Tome II - Chapitre treizième
Dans l'ascenseur, personne ne parle. Depuis que j'ai quitté le bureau de mon père, mes poings sont serrés. Mes jointures deviennent limite transparentes, j'imagine. Je regarde devant moi. Je sais très bien que Kasey me regarde. Ou peut-être que c'est Jera. Je n'en sais rien. Je sais juste une chose, c'est juste que tout ça va finir plus tôt que mon père ne le pense.
Nous arrivons enfin à l'étage du camp. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent et les gardes s'avancent. J'en sors et nous nous dirigeons à travers le couloir jusqu'au salon du camp.
Revoir mon père était... Revigorant ! En réalité, il m'a encore plus donné envie de me battre, de tenter le diable. Il n'a aucun droit sur nous, encore moins sur moi. C'est pour ça que je vais lui faire payer toutes ces années de solitude. Il m'a transformée et m'a forcé à devenir la personne indifférente que je suis aujourd'hui.
J'y suis aussi pour quelque chose. Je n'ai rien fait pour l'en empêcher. Mais je devais me protéger moi-même.
Protéger... Iori...
Je m'arrête et me retourne sur Jera.
_ Où est Iori ?, dis-je d'une faible voix.
Jera pince ses lèvres et dit aux gardes de nous attendre plus loin.
_ Toi aussi, Kasey...
Je regarde derrière moi. Kasey fait une moue et continue sa route, tête baissée. Je reviens vers Jera et penche la tête pour le conduire à la vérité.
_ Je l'ai faite sortir de la prison.
_ Quoi ?, dis-je médusée. Comment ?
_ Un convoi, ce matin. Gio a réussi à mettre au point un plan pour la faire dégager, tôt dans la matinée.
_ Et pourquoi pas les autres ?
_ Parce que vous êtes sous les yeux de la Capitale, Nam ! Voilà pourquoi vous n'auriez jamais dû vous embarquer là-dedans ! On perd du temps et on perdra sûrement des vies, notamment la tienne !
Mon corps convulse à peine à l'entente de cette nouvelle.
_ Pourquoi Iori ?
_ Parce que c'est la femme de Gio !
Je ferme les yeux assez forts pour accepter la nouvelle.
_ Et maintenant ?, demandé-je à Jera.
Jera soupire et fais les cents pas devant moi, comme un animal en cage.
_ Il faut que tu réussisses à sauver ta peau et à sortir indemne des duels. Et les autres aussi. Vous devez tous rester en vie !
J'émets un faible « d'accord ». Mais une autre question me trotte dans la tête.
_ Pourquoi vous faites ça, Jera ? Vous pourriez vivre tranquillement dans un nid douillet si vous étiez de son côté.
_ Ma conscience n'est en aucun cas d'accord avec ça. Je hais ton père.
Mes yeux sortent de leurs orbites. Il est sérieux ? D'après sa mine grave, il l'est. Jera Schwaps n'aime pas mon père. Ok, il est de l'autre côté de la barrière, mais c'est quand même une personne qui a joué un rôle important dans le meurtre de Tania.
_ Ne croyez pas que c'est parce que vous voulez m'aider que je vous pardonnerai l'erreur que vous avez commis, cette nuit-là, sifflé-je. Tania est morte par votre faute.
Jera s'arrête de marcher et me regarde, désolé.
_ Je ne pouvais rien faire. C'était un ordre de ton père de trouver Faniath et de tuer tous ceux qui étaient contre.
_ Il ne trouvera jamais ce qu'il cherche là-bas. Jamais. Faniath n'a rien à voir dans tout ça. C'est à peine s'ils survivent.
S'il croit que je vais faire la bonne commère avec lui, il peut se mettre le doigt dans l'œil.
_ Je le sais. Mais on ne sait jamais ce qu'il peut arriver.
Jera a un sourire entendu. Décidément, il me surprendra toujours, cet homme. Même s'il n'a rien à voir avec la mort de Tania, il en est quand même responsable. Je fais demi-tour et continue de marcher vers le camp, suivie de près par Jera. Mais avant d'atteindre les autres, il m'arrête en posant sa main sur mon épaule.
_ Prenez soin d'eux, là-bas.
Je ne comprends pas trop sa phrase mais je réponds par l'affirmative et nous passons notre chemin.
*
_ Qu'est-ce qu'il s'est passé ?, me demande Jared quand j'entre dans le camp.
Je m'arrête et l'un des soldats me retirent les menottes. L'acier a mordu mes poignets. Je les masse et pars m'asseoir à côté du braséro. Les portes se referment et les flammes produisent le seul son de la pièce. Mes cinq camarades se regroupent autour de moi.
_ Où est Xavier ?, demandé-je.
_ Il est reparti. Ils ont encore changé le cuistot après la peur que tu lui as faite, ce matin, m'informe Billy.
Je dodeline et regarde le feu. Billy vient s'asseoir près de moi.
_ Qu'est-ce que vous vous êtes dit, là-bas ?
_ Ils avancent le prochain duel parce que les riches deviennent intenables face à l'attente. On est une putain de télé-réalité, les gars !
_ Le jour où je sortirai d'ici, je vais les plumer, ces...
_ Stop !, s'écrie Martin en posant sa main devant la bouche de Masana. On a dit plus de gros mots, Masana !
_ Mais ils en disent, pourquoi pas moi ?, pleure-t-elle.
_ Parce que je ne veux pas ! Une belle fille comme toi qui dit des insanités pareilles, ça ne fonctionne pas !
_ Belle fille ?, scandons-nous.
_ Insanité ?, reprend Masana.
Finalement, dans sa phrase, c'est la seule chose qu'elle a retenu ! Eh bien, eh bien !
_ Je viens de te dire que tu es belle et toi, tu retiens juste ça ? T'es sérieuse ?
Ils se regardent longuement et nous, on vire au blanc.
_ Oh mon dieu, vous n'allez pas...
Enzo s'arrête et on voit Masana et Martin se rapprocher l'un de l'autre tout doucement.
_ Oh non, je ne veux pas voir ça !, se moque Enzo en détournant son regard.
_ C'est pas de ton âge, de toute façon !, se moque Jared.
Ils rigolent mais Billy secoue mon bras.
_ Ça va, Nam ?
Je me réveille enfin. Je ne me suis pas rendue compte que je fixais le nouveau couple pendant tout le long de leur baiser. Je tourne la tête vers Billy, qui est attristé.
_ On ne peut mieux !
Billy fait l'air blasé et ennuyé. Je soupire et regarde le feu pour échapper à sa sonde mentale.
_ Tu penses à quelqu'un, c'est ça ?
_ On peut arrêter cette conversation ?
Billy retire sa main, me laissant croiser les bras et mettre mes pieds au bord du braséro.
Oui, je pense à quelqu'un. Je pense au premier mec que je n'ai jamais embrassé de ma vie. Kasey. Entre le moment où on s'est embrassés dans les bras de Furie et l'entrée dans Acropolis, j'ai pu entrevoir une lueur de bonheur. Elle a ensuite volé en éclat dès que j'ai su qu'il m'avait menti. Sur son faux frère et sur sa véritable personne.
Jared me prend à part et m'éloigne du petit groupe. Il se place face à moi en croisant les bras sur sa poitrine.
_ Explique-moi.
_ Il n'y a rien à dire, Jared.
_ Explique-moi ce qu'il s'est passé en haut, avec ton père.
Je grimace quand j'entends ça. Je ne m'y ferai jamais !
_ Je... J'ai vu ton père, avec lui...
Jared se sent vaciller un moment et laisse tomber ses bras le long de son corps. Sa bouche ne forme qu'un trait sur son visage et ses muscles se contractent.
_ Il va comment ?
_ Il a l'air plutôt en forme. Mais je suis sûre qu'il va vite déchanter quand on sortira d'ici !
_ Il t'a dit quelque chose à propos de moi ?
Je lui dis ou pas ? Que son père est heureux de le voir aux portes de la mort ? Non, il ne vaut mieux pas.
_ Non. Il ne m'a rien dit.
Je le regarde droit dans les yeux pour qu'il voie que je parais honnête. Je n'aime pas mentir mais je me sens forcée. Comme avec Tania, je ne veux pas qu'il souffre encore plus que ce qu'il ne subit déjà.
_ D'accord.
Une lueur dans ses yeux me prouve qu'il ne me croit pas. Mais, au moins, il essaie de ne pas me faire culpabiliser de ne pas lui avoir dit la vérité.
*
Les jours sont passés rapidement. Nous voilà à la veille du deuxième duel. Tout le monde dort, ou du moins essaie de dormir. Le braséro est éteint. Juste quelques volutes de fumée s'échappent des cendres mais rien de bien méchant.
Je suis assise ici depuis près d'une heure. Je n'arrive pas à trouver les bras de Morphée alors j'essaie de m'occuper l'esprit. Et la seule chose qui me tourmente en cet instant précis, c'est ce qu'il se passera demain.
Dans mon deuxième rêve, j'étais dans une rue sans vie, avec des immeubles délabrés et des grosses voitures explosées par-ci par-là. Des choses sentant la guerre et la destruction.
Il faudra que j'aille sur la droite pour trouver la barre de fer, si jamais elle y est. Ou un bout de verre, n'importe quoi, qui m'aidera à désactiver l'émeride.
J'appréhende demain aussi pour les autres. Surtout pour Enzo. Il a eu un coup de chance lors du premier duel. Un véritable coup de bol, même ! Mais cette fois, je ne sais pas ce qu'il va se passer.
J'entends un truc coulisser derrière moi. Je me retourne et vois une ombre à l'entrée de la salle du camp.
_ Tu ne dors pas ?, dit une voix d'homme.
_ Qu'est-ce que tu veux ?, prononcé-je.
Kasey vient s'asseoir à côté de moi et regarde les ombres du feu danser devant nos yeux.
_ Je voulais te voir.
_ Tu m'as vu, voilà !, dis-je sarcastique.
_ Tu ne changeras pas, hein ?, rit-il.
Je le fusille du regard pour lui faire comprendre que, moi, je n'ai pas envie de rire. Loin de là, même.
_ Après ce que tu m'as fait, j'ai plus envie de te tuer que de te parler.
_ Ecoute, j'ai quelque chose à te dire, poursuit-il.
Je l'écoute d'une oreille.
_ Je... Je voudrais m'excuser pour ce que je t'ai fait subir, ces derniers jours.
_ Le dire ne réparera rien du tout.
Mon visage pivote vers lui, puis vers les caméras. Il saisit mon bras mais je le retire aussitôt. Oui, ça m'intéresse de savoir jusqu'où il peut s'enfoncer.
_ Mais continue, je t'en prie ! Gaspille ta salive !
Il se racle la gorge avant de continuer de parler. Il est nerveux.
_ Je... Je n'ai jamais voulu te faire du mal, Nam. La première fois, quand je t'ai vu débarquer dans le garage, je me suis dit que ce n'était pas possible de te vouloir du mal. Bien sûr, je t'avais déjà vu. J'avais eu une photo de toi pour savoir qui était ma cible...
A ce mot, mon cœur s'arrête de battre. J'ai une telle envie de plonger dans le feu et de ne jamais en sortir. Tout, sauf parler de ça.
_ Je savais qui tu étais mais je n'avais pas prêté attention à ton visage. Et quand je t'ai eu en face de moi... J'ai paniqué... Je...
Ses épaules s'affaissent et il laisse tomber sa tête en avant.
_ Au début, je devais te faire le coup du chloroforme. Je devais t'endormir de suite et te ramener illico à la base de l'Armée. Là où ils nous ont capturés quand on a voulu partir, la première fois. Mais... Je n'ai pas pu... Alors je t'ai laissé nous entraîner dans tout ça.
_ Mais, si tu m'as laissé alors... Le coup du frère, c'était de ton imagination ?
Mon cœur se serre en entendant tout ça.
_ Nam...
_ Mais alors si tu l'as inventé sur un coup de tête, comment ça se fait que Connors était au courant quand il nous a chopé dans la salle de surveillance ?
_ Parce que je l'avais prévenu de ma machination.
_ Ça ne me choque même pas !, ris-je.
Ma bouche s'ouvre à peine pour laisser passer l'air qui me manque. Je m'avachis dans mon fauteuil et mes yeux se perdent sur les cendres.
_ Comment t'as pu le prévenir ?
_ J'avais un appareil pour transférer de courts messages pour garder contact. Il n'a pas aimé et a divisé ma récompense en deux, quand je lui ai dit que je ne te ramènerai pas de suite. Je m'en fichais complètement. Et je m'en fiche toujours, d'ailleurs.
Mes yeux commencent à se sécher. Je cligne plusieurs fois des paupières et puis force Kasey à me regarder.
_ Pourquoi tu m'as laissé du temps ?
Les yeux de Kasey sont incisifs et tristes. Il détourne vite les yeux pour fuir mon regard. Il me fait limite de la peine.
_ Je ne sais pas, j'ai... Un truc s'est passé dans ma tête et je ne pouvais tout simplement pas...
Il secoue la tête et se lève d'un bond pour se diriger vers la porte de la salle du camp. Il tape deux fois et s'enfuie par la sortie, disparaissant de ma vue.
Je reste bloquée sur place. Je commence à comprendre, peu à peu. Il n'a pas voulu me laisser parce que... Je n'en reviens pas. Jared a raison.
Kasey a des sentiments pour moi.
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