où.

_ Encore ton plan en solo ?

_ Exactement, Jera. Tu dois me faire confiance.

Jera souffle bruyamment avant de me faire promettre de rester cachée et en bonne santé.

_ Je te le promets !

Nous continuons de courir pendant plusieurs minutes avant d'arriver à un amas de rochers énormes. Tobias nous montre le chemin. Un trou où peut passer seulement une personne à la fois traverse la terre pour aller sous la montagne de pierres. Tobias passe d'abord, puis moi, Jera et les autres.

Je m'allonge par terre et rampe pour passer dans le trou. Il faut vraiment s'allonger pour pouvoir passer, le plafond est très bas. Par moment, la pierre me rappe le dos mais je ne me plains pas. Je rampe sur plusieurs mètres en pente douce. Mes ongles sont pleins de terre, mes cheveux sont sales et mes vêtements, n'en parlons pas.

Après encore quelques mètres, la pente s'accentue et je me sens à nouveau respirer. Le plafond s'éloigne et je vois une lueur orange au loin. J'accentue mes efforts et au bout, je rampe pour faire un roulé boulé sur la terre pour atterrir dans une caverne à hauteur d'homme. Un homme nous attend, portant une torche en feu. Tobias et lui discutent alors que j'ai Jera à s'extirper du tunnel.

_ Mon dieu, je n'avais pas fait ça depuis des lustres.

_ C'est ça de rester assis derrière un bureau dans une tour d'ivoire !

Nous pouffons de rire et aidons les autres à rejoindre la pièce. Une fois que tout le monde est là, Tobias et l'homme à la torche nous emmène dans un dédale d'escaliers qui n'arrêtent pas de descendre, puis de remonter. Je suis Tobias à la trace avec la respiration sonore de Jera derrière moi. Au bout de quelques marches encore, nous arrivons à un couloir. Tobias s'arrête et se retourne sur nous.

_ Jera, je dois emmener Nam pour lui poser des questions. Les gardes vont te conduire auprès des autres.

Avant que Jera ne s'en aille, je le salue et lui dis de ne surtout pas dire que je suis ici.

_ T'en fais pas, je garderai ma langue.

_ Comme avec Gio ?, souris-je.

Il rigole et s'en va. Tobias s'approche de moi et me fait patienter quelques minutes.

_ Nous allons t'emmener voir Berty Asomovitz pour faire les tests des comprimés. Il te montrera aussi comment faire fonctionner les coupe-circuits.

_ D'accord.

_ Allons-y alors.

Dans le silence le plus complet, Tobias m'emmène seul sur la place du village. Faniath, avec ses cocons suspendus et l'air et ses stands recouverts. Soudain, une idée me vient en tête.

_ On peut faire un arrêt rapidement, avant que...

Tobias me regarde et comprend tout de suite à quoi je fais allusion. Il tend son bras dans une direction et je le suis du regard. Je souris et lui dis que je reviens tout de suite.

La place du village est totalement vide, seulement éclairée par les flammes des torches. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu ça. C'est si calme. Je me promène à travers les allées des armes, juste à côté des escaliers pour rejoindre les cocons. Mécaniquement, je me dirige droit sur le couloir de la petite crypte, Tobias sur les talons.

Ce long couloir que j'ai dû traverser lorsque Tania est partie. Y repenser me rend la gorge toute serrée. Je m'avance encore et vois enfin son emplacement.

_ Salut toi...

Voilà que je parle seule, maintenant !

Je secoue la tête et m'avance vers la pierre qui contient mon amie.

_ Ça fait un bail... Mmh... Roh, je suis idiote !

Je me retourne sur Tobias, qui me sourit. On s'éloigne de cet endroit. Je marche à la va-vite et me rends au potager. J'accélère le pas et me jette littéralement sur le petit coin d'herbe.

La lune éclaire les arbres au plafond et je me remémore tout ce qu'il s'est passé avant d'arriver ici, à cet instant, à cet endroit précis.

Je me souviens de la prise de Laina par l'Armée comme si c'était hier. Tous ces gens qui courraient et criaient. Les Hazes qui nous pourchassaient. Et cette petite fille qui a crié alors que le Haze était en dessous d'elle. Cette fumée qui l'a happée comme un feu qui embrase une forêt. J'ai eu tellement peur. Et c'est là que j'ai rencontré Kasey.

Je me souviendrai toujours de sa dégaine. Sale, les cheveux mi-longs lui arrivant devant les yeux. Des yeux effrayés et les vêtements pleins de sang. Et c'est après que ça a dégénéré.

Il m'a fait me perdre moi-même. Il m'a forcée involontairement à quitter mes idéaux et à m'oublier. J'ai perdu de ma force de caractère avec lui. J'ai fendu ma carapace. Et je me suis sentie trahie lorsque j'ai compris par mon père qu'il m'avait tendu un piège.

Je me suis sentie tellement seule. Livrée à moi-même. Mais j'ai pu me relever d'une façon dont j'ignorais ma capacité.

Et maintenant, je comprends qu'il ne m'a pas laissé tomber. Je l'ai vu quand il attendait à la fin des duels. Je l'ai vu dans ses yeux, quelque part, que jamais il ne me lâchera. Je l'ai vu quand il a prononcé les mots « je t'aime » dans mon appartement. Je le comprends, maintenant. Au début, je ne voyais rien. J'étais aveuglée par ma haine envers mon père et envers les duels. Et envers Kasey aussi. J'étais perdue. J'avais retrouvé le frère de Tania, je l'avais perdue, elle. Tous les deux. Mais ma rage était là. À chaque fois.

En fait, au fond de moi, il se passe un truc depuis que j'ai croisé sa route. Elle me rend plus forte. Comme Kasey. Il est idiot, parfois. Bête, souvent. Tête brûlée, un peu comme moi. Courageux. Puéril. Souvent !

Mais il a un grand cœur et il fait attention à ceux qui l'entourent. Il a fait attention à moi. Pratiquement tout le temps, il était là, en fait. Un peu comme... Un sauveur...

Je dois arrêter ! On parle de Kasey, là ! Stop ! Celui qui m'a trahit !

_ Tu dois être furieuse, non ?

Je regarde Tobias qui s'assied à côté de moi.

_ Je le vois, t'as une ride entre les sourcils quand tu penses à quelque chose qui t'énerve.

_ Tu me connais mieux que personne.

Tobias ricane et prend ma main pour m'emmener voir Berty.

*

Tobias et moi traversons encore des couloirs. Il m'entraîne dans un escalier tout près de l'échelle. Au bout, plusieurs couchettes sont disposées contre les murs, munies de couvertures. Mais elles sont toutes vides.

_ C'est là où les gens dorment pour que Berty puisse faire ses tests. Etre immortel à de bons côtés, il ne peut pas nous tuer si ça ne marche pas. Enfin, on meurt mais on revient quelques secondes après.

_ Vous n'avez pas eu de blessés pendant le braquage ?, demandé-je finalement.

Le visage de Tobias se ferme quand le souvenir du vol lui revient en mémoire.

_ Non. Ils ont fait ça en douce. Dès qu'on a su ce qui allait se passer, nous nous sommes cachés. Suite à ça, on a barricadé toutes les sorties sauf celle que l'on vient de prendre. La sortie secrète de la falaise aussi, nous l'avons fermé. Clark était passé par là pour s'enfuir.

_ Je suis désolée.

_ Nam, nous avons quand même gagné du temps. Ils ont construit d'autres lanceurs, ils sont en train de retravailler le Pluratium. On a toujours des taupes à Acropolis. Reste ici. Je vais prévenir Berty que tu es là.

Il me laisse dans le couloir au bout duquel une porte est grande ouverte.

_ Tu peux la faire rentrer, Tobias !

Une voix arrête ce dernier en pleine ascension vers la pièce. Il se retourne vers moi en souriant. Je le suis et nous entrons enfin dans le bureau de Berty Asomovitz, le génie.

Un bureau qui me fait vaguement penser à la salle d'arme où Manny bricolait mon arbalète pendant que Bobby, son cousin, gardait la boutique. Un bordel d'un côté et une magnifique étagère bien rangée de l'autre.

Soudain, un homme, aux cheveux blancs brillants et bien coiffés, sort de derrière une colline de pièce détaché.

_ Oh, enfin vous voilà !, dit-il en chantant.

Des lunettes avec plusieurs verres, comme des loupes, sont installées sur son nez. En appuyant sur un bouton, les verres se lèvent un à un pour faire apparaître les lunettes d'origine. De simples verres avec une monture d'écailles. Avec toutes les loupes, ses yeux paraissaient surdimensionnés mais, maintenant, ses yeux sont devenus plus petits que la normal.

_ Vous devez être Nam, n'est-ce pas ?

_ Et vous le génie ?, dis-je en serrant la main qu'il me tend.

_ Je vous ai vu à la télévision. Vous avez fait grande impression.

Je vire au vert d'un seul coup.

_ Oh, ne vous en faites pas, je vous fais confiance depuis le début. En fait, je vous fais confiance depuis que Tobias ici présent vous fait confiance.

_ Merci !, dis-je en souriant, gênée.

_ Approchez ! Vous avez les boites ?

Tobias les sors de ses poches et les tends à Berty.

_ Alors, voyons voir !

Il appuie de nouveau sur le bouton et les loupes se remettent en place avec grâce. Il ouvre les boites et trifouille dans sa boite à outil pour en sortir une commande.

_ Voici une commande pour calculer les distances d'un mur à un autre. Si vous prenez un disque coupe-circuit et que vous le posez dessus, avec les aimants tout matériau...

En joignant le geste à la parole, il allume la commande qui brille de toutes les couleurs. Il pose le disque qui va se coller de lui-même sur l'objet et soudain, la commande ne brille plus. Je la saisis et l'examine sous toutes les coutures.

_ Incroyable !

Berty me la demande et retire le disque pour que la commande reprenne vie.

_ Si vous voulez l'utiliser, il faut que vous le cachiez bien sur l'objet que vous visez. Il ne faut pas qu'il soit retiré.

_ D'accord. Pour les comprimés, comment ça se passe ?

_ Patience ! D'abord, faut vous enlever la puce de votre dos.

Je fronce les sourcils et les regarde tour à tour.

_ Quelle puce ?

_ Celle que l'Armée t'a introduite lorsque tu es arrivée dans la prison.

Berty me force à m'asseoir et me soulève le t-shirt. Je suis un peu gênée mais après ce qu'il s'est passé dans la salle d'interrogatoire de la prison, lors de ma première semaine là-bas, je ne comprends pas comment c'est encore possible.

Des tintements dans mon dos me forcent à tourner la tête mais je finis par pousser un gémissement quand je sens quelque chose me taillader la peau du dos. Je fais tout mon possible pour ne pas devenir complètement dingue face aux flashbacks de mon enfance. Et en quelques secondes, c'est fini. Berty semble jeter un objet en fer sur son bureau. Il me donne une languette de survie et je la mets sur ma langue. Et d'un coup, la douleur s'en va. Tobias essuie mon sang dans mon dos et la blessure se referme toute seule.

_ J'ai amélioré les composants. Les languettes de survie sont plus rapides que jamais !

Je baisse mon t-shirt et me retourne. Dans une coupelle, une puce pas plus grande qu'un grain de riz scintillent sous les lampes en led.

_ Ne vous en faites pas. J'ai installé des brouilleurs tout autour du village. Le système GPS de ces puces ne marchent plus.

Il écrase à l'aide d'un marteau la puce et elle s'effrite en plusieurs morceaux devant nos yeux.

_ Et ces comprimés alors ?, dis-je pour changer de sujet.

Berty me sourit, prend la boite et m'en tend un.

_ Placez sur votre langue et laissez le fondre.

Je m'exécute et sens le comprimé se dissoudre sur mes papilles. Quelques instants plus tard, je sens ma peau se gonfler et se boursoufler de part et d'autres de mon corps. Puis le sol vacille sous mes pieds et mes os craquellent en me demandant de hurler de douleur. Je gémis seulement. Je dois souffrir en silence si je ne veux pas que tout le village accoure pour voir qu'il y a une traîtresse dans Faniath. J'essaie de respirer quand je sens mes cheveux pousser à l'envers et rentrer dans mon crâne. Ma mâchoire et l'intérieur de ma gorge me font souffrir atrocement en se contractant. J'observe mes doigts et remarque que mes doigts ont triplés de volumes, comme mes mains. Sur leur dos, des poils noirs apparaissent drus, comme sur mes avant-bras. Et comment je peux le voir ? Parce que toutes les coutures de mes vêtements ont craqués sous l'ampleur de mon corps qui ne cesse d'augmenter de secondes en secondes. Puis la douleur se tarie, et mon corps se relâche complètement sur le sol.

_ C'est pas vrai ! Nam ?

Je gémis encore une fois avant de relever la tête et voir Tobias et Berty me regarder attentivement. Tobias saisit une couverture et me la jette dessus.

_ Pourquoi la couvrir ? Elle a une anatomie parfaite !

_ Ce n'est pas son anatomie, justement !, prononce Tobias.

_ Mais de quoi vous parlez ?

Tout le monde s'arrête lorsque ma voix – qui n'est pas ma voix – sort de ma bouche – qui n'est pas ma bouche.

_ Un miroir. Je veux me voir.

_ Oui, par ici !

Berty et Tobias m'emmène, chacun d'un côté, vers un grand miroir au fond de la pièce. En me voyant dedans, je manque de faillir.

_ Oh bordel ! Mais c'est quoi ça ?

_ Les comprimés permettent la mutation des gênes. Ainsi, vous avez pu changer d'apparence.

_ Je suis un homme...

Les mots sont tellement impossible à prononcer que je dois me reprendre.

_ Je suis un mec ?!

_ Et pas des moins attirants, je vous l'assure !, ajoute Berty.

Je m'avance d'un pas en les forçant à me lâcher. Je baisse la couverture jusqu'à ma taille pour pouvoir contempler l'homme en face de moi, dans le miroir.

_ Les gênes sont propres à chacun. En prenant le comprimé, vous ne ressemblez à personne d'autres, sauf à vous-même, mais en mâle.

_ Comment tu te sens ?, me demande Tobias.

_ Bizarre. Vraiment bizarre.

Le corps devant moi et développé, très développé. Mes muscles saillent sous ma peau, mes cheveux sont courts, comme ceux d'un homme, mes yeux sont de la même couleur, mon nez est plus masculin ainsi que mes lèvres. Ma mâchoire est plus carrée et même ma voix est celle d'un homme. Je suis plus grande que la Nam féminine. La Nam masculine est... Wow...

_ Combien de temps ils prennent effet ? Les comprimés ?

_ D'après mes essais, ils tiennent entre dix-huit et vingt-quatre heures. Vous devrez en reprendre lorsque vous commencerez à avoir mal aux muscles. Ce sont les premiers changements. Vous n'aurez pas autant mal mais, lorsque vous déciderez de complètement arrêter les comprimés, vous ne pourrez pas vous empêcher de souffrir le martyr.

_ Tobias, tu peux aller me chercher des vêtements, s'il-te-plait ?

_ Oui, bien sûr !

Je ne peux m'empêcher de voir ma transformation. Berty se tient à côté de moi et me contemple comme si j'étais le Graal de ses recherches.

_ Je suis très heureuse de voir qu'il marche. Vous êtes mon premier sujet humain.

Je me retourne et le regarde, complètement assommée.

_ Premier sujet humain ?

_ Oui. Avant j'utilisais ça sur des singes hybrides. Quelles bêtes hideuses ! Heureusement qu'il y en a dans la forêt voisine !

Oh, comment oublier cette soirée avec Kasey et ses tours de passe-passe ?

_ Au fait...

Je vais devoir m'y faire à cette voix profonde. Ça va être marrant !

_ Merci pour vos inventions. Vous ne savez pas combien de fois elles m'ont sauvées la vie !

_ J'en suis très heureux. Vous avez mal quelque part ?

_ Non, je vais très bien en fait. Je suis en pleine forme.

_ Parfait alors !

Nous nous sourions et je remonte la couverture sur mes épaules. Il fait froid quand on est sous terre et nu comme un ver.

_ Tiens, voilà ! J'espère que ça t'ira !

Tobias revient en courant avec des vêtements à lui. Effectivement, je remarque que j'ai la même corpulence que lui. Je leur demande se tourner. Berty le fait mais Tobias met plus de temps.

_ Tu sais, t'es plus une fille alors arrête d'agir pudiquement.

_ Oui, mais c'est encore mon esprit, mes pensées et mon avis. Maintenant, je suis de taille à te mettre à terre alors fais ce que je te dis !

Tobias rigole et se retourne. J'enfile un caleçon, un pantalon noir, un pull gris foncé et des rangers avec des chaussettes. Quand j'ai finis, je leur dis qu'ils peuvent se retourner et Tobias me tend un blouson marron en cuir. Je glisse le collier de Tania sous mon t-shirt. Heureusement, on ne devine pas que j'en porte un. Le pull de Tobias est trop épais pour le discerner.

_ C'est dépareillé mais c'est tout ce que j'avais en stock.

_ C'est parfait, merci. Berty ?

Il relève la tête, comme si je l'avais dérangé dans des réflexions profondes.

_ Oui ?

_ Les boites ?

_ Oui, évidemment !

Ils les referment et me les tend une à une. Je compte combien j'ai de pilules et de disques coupe-circuits. Dix au total et trois coupe-circuits. Berty m'en a rajouté un, au cas où. Je regarde autour de moi en arrangeant encore un peu mon t-shirt. Quelques petites boites grises métalliques m'attirent. Tobias et Berty continuent de discuter ensemble. Je m'en approche et une sombre idée traverse mon esprit quand je regarde ce qu'il y a marqué sur chacune d'elles. J'en prends une et la fourre dans ma poche, ni vu ni connu. Je me retourne et m'approche du groupe. Quelques secondes plus tard, nous laissons Berty seul reprendre son activité et partons, Tobias et moi.

_ C'est vraiment flippant, confesse-t-il dans le couloir. J'ai l'impression que c'est toi sans être toi.

_ Il y a de la ressemblance ?

_ Non. Aucune. Sauf les yeux. Sûrement parce que je t'ai vu te...

_ Transformer ?

_ Oui, on va dire ça.

Nous arrivons enfin sur la place des marchands. Nous la traversons de part en part pour rejoindre un autre couloir. Celui-là se déverse sur un dortoir. Et il n'est pas vide. Tobias se penche vers moi avant de le pénétrer et murmure à mon oreille :

_ Souviens-toi t'es un mec, maintenant.

_ Je peux toujours me la jouer taciturne.

Tobias me sourit, me tapote le dos et m'entraîne avec lui dans le dortoir. J'observe qui dort. Je n'ai pas de peine à reconnaître Masana et Martin, tous deux dans des lits rapprochés. Sur ma droite, il y a Jera et Kasey qui ne dorment toujours pas. Et dans le lit suivant, il y a Hemming, dormant en boule autour de Furie. Ils ronflent.

_ Tobias ?

C'est la première fois que je l'entends depuis qu'il m'a dit « je t'aime ». Bon, faut que j'arrête de penser comme une fille.

_ Shhh... C'est un nomade. Mes gardes l'ont trouvé dans la forêt plus loin. Je l'installe avec vous. Il allait à Osgor, lui aussi.

La ville dans le canyon dont m'a parlé Tobias, plus tôt. Là où il y a la milice. Enigmatique, je m'en vais au fond du dortoir m'allonger sur une couchette. Tobias me suit de près et me dit de rester calme et silencieux.

_ Kara ne sait pas que tu es là... Et il faut te trouver un nom.

_ Je n'en ai pas. Disons que je suis amnésique. Je vaque vers nulle part sans but précis. Faut que je m'invente un rôle.

_ D'accord.

Tobias se lève mais je le retiens avec ma voix nouvellement masculine :

_ Le nomade. J'aime bien.

Il me sourit et file hors du dortoir pendant que je défais mes chaussures pour dormir.

_ Un nomade ?

Je relève la tête et aperçois Kasey qui s'adresse à mon nouveau moi. J'acquiesce de la tête et continue de défaire mes lacets.

_ Où sont tes affaires ?

_ Trop lourdes. Je n'en ai pas.

Je m'allonge et leur tourne le dos sous ma couverture. J'ai du mal à dormir ce soir.

*

_ Allez debout tout le monde ! On lève le camp !

Masana et Martin grognent en se levant. Hemming et Jera sont déjà près. Kasey n'est pas là. Tout le monde se précipite hors de la pièce alors que Kasey nous approche.

_ Euh... Y a une mauvaise nouvelle...

_ Laquelle ?

_ ELLE EST OÙ ?, crie une voix féminine rageuse.

Ah ! La seule voix dans tout Atorn qui ne m'a jamais manqué !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top