Tome II - Chapitre vingt-et-unième

Je finis de me préparer pour ce soir. Isabelle est venue me rendre visite. Je ne vous cache pas que quand elle a vu ma main, elle a paniqué. J'ai été sur-le-champ à l'infirmerie. Le mur a été réparé en un rien de temps. Et comme excuse, j'ai simplement dit que j'avais besoin d'expulser tout le stress. Il fallait que je me défoule.

_ Il y a des salles de combats pour ça, ma chère.

_ Je suis désolée. Je ne sais pas où elles se trouvent.

Finalement, elle m'a cru et m'a laissé me préparer. En enfilant mon nouvel uniforme, beaucoup plus classe que les anciens, je me sens revigorée, nouvelle. Je sens que le vent tourne. J'enfile une paire de talons, deux fois plus hauts et plus fins que ceux d'hier soir. Mon garde monte avec moi et à l'entrée de l'appartement de mon père, nous sommes fouillés. Jera vient m'accueillir et me tends une arme.

_ Noël avant l'heure ?

_ Nous sommes tous armés. Il n'y a pas beaucoup de gardes pour nous défendre. Tout le monde est nécessaire.

Je saisis le neuf millimètre, coincé dans une ceinture, et le sous-pèse. Je l'enfile à la taille et m'avance dans la salle. Isabelle est déjà présente dans une robe sirène rouge. Tiffany Houtch discute avec elle dans une robe beaucoup plus courte et de la même couleur. Le dress-code est très clair, au moins.

Je pars m'installer. Des noms sont disposés tout autour de la table pour placer les gens. Je repère le mien entre Jera et mon père. Kasey est assis juste en face de moi. Mon garde s'éloigne et va s'installer à côté du bar. Mon père entre dans la salle et tout le monde pousse des exclamations en l'applaudissant. J'imite le reste de l'assemblée et me levant et en souriant. Il vient m'embrasser et nous nous asseyons.

_ J'ai trouvé le tourne-disque dans mon bureau.

Mon père me regarde et me sourit, nostalgique.

_ J'avais complètement oublié qu'il y était ! Cela fait des années que je ne l'ai pas touché.

_ Water l'a trouvé dans le mur. Mais on ne sait pas comment le faire marcher.

_ Il y a un bouton derrière. Si tu trouves un disque, tu poses l'aiguille dessus lorsqu'il commence à tourner. Tu la places bien à l'extérieur du disque, sinon tu arriveras en plein milieu et tu rateras le début.

_ D'accord ! Merci !

Tout le monde vient s'installer. On nous sert de l'alcool clair pour accompagner le poisson cuit à la flamme. Des légumes, des amuses bouches et des pains nous sont offert tout au long du repas. Kasey ne me regarde pas de tout le repas, mon garde du corps se tient tranquille et Jera n'arrête pas de discuter avec moi sur la prison.

_ Une fois les duels terminés, tu prendras la place de sous-directrice de la prison.

Je manque de m'étouffer avec un morceau de pain. Mon père m'offre de l'eau pour faire mieux passer la pilule.

_ Je ne ferais plus partie de la surveillance ? Pourquoi ?

_ Parce que je l'ai décidé !

Ma tête vire à gauche et croise le regard d'Isabelle Ukini, un sourire bienveillant.

_ Je vais vous prendre vraiment sous mon aile. Vous allez me seconder quand je devrais partir en voyage d'affaire à l'extérieur.

_ Sincèrement ? Je suis très touchée que vous me fassiez autant confiance. Je ne vous décevrai pas, madame.

_ Maintenant, c'est Isabelle !

_ Bien sûr !

Nous nous sourions et continuons de manger. Avant de commencer le dessert, notre père se lève et attire l'attention de toute la tablée.

_ S'il-vous-plaît, je voudrais nous couper avant le dessert pour avoir encore un petit encas avant d'être complètement rassasiés. Je vous demanderai de vous tourner vers le mur du fond.

L'une des grandes baies vitrées est cachée derrière une tenture blanche. Un projecteur s'allume au-dessus de nos têtes. Le symbole de l'armée – un A orné de boucles et de courbes -, s'affiche puis une villa apparait. Nous regardons la pelouse de la villa à la Tour Nord se faire envahir par des soldats.

_ Que le spectacle commence !

Je me lève et regarde l'écran. Mon père saisit un micro qu'on lui tend et l'image change. Nous voyons les soldats entrer dans le salon, interrompre Masana, Martin et Jared en plein dîner.

_ Mes chers amis !

Les trois lèvent la tête. La voix de mon père doit se répandre à l'intérieur de la villa, je suppose.

_ Comme vous le savez, il ne vous reste qu'un seul duel à faire. Et il se trouve qu'il va débuter, tout de suite !

Martin se lève et fixe les soldats, imité par Jared.

_ Si vous ne montez pas tout de suite dans la salle des duels, vous pouvez d'ores et déjà vous considérer comme morts.

Les trois se regardent et exécutent les ordres de mon père. Les soldats les suivent et les entrainent à l'étage. Les caméras changent d'angles en fonction de la progression des soldats. Le réalisateur doit se régaler.

Une fois dans la salle des duels, la porte se referme derrière eux, les laissant seuls livrés à eux-mêmes.

_ Prenez chacun une arme.

_ Ils parlent de ces armes-là ?, demande Masana en pointant l'autel avec marqué « servez-vous ».

_ Oui, Masana Ortega. Je parle bien de ces armes-là.

Mon cœur bat à cent à l'heure. Ils doivent réussir. Tous les droits.

Chacun prend une hachette, en découvrant une autre à chaque fois. Il en reste deux. Elles auraient dû être pour Billy et moi.

_ Positionnez-vous en face de vos portes.

Ils marchent vers leur porte respective.

C'est le toit du building, cette fois. Il faut qu'il fasse attention, qu'ils regardent derrière eux. Il faut qu'ils survivent.

L'écran se divise en trois lorsque les portes s'ouvrent. Plusieurs invités se lèvent et regardent l'écran. Lentement – trop lentement même – les sass s'ouvrent libérant des bourrasques de vent violentes et les pierres qui viennent piquer leurs chaussures et leurs mollets. Une fois sortis, ils deviennent difficiles à suivre. Mes yeux vagabondent entre les trois écrans. Je commence par Jared qui reste sur le qui-vive, serrant tellement fort la hachette que ses jointures en deviennent blanches. Jera n'est pas tranquille à côté de moi. Le père de Jared lui sourit férocement.

Masana s'approche du vide rapidement pour jauger la hauteur. Martin fait pareil. Même séparés, ils sont identiques.

Les émerides entrent dans le champ des caméras.

Jared affronte son émeride le premier. Il est féroce dans ses coups. Il arrive à s'écarter quand elle l'attaque. Rapidement, il reprend le dessus mais la deuxième arrive. Je regarde Masana et Martin qui ont eux aussi commencé leur combat.

Masana est concentrée et arrive sans problème à prendre le dessus sur l'émeride.

Attention, derrière-toi !

Comme si elle m'entendait, elle roule sur le côté et la deuxième émeride plante une balle dans le front de son double. Masana s'apprête à l'affronter mais elle s'arrête dans son élan. Parce qu'en face d'elle, il y a Martin.

Oh merde !

Martin lui se débrouille bien. Il affronte les émerides sur deux fronts. Dans une feinte, il esquive l'émeride en lui plantant l'arme dans le cou, il se sert de son corps comme bouclier et cogne l'autre émeride qui tient une arme à feu. Toutes les secondes ont une arme à feu ! L'émeride s'effondre, laissant à Martin une chance de récupérer le flingue. Il le prend et tuent les deux émerides en deux coups secs. Pas de troisième émerides.

_ Fin du quatrième duel.

Martin sort. Je souffle bruyamment, feignant la lassitude. Mais au fond, il n'y a que moi pour me réjouir.

Masana finit par retirer l'arme à feu et à abattre l'émeride qui se faisait passer pour Martin.

_ Fin du quatrième duel.

Les gens autour de moi soupirent de déception. Je m'empêche de sauter partout pour exprimer ma joie. Mais elle retombe comme un soufflet lorsque je regarde l'écran de Jared. Il est noir.

_ La caméra a été coupée !

_ Sûrement une balle perdue !

_ Une balle perdue pour chaque caméra ?, rugit le père de Jared.

Le père de Jared tape du pied en croisant les bras. Jera baisse la tête. A l'abri des regards, je lui saisis la main sans pour autant quitter l'écran de Jared.

_ Changer de vue. Que s'est-il passé ?, hurle mon père.

Toutes les caméras à l'intérieur du sas de Jared sont hors service. Plusieurs changements se font au niveau des caméras.

_ Donnez-moi à boire, je ne tiens plus !

Isabelle tend la main vers mon garde du corps qui s'empresse de lui service de l'eau. Elle boit le verre d'un trait en regardant l'écran.

_ Montrez-moi l'intérieur de la salle.

Mon père se tourne vers un garde qui tient un talkie-walkie et le lui arrache des mains.

_ MONTREZ-MOI !, s'égosille-t-il.

La caméra change pour montrer la salle des sas. Martin et Masana sont dans les bras de chacun. Masana pleure. Je regarde la lumière de la porte de Jared et ne peux m'empêcher de crier cette lumière rouge :

_ NON !

_ Qu'avez-vous fait ?, hurle un autre qui rattrape Isabelle.

Je regarde Isabelle qui s'agite de son côté. C'est alors que je remarque la mousse noire qui s'agite sur les contours de sa bouche. Le garde du corps au-dessus d'elle me regarde. Il me fait « oui » de la tête.

Et là, tout ralentis.

Choses horribles.

C'est moi qui vais les faire.

Je vais devoir tuer.

Rouge. Noir.

Je sors mon arme et vise la tête de mon garde du corps qui ferme les yeux et respire à nouveau. Et je presse la détente.

Des cris me percent les oreilles alors les deux corps s'affalent au sol. Plusieurs s'affairent autour d'Isabelle pour tenter de la sauver et les autres soldats se précipitent vers leurs collègues.

Mon père me retire mon arme et me regarde.

_ Qu'est-ce que t'as fait ?

Mais avant que je ne m'explique, un soldat répond à ma place :

_ Monsieur, madame Nam a abattu son garde du corps.

_ Il a empoisonné Isabelle, dit un autre. Je l'ai vu !

Clark se relève et ajoute ceci :

_ Connors, elle est morte. Par poison.

Plusieurs s'exclament d'horreur. Le reste s'enfuie de cette scène de massacre pour protéger les yeux de leurs femmes, ou les leurs. Je sers la main de Jera en le regardant. Il reste digne, une vraie figure d'impassibilité.

_ Nam a tué son assassin, Monsieur Odiel.

La voix de Clark me réveille tout à coup. Je regarde mon père.

_ Tout le monde, fouillez-les tous pour trouver qui a fait ça. Personne ne sort d'ici.

_ Inutile, mon directeur.

On tourne tous la tête vers un autre soldat, plus haut gradé. Il lève vers nous une capsule pliée en deux, crevée.

_ Du poison, monsieur. C'est bien lui.

Celui qui j'ai tué. Je l'ai tué.

Mon père agite sa tête dans tous les sens. Personne n'a plus envie de dessert, tout à coup.

*

Je suis assise sur mon lit depuis une heure environ. On m'y a reconduit quelques instants après qu'ils aient trouvé la capsule. J'ai été mise hors d'état de cause mais personne n'est venu me voir depuis. Seulement Water est assis à côté de moi. Le réseau spontané l'a mis au courant des dernières mises à jour du personnel et des participants des duels. Il m'a dit au moins vingt fois qu'il était désolé mais je l'ai fait taire au bout d'un moment.

Je m'écroule contre Water. Ma voix est absente, ainsi que mon souffle quasiment inexistant. Mes poumons sont comprimés et ma gorge est serrée. J'essaie de me faire de l'air grâce à ma main mais je n'arrive même plus à la bouger. Du coin de l'œil, je vois Water agiter la sienne beaucoup plus rapidement qu'un humain ne pourra jamais. Martin et Masana doivent devenir complétement fous. Et ils doivent me haïr.

Je pose ma tête derrière moi et commence à relâcher tous les muscles de mon corps. Et j'hurle jusqu'à en brûler ma gorge.

Jared est mort.

_ Je vais les tuer !, s'écriait Masana. Tous, jusqu'au dernier ! Hein ? Vous entendez ? Vous êtes morts !

Je me repasse ses poings sur la porte de Jared, hurlant ces mots à qui voulaient les entendre. Moi, en l'occurrence.

Et puis, au bout de quelques secondes, je n'ai plus de larmes en stock. Je ne ressens plus rien, et ce rien n'est remplacé par un sentiment de rage et un dégout surdimensionné pour mon père et tout ce qu'il a fait.

Il est temps que je passe à l'action.

Je me lève et me rhabille comme je le suis tous les jours depuis que je suis rentrée à l'Armée. Water m'aide à passer les cordes sous mon aisselle et m'aide à ajuster ma veste. J'enfile mes chaussures et arrange un peu ma coupe de cheveux. Je le fais à la va-vite, même si des mèches s'en échappent.

Je demande à Water de m'accompagner jusqu'à la grande salle de surveillance. Dès que j'entre, tous se retournent pour me voir occuper mon poste de sous-directrice de la prison. Le petit bureau à côté du grand.

_ Madame Nam ?

Je me retourne vers un des surveillants en chef.

_ Ce n'est plus votre bureau.

_ Quoi ? Comment ça ? Les duels sont terminés, je prends mon poste de sous-directrice.

_ Je suis désolé mais..., continue le soldat.

_ Mais quoi ?, m'empressé-je.

_ Eh bien... Etant donné les derniers informations du réseau spontané, vous êtes maintenant la grande inquisitrice de la prison.

_ Oh...

Je regarde autour de moi et tous ces gens plantent leurs yeux sur mon uniforme. Je suis leur chef, il faut que j'agisse en tant que tel. Je me redresse calmement et regarde le surveillant devant moi.

_ Qui me seconde ?

_ Personne pour le moment.

_ Quel est votre nom ?

_ Veffer, madame.

_ Alors ce sera vous, Veffer. Puisque vous êtes celui qui est venu me parler, je devine que vous êtes le plus haut gradé ici, à part moi.

_ C'est exact, madame, dit-il au garde-à-vous.

_ Alors briefez-moi sur le déplacement des participants. Je veux savoir où et quand ils vont être remis en liberté.

_ Mais inquisitrice, nous avons reçu ordre de ne pas les libérer.

Je le regarde avec des yeux perçants pour le forcer à continuer.

_ Connors Odiel a été très clair, ils reviennent à la prison.

J'essaie de ne pas paraître ridicule. J'essaie, notez-bien !

_ Je n'ai pas recroisé mon père pour qu'il m'en informe. A vrai dire, je n'ai croisé personne depuis... Comment veut-il qu'on procède ?

_ Un convoi est déjà en route, madame. Les participants sont menottés et des sacs ont été mis sur leur tête pour qu'ils ne démasquent pas la supercherie. Ils doivent arriver d'ici quelques minutes.

_ Bien. Water, dis-je en me tournant vers mon robot. Attends-moi dans mon bureau, et ne fais rentrer personne. Trouve des personnes de confiance pour garder la porte. Vous, dis-je en me tournant vers mon second, prenez des hommes. On va descendre au hangar. Je veux les ramener à la prison moi-même.

J'ai toujours mon rôle à tenir, alors s'il faut que je le fasse. Je le ferai. Certaines fois, il faut prendre son mal en patience.

Six soldats nous accompagnent aux hangars, où une dizaine d'autres y sont déjà pour réceptionner Martin et Masana.

Et dire que j'aurais dû être avec eux. J'aurais été surprise en arrivant !

Le convoi arrive au bout de quelques minutes. Le van s'immobilise et la porte latérale s'ouvre sur deux gardes puis sur les nouveaux détenus. Je m'avance, précédé de Veffer, pour accueillir les sacs noirs. Je fais signe de silence aux autres. Veffer saisit Martin au bras et moi, je saisis Masana à l'épaule. Nous les entraînons vers l'ascenseur, entourés d'autres soldats. Quand la plateforme s'élève, Masana parle enfin.

_ Vous nous emmenez où ?, demande Masana.

_ Vous allez récupérer vos affaires. On vous fait sortir bientôt de la Capitale.

_ Très bien, finit Martin. Je ne tiendrai pas une minute de plus dans cette ville infernale !

Le cercle solide du collier pendu à mon cou me procure une sensation de bien-être. On y est presque.

L'ascenseur se stoppe et les portes coulissent. Un garde nous salue et nous entraîne vers les portes du balcon, au-dessus de la cafétéria. Je pose ma main dans le dos de Masana et la pousse pour avancer. Les autres suivent. Nous traversons plusieurs couloirs, Martin et Masana toujours dans le noir profond du sac. Des portes s'ouvrent et nous les passons. Ma main quitte son dos et nous leur retirons les menottes. Nous sortons tous de la cafétéria. Avant que les portes ne se referment, je finis par ouvrir la bouche.

_ Vous pouvez retirer les sacs.

A côté, un écran me montre l'entrée du balcon. Martin lève ses mains et enlève le tissu qui recouvre sa tête. Ses yeux ne s'habituent pas à la lumière de suite. Masana est éblouie, elle aussi.

Martin plisse les yeux et ses iris s'adaptent peu à peu. Il observe les alentours, tremblant de rage. Le sol gris et sale, l'escalier. Tous les mêmes. Des passerelles. Des tables rondes. Des barreaux et un plafond haut de dix étages.

_ C'est pas vrai...

Masana met en boule le sac noir dans ses mains et contracte sa mâchoire. Je me retourne pour partir au moment où la porte derrière nous claque. Masana ne parle pas. Martin lui fracasse ses poings sur les portes en acier blindé. Moi, je continue de marcher, essayant d'oublier tout ça pour la nuit. Mais la voix de Martin revient sans cesse dans ma tête.

_ SALES TRAITRES !


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