Tome II - Chapitre vingtième

_ Qu'est-ce qu'il se passe ? Il y a beaucoup de dégâts ?

J'entre en trombe dans le bureau de mon père, le trouvant souriant comme jamais. Il me regarde, fier de lui.

_ Non, Nam ! Les agitateurs ont été appréhendés rapidement. Tu as fait grande impression, à l'émission. C'était vraiment exaltant !

Je soupire de joie devant lui et lui sourit.

_ Mesdames Ukini et Houtch vont bien ?

_ Elles ont été emmenées dans leurs appartements, saines et sauves ! Comment s'est passé le troisième duel ?

Je prends l'air blasée pour lui faire plaisir.

_ Pas de mort à signaler. Martin s'est pris un coup de pelle à la tête mais il a réussi à emmener l'émeride jusqu'à l'eau, sur la plage. Mais tu as dû le voir, sûrement.

_ Oui, je l'ai vu.

Mon père se lève de son siège en boutonnant sa veste. Il se poste devant moi, me dominant d'une tête. Sa main vient se poser sur mon épaule. Je trésaille à peine.

_ Tu as encore peur de moi ?

_ Non !, dis-je en secouant la tête. Une vieille habitude, en fait. Je n'aime pas trop que l'on me touche. Ce n'est pas très plaisant.

Surtout qu'avec toi, c'est encore pire !

_ Vivre seule pendant tout ce temps t'a vraiment transformée !

Je soupire et le regarde d'un air désolée.

_ Je suis navrée d'avoir mis autant de pagaille, ici.

_ Tu plaisantes, j'espère ? Tu as fait exactement ce que j'attendais de toi, là-bas !

_ Vraiment ?, feins-je. Tu trouves ? Enfin, j'ai dit la vérité, c'est tout. Même s'il y a eu des complications par le passé, j'ai oublié maintenant. Je ne suis plus rancunière.

Mon père me sourit et me sert contre lui. Décidément, ce soir, c'est vraiment la soirée des choses inattendues !

_ Je suis fière de toi, Nam ! Jera me dit beaucoup de bien de toi. Tu épates Isabelle.

_ Je suis bien la fille de mon père !, dis-je en le regardant droit dans les yeux. Tu m'excuses ? Il faut que je retourne m'assurer que je suis bien remplacée.

Mon père respire un grand coup et me frotte les bras.

_ Tu as bien mérité ton repos du guerrier. Demain après-midi, je voudrais te voir ici, c'est possible ?

Je fronce les sourcils et le regarde attentivement.

_ Pourquoi donc ? Il y a une réunion ?

_ Pas à proprement parler !, avoue-t-il en retournant à son bureau. Je voudrais te montrer un projet. Celui dont je t'ai parlé, la dernière fois. Puis nous rejoindrons les autres pour un dîner. Demain soir, c'est le grand soir !

_ Que veux-tu dire ? Tu piques ma curiosité, père.

Connors sourit et croise ses doigts au-dessus de son bureau.

_ C'est une surprise, ma chérie. Va te reposer, maintenant. Et fais-toi belle demain.

Je lui souris et le salue en lui répondant que je serais prête. Je m'apprête à sortir lorsque mon père me retient encore une fois.

_ Ah, avant d'aller dormir, Jera voudrait te voir dans le jardin des cerisiers pour votre réunion à huit clos.

Je lui souris tendrement.

_ Ah ! Il t'en a parlé ?

_ Bien sûr, je suis au courant de tout, ici ! Il m'a dit qu'il devait voir avec toi les préparatifs pour coincer les papillons.

Les papillons ? Mais de quoi il parle ?

Bien sûr je lui fais un signe de tête lui prouvant que je m'occupe de la situation. Alors qu'en fait, je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe.

Je passe les portes en verre blindé et salue les deux émerides dernier cri qui protège mon père des intrus. Je descends les escaliers et atteins l'ascenseur en rien de temps. Sereine mais remplie de question.

*

Dans l'ascenseur, je ne peux m'empêcher de repenser à mon troisième cauchemar. Et dire que j'aurais dû être présente au troisième duel. J'aurais sûrement finie comme dans mon rêve là-bas : un coup de pelle dans la tête et ce serait terminé. Mais je ne dois pas me flageller. Ils sont vivants, c'est le plus important.

Bon sang, Nam ! Ne redeviens pas sensible comme avant ! Tu t'es fait une promesse ! Tu as fixé ton but, alors on s'y tient ! Tu as bien failli te faire griller à plusieurs reprises, ce soir ! Si c'est le cas, ton temps est compté !

Je souffle un bon coup et attends mon arrivée en bas.

Une demi-heure plus tard, dans le jardin, je trouve un Jera très agité, faisant les cent pas. Je le rejoins en deux foulées et lui tapote l'épaule. Il sursaute et se retourne vers moi.

_ Nam, il faut qu'on discute. Tout le monde panique. Tout ce que tu as prévu doit être précipité.

_ Attends, ralentis ! Je ne comprends rien à ce que tu me racontes, là. Et c'est quoi les papillons ?

Jera me demande de m'asseoir et reprend son souffle. Il se tourne vers moi pour me regarder solennellement.

_ Plusieurs choses vont se passer. Tout d'abord, notre couverture est plombée. Nous sommes les papillons.

_ QUOI ?, m'écrie-je.

_ Pas la tienne !, me rassure-t-il en me prenant par les épaules. La nôtre, seulement. Plusieurs agents doubles ont été démasqués.

_ Kasey et toi, vous...

_ Nous ne sommes pas remis en cause. Kasey est protégé par le fait qu'il t'ait ramené et moi, j'ai plusieurs casseroles derrière moi qui prouvent mon allégeance à ton père. Il faut que tu te calmes, maintenant.

Je souffle un bon coup en prenant ma tête entre mes mains. Je regarde le ciel et me remémore la caverne de Faniath. Où les légumes s'élèvent et les arbres poussent à l'envers.

_ Toutes ces choses horribles que tu vas devoir faire vont commencer demain, alors il faut que l'on fasse vite.

_ Dis-moi ce qu'il y a à savoir. Je m'arrangerai avec le reste.

Jera sourit faiblement et m'explique tout ce qu'il y a à connaître.

*

De retour dans ma chambre, j'aperçois Water aussi agité que Jera, mais pour une tout autre raison. Et quelque part, sa voix non-humaine a quelque chose de réconfortant.

_ Madame Nam ! Madame Nam !

_ Water, je t'ai déjà dit. Juste Nam, dis-je en m'affalant dans mon fauteuil.

_ D'accord, mais j'ai trouvé quelque chose ! Venez voir !

Je me redresse et m'approche de mon robot personnel. Ses doigts, guidés par ses mains en métal, voltigent autour d'une plaque en bois sortant du mur séparant mon bureau et ma chambre. Un trou dans lequel une étrange machine était entreposée. Maintenant, elle est installée sur la plaque en bois.

_ Qu'est-ce que c'est ?, demandé-je intriguée.

_ Ceci est une machine qui permet de lire de la musique.

Un gros bloc de gris, surmonté d'un énorme disque et d'une petite branche se terminant en aiguille.

_ On appelle ça un tourne-disque. Ils en avaient des centaines sur Terre, avant. Le précédent locataire de votre bureau aimait beaucoup les objets dans l'ancienne ère.

Je passe un doigt sur la branche et remarque qu'il en ressort tout gris.

_ C'est plein de poussière. Personne ne l'a utilisé depuis des lustres.

_ D'après mes informations dans le réseau spontané, il appartenait à votre père quand il était jeune. Seulement le disque que j'ai trouvé et un bien meilleur état de nettoyage.

Je me tourne vers Water, qui me tend une pochette en carton très grande, dans laquelle se trouve un disque. Le disque le plus énorme que j'ai jamais vu. Je le sors et l'examine. Un autocollant bleu délavé et à moitié arraché est collé au centre. Je devine seulement le visage d'une femme, avec une coiffure vieillotte.

_ Tu sais comment ça marche ?

_ Non, Madame Nam, je...

_ Water ?

_ Oui, désolé. Non, je ne sais pas comment il marche. Dans le réseau spontané, rien n'indique un mode d'emploi. L'objet est trop vieux pour être répertorié comme les scanner oculaire où les autres objets de notre création.

Je le fixe avec de grands yeux.

_ D'autres objets de notre création ?, demandé-je empressée. Comme les Hazes ?

_ Oui. Tout ce qui a une empreinte rouge, comme les yeux chez les Hazes sont notre marque de fabrique. Vous ne le saviez pas ?

J'adopte un visage émerveillée. Qui sait qui me regarde !

_ Ce n'est pas vrai ? Incroyable ! Je n'en savais rien ! Du temps où j'étais à l'extérieur de la Capitale, je croyais que c'était juste des tares chez les animaux, comme des maladies.

_ Non, pas du tout. C'est seulement notre moyen de dire que nous sommes les créateurs.

J'hoche la tête et regarde ce que Water vient de découvrir.

_ C'est excellent, Water ! Je vais tenter de savoir comment ce truc marche. Comment tu appelles ça, déjà ?

_ Un tourne-disque.

Je fais pivoter la pochette en carton vierge d'image et d'écriture. Je la tends à Water et lui demande de tout ranger.

_ Je vais aller me coucher. J'ai du travail demain et la soirée a été très longue.

_ Oui, j'en ai entendu parler. Les pauvres ont commencé à devenir totalement fous dehors. Mais nous les avons tous eu !

_ Oui, heureusement !

Je contourne le mur et m'en vais me déshabiller tranquillement pour aller me coucher. Water me borde et me dit bonne nuit avant de se mettre en veille de l'autre côté de la pièce.

Je ferme mes yeux sans vraiment faire attention. Puis je sombre dans un sommeil profond.

*

Le lendemain matin, je me réveille doucement mais pas grâce à Water. Je me suis réveillée plus tôt de prévu, alors je garde seulement les yeux ouverts. Aujourd'hui est le grand jour.

Je ne sais pas encore je vais m'organiser pour certains détails mais je pense que j'agirai en fonction de ce qui se présentera devant moi. Jera n'est pas au courant de tout, cependant. Je vais devoir faire avec. Il m'a juste dit que je devais faire attention à ce soir à ce que je vais faire, et que si ça tourne mal, quelqu'un viendra m'aider. Je ne sais pas qui est-ce mais je devrais faire une de ses choses horribles dont je lui ai parlé. Je vais devoir tuer.

Alors, au travail !

Je toussote et Water se réveille tout à coup. Je me redresse et lui donne un sourire serein.

_ Bonjour Water !

_ Bonjour, Mad-... Nam !

Je lui souris et m'habille en quatrième vitesse. Le soleil n'est pas encore totalement levé mais je décide d'aller à la salle de surveillance dès maintenant. Je préviens Water et il acquiesce.

Je sors de mon bureau et dis bonjours à mon garde du corps qui me suit comme mon ombre. Je me dirige avec lui à l'étage en-dessous pour aller visualiser les vidéos surveillances de cette nuit en accélérer et me mettre à jour.

Une fois installée, je demande au soldat de m'apporter un chocolat chaud et quelque chose à grignoter. Il appelle un garde pour accéder à ma demande puis reviens derrière moi, sur une chaise pour faire acte de présence et me reluquer toute la journée.

Je réajuste mon chignon le temps que les vidéos défilent. Revoir les images est rapides, il ne s'est rien passé. Seulement, je me rends compte que l'équipe de télévision a tout laissé en plan ici. Saccagé par l'effroi qu'ont projeté les assauts au Sud de la ville. Des bijoux, des morceaux de tissus et des bouts de métal des appareils jonchent le faux gazon de la villa. Tout est vide, éclairé par seulement les lumières des immeubles voisins.

Au bout de quelques minutes, mon petit-déjeuner arrive. Ils ont même emmené un morceau à grignoter pour le soldat qui me surveille.

_ Bon appétit !, dis-je en croquant ma pomme.

Il m'adresse un signe de tête et commence lui aussi à manger.

Enfin un signe de vie ! Génial !

*

Vers quatorze heures, un garde de mon père m'interrompt alors que je regarde Masana et Martin discuter, tandis que Jared dort toujours.

_ Monsieur Odiel voudrait vous voir, Madame Nam.

_ Bien !

Nous nous levons et mon remplaçant entre au même moment. Un signe de tête et nous le quittons. Je monte rapidement au bureau de mon père où une véritable assemblée s'est réunie dans le salon. Une longue table, recouverte d'une longue nappe blanche et de plusieurs services à dîner, prend toute la longueur du salon. Le canapé, le piano et les quelques meubles qui l'occupaient jusqu'ici ont complètement disparus. Je n'y prête pas trop attention et monte directement au bureau officiel. Les deux émerides n'ont pas bougés d'un poil depuis hier. Je passe devant elles sans même qu'elles n'oscillent.

Il n'y a pas autant de monde qu'en-dessous mais il est difficile de se déplacer dans le grand bureau de mon père.

_ Ah, Nam ! Te voilà ! Merci d'être venue si vite !

_ C'est normal, père.

Un regard circulaire me permet de repérer Clark, Jera, Kasey, Isabelle, le père de Jared et d'autres visages encore inconnus. Sachant maintenant que le père de Jared a tué le fils de Jera, je me demande comment ce dernier fait pour tenir en place et ne pas lui sauter dessus.

Et sur le bureau de mon père, il n'y a rien. Sauf des fils de connexions de plusieurs couleurs, des câbles électriques et d'autres bleus luisants rejoignant une boite assez imposante. Un trou assez grand pour faire passer la main avec au fond une barre. Plus haut, un cercle noir, petit, avec un objectif.

_ Bien, vous êtes tous là ! Je vous présente la clé de tous nos maux.

La boite s'éveille d'un coup et s'éclaire de bleu de part et d'autre. Tout le monde s'agite. Jera et Kasey aussi.

_ Cette boite contient la manette qui peut arrêter les ogives. Nous avons besoin d'empreintes, d'une voix et d'un œil. Qui est volontaire ?

J'examine les alentours. Personne n'est tranquille par rapport à ça.

_ C'est-à-dire d'un œil et d'une voix ?, demande l'un d'entre nous.

Un homme barbu sur ma droite, les bras croisés.

_ Il faut quelqu'un pour désamorcer les ogives si jamais il y a contrordre, intervient Clark. Il nous faut juste des empreintes de doigts, une empreinte vocale et une empreinte oculaire. Je suis la personne qui a conçu ce bijou. Alors vos questions sont pour moi.

Des voix s'élèvent. Des questions fusent dans l'air. Moi, je fixe la boite. Comme si elle m'attirait. Je vois une ombre m'approcher sur la gauche.

C'est ma porte de sortie.

Maintenant !

_ Je suis volontaire !, crie-je au-dessus des autres voix.

Mon père croise mon regard et sourit, comme s'il s'y attendait. Comme hier à l'interview, comme maintenant, quand je lui offre ma vie.

_ Ma chère Nam, commence Clark. Vous ne pouvez pas vous...

_ Alors qu'est-ce que je fais ici ?, le coupé-je en m'avançant vers le bureau.

Mon père s'appuie contre le bureau et me regarde avec fierté.

_ Laissez-nous. Vous tous, laissez-nous.

Je regarde en arrière et observe le bureau se vider. Kasey me fixe avec un regard impuissant, furieux, effrayé et surpris. Jera le prend par le bras et le fait sortir. Il ne se débat pas, comme s'il était sonné. Je me retourne vers mon père et Clark. Les émerides font sortir tout le monde et quand les portes se referment, mon père et Clark me regardent fixement.

_ Tu permets ?

Clark s'approche, tenant à la main un petit écran noir. Il me demande de mettre mes doigts dessus, puis mon pouce. Il tape ensuite sur un clavier et me demande de dire un mot particulier.

_ Jongleur ?, ris-je. Vous n'avez pas un peu plus sérieux ? Ce n'est pas digne de l'Armée, ça !

_ Tu penses à quoi ?, me demande mon père.

_ Euh... Je ne sais pas, moi... Surveillance, Charlie Tango, arme fatale...

Mon père ricane et regarde Clark, qui sourit.

_ Va pour Surveillance.

Je répète le mot et Clark tape encore sur son clavier. Il scanne mon œil et retape encore sur son clavier.

_ C'est fini ! Tout est près !

Mon père vient devant son bureau et me prend par les épaules.

_ Je suis fière de toi, Nam. J'étais sûre que tu allais te porter volontaire.

_ J'ai vu une opportunité et je l'ai saisi !

_ Il faut que tu saches qu'il y a une bombe sous le bureau. Que ce soit toi ou quelqu'un d'autre, on ne peut pas se faire avoir comme des débutants. Si quelqu'un usurpe ton identité, il devra être abattu.

J'hoche la tête, gardant le menton haut levé.

_ Je me doutais de ça. Si je dois donner ma vie à la cause, alors j'accepte.

_ Il faut que tu sois quand même au courant. Clark ?

Clark me sourit et me demande de le suivre.

_ Pour désamorcer la bombe, il faut appuyer sur ce bouton.

Il m'indique une série de deux boutons, l'un au-dessus de l'autre, à l'arrière du bureau.

_ Celui du haut, c'est celui pour verrouiller les portes du bureau. Celui du dessous, c'est le bouton off de la bombe.

_ Y a quoi en dessous ?

_ Deux litres de Pluratium. Juste assez pour faire exploser le bureau, jusqu'aux portes.

_ Il faut limiter les dégâts, si jamais nous réussissons, ajoute mon père. Tu es sûre de vouloir le faire ? Il y a beaucoup de poids sur tes épaules.

_ Oui, j'en suis sûre. Il vaut mieux que tu aies quelqu'un de confiance plutôt qu'un papillon.

_ J'aime cet état d'esprit !

Mon père me tapote le dos. Je me décale aussi rapidement que possible en levant les mains. Mon père m'imite en se confondant en excuses.

_ C'est rien. Je n'ai pas l'habitude, l'assuré-je.

Mon père agite la tête et me dis d'aller me reposer. Nous avons rendez-vous à 19h, habillés pour les grandes pompes.

_ Oui, pour le dîner.

_ Et pour le duel final.

Je relève la tête.

_ C'est ce soir ?

_ Oui. Je donne une réception pour que l'on regarde le dernier combat tous ensemble. Ce sera un grand soir ! Fais-toi belle, rappelle-toi !

Je lui souris et prend congé. Dès que je suis dans l'ascenseur, je ne peux m'empêcher de trembler.

On y est presque !

*

Une fois dans mon bureau, j'essaie de me convaincre que tout va bien se passer. Water reste tranquille devant moi. Il s'est mis en mode veille pour chercher de nouvelles informations comme des archives des vidéos surveillances pour trouver une de mon père se servant du tourne-disque. Quand soudain, il revient à lui.

_ Il n'y a rien. Par contre, vous avez un invité surprise.

_ Pardon ?

Comme une réponse, la porte s'ouvre en grand sur Kasey. Water s'excuse et marche jusqu'à ma chambre comme un homme qui a les jambes bloquées.

_ Tu veux bien m'expliquer ce qu'il s'est passé dans le bureau de Connors ?

_ Comment t'es rentré ?, m'alarmé-je. Le garde...

_ Je lui ai donné sa pause. Je suis un de ses supérieurs, figure-toi !

_ Ah bon ? Je l'ignorais ! Tu m'en apprends une bonne !, dis-je en me rasseyant nonchalante.

Kasey contourne le bureau et plaque ses mains sur les accoudoirs de mon fauteuil. Il le fait rouler contre le mur et fait claquer le dossier contre le bois. Tout ça avec moi dans le fauteuil.

_ Eh ! Mais ça ne va pas la tête ?

_ Jera n'a rien voulu me dire ! A vrai dire, il ne parle plus du tout depuis ton incroyable action de tout à l'heure ! Alors maintenant, tu vas me dire ce qu'il se trame dans ton crâne sinon je te dénonce !

Je le regarde dans les yeux et tente de me relever, mais il me repousse et je retombe comme un pantin sur l'assise du siège. Alors je vais lui servir un avis médical.

_ J'ai vécu un traumatisme, Kasey. D'après les psychologues, j'ai le cerveau retourné mais je ne vois pas où est le problème. J'ai tout compris maintenant. Je veux être avec mon père, pourquoi tu ne veux pas le comprendre ?

Il cogne son poing droit dans le mur juste à côté de ma tête.

_ Putain, Nam ! Soit tu me dis la vérité, soit je vais vraiment m'énerver ! Les caméras sont coupées alors maintenant, soit tu parles, soit je vais devenir dingue. Et tu ne m'as jamais vu dingue !

Je baisse les yeux sur le côté pour regarder la rue. Les gens sont tranquilles, des enfants rient, des parents s'aiment, des jeunes grandissent. Et nous deux, on stagne. On ne se comprend toujours pas.

_ Tu ne vas pas parler, hein ?

Pardon Kasey, mais je ne peux pas !

Il se redresse et passe la main dans ses cheveux moins bien coiffés que d'habitude. Je me lève et remarque un trou dans le mur.

_ T'as abimé mon bureau, finis-je par prononcer.

Kasey me regarde, fulminant de rage. Il secoue la tête et parcours la pièce en quelques foulées. J'en profite pour remettre en place mon fauteuil. Il revient vers moi, décidé à en découdre. Mais quand il croise mon regard, il se résigne et souffle bruyamment.

_ Tu te souviens... De ce que je t'ai dit...

_ Moi, je t'ai surtout dit que je te laisserais aux portes d'Acropolis. Et toi, tu m'as embobiné. C'est mon tour, maintenant.

Il soupire et approche ses deux mains de mon visage mais je recule. Ses mains retombent le long de son corps.

Ça fait mal mais je dois me faire violence. Je garde mes lèvres fermées, à tout jamais.

_ Je... Je...

Il s'éloigne et pars vers la porte. Il saisit la poignée mais n'ouvre pas la porte pour autant. Il se retourne vers moi et croise mon regard. De longues secondes s'écoulent. Pour moi, elles figurent comme des heures. Et même après ses mots, le temps me parait encore plus long, comme si les mots restaient dans l'air, tournoyant autour de moi, résonnant dans mes oreilles, ne voulant plus jamais me quitter.

_ Je t'aime.

Oh, le salaud !

Juste après qu'il ait quitté la pièce, Water revient.

_ Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Juste avant que Water n'entre dans mon champ de vision, j'hurle et abat mon poing dans le trou que Kasey a fait, quelques instants plus tôt. Je ressors ma main et la découvre en sang, percée de bouts de bois et poisseuse.

_ Aidez-nous, seigneur ! Madame Nam !

_ Je t'ai déjà dit, Water. N'implore pas quelqu'un qui ne peut pas te rendre la pareille.


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